Art de la guerre monétaire et économique

Les Clefs pour Comprendre du Mercredi 26 Novembre 2014: La revanche des ex-pestiférés Par Bruno Bertez

Les Clefs pour Comprendre du Mercredi 26 Novembre 2014: La revanche des ex-pestiférés Par Bruno Bertez

Pendant de nombreux mois, les pestiférés européens ont avalé couleuvres sur couleuvres. L’Allemagne apparaissait comme dominante, Merkel apparaissait comme imposant sa volonté à ses partenaires européens. C’était la grande époque de l’austérité, de la rigueur et du rééquilibrage. Nous pensons qu’un glissement tectonique est intervenu  lors des dernières élections européennes. Ce glissement s’est manifesté par la poussée des partis eurosceptiques, populistes ou extrémistes. Les préoccupations ont alors basculé. Il nous semble que la menace de dislocation sociale et la menace de poursuite de la progression des partis hostiles à la construction européenne a donné à réfléchir. Depuis cette date, sans que ce soit clairement formulé, on note une accumulation de mesures ou de tolérances qui, selon nous, vont dans le sens d’une reculade pour les Allemands et leurs alliés des pays du Nord. En clair, avant, on avait peur des déséquilibres financiers et des divergences de situations économiques ; maintenant, on a peur du chaos social et politique.

Bien entendu, c’est une extrapolation car personne n’a formulé clairement pareil diagnostic.

Dès le lendemain des élections européennes, la question de l’austérité et de l’orthodoxie budgétaire est passée au second plan. Bien entendu,  ce fut fait de façon diplomatique. On a remplacé l’exigence d’économie et de réduction des déficits par une exigence de réformes. Puis, par ailleurs, et toujours sans le formuler, on a accepté la dérive du calendrier des réformes. Nous en sommes au stade où, ni le rééquilibrage budgétaire, ni les réformes, ne sont au centre de l’actualité. Ce qui est au centre de l’actualité, c’est, d’une part, une nouvelle initiative non-conventionnelle de la BCE et, d’autre part, un plan de relance keynésien de 300 milliards par les grands travaux.

Si l’on en juge par les réactions des élites allemandes, par les réactions de la presse, et celles du patron de la Bundesbank, Weidmann, l’Allemagne est en train de digérer d’énormes couleuvres.  Aussi difficiles à avaler que celles qu’elle a tenté d’imposer à ses partenaires.

La Banque centrale européenne (BCE) risque d’être confrontée à des « obstacles juridiques » si elle décide de se lancer dans des rachats d’obligations d’Etat, a averti lundi Jens Weidmann.

Ces déclarations du président de la Bundesbank allemande et membre du Conseil des gouverneurs de la BCE illustrent une nouvelle fois son opposition à un programme de rachats de dette souveraine.

Mario Draghi, président de la BCE, a exprimé vendredi sa détermination à relever rapidement le taux d’inflation dans la zone euro, ce qui a été interprété par nombre d’investisseurs comme la promesse d’un programme de rachat de dettes souveraines, ou assouplissement quantitatif, dès 2015.

Interrogé à ce sujet lors d’une intervention à Madrid lundi, Jens Weidmann a répondu: « Au lieu de focaliser notre attention sur le plan de rachats nous devrions nous concentrer sur les moyens de trouver la croissance. »

Il a averti qu’il serait difficile de renforcer les mesures existantes de lutte contre la faiblesse de l’inflation.

« Bien sûr, il y a d’autres mesures, qui sont plus difficiles, car elles n’ont pas été testées, car elles sont moins claires (..) et bien entendu, elles atteignent les limites légales de ce qu’il est possible de faire », a dit Jens Weidmann.

« Voilà pourquoi les discussions sont si animées », a-t-il ajouté, après avoir insisté sur les « obstacles juridiques élevés » auxquels se heurterait le financement d’un Etat par la BCE.

La Bundesbank n’est pas seule en Allemagne, première économie de la zone euro, à manifester son hostilité à des rachats de dettes souveraines par la BCE. Une grande partie de la classe politique allemande craint qu’une telle politique ne revienne à financer des pays incapables d’entreprendre des réformes censées renforcer la compétitivité de leur économie.

La Cour de justice de l’Union européenne a déjà été saisie d’un recours allemand concernant les opérations monétaires sur titres (OMT), un programme annoncé en 2012 par la BCE, mais jamais mis en oeuvre, consistant à racheter de la dette souveraine sur les marchés secondaires à condition qu’un Etat en fasse la demande.

La Cour européenne doit rendre son jugement au milieu de 2015. Auparavant, l’un de ses avocats généraux annoncera ses conclusions le 14 janvier. Or cette étape est essentielle car la juridiction européenne suit généralement ces avis.

Si elle valide même partiellement le recours allemand, la Cour pourrait encourager d’autres recours et entraver la capacité d’action de la BCE  Reuters Le 24/11/14

Ainsi, Draghi s’oriente vers une expansion du bilan de la Banque Centrale sans que cela amène une réaction officielle au plus haut niveau allemand. Les élites protestent mais Merkel ne dit mot. Draghi envisage de remonter le bilan de la BCE au niveau qu’il avait atteint début 2012 par des achats de bonds souverains. Bien entendu, les formules utilisées sont encore diplomatiques. Ainsi, Noyer vient de déclarer que la volonté de la BCE de regonfler son bilan était non pas une promesse ferme, mais une attente, un espoir. De la même façon, Cœuré a employé un langage diplomatique très conciliant pour dire que la BCE n’était pas pressée de prendre une décision car elle attendait de connaître l’impact des mesures en cours. Ces déclarations n’ont qu’un but, éviter de froisser les susceptibilités et de faire perdre la face aux Allemands. Tout cela, c’est de la diplomatie et cela recouvre de négociations souterraines pour habiller les initiatives de Draghi et les rendre acceptables à l’opinion allemande.

Après l’aspect monétaire, l’aspect budgétaire. Finalement, il y a eu très peu de levée de bouclier lorsque la France unilatéralement a décidé de repousser ses objectifs de réduction des déficits.  A l’heure où nous écrivons, la position officielle européenne sur cette question n’est pas encore connue, mais il paraît évident par les indiscrétions que l’on s’achemine vers une tolérance tacite. On pense que le verdict qui sera rendu vendredi 28 novembre ne comportera pas de demande additionnelle de coupe des budgets français et italien. Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire tout simplement que l’Allemagne, tout en déclamant son hostilité et son mécontentement, baisse la tête et accepte la dérive. La seule chose que l’on a entendu sur cette question est une bien timide remarque de Schäuble à usage interne. Le ministre allemand a en effet réitéré l’idée que la Commission devrait avoir un droit de véto sur les budgets individuels de chaque pays. Schäuble se garde bien d’un affrontement en disant ce qui est intolérable, il se borne à rappeler ce qui est, selon lui, souhaitable.

Après les couleuvres sur la gestion monétaire, après les couleuvres sur la gestion budgétaire, voici le temps des couleuvres sur les ambitions keynésiennes de Juncker. Juncker vient de présenter un projet qu’en d’autres temps les Allemands auraient considéré comme proprement délirant. Il envisage 300 milliards de dépenses européennes improductives financées par une échelle de Ponzi qui, normalement, devrait faire frémir les agences de notation. Il n’y aurait pour ainsi dire aucun véritable argent pour financer le plan. L’essentiel des ressources serait des ressources empruntées, empruntées à la faveur de garanties souveraines. Le leverage utilisé pour financer ces dépenses serait au minimum de 15 contre 1. Sur une enveloppe de 315 milliards de pseudo investissement, les fonds soi-disant propres seraient en réalité un montage à partir de garanties publiques. Le reste viendrait de ressources privées. Il est évident qu’il s’agit d’un montage dont la seule logique est de masquer le fait que personne n’a l’argent pour financer ce plan et qu’en définitive il sera financé par le crédit et in fine refinancé par la BCE.

Sous ces trois aspects, le monétaire, le budgétaire et les dépenses keynésiennes, rien ne va dans le sens des principes de gestion en vigueur en Allemagne ; tout va dans le sens des tours de passe-passe qui sont habituellement pratiqués dans les pays du Sud.

Certains avancent l’idée que Merkel accepterait ce retour au laxisme en raison du ralentissement économique en cours en Allemagne. Nous pensons que cela est peu probable. L’économie allemande ralentit certes, mais elle ne va pas trop mal, et puis, une partie du ralentissement provient de la détérioration qui résulte de l’embargo à l’égard des Russes. Notre interprétation est que le choix de l’Allemagne est non pas un choix de régulation économique, mais un choix politique. A quoi servirait d’avoir accepté de sauver l’euro en 2012 sous l’aspect financier et monétaire si, en même temps, on se mettait en danger de le voir contesté et attaqué par les couches populistes et eurosceptiques.

Merkel n’a les mains libres pour tolérer les dérives en cours que pour autant que le mécontentement domestique reste contenu.  Même les menaces juridiques sur les dérives européennes ne nous semblent pas crédibles. L’Europe a maintenant une longue tradition, elle sait tordre le cou aux arguments juridiques.

 BRUNO BERTEZ Le Mercredi 26 Novembre 2014 

illustrations et mise en page by THE WOLF

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5 réponses »

  1. Vous dites : « Il nous semble que la menace de dislocation sociale et la menace de poursuite de la progression des partis hostiles à la construction européenne a donné à réfléchir. Depuis cette date, sans que ce soit clairement formulé, on note une accumulation de mesures ou de tolérances (…) ».

    Ce qui rejoint, complète, cette analyse de Descartes-le-blog : http://descartes.over-blog.fr/2014/10/a-bruxelles-mieux-vaut-negocier-avec-un-fn-dans-sa-poche.html

  2. Ils voulaient éviter le FN et la Crise, Ils auront le FN et la Crise.
    Belle analyse M Bertez.

  3. Alors,

    Draghi va t il pouvoir faire un QE ou non ?

    L’Allemagne est elle assez puissante pour l’en empêcher ?

    Ce QE débuterait il en 2015 ?

  4. Italie :
    Chômage : 13,2%. Record historique battu.
    Chômage des jeunes : 43,3%. Record historique battu.

    Vendredi 28 novembre 2014 :

    Italie : le chômage atteint un niveau record en octobre à 13,2%.

    Le taux de chômage en Italie s’est établi en octobre au niveau record de 13,2% de la population active, selon des chiffres provisoires publiés vendredi par l’Institut national des statistiques (Istat).

    Il s’agit du taux de chômage le plus élevé enregistré depuis la création des statistiques mensuelles (en 2004) et trimestrielles (en 1977).

    http://www.romandie.com/news/Italie-le-chomage-atteint-un-niveau-record-en-octobre-a-132/541370.rom

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