Au coeur de la création de richesse : l'Entreprise

Quand McDonald’s a mal à l’estomac

Quand McDonald’s a mal à l’estomac

BigMaccurrencybigmacusa102614

Symbole du «soft power» américain, le roi du fast-food galère sur plusieurs fronts. Le géant hégémonique a conquis nos estomacs et imprégné la société moderne à tel point que quand il voit son bénéfice chuter de 30%, les analystes ne dorment plus. Est-ce le début du déclin?
Enquête

Il y a de l’ADN humain dans les burgers. Les Big Mac sont farcis de «pink slime» (tendons, graisse et tissus de bœuf déchiquetés, extraits par une centrifugeuse et formant une immonde «glu rose»). Les frites sont cancérigènes.

Visitez le compte Facebook de McDonald’s et vous en trouverez d’autres, plus ou moins ragoûtantes, de ces manifestations de dépit, d’inquiétude, d’aversion, d’une certaine clientèle – toquée ou très documentée – concernant l’offre alimentaire du roi du fast-food.

Si la page est un défouloir, c’est parce que la chaîne de restauration rapide vient d’entamer, aux Etats-Unis, une campagne de communication hyper-agressive pour répondre, point par point, aux récurrentes suspicions sur sa nourriture. Elle a notamment invité l’incontournable show télévisé Good Morning America d’ABC dans ses laboratoires.

L’opération «Our food. Your questions» était déjà, en soi, une preuve que McDonald’s sentait venir le vent mauvais. Confirmation par les chiffres la semaine dernière: – 30% de bénéfice net ce dernier trimestre (soit 1,01 milliard de francs suisses, contre 1,44 milliard en 2013) et – 3,3% dans le chiffre d’affaires de tous ses magasins ouverts depuis au moins treize mois. Soit le pire fléchissement de ces dix dernières années.

Quand McDonald’s buzze, c’est toute la terre qui tremble et chante «I’m lovin’it». Il n’en va donc pas autrement quand McDonald’s galère. Parce que «McDo», c’est un morceau d’histoire contemporaine. C’est toute une iconographie des XXe et XXIe siècles. C’est, avec Coca-Cola et quelques autres, l’incarnation du soft power américain.

Les causes, d’abord. Sur le plan international, McDonald’s paie le prix d’un gros scandale alimentaire en Chine. Son fournisseur OSI Group LLC a vendu de la viande de poulet périmée. En Russie, les fermetures en série pour «violation des normes sanitaires» semblent plutôt un signe de représailles de Vladimir Poutine sur la question ukrainienne. Mais cela en dit long, déjà, sur le poids symbolique de l’enseigne au grand M, synonyme d’expansionnisme.

Aux Etats-Unis, le pionnier de la restauration rapide évolue dans un environnement de compétition féroce, au milieu des Denny’s, Chili’s, Panera Bread, IHOP, Burger King, Taco Bell ou encore Chipotle, dans lequel McDonald’s avait des parts jusqu’en 2006, qu’il aurait bien fait de garder. Le grill mexicain est une chaîne qui monte et véhicule une image de produits frais et sains.

Certains analystes, comme Steve West d’ITG Investment Research, sont formels: «Cette tendance à la recherche de produits plus sains de la part du consommateur se fait sentir depuis une vingtaine d’années. Or, des concurrents de McDonald’s ont bâti leur réputation là-dessus et ont, désormais, assez grandi pour le menacer.»

Les habitudes alimentaires des Américains évoluent aussi, confirme une enquête du Département de l’agriculture parue en janvier. Ils consomment toujours moins de calories (118 de moins en 2009-2010 que quatre ans auparavant) et mangent de plus en plus souvent à la maison. L’agence Bloomberg constate, enfin, que la récente hausse des prix (+3% en 2014), partiellement due à la hausse du prix des matières premières et des taxes, éloigne une clientèle de base de McDonald’s, les personnes au faible pouvoir d’achat (les «cash-trapped»).

L’enseigne a cumulé quelques gros flops ces dernières années, témoignant d’une stratégie commerciale peu claire. Qui se rappelle du BBQ Chicken, du Corn Dog McNuggets, du Catfish Sandwich? Que dire de cet investissement de 50 millions de dollars dans l’achat d’ailes de poulet congelées pour les Mighty Wings, qui s’est soldé par 10 millions de dollars d’invendus, encore dans les congélateurs des franchisés. En 2002, l’opération McAfrika (bœuf et légumes dans une pita) lancée en Norvège pendant une des pires famines de l’histoire en Afrique a aussi laissé des séquelles.

Avant de gaffer, McDonald’s et sa mascotte Ronald ont tout de même conquis le monde. Lorsqu’on parle d’un possible déclin du géant, il est donc bon de rappeler dans quelle mesure il a colonisé nos estomacs. En bref: premier restaurant en 1937, ouvert par les frères Maurice et Richard (Mac et Dick) McDonald, à Monrovia, Californie. Ceux-ci n’ont pas inventé le hamburger, mais le menu ultra-simple et le service ultra-rapide grâce à la fabrication à la chaîne. Rachat en 1959 par un franchisé malin, Ray Kroc, qui s’engage dans une politique d’expansion – savait-il jusqu’où cela allait le mener? Si bien qu’en 1987, en Amérique, un quart des petits-déjeuners consommés hors de la maison le sont chez McDonald’s.

Aujourd’hui, McDo, c’est 35 000 points de vente sur la planète qui nourrissent 65 millions de personnes quotidiennement. Le fameux M («golden arches») est plus connu que la croix chrétienne, rappelle dans son livre Fast Food Nation le journaliste et écrivain Eric Schlosser. Un coup d’œil sur la carte de l’artiste et scientifique Stephen Von Worley géolocalisant, du ciel, tous les restaurants McDonald’s aux Etats-Unis illustre la tentaculaire emprise de McDonald’s sur le territoire.

C’est simple. McDonald’s est partout, vraiment partout. Ici, revisité par la marque de prêt-à-porter Moschino par le biais d’une collection chic et polémique – le créateur sera accusé de glorifier la malbouffe. Là, brandi par des activistes thaïlandais lors de manifestations anti-coup d’Etat appelant, sur leurs pancartes, à plus de déMocratie – avec le M de McDo.

Cet impérialisme par l’estomac, Poutine n’est pas le seul à le condamner. Le réalisateur canadien Morgan Spurlock avait sonné la charge en 2004 à travers un film documentaire historique. Super Size Me racontait le défi que s’était fixé son auteur de se nourrir exclusivement chez McDonald’s, trois fois par jour durant un mois. Spurlock avait pris onze kilos et connu, évidemment, des problèmes de santé.

Comme Max Weber a décodé l’influence de la bureaucratie sur nos vies, le sociologue américain George Ritzer (lire l’interview ci-dessous) a développé la théorie de la «McDonaldisation de la société» (1991). Pour lui, la culture fast-food a déteint sur l’ensemble de la société contemporaine, par l’application des quatre principes fondateurs de la marque: l’obsession de l’efficacité, la quantification des activités, la prévisibilité des résultats et le contrôle des processus. Pour le meilleur ou pour le pire.

Soyons honnêtes, en chiffres absolus, McDonald’s reste un mammouth qui dégage du bénéfice et distribue du dividende. Mais sur le plan de l’image, pour résumer, il est bien loin le temps où c’était cool et so trendy pour un baby-boomer d’emmener sa petite amie en Chevy au McDrive. Ce problème d’image, le CEO de McDonald’s, Don Thompson, le reconnaît: «Nous n’avons pas évolué au même rythme que les attentes du consommateur. Il va falloir rétablir la connexion émotionnelle que celui-ci associe à notre marque.»

Toutes les campagnes de transparence ne suffiront probablement pas à rectifier le tir. Mais McDonald’s dit avoir des plans. Il veut créer des menus plus adaptés à la demande locale, offrir des burgers customisables avec possibilité de choisir ses ingrédients, appliquer une stratégie digitale pour faciliter les commandes (incluant l’Apple Pay). Et enfin, revoir le «look» et le «confort» de tous ses restaurants à travers le monde. Ronald le conquérant n’a pas dit son dernier mot. Let’s celebrate!

PAR XAVIER FILLIEZ / Le Temps 27/10/2014

2 réponses »

  1. On pourrait parler du superbe succès de Mc Do en France, n’ en déplaise aux casseurs moustachus à la solde des escrologistes. Et combien de jeunes de cités seraient au chômage sans Mc Do ?

    J’ ai un problème avec l’ expression « soft power ». En quoi la puissance douce est-elle condamnable ?

    A mon avis le point le plus intéressant de l’ article est la propension des Américains à dépenser un peu plus pour se nourrir un peu mieux, même après 6 ans de paupérisation constante. Voir également les marchés aux légumes de Detroit.

Laisser un commentaire