Art de la guerre monétaire et économique

L’Edito du Dimanche 30 Novembre 2014 : A l‘assaut de l’exception allemande. Le dernier bastion. Par Bruno Bertez

L’Edito du Dimanche 30 Novembre 2014 : A  l‘assaut de l’exception allemande. Le dernier bastion. Par Bruno Bertez

La revanche des « pestiférés », que j’étaie par les trois éléments suivants:

  • -pause dans le processus de rééquilibrage budgétaire.
  • -nouvelles mesures non-conventionnelles monétaires.
  • -plan keynésien de 315 milliards.

Cette revanche est évidente, mais c’est aussi plus que cela.

C’est aussi un mouvement de convergence vers ce que font, demandent et exigent les pays anglo-saxons. Pour prendre une comparaison historique, c’est la fin du Bloc-Or. La comparaison doit être prise au niveau des principes, pas au niveau des pays concernés alors et maintenant.

Je soutiens que les pestiférés sont alliés des Anglo-saxons pour casser l’Allemagne ou la faire plier. On peut inverser la proposition et formuler: les Anglo-saxons se servent des Chevaux de Troie européens que sont les pestiférés pour vaincre la résistance allemande.

Il y a tentative de forcer à une double convergence: une première convergence au sein de l’Union et une seconde au plan mondial par rapprochement, alignement, avec les thèses anglo-saxonnes.

Draghi s’aligne sur ce que dit le FMI, l’OCDE, les Banques TBTF, les Anglo-Saxons, bref il écoute la voix de son Maître et il tente d’infléchir la politique européenne vers tout ce que veut le camp inflationniste mondial.

D’ailleurs, Draghi a montré le bout de l’oreille jeudi quand il a employé le mot « divergence » pour dire que c’était ce qu’il craignait au sein de l’Europe. En employant le mot « divergence » et en disant que c’est une menace, on s’autorise à prendre des mesures de convergence.

C’est une lutte formidable, mais les peuples n’en voient absolument rien, pour faire cesser l’exception allemande avec son double refus:

  • 1) du keynésianisme
  • 2) de l’inflationnisme monétaire de Banque Centrale

Si Merkel et ses conseillers ne voient pas l’enjeu, alors il y a fort à parier que ce sera la chute du dernier bastion d’un monde occidental multipolaire. Ce sera la concrétisation systémique de la vassalisation culturelle, militaire, etc.

Je suis persuadé maintenant, mais c’est une opinion, une conviction, que Merkel n’a pas la fibre nationaliste, elle a été éduquée et structurée par les principes idéologiques communistes et non par les principes nationalistes. Il va être important de surveiller de près les réactions des nationalistes allemands, bavarois, etc. au cours des prochains mois. Il va falloir également prêter attention à un éventuel regain des extrémistes allemands.

La volonté de laminage de la dernière grande exception mondiale manifestée par le clan internationaliste, globaliste et mondialiste, est à l’œuvre dans l’offensive de Draghi qui est en cours.

 L’enjeu, c’est ni plus ni moins que l’Ordre du Monde Occidental d’abord, et mondial ensuite. Il n’y a pas de place dans le camp occidental pour deux hégémonies. On comprend mieux l’offensive en cours du camp internationaliste contre la Russie. On comprend mieux aussi  la logique des Nationaux, partout en Europe, qui, spontanément, soutiennent Poutine.

Si l’Allemagne cède, comme je le pressens, ce sera une étape terrible.

L’enjeu d’une monnaie saine, orthodoxe, est beaucoup plus qu’un enjeu économique et financier, c’est un enjeu de société. Une monnaie saine et orthodoxe constitue une limite au pouvoir des Maîtres, elle est ce que j’appelle leur Statue du Commandeur, elle gouverne au-dessus d’eux. Les Maîtres ne veulent pas d’une monnaie saine, orthodoxe, qui limite leur pouvoir d’achat et donc leur pouvoir. Car leur pouvoir, ils l’achètent avec de la fausse monnaie. Ils veulent une monnaie fondante, émise centralement par eux, USA, FMI ou autre. Ils veulent une monnaie dirigée, serve, comme vous devez le devenir, une monnaie instrumentalisée, coupée de toute référence. Ils savent que la monnaie est un outil de domination. Avec la monnaie saine, la chaine est  pour eux, avec la monnaie fondante,  les chaines sont pour vous. 

 

Une monnaie saine protège les plus faibles de l’arbitraire du Prince. Tenez un exemple. Hollande soutient le plan keynésien de Juncker de 315 milliards. Il vient de dire qu’il en voulait plus. Ce n’est pas assez. Il sait qu’il n’y a pas de vrai argent pour le financer donc cela veut dire qu’il veut plus de crédit, plus de dettes, plus de monnaie tombée du ciel. In fine, pourquoi? Pour, avec ces travaux, avec cet argent, acheter la popularité, du soutien populaire, bref, pour tenter de préserver sa place.

Si mon analyse audacieuse a un fondement, alors le véritable objectif politique prioritaire, c’est l’alliance des eurosceptiques européens d’une part, des nationalistes d’autre part, et des Conservateurs, partout où cela est possible. Et cela implique la cassure des partis de droite de gouvernement comme l’UMP. 

Autre conséquence, la vraie ligne de partage de la politique, celle qui sépare la liberté de la servitude, n’est plus droite/gauche.

 

 BRUNO BERTEZ Le Dimanche 30 Novembre 2014 

illustrations et mise en page by THE WOLF

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12 réponses »

  1. Je ne comprends peut-être pas totalement la profondeur de votre analyse, mais pourquoi l’inflation, et donc l’euthanasie des rentiers serait-elle une mauvaise chose en soi ?
    (pour le reste, le camouflage de la mauvaise gestion, l’argent sous contrôle, je suis tout à fait d’accord).

    • Parce ce qu’elle détruit l’épargne et l’investissement productif et favorise l’inflation des assets et la dévaluation et déflation des revenus en interne façon Laval dans les années 30 en France…

    • De toute façon l’inflation dans le systéme mondialisé impose que toute les monnaies perdent de leur valeur. Sinon le déficite des balances commerciale va allé en accélérant pour certains. l’inflation doit être compensé par une amélioration de la productions et une conpétitivité accru. Dans le cas contraire se sera la paupérisation accru des économies déficitaires de l’occident.
      L’inflation sonnera la fin de la domination occidentale et la paupérisation du même occident. Mais c’est vrai que les banquiers et les états verront leurs anciennes dettes s’alléger. Par contre il leurs faudra beauciup de nouvelle dettes pour maintenir leurs mode de fonctionnement ou il leur faudra une plus grande austérité qui fera baisser leurs recettes et paupérisara encore plus leurs croissance. Car il n’y a pas de croissance sans consommation.

  2. Pour aller dans votre sens sur la cassure de l’UMP, prémonitoire initiatrice d’une re-fondation du paysage politique français à l’avantage des souverainistes, je reste persuadé que l’UMP va inévitablement vers sa scission avant ou après 2017, les fractures politiques en interne conjugués aux égos des ténors sont inscrits dans les gènes de ce parti suicidaire.

  3. L’Union Européenne est en faillite.

    Pour la période 2014-2020, les 28 Etats européens se sont engagés à donner 908 milliards d’euros au budget de l’Union Européenne.

    Mais ça, c’était avant.

    La Cour des comptes européenne a fait ses comptes : elle vient d’annoncer que les 28 Etats européens allaient encore devoir payer.

    En tout, les 28 Etats européens vont devoir payer 326 milliards d’euros supplémentaires !

    Vous avez bien lu : il manque 326 milliards d’euros dans la caisse de l’Union Européenne !

    Lisez cet article ahurissant :

    La Cour des comptes s’alarme du trou faramineux du budget européen.

    Ce rapport souligne entre autres le fait que les États membres devront débourser 1 234 milliards d’euros pour couvrir les engagements de la Commission. Ce montant totalise les 908 milliards prévus pour les paiements de la période et quelque 326 milliards supplémentaires correspondants à des décaissements liés aux deux périodes budgétaires précédentes, au moins.

    http://www.euractiv.fr/sections/priorites-ue-2020/la-cour-des-comptes-salarme-du-trou-faramineux-du-buget-europeen-310327

    L’Union Européenne, c’est 28 Etats dont la dette publique atteint 11930,266 milliards d’euros.

    L’Union Européenne, c’est 28 Etats qui doivent payer 908 milliards d’euros pour le budget européen 2014-2020, alors qu’ils sont déjà hyper-endettés.

    Et aujourd’hui, nous apprenons qu’en plus, comme si ça ne suffisait pas, il va falloir trouver 326 milliards d’euros supplémentaires pour éviter la faillite de l’Union Européenne !

    Mais avec quel argent ?

    Hein ?

    Avec quel argent ?

    L’Union Européenne, c’est le tonneau des Danaïdes.

    L’Union Européenne, c’est un mécanisme perdant-perdant.

    L’Union Européenne, c’est un suicide collectif.

  4. concernant les us et en conséquence l’europe

    le QE4 (2015?) se passera des banques.
    ce qui va obérer amha une reprise du sp si celui ci plonge ou le faire corriger des maintenant (il n’est pas impossible que cela corrige pendant que l’histoire de la baisse de l’oil joue un soutien)

    la mode est à la désintermédiation, c’est la raison pour laquelle un qe standard n’aura peut être pas le temps d’arriver en europe

    à la facon de certains qe jap, qe 4 sera une réduction d’impot pour les ménages

  5. et voilà GS avec son trust Drahi:

    Elle est intégralement financée par cinq banques Morgan Stanley, Goldman Sachs
    En savoir plus sur http://www.lesechos.fr/tech-medias/medias/0203978301455-patrick-drahi-va-soffrir-portugal-telecom-pour-74-milliards-deuros-1069721.php?lI4Rhetwmhvqp869.99

    il faut éradiquer GS
    la fed prévoit d’ailleurs de décharger ses oblig dans le bilan des banques us via une hausse des réserves légales, les banques us n’ont pas un avenir tout rose c’est la raison pour laquelle elles se ruent en europe

    pour certains americains l’europe est la meilleure zone monétaire puisqu’elle a été sauvegardée par les allemands comme vous le dites

  6. L’euthanasie des rentiers est une idée fausse.

    il ne faut pas confondre la classe moyenne sup
    avec son assurance vie
    et les rentiers qui n’ont pas de monnaie
    mais des biens qui gardent leur valeur
    indépendamment des fluctuations de la monnaie.

    les pauvres ont de la monnaie
    les riches ont des biens

    t’a pas cent balles
    j’ai pas de monnaie ?

  7. « Si Merkel et ses conseillers ne voient pas l’enjeu, alors il y a fort à parier que ce sera la chute du dernier bastion d’un monde occidental multipolaire »

    Reste l’espoir d’un bond du parti AFD dans les urnes… Soit il prendront le pouvoir, soit ils pèseront assez pour obliger Merkel à s’allier avec eux et ré-orienter sa politique. Toujours le jeu des alliances qui est le coeur du système électoral allemand.

  8. Je prétends que le domaine le plus important de la période est non pas l’économie ou la finance, mais la politique étrangère. Nous baignons littéralement dans la désinformation et la propagande. La diabolisation de la Russie et de Poutine n’a d’égale que celle, dérisoire de Marine Le Pen. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard, si ces derniers jours, les médias aux ordres en ont remis une couche sur ce qu’ils appellent le financement du Front par la Russie.

    Ce qui est en jeu avec la politique étrangère c’est bien sur la paix. Mais ce n’est pas que cela, c’est aussi l’ordre du monde et surtout l’ordre européen et Francais. Tout est lié, la politique étrangère, l’indépendance nationale, la prospérité et la sécurité. Et votre liberté.

    On ne peut douter de l’honnêteté de Chevènement ou de ses qualités intellectuelles, il est l’un des rares hommes politiques en france, avec De Villepin à avoir une vision, vision étayée par la connaissance de l’histoire et l’expérience des affaires.

    Le texte que nous vous proposons ci dessous est exceptionnel. Il est à la hauteur du problème que nous devons affronter. Lisez le, réflechissez-y, faites le circuler.
    …………..

    25 ans après la chute du Mur : histoire d’un grand malentendu entre l’Occident et la Russie

    Intervention de Jean-Pierre Chevènement au débat organisé par l’ambassade d’Allemagne le 17 novembre 2014, sur le thème « 25 ans après la chute du Mur ».

    I – C’est un peu l’Amérique, un peu la France, mais surtout la Russie surmontant son Histoire tragique, qui ont rendu leur liberté aux peuples assujettis par l’Union Soviétique, après 1945, et permis la réunification de l’Allemagne en 1990.

    Les Etats-Unis d’Amérique, à travers l’OTAN. La France qui dans les années 1950-60 a tendu la main à l’Allemagne pour tourner définitivement la page des affrontements historiques entre les deux peuples et pour lancer, avec elle, la construction européenne. Mais, ne l’oublions pas, c’est la Russie qui a mis fin au communisme en s’engageant avec Gorbatchev, dès 1985, dans la « glasnost » et la « perestroïka ».

    Gorbatchev, héritier d’Andropov, n’avait pas oublié le vieux projet de la diplomatie soviétique d’échanger la réunification de l’Allemagne contre sa neutralisation entre les deux blocs. Et c’est Gorbatchev qui, en 1989, pour des raisons largement internes, va prendre la décision d’écarter du pouvoir, à Berlin Est, la direction néostalinienne d’Erich Honecker :

    •en encourageant la direction réformatrice hongroise Károlyi Grosz, Gyula Horn et le ministre des Affaires étrangères Mátyás Szűrös à négocier avec Helmut Kohl le démantèlement du rideau de fer entre la Hongrie et l’Autriche : des dizaines de milliers d’Allemands de l’Est vont alors se précipiter dans la brèche dès le mois de septembre. La crise est ainsi ouverte ;
    •puis début octobre c’est Gorbatchev lui-même qui, à l’occasion du quarantième anniversaire de la RDA, lance sa célèbre apostrophe au visage d’Honecker : « Ceux qui arrivent trop tard, la vie se charge de les punir sans délai. » Le 17 octobre, Honecker est destitué et remplacé par Egon Kreutz. Commencée à Dresde et Leipzig, les manifestations se généralisent au pays tout entier. Le 9 novembre le mur tombe.

    La suite est bien connue. Helmut Kohl mène de main de maître la réunification des deux Allemagne par la conversion à parité du Deutsch Mark et de l’Ost Mark, malgré l’opposition de la Buba. Il fait accepter par Gorbatchev le maintien de l’Allemagne dans l’OTAN. Pour une somme relativement modeste (12 milliards de DM, soit 6 milliards d’euros) il obtient l’accélération du départ des troupes soviétiques d’Allemagne de l’Est. James Backer aurait assuré à Gorbatchev que l’OTAN n’étendrait pas plus à l’Est ses implantations de 1990, mais l’engagement de ne pas étendre l’OTAN aux pays situés plus à l’Est ne figure pas dans les accords 4+2.

    On ne peut comprendre ce renoncement de Gorbatchev qu’à la lumière de deux facteurs :

    •les difficultés économiques grandissantes de l’URSS dues à un système sclérosé, à des réformes économiques mal pensées et au contrechoc pétrolier intervenu en 1985 ;
    •et surtout la décomposition même du système communiste, trente ans après la publication du rapport Khrouchtchev. Les élites soviétiques ne croyaient plus à l’utopie communiste. Elles géraient tant bien que mal une société bureaucratique complexe. Raymond Aron, à la fin des années 1960, avait pronostiqué le rapprochement des sociétés industrielles de l’Ouest et de l’Est. En s’engageant sur la voie de la détente, en 1975, avec la CSCE, puis en relançant avec Gorbatchev l’idée de la « maison commune européenne », les dirigeants soviétiques semblaient vouloir donner corps à cette prévision. Ce faisant, ils allaient aussi à la rencontre de « l’Ost politik » lancée par Willy Brandt et Egon Bahr puis de la « gorbimania » qui s’exprimait dans l’Allemagne d’Helmut Kohl.

    Que s’est-il passé ? Une fuite en avant, à laquelle le système communiste et l’URSS elle-même n’ont pas résisté. Le 15 décembre 1991, Boris Ieltsine, Président de la Fédération de Russie, et ses homologues ukrainien et biélorusse mettent fin à l’Union soviétique. Une Communauté des Etats indépendants aux contours très flous la remplace car on ne peut faire litière des liens créés par l’Histoire entre les Etats postsoviétiques. Gorbatchev démissionne. Une nouvelle page de l’Histoire s’ouvre. Que s’est-il passé, en vingt-trois ans, pour que Gorbatchev, invité à la commémoration du vingt-cinquième anniversaire de la chute du Mur puisse déclarer à Berlin, le 9 novembre dernier, sans craindre de troubler la fête : « Le monde est au bord d’une nouvelle guerre froide » ?

    II – C’est l’histoire d’un grand malentendu entre l’Occident et la Russie.

    A) Contrairement aux pays d’Europe centrale et orientale qui vont intégrer l’Europe à vingt-huit et recevoir ses aides, la Russie, comme les autres Etats postsoviétiques, est plus ou moins laissée à elle-même et vouée aux thérapies de choc néo-libérales préconisées par les experts occidentaux, notamment ceux du Harvard Institute for International Development. Le caractère excessivement théorique de leurs préconisations a abouti à une chute de près de moitié du PIB russe de 1990 à 1998 (de 692 à 398 milliards de dollars) et à la paupérisation de la majorité de la population encore accrue par les privatisations et l’accaparement des richesses par une nouvelle classe d’oligarques. Une telle régression sur un laps de temps aussi court n’a pas d’équivalent dans les sociétés modernes. En août 1998, la Russie fait défaut sur sa dette. Le Premier ministre d’alors, Evgueni Primakov, laisse filer le rouble de 50 % et instaure un moratoire bancaire. La voie est ouverte à un développement plus autocentré que le successeur de Primakov, Vladimir Poutine, va continuer.

    Résilience de la Russie.
    Mais Poutine, élu Président en 2000, va surtout entreprendre de rétablir l’Etat frappé par une profonde crise de légitimité. Il oblige les grandes sociétés à payer leurs impôts. Les rentrées fiscales se redressent sensiblement de 24 % du PIB en 1998 à 32 % en 2004. On se souvient de l’affaire Khodorkovski et de la reprise de contrôle de la société pétrolière Ioukos. La reprise économique se fait sentir dès 1999, portée par l’investissement et les gains de productivité et ensuite seulement par les revenus des hydrocarbures. Tout en dégageant des excédents commerciaux, la Russie va s’insérer plus profondément dans les échanges internationaux. Le commerce extérieur atteint 635 milliards de dollars en 2012.

    La popularité de Poutine s’explique aussi, comme l’a très bien montré Madame Carrère d’Encausse, par sa volonté de mettre un terme à la désagrégation de l’Etat russe, notamment en Tchétchénie, et aux humiliations infligées à la Russie par l’extension de l’OTAN ou à travers les bombardements de la Yougoslavie et l’occupation du Kosovo en 1999. Poutine envoie même une brigade russe pour occuper l’aéroport de Pristina. La décennie 2000-2010, marquée par une exceptionnelle croissance économique (7 % l’an) contribue aussi à asseoir l’autorité de Vladimir Poutine.

    Si les échanges avec l’Europe (50 % du commerce extérieur russe) se développent, les relations politiques avec les Etats-Unis se dégradent avec les révolutions de couleur en Géorgie et en Ukraine, pays dont la candidature à l’OTAN en 2008 ne sera repoussée, ou différée, que de justesse à la demande de l’Allemagne et de la France.

    B) L’affaire ukrainienne vient de loin. Rappelons que l’Ukraine a été rattachée à la Russie en 1654. Pour la Russie, l’Ukraine n’est pas n’importe quel pays. Un quart de sa population parle russe. L’intrication historique, culturelle, économique en matière d’industrie, d’énergie et de transports est ancienne et étroite. D’autre part, l’Etat ukrainien est récent : il n’a que vingt-deux ans. Chacun connaît ses facteurs de fragilité, notamment en matière économique et financière.

    Je ne crois pas que la Russie ait jamais eu l’intention de conquérir l’Ukraine. Cette entreprise serait trop contradictoire avec le projet de modernisation de la Russie entrepris par Vladimir Poutine et notamment la reconstruction des industries manufacturières à travers l’argent de la rente pétrolière et gazière et avec l’association de grands groupes industriels, allemands ou français principalement.

    Vladimir Poutine a dit un jour : « Celui qui ne regrette pas l’URSS n’a pas de cœur mais celui qui voudrait la reconstituer n’a pas de tête. » Le projet de la Russie, selon moi, n’est pas impérial mais national. On s’effarouche en Occident du projet « d’Union économique eurasiatique » qui viserait à créer une zone de libre-échange entre la Russie, la Biélorussie, l’Ukraine, le Kazakhstan et quelques petites républiques du Caucase comme l’Arménie ou d’Asie Centrale comme le Kirghizstan. Une telle zone de libre-échange d’un peu plus de 200 millions d’habitants, n’a, en soi, rien de contradictoire avec le projet de partenariat UE-Russie qui vise à créer un espace de libre circulation de Lisbonne à Vladivostok.

    Pourquoi donc ces deux projets sont-ils entrés en collision précisément en Ukraine à l’occasion du projet d’accord d’association entre l’Union européenne et la Russie ?

    C) A mon sens les responsabilités de la crise sont partagées.

    1. Pour aller vite, l’Occident n’a pas pris en compte l’hétérogénéité culturelle et politique de l’Ukraine, Etat postsoviétique complexe. Il a également sous-estimé ce que représente l’Ukraine pour la Russie. Certains cercles en sont bien sûr restés à l’analyse de Z. Brezinski de 1998 visant à soustraire l’Ukraine à l’influence de la Russie pour affaiblir celle-ci.

    2. Le projet d’accord d’association a été négocié sans une supervision politique suffisante des grands Etats de l’Union, le partenariat stratégique UE-Russie est en panne depuis plusieurs années. Tel qu’il a été négocié, le projet d’accord d’association n’était pas applicable sans un énorme effort financier auquel l’Union européenne n’est évidemment pas prête. L’Ukraine, pour être mise aux normes européennes, pourrait coûter plus cher que la RDA. A ce projet doté initialement de 560 millions d’euros, le Président Yanoukovitch ne pouvait que préférer l’offre russe assortie d’une aide de 15 milliards de dollars.

    3. Quant à la révolution de Maïdan, encouragée par un ballet permanent de dirigeants occidentaux, elle a été vue du côté russe comme un coup d’Etat contre le Président certes corrompu mais élu, ce qu’elle était aussi, mettant gravement en cause les intérêts stratégiques de la Russie. L’Union européenne n’a pas intérêt à vouloir exporter ses valeurs, ses critères et ses standards d’une manière qui pourrait contribuer à déstabiliser certains pays voisins voire une partie importante de notre continent. La Russie n’est certes pas une économie qui répond aux critères de la concurrence pure. Elle est une économie mixte, comme l’ont été l’Italie et la France, ou comme l’est encore la Corée. La Russie n’est peut-être pas encore une démocratie avec une opposition capable de prendre le pouvoir mais combien de temps a-t-il fallu aux démocraties occidentales pour s’affirmer ? La démocratie ne s’exporte pas. On l’a vu en Allemagne au temps de la Révolution française. Nous avons récolté le nationalisme allemand. Pour aider au développement de la démocratie en Russie, il vaut mieux compter sur l’essor des classes moyennes.

    4. Les torts de la Russie : la Russie a la nostalgie de la puissance perdue. Elle a eu tort, selon moi, d’annexer purement et simplement la Crimée, même au prétexte de réparer une erreur historique. Il aurait été préférable, sur le papier, de demander l’organisation d’un référendum sous les auspices de l’ONU et de l’OSCE dans un délai raisonnable. La Russie a préféré saisir le gage répondant à une violation du droit constitutionnel interne par une violation du droit international.

    5. L’Ukraine, un pont :
    La Russie et l’Union européenne n’avaient pas d’intérêts fondamentalement contradictoires en Ukraine. Il était et il doit rester possible de faire de l’Ukraine un pont plutôt qu’un sujet d’affrontement. La non-exécution de l’accord du 21 février 2014, passé entre tous les partis, sous l’égide des trois ministres des Affaires étrangères de l’Allemagne, de la France et de la Pologne, a ouvert la voie d’un profond malentendu dont nous ne sommes pas sortis. De la crise ukrainienne il y a deux récits contradictoires. Vladimir Poutine a cependant montré qu’il souhaitait un compromis qui ne lui fasse pas perdre la face : en ne cautionnant pas les référendum d’autodétermination dans le Donbass, en permettant la tenue des élections présidentielles en Ukraine le 25 mai dernier et en reconnaissant la légitimité du Président Prochenko, puis plus récemment celle des élections législatives du 28 octobre. Il a cautionné les accords de Minsk et favorisé un accord de Gazprom avec l’Ukraine sur le gaz. Tous ces actes ne sont pas ceux d’un boutefeu annexionniste. De leur côté, François Hollande et Angela Merkel ont clairement manifesté, le 10 mai dernier, leur souhait d’une réforme constitutionnelle permettant une décentralisation de l’Ukraine et le respect du droit des minorités. Les accords de Minsk ouvrent la voie à une telle solution.

    III – La voie des sanctions est contreproductive pour la Russie mais aussi pour l’Europe.

    Au plan économique d’abord. Elles interviennent au plus mauvais moment. Mais surtout elles rejettent la Russie vers l’Asie et la Chine. L’effet d’éviction du marché russe pour les entreprises européennes sera durable. Or, le peuple russe est un grand peuple européen. La Russie est un acteur majeur de la politique européenne depuis la fin du XVIIIe siècle. Membre permanent du CSNU, elle est une puissance indispensable entre l’Europe et l’Asie. On ne peut traiter la Russie comme un « rogue State », justiciable d’une politique de « changement de régime » (« regime change »). Une telle vision serait à la fois irréaliste et inacceptable. Les sanctions décidées au lendemain des accords de Minsk constituent, à mon sens, une grave erreur psychologique par rapport à la façon dont les Russes vivent leur Histoire depuis un quart de siècle. C’est méconnaître le rôle que peut jouer le sentiment de l’humiliation ou de la dignité blessée dans l’Histoire des peuples.

    Il faut se départir des visions manichéennes et simplistes. La Russie n’est plus l’URSS. Evitons de faire des « Droits de l’Homme » une nouvelle idéologie conquérante. Les droits de l’Homme, ne l’oublions pas, sont aussi ceux du citoyen. Il appartient à chaque peuple de trouver, à partir de sa culture et de son héritage, la voie des valeurs universelles. Il faut partir des réalités. Or nous ne disposons pas, sur la crise ukrainienne, d’une information précise, complète, objective des faits qui s’y déroulent. Des grilles de lecture préconçues s’y substituent trop souvent. Se rappeler le mot de Jaurès : « Pour aller à l’idéal, d’abord comprendre le réel ».

    Et surtout, il faut parler à Vladimir Poutine qui, en dehors de son affection pour les postures viriles, est un homme intelligent, susceptible de faire évoluer ses positions.

    IV – S’agissant de l’Ukraine, je voudrais formuler cinq observations :

    1. le Président Porochenko a inscrit à son programme l’objectif de l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne. A ma connaissance, le Conseil européen n’a jamais évoqué cette perspective. L’Europe, avant de faire des promesses, doit savoir si elle sera capable de les tenir. La poussée vers l’élargissement a été constante depuis 1990 mais ne contribue-t-elle pas à dissoudre de plus en plus le sentiment de l’unité européenne ?

    2. Dans son programme le Président Porochenko a aussi inscrit la mise aux normes de l’OTAN des équipements militaires de l’Ukraine. Est-ce bien raisonnable et surtout compatible avec un statut « à l’autrichienne », entre l’OTAN et la Russie ? Les déclarations martiales de Kiev sur « l’opération antiterroriste » au mois de juin dernier ou sur la « guerre intégrale » aujourd’hui, ne devraient pas être encouragées. Une réforme constitutionnelle a été prévue. Il faut la faire pour garantir l’autonomie des collectivités décentralisées et le droit des minorités.

    3. Troisième observation : la Russie dans un souci d’accommodement a jusqu’ici montré une certaine bonne volonté vis-à-vis de l’Ukraine en matière gazière. Cette bonne volonté risque de ne pas être éternelle, si un accord de fond n’intervient pas. L’idée que le gaz de schiste venu d’Amérique pourrait remplacer le gaz naturel est d’ailleurs une illusion.

    4. Quatrième observation : les équilibres politiques en Ukraine tels qu’ils résultent des élections du 26 octobre sont fragiles.

    5. Enfin, cinquième observation, l’Europe doit s’apprêter à subir de fortes pressions des Etats-Unis pour renflouer l’Ukraine, si elle ne veut pas, par ailleurs, financer le bouclier antimissile.

    Tous ces éléments devraient militer pour une approche plus raisonnable et moins idéologique des rapports entre l’Europe et la Russie. Ne sous-estimons pas sa résilience. Comme l’a écrit Henry Kissinger : « La Russie n’est jamais aussi forte ou aussi faible qu’on le croit. » Joschka Fischer connaît bien l’Histoire. Il sait que la puissance russe a été tantôt exagérée avant 1914 et dans les années trente, tantôt sous-estimée, après 1918 et en 1941. De même l’URSS a été surestimée au temps de la guerre froide et la Russie considérée comme quantité négligeable après 1991. Il est très important que nous ayons une politique commune pour arrimer la Russie au destin de l’Europe, comme vous l’avez d’ailleurs écrit, cher Joschka Fischer, dans « Gegen den Strom ».

    En conclusion, le projet européen, passe avant le mécano institutionnel. Comme l’observe très bien Joschka Fischer, la France est très attachée à sa souveraineté politique et l’Europe, pour elle, est d’abord un projet partagé. C’est vrai en ce qui concerne notre modèle social aussi bien que nos rapports avec la Russie ou avec les pays du Sud. Mais il y a plusieurs manières d’exercer ensemble nos compétences. Il faut en discuter.

    J’ai toujours pensé qu’une politique de coopération avec la Russie pourrait rapprocher la France et l’Allemagne parce que c’est leur intérêt commun. Ce n’est pas seulement une affaire de commerce. Dans une confrontation de longue durée, l’Allemagne n’a pas intérêt à redevenir un « pays du front ». Aujourd’hui, nous devrions ensemble pousser à l’application stricte des accords de Minsk par toutes les parties. Deux guerres mondiales suffisent. Une nouvelle guerre froide n’est pas souhaitable. La « fabrication de l’ennemi » est le premier pas vers le conflit. L’Allemagne et la France ont une responsabilité commune pour faire prévaloir un langage raisonnable et contenir l’aventurisme ambiant.

    Source :
    http://www.chevenement.fr

    Chevenement.fr, le blog de Jean-Pierre Chevènement

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