Art de la guerre monétaire et économique

De Minsk à Bruxelles, c’est l’Allemagne qui compte (Pepe Escobar)/Attentats De Copenhague: L’europe Au Coeur Des Orages/ Apocalypse Now… et pour l’éternité (Kunstler)/Peut-on sauver l’accord de Minsk?(Sapir)

De Minsk à Bruxelles, c’est l’Allemagne qui compte Par Pepe Escobar

Par Pepe Escobar – Le 13 février 2015 – Source : Russia Today

Pepe Escobar
Pepe Escobar

L’Allemagne est dépositaire de la clé de l’avenir en Europe. On est peut-être parvenu à un accord fragile en Ukraine, mais rien n’est joué en Grèce. Dans les deux cas, il ne faut toutefois pas se fier aux apparences.

 

 

Commençons par les négociations éprouvantes de l’Eurogroupe à Bruxelles concernant la dette grecque.

Le premier ministre grec Alexis Tsipras lors d’une réunion des chefs d’État à  Bruxelles le 12 février 2015 (Reuters / Francois Lenoir)

Les représentants de la Grèce jurent n’avoir jamais reçu le brouillon d’unaccord possible que des bureaucrates de l’Eurogroupe ont laissé fuiter auFinancial Times. Cette ébauche parlait d’une entente modifiant, prolongeant et menant à bonne fin le plan de sauvetage en cours axé sur l’austérité.

Le ministre des Finances de l’Allemagne, Wolfgang Schaeuble, a fait sauter le terme modifiant. C’est l’ébauche qui a fait l’objet de la fuite. Puis le ministre des Finances de la Grèce, Yanis Varoufakis, a appelé le premier ministre Tsipras et la déclaration, qui n’était pas encore signée, a été rejetée. C’était donc une décision en haut lieu de Tsipras.

Tsipras ne peut se dérober, surtout pas après avoir monté les enchères en promettant d’augmenter le salaire minimum des Grecs et de mettre fin aux privatisations. Il mise encore sur le fait que la troïka ne permettra pas une sortie de la Grèce de la zone euro. Mais il risque de se tromper: la possibilité d’une sortie oscille autour de 35% à 40 % et pourrait monter en flèche si l’on n’arrive pas à s’entendre à la prochaine réunion cruciale de lundi.

Tsipras et le président de l’Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, se sont au moins mis d’accord pour que les représentants grecs et la troïka (CE, BCE, FMI) amorcent un dialogue au niveau technique. Traduction: comparer le cauchemar de l’austérité actuel aux nouvelles propositions grecques.

Athènes n’a essentiellement que deux choix: soit la troïka consent à une sorte de répudiation de la dette, de manière concrète ou par un tour de passe-passe (comme l’arrangement favorisant la croissance que propose Syriza); soit la Grèce quitte la zone euro, en créant sa propre banque centrale et sa propre monnaie comme un pays indépendant. Il n’y a pas d’autre choix. Une dette équivalant à 175 % du produit intérieur brut (PIB) de la Grèce ne peut tout simplement pas être remboursée.

La troïka et ses produits dérivés institutionnels ont beau dire qu’une sortie de la Grèce de la zone euro ne sera pas une catastrophe, il n’en demeure pas moins que le défaut de paiement de la dette grecque pourrait avoir des effets plus dévastateurs que la faillite de Lehman Brothers. Lorsque cette société s’est écroulée, ce ne sont pas les facteurs fondamentaux qui ont causé une panique généralisée, mais la crainte que les risques inhérents à ses produits dérivés ne fassent dérailler le système.

En faisant abstraction de tout le baratin, ce qui ressort pour l’essentiel, c’est ce qu’a dit au Figaro il y a quelques jours Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne : il n’est pas question d’effacer la dette grecque et, surtout, il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens. C’est clair comme du cristal : les institutions de l’UE livrent un combat contre la démocratie.

Le plan B demeure une possibilité réelle. Moscou a déjà invité Tsipras à rencontrer Poutine, et Pékin a invité Tsipras à rencontrer le premier ministre Li Keqiang. Le « R » et le « C » des BRICS passent ainsi à l’action.

Il convient de rappeler les propos du ministre de la Défense de la Grèce, Panos Kammenos, lorsqu’il a évoqué comment une bonne partie de l’opinion publique grecque, sinon la majorité, voient les choses: «Nous voulons un accord. Mais s’il n’y a pas d’accord – espérons qu’il y en aura un – et si nous voyons que l’Allemagne demeure intransigeante et veut faire exploser l’Europe, alors nous devrons recourir à un plan B. Cela pourrait être les États-Unis au mieux, cela pourrait être la Russie, cela pourrait être la Chine ou d’autres pays.»

Alea jacta est. Troïka ou le R et le C des BRICS?

Mais tout gravite aussi autour de l’Otan.

Ce qui nous amène à Minsk. Ce qui est ressorti de ce marathon éprouvant de près de 17 heures, ce n’est pas tout à fait un accord global et un cessez-le-feu global en Ukraine, pour reprendre les mots du président François Hollande

Angela Merkel et François Hollande à Minsk le 12 février 2015 (Reuters / Grigory Dukor)

Il y a de fortes possibilités pour que le cessez-le-feu ne tienne même pas quelques minutes après son instauration à minuit ce samedi qui, comble de l’ironie, correspond à la fin de la Saint-Valentin. Fait marquant, la déclaration définitive ne porte pas la signature des personnes qui comptent, soit Poutine, Merkel, Hollande et Porochenko.

Le ministre des Affaires étrangères de l’Allemagne Steinmeier s’est montré prudent, en disant que Minsk 2.0 n’est pas ce qu’on qualifierait de percée, mais qu’il avait au moins le mérite de faire baisser la tension. Merkel a préféré prétendre que Poutine avait dû faire pression sur les fédéralistes de la République populaire de Donetsk et de la République populaire de Lougansk, dans l’est de l’Ukraine, pour qu’ils acceptent le cessez-le-feu.

Sans surprise, comme si c’était réglé comme une horloge, le cessez-le-feu n’était pas encore annoncé que le FMI, sous les ordres de Washington, annonçait soudainement qu’il allait continuer de violer, pardon, à aider cet État en déliquescence qu’est l’Ukraine à éviter la faillite, en lui remettant une tranche de 17,5 milliards de dollars de son plan de sauvetage de 40 milliards de dollars, étalé sur quatre ans. Traduction : les brutes de Kiev disposent dorénavant de nouvelles liquidités à investir dans une guerre qu’elles ne veulent pas abandonner.

Porochenko lui-même n’a pas perdu de temps pour torpiller le cessez-le-feu, en prétendant qu’aucune autonomie n’était accordée aux zones sous contrôle des fédéralistes, et en refusant de confirmer l’affirmation de Poutine selon laquelle Kiev a convenu de mettre fin à son blocus économique sauvage du Donbass.

Les contours précis de la zone démilitarisée, qui suivait une ligne de front en septembre et une ligne de front totalement différente cinq mois plus tard, demeurent un mystère. Puis Washington a aussitôt tourné en ridicule la clause relative au retrait des forces étrangères, le Pentagone ayant déjà annoncé qu’il va commencer à former la Garde nationale ukrainienne le mois prochain.

Minsk 2.0 n’est même pas une solution de fortune. L’Ukraine est irrécupérable. Pour s’en sortir, il lui faudrait un tsunami de liquidités, soit presque autant que ce qu’a coûté la réunification allemande. Qui plus est, personne en Europe n’est prêt à tendre quelques euros dévalués de plus.

Tout était, est et continuera d’être lié à l’expansion de l’Otan. Washington et ses marionnettes à Kiev n’accepteront jamais la moindre réforme constitutionnelle qui permettrait au Donbass de bloquer la présence de l’Otan en Ukraine. Pour résumer, l’Empire du Chaos continuera de se servir de l’Ukraine pour intimider la Russie. C’est que l’édification du pays ne fait pas partie du plan de l’Empire du Chaos, bien au contraire.

Franchir le pont allemand

Ce qui nous amène au rôle crucial joué par l’Allemagne, avec la France comme acolyte.

La chancelière Merkel a dû se rendre à Moscou pour négocier avec Poutine, car elle voyait quelle est la direction du vent: sanctions contre-productives; économie ukrainienne en chute libre; défaite des brutes de Kiev sur le champ de bataille. Des faits qui se démarquent de manière impérative et cruciale de l’expansionnisme obsessif de l’Otan.

Comme Immanuel Wallerstein l’a observé (dans un texte que le Saker Francophone a traduit), Moscou poursuit «une politique prudente. La Russie ne contrôle pas totalement les autonomistes de Donetsk-Lougansk, elle s’assure néanmoins que ces derniers ne puissent pas être éliminés militairement. Le prix que la Russie demande pour une paix réelle en Ukraine est l’engagement de ne pas l’intégrer dans l’Otan (…). »

Merkel pourrait donc avoir calmé l’administration Obama dans sa volonté d’armer Kiev, mais pour un moment seulement. Rien n’indique, du moins pas encore, que l’administration Obama et les cellules néoconservatrices qui l’ont incrustée ont reconnu que Kiev a perdu toute influence sur les républiques populaires autoproclamées de Donetsk et de Lougansk.

Hollande a fourni la couverture idéale pour Merkel. C’est Hollande qui a déclaré publiquement qu’il soutenait l’autonomie, la fédéralisation en fait, des républiques populaires de Donetsk et de Lougansk. Mais Merkel et Hollande savent très bien que Kiev n’acceptera jamais cela de facto (d’autant plus qu’une bonne partie du Donbass n’accepte la fédéralisation qu’en tant qu’étape intermédiaire menant à une éventuelle sécession ou union avec la Russie).

Merkel est toutefois parvenue à atteindre son but, du moins aux yeux de l’opinion publique allemande, en sortant victorieuse (La chancelière mondiale a titré le tabloïd Bild) de son marathon de globe-trotteuse. Poutine y a aussi trouvé son compte, car Merkel n’a fait que remanier des propositions qu’il avait présentées il y a plusieurs mois. Ce qui ressort, peu importe l’angle sous lequel on examine les choses, c’est qu’il s’agit en fait d’un accord entre Moscou et Berlin. Il suffit de regarder du côté des mécontents qui vont tout faire pour qu’il échoue : Washington, Kiev, Londres, Varsovie et les pays envahis par la Russie baltes.

Dernière chose et non la moindre, il faut porter attention à l’éléphant blanc monumental qui se trouve dans la pièce. Minsk 2.0 s’est négocié en l’absence totale de l’Empire du Chaos et de ses suppôts britanniques, avec qui il a une relation toute spéciale (de moins en moins pertinente).

Lentement mais sûrement, l’opinion publique de toute l’Europe, particulièrement en Allemagne, est en train d’effectuer un mouvement tectonique. La volonté obsessionnelle de l’Empire du Chaos d’armer Kiev horrifie les gens par millions, car elle ressuscite le spectre d’une guerre dans les zones frontalières orientales de l’Europe. En Allemagne, mais aussi en France, en Italie et en Espagne, un consensus grandissant se fait à l’échelle du continent contre l’Otan.

Même au faîte de la campagne de diabolisation de la Russie menée sauvagement par l’ensemble de la presse institutionnelle allemande, un sondage de la firme Deutschland Trend a révélé que la plupart des Allemands sont contre l’envoi de troupes de l’Otan en Europe de l’Est. Ils étaient aussi 49 % qui voulaient que l’Allemagne se positionne comme un pays qui assure un pont entre l’Orient et l’Occident. Les dirigeants à Pékin en ont assurément pris bonne note.

Il est tentant de sauter dans le train de la paix Merkel-Hollande en se disant que le cœur de l’Europe exerce enfin sa souveraineté en défiant de frontl’Empire du Chaos. Ce pourrait être un embryon de partenariat franco-allemand favorable à la paix en Europe et même plus loin, comme au Moyen-Orient et en Afrique.

Sauf que cela mettrait des bâtons dans les roues du scénario prévu par l’Otan, qui implique le règne incontesté de l’Empire du Chaos sur l’Europe, le Moyen-Orient et même l’Eurasie, en confinant au second plan les puissances du continent européen, notamment l’Allemagne, la France et, bien sûr, la Russie.

Tôt ou tard, les politiciens européens devront se réveiller et comprendre ce qui se passe. L’idée d’un partenariat commercial paneuropéen franco-germano-russe est beaucoup plus populaire que les médias institutionnels en perdition veulent bien nous le faire croire.

C’est maintenant au tour de l’Allemagne d’être juste avec la Grèce. De deux choses l’une: soit l’UE s’engage dans une quatrième récession en laissant la BCE détruire ce qui reste de la classe moyenne en Europe; soit l’Allemagne, en tenant compte des réflexions de ses industriels, dit à l’UE, troïka y comprise, que ce qu’il faut faire, c’est réorienter l’axe stratégique, commercial et politique vers l’Orient plutôt que vers l’Occident, en commençant par laisser tomber le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement concocté par les USA, qui est l’équivalent commercial de l’Otan. Après tout, ce siècle sera celui de l’Eurasie et le train a déjà quitté la station.

Pepe Escobar

Pepe Escobar est l’auteur de Globalistan: How the Globalized World is Dissolving into Liquid War (Nimble Books, 2007), Red Zone Blues: a snapshot of Baghdad during the surge (Nimble Books, 2007), Obama does Globalistan (Nimble Books, 2009) et le petit dernier, Empire of Chaos (Nimble Books).

Traduit par Daniel, relu par jj pour le Saker francophone.

http://lesakerfrancophone.net/de-minsk-a-bruxelles-cest-lallemagne-qui-compte/

ATTENTATS DE COPENHAGUE: L’EUROPE AU COEUR DES ORAGES

Copenhague

Le double attentat de Copenhague envoie un nouveau signal sur l’affaiblissement interne de l’Europe. Entre crise grecque, crise ukrainienne et crise islamiste, le continent est au coeur des orages.

Copenhague: les sirènes de la terreur

L’émotion était vive en France après le double attentat de Copenhague perpétré par un tireur dont la police dit qu’il était isolé. L’individu s’en est d’abord pris à une conférence sur la liberté d’expression réunissant l’ambassadeur de France à Copenhague et le caricaturiste Vilks. Il semblerait que le tireur se soit ensuite attaqué à une synagogue avant d’être, quelques heures plus tard, abattu par la police danoise.

Décidément, le continent européen est bien au coeur d’une tourmente islamiste, décidée à inspirer la terreur à la communauté juive et aux laïcards de tous poils.

Chacun voit bien les dangers auxquels l’Europe est exposée: montée de la peur, tensions accrues entre les communautés, et tentation inévitable, tôt ou tard, de procéder à une réarmement pour éradiquer les causes profondes du mal. La question de l’Etat islamique devrait rapidement se poser avec une acuité particulière: faut-il ou non intervenir militairement au Moyen-Orient?

L’Union a d’ores et déjà annoncé un financement exceptionnel d’un milliard d’euros sur deux ans en Syrie, en Irak et au Liban. Un premier pas est donc franchi.

Copenhague sous tension, la Grèce aux abois?

Pour l’Union, les attentats de Copenhague sont à la fois un signal et une occasion. Une occasion de resserrer les rangs, mais aussi un signal de crise interne supplémentaire, à un moment où le gouvernement grec n’hésite pas à mettre en danger l’ensemble de la zone euro pour obtenir satisfaction dans ses revendications.

Il y a une semaine, Alexis Tsipras recevait la confiance du parlement grec sur son programme:

Parmi les mesures sociales d’urgence présentées dimanche soir, le « rétablissement graduel du salaire minimum de 580 à 750 euros » par mois d’ici à 2016, une « guerre sans merci contre la corruption » ou la « réinstallation » de la télévision publique ERT, réouverte récemment mais dont plusieurs centaines d’anciens salariés sont encore au chômage. Ont également été évoqués un gel de la baisse des retraites et une réforme du code du travail contre les licenciements massifs. 

L’inconvénient de ce programme est qu’il coûte cher… et que la Grèce annonce officiellement renoncer à l’aide européenne.

Dans la pratique, Syriza souhaite désormais limiter son excédent budgétaire à 1,5% du PIB, quand l’Union lui avait imposé 3%. Le compte à rebours est enclenché pour obtenir un accord sur ce point, avec une perspective assez étonnante: la Grèce soutient qu’elle dispose de liquidités suffisantes… jusqu’en juin:

Plus tôt dans la journée, le vice-ministre des Finances Dimitris Mardas s’est également montré confiant. La Grèce n’aura pas de problème de liquidités durant les négociations actuelles avec ses partenaires de la zone euro.

«Cela ne signifie pas qu’il y en aura un ensuite», a-t-il assuré à la chaîne de télévision Mega TV. Si les pourparlers devaient durer jusqu’en mai «nous pourrions trouver de l’argent», a-t-il dit, sans autre précision.

Reste que les recettes fiscales ont baissé de 7% en novembre et décembre…

L’Allemagne hausse le ton

Depuis le début de la semaine, l’Allemagne a multiplié les déclarations agacées sur l’incurie grecque. Négocier oui, mais à condition d’avoir des propositions sérieuses! A l’approche des différents sommets de la semaine où Grecs et Européens devaient entamer les négociations, les appels au sérieux se sont enchaînés.

Au G20 qui se tenait à Istanbul le week-end dernier, Jens Weidmann, patron de la Bundes Bank, a par exemple appelé la Grèce à faire des « efforts crédibles pour améliorer la situation d’une manière durable, afin que la Grèce puisse se remettre sur ses deux pieds ».

Lors d’une conférence de presse à Washington, Angela Merkel a pour sa part déclaré:

« Ces programmes sont la base de toute discussion. J’ai toujours dit que j’attendais de la Grèce qu’elle fasse des propositions viables afin que nous puissions en parler », a déclaré la dirigeante lors d’une conférence de presse commune avec le président américain Barack Obama à Washington. 

L’affaire des dettes de guerre allemandes

Dans sa stratégie dilatoire, Tsipras a décidé d’appuyer sur un bouton destiné à perturber l’Allemagne: le rappel des dettes de guerre allemandes. Ce sujet a même fait l’objet d’un traitement spécial devant le parlement grec, de la part de la nouvelle présidente de la Vouli:

J’en viens à l’initiative la plus importante de la période parlementaire précédente, dont tous ceux qui ont participé sont fiers. La constitution de la commission interpartis du Parlement pour la revendication des réparations de guerre allemandes. À l’initiative de Manolis Glezos et du groupe parlementaire de Syriza et avec la collaboration unanime de tous les groupes parlementaires, cette commission fut constituée et opéra de manière exemplaire, présidée par M. Tzavaras, mais n’a pas pu achever sa mission à cause des élections qui sont intervenues. Durant cette nouvelle période parlementaire, la commission sera très rapidement constituée pour remplir le devoir national qu’est la revendication effective de cette dette morale, historique et financière à l’égard de notre patrie, à l’égard des victimes de la sauvagerie nazie, pour la réparation des catastrophes, le remboursement et l’acquittement du prêt de l’Occupation, pour le dédommagement des victimes et pour la restitution des trésors archéologiques volés.

L’Allemagne s’est déjà exprimée sur le sujet:

Le ministre allemand de l’Economie, Sigmar Gabriel, a une nouvelle fois exclu lundi que l’Allemagne verse des réparations de guerre à la Grèce, comme le réclame le Premier ministre grec, assurant que la question avait été définitivement réglée il y a 25 ans. «La probabilité (que l’Allemagne paie des indemnités de guerre à posteriori) est nulle», a assuré Sigmar Gabriel, qui est aussi vice-chancelier, en marge d’un séminaire de son Parti social-démocrate (SPD) à Nauen (est). 

Ce titillement de l’Allemagne sur des questions symboliques ne devrait pas aider à résoudre la crise systémique qui couve.

Tsipras déçoit en jouant aux petits Machiavel

Face au géant allemand peu enclin à discuter, Tsipras a multiplié les tentatives un peu décevantes de manoeuvres machiavéliques.

Il a par exemple négocié avec l’OCDE un plan de réformes pour rétablir la croissance, dont on voit mal la cohérence et la lisibilité au moment où la Grèce doit négocier de façon sincère avec ses partenaires la charge de sa dette. Parallèlement, la Grèce joue de façon puérile la Russie et la Chine contre l’Europe, prétendant que ces deux pays lui avaient proposé une aide financière.

« Nous sommes désireux de continuer à renforcer la coopération et les échanges avec le nouveau gouvernement grec sur la base du principe de respect mutuel et de gagnant-gagnant pour favoriser le développement continu des relations sino-grecques », a dit une porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Hua Chunying. « Quant à la situation précise que vous évoquez, je ne sais rien à ce sujet », a-t-elle ajouté.

Tsipras démenti par la Chine? N’est pas Machiavel qui veut, et à ce jeu le premier ministre grec risque de laisser des plumes: on attendait un beau sabreur, on découvre le chat botté qui a du mal à rompre avec la roublardise qui était reprochée à ses prédécesseurs.

Du coup, on ne retiendra guère, de la position grecque, qu’une seule information: un accord doit entrer en vigueur au 1er septembre, quand tous les partenaires européens de la Grèce veulent un accord immédiat.

Comment Tsipras s’est rendu en rase campagne

Plus le temps passe, et moins la position de Syriza ne convainc. Là où les Européens pouvaient espérer une vision alternative à l’austérité allemande, ils ne lisent que manoeuvres dilatoires et tentatives maladroites pour gagner du temps en espérant « tirer sur la corde » le plus longtemps possible.

Les sommets européens enchaînent donc les échecs prévisibles, avec un jeu sans surprise entreVaroufakis qui tient le rôle du méchant, et Tsipras celui du gentil qui recolle les morceaux. En réalité, Syriza a déjà lâché énormément de concessions et devrait finalement rabattre largement son caquet.

Par exemple, Tsipras négocie depuis une semaine en sous-main avec la Troïka, légèrement reformatée pour la circonstance, mais bel et bien présente à Athènes. C’est avec la Troïka que Tsipras prépare ce week-end le très sensible Eurogroupe de lundi qui doit déboucher sur un accord… ou sur une crise.

L’Europe sera fixée lundi soir sur ses perspectives à court terme.

L’Europe revient à la diplomatie à l’ancienne

Si les sommets européens de la semaine n’ont pas permis de débloquer la situation grecque, ils ont néanmoins permis de congratuler le couple Merkollande pour le règlement provisoire de la situation ukrainienne (alors que les sanctions russes ont fait perdre 21 milliards € aux Européens). L’accord dit de Minsk 2 a montré l’Allemagne et la France unies dans une opération diplomatique dont l’Union s’est révélée totalement absente.

En principe, Federica Mogherini aurait dû mener ces discussions: mais rien n’y a fait. La diplomatie européenne reste, plus que jamais, une affaire bilatérale. C’est donc un somment entre l’Allemagne, la France et la Russie qui a permis de déboucher sur un cessez-le-feu à partir de ce dimanche, qui évite la prise de Debaltseve par les forces séparatistes, en contrepartie d’une révision constitutionnelle qui établira une décentralisation forte.

Si Minsk 2 est une victoire pour la paix, il est clairement une défaite pour l’Europe comme construction communautaire, incapable de structurer une position sur la sauvegarde de ses frontières.

Le retour de l’hyper-finance

Il est un autre danger dont les Européens feraient bien de s’inquiéter: le développement nouveau du « shadow banking« , largement à l’origine de la crise de 2008, et dont le volume a augmenté de 20% durant ces six derniers mois.

Le vice-président de la BCE, Vitor Constancio, vient de s’en inquiéter. Au rythme où nous allons, les opérations financières relevant du shadow banking seront plus volumineuses que les opérations réglementées d’ici à 2020.

Décidément, la finance est incorrigible.

http://www.eric-verhaeghe.fr/attentats-de-copenhague-leurope-au-coeur-des-orages/

Apocalypse Now… et pour l’éternité Par James Howard Kunstler

En tant que psychanalyste politique, j’ai toujours trouvé la mi-temps du Super-bowl le plus parfait résumé de la psychose dans laquelle a sombré la culture américaine d’année en année. Il faut dire que la plus récente version nous ait signalé une rupture totale avec la réalité, un cauchemar de robots lancés dans une chorégraphie suggestive dans une galerie des glaces, comme si les Etats-Unis avaient finalement abandonné leur âme abîmée pour une carte-mère sans scrupule dont les battements résonnent depuis le fin-fond du palais souterrain du Diable. C’est pourtant la seule explication à des évènements autrement incompréhensibles comme le rôle joué par les Etats-Unis dans le règne du chaos en Ukraine. 

Comment expliquer autrement le rapport publié ce matin par le New York Times selon lequel les Etats-Unis « prévoient désormais de fournir des armes et équipements de défense aux forces assiégées de Kiev », et qu’un « certain nombre de fonctionnaires militaires et administratifs soutiennent désormais cette position ». 

Lecteurs du New York Times, ici la Terre : J’ai le regret de vous informer que cette décision a déjà été prise il y a un an lorsque les Etats-Unis ont financé le coup d’Etat contre le président élu du pays, Viktor Yanukovych, après que le pauvre homme a décidé de ne pas joindre l’Union européenne mais de se rapprocher de l’Union économique eurasienne de la Russie. Oups ! Il est temps d’agir, Bub, a-t-on pu entendre dire la sous-secrétaire du Département d’Etat, Victoria Nuland, lors d’une communication téléphonique  avec l’ambassadeur américain interceptée clandestinement. Quelqu’un peut-il me trouver Yats ? Oui, Yats ! (Arsenity Yatsenyuk, de l’UKR)! Et branchez notre clé Bluetooth du pouvoir à son cerveau ! 

C’est ainsi que l’année dernière, la cabale représentée par les Etats-Unis, l’Union européenne et le FMI ont envoyé des renforts financiers (à hauteur de plusieurs milliards de dollars), des armes et des soldats dans le bourbier ukrainien. La semaine dernière, un journaliste présent sur place s’est approché d’un soldat UKR simplement pour s’entendre dire, dans un anglais parfait, de « dégager de mon chemin ». Pardon ? La vidéo YouTube a été visionnée partout dans le monde et à l’heure actuelle, aucun agent du gouvernement américain n’a été appelé pour rendre des comptes. Comme je l’ai dit, une galerie des glaces.

Mais je m’emporte peut-être un peu. Après tout, la véritable question à nous poser est de savoir ce que nous faisons en Ukraine, et pourquoi il devrait nous importer que l’Ukraine s’aligne avec la Russie. Et surtout, pourquoi n’est-il pas évident que l’Ukraine appartienne à la sphère d’influence de la Russie, et y appartient depuis plus de cinq-cents ans, pour une excellente raison qui a été démontrée plus récemment par l’invasion de Napoléon en 1812 puis l’Opération Barbarossa lancée par Hitler en 1941. 

Dans les deux cas, la Russie a dû sa survie à l’étendue de plaines ukrainiennes où le « Général Hiver » a pu mener ses propres opérations de défense grâce à ses vents violents, ses tempêtes de neige, ses températures glaciales et les gelures qui ont finalement eu le dessus sur les envahisseurs. Tout au long de l »Histoire moderne, l’Ukraine a été sous la protection implicite des tsars russes. Elle a été une province de l’URSS. Des centaines d’années auparavant, Kievan Rus était au cœur d’une culture russe émergente et d’un royaume qui s’est plus tard développé avant de se déplacer à Moscou. 

Vous avez saisi la situation : l’Ukraine a depuis longtemps été associée avec la Russie, une association pas toujours heureuse, quelquefois tragique, mais un fait de la vie et de l’Histoire que les Etats-Unis et leurs acolytes de la bureaucratie de l’Union européenne tente désormais de remettre en question sans raison aucune. Existe-t-il quelqu’un qui ne soit pas complètement perdu dans le crack ou figé tel un rayon laser devant le Klan Kardashian et qui se souvienne si les Etats-Unis ont un jour ennuyé les Soviétiques avec la question ukrainienne ? Non. Pour l’excellente raison que nous avons accepté la relation entre les deux nations mentionnée plus haut. Qui a donc pu penser judicieux de lancer une troisième guerre mondiale aujourd’hui dans cette région du monde où tant d’autres aventuriers ont connu leur perte ? Et qu’entendons-nous par « armes défensives » ? Les systèmes d’armement modernes ne fonctionnent-ils pas « dans les deux sens » ? Je vois que la liste comprend des « missiles anti-armures » (des missiles anti-char) et des drones, ces derniers étant certainement maniés à distance par des militaires Américains as des jeux vidéo prenant pour cible des « méchants » pixellisés tout en dévorant cartons de glace et des hamburgers. 

Pas vraiment dans le style d’American Sniper.

Kunstler.com/24hgold.com Publié le 10 février 2015

http://www.24hgold.com/francais/actualite-or-argent-apocalypse-now-et-pour-l-eternite-.aspx?article=6339325444H11690&redirect=false&contributor=James+Howard+Kunstler.&mk=2

La hyvrnia ukrainienne vient de perdre 50% de sa valeur en deux jours

Par Matt O’Brien – Le 6 février 2015 – Source : Washington Post Blogs

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L’Ukraine, pour utiliser un terme technique, est en faillite. C’est ainsi qu’on appelle un pays dont la monnaie a perdu 50% de sa valeur en deux jours seulement [et 300% sur 12 mois, NdT].

Le problème est simple: l’Ukraine n’a pas d’argent et à peine encore quelque activité économique. Les discussions avec le FMI au sujet d’un montant de 15 milliards de dollars de renflouement vont bon train et c’est un euphémisme que d’appeler cela de la dette de restructuration – autrement dit, pour éviter le défaut total – quand ses réserves ont diminué à $6.42 milliards de dollars, juste assez pour couvrir cinq semaines d’importations. (Trois mois étant considéré comme l’absolu minimum.).

Il était donc plus que temps que l’Ukraine cesse de dépenser le peu d’argent restant à soutenir sa monnaie, la hyrvnia [sans parler de l’effort de guerre, NdT]. Jeudi, ce fut fait avec une réaction rapide et violente. La hyrvnia a chuté contre le dollar américain de 16,8 à 24,4 puis de nouveau à 25,3 vendredi, sur la nouvelle que le gouvernement ne devrait plus intervenir du tout. En tout, cela fait 50% de baisse dans les dernières 48 heures. Et cela malgré le fait que la banque centrale a simultanément monté les taux d’intérêt de 14% à 19,5% pour essayer d’amener les gens à garder leur argent en hyrvnia, qui vous rémunère bien mieux que le dollar US [mais qui fait encore confiance au bankster Iatseniouk?, NdT]. Solution qui, comme vous pouvez le voir, n’a pas atteint les objectifs espérés.

Maintenant, nous allons revenir une minute aux fondamentaux. Pourquoi l’Ukraine est-elle condamnée? Elle a été mal gérée par les oligarques qui, depuis des décennies, ont écrémé des milliards d’un pays sans croissance[sauf l’excellente croissance de 2000 à 2008, avec une moyenne de 7% annuel, et un pic à 12 % en 2004, NdT]. Cela semble presque impossible, mais l’économie de l’Ukraine a diminué depuis la chute du régime communiste en 1991. Et maintenant sa guerre pas-si-froide avec la Russie est en train de détruire le peu qui reste. Tout cela ne provient pas uniquement des bastions rebelles dans le bassin d’industrie lourde de l’est du pays, qui ont privé l’Ukraine du quart de ses capacités industrielles. Cela provient aussi du conflit avec son plus grand partenaire commercial, la Russie. Réfléchissez: vous n’allez généralement pas en guerre contre le pays avec lequel vous effectuez l’essentiel de vos échanges commerciaux. Cela signifie que tout ce qui affaiblit la Russie, comme la baisse du prix du pétrole ou les sanctions, se retourne aussi contre l’Ukraine, et accroit ses déficits.

L’Ukraine, en d’autres termes, n’a pas beaucoup de devises étrangères et n’a pas beaucoup de façons d’en obtenir. Et sûrement pas tant que son économie est ruinée. Ensuite, elle combat son premier partenaire commercial et finalement, les séparatistes lui ont enlevé son centre industriel. La seule question qui reste est de savoir quelle sera l’ampleur du plan de sauvetage et dans quelle proportion la hrvynia tombera encore plus bas en attendant.

En Ukraine, la monnaie est faible, et ce n’est pas un jeu.

Traduit par Toma, relu par jj et Diane pour le Saker Francophone

http://lesakerfrancophone.net/la-hyvrnia-ukrainienne-vient-de-perdre-50-de-sa-valeur-en-deux-jours/

Peut-on sauver l’accord de Minsk?

14 février 2015 Par

Le fragile accord signé à Minsk[1] le jeudi 12 février au matin entre Mme Merkel, François Hollande, Vladimir Poutine et le président ukrainien M. Poroshenko est aujourd’hui clairement en crise. Les regards se focalisent sur la question du cessez-le-feu. C’est une question importante, mais qui pourrait masquer d’autres problèmes, encore plus grave. Ainsi, le gouvernement de Kiev a indiqué qu’il n’entendait pas appliquer la « fédéralisation » du pays à laquelle il s’est pourtant engagé. Enfin, il est possible que des troubles politiques affectent les forces de Kiev, voire qu’un coup d’Etat venant de la fraction la plus extrémiste, se produise d’ici les premières semaines.

La question du cessez-le-feu

Le cessez-le-feu doit avoir lieu le dimanche 15 février à 0h00. Pour l’instant les combats continuent. Cela est dû à la volonté de chaque partie de « grignoter » sur la ligne de front, mais aussi à l’élimination progressive des unités de Kiev qui sont encerclées dans la « poche » de Debalstevo. Le principal problème tient à ce que les forces de Kiev doivent faire reculer leurs armes lourdes à partir de la ligne de front tandis que les insurgés doivent faire la même chose à partir de la ligne du 19 septembre 2014. L’idée semble d’avoir voulu donner satisfaction aux deux parties en présence et de créer une « zone tampon ». Mais, si l’on veut que cette zone tampon puisse remplir son rôle (et éviter de nouveaux bombardements ciblant les populations civiles des villes insurgées de Donetsk et Lougansk), il faudra impérativement qu’un corps d’observateur, susceptible de faire de l’interposition entre les deux adversaires soit créé. L’OSCE, qui est nommément désignée dans l’accord n’a pas les moyens de faire cela. De plus, sa légitimité pourrait être contestée. La seule solution stable serait la constitution de contingents de « Casques Bleus » des Nations Unis. Mais, une telle solution doit être acceptée par le gouvernement de Kiev et doit être validée par le Conseil de Sécurité, ce qui implique un accord des Etats-Unis. C’est ici que l’on mesure les limites de la solution Merkel-Hollande. De fait, les Etats-Unis sont aujourd’hui directement part du conflit. Ils doivent donc être associés à son règlement, ou montrer par leur attitude qu’ils ont fait le choix de la guerre. Tant qu’un cessez-le-feu stable, observé et vérifié ne sera pas en place, l’accord sera nécessairement des plus fragiles.

La question du statut des zones insurgées et la souveraineté de l’Ukraine

Mais, il y a d’autres raisons de penser que cet accord pourrait bien ne jamais être appliqué. Les termes de l’accord sont très clairs : un statut de grande autonomie doit être concédé aux insurgés et, sur cette base, le gouvernement de Kiev pourra recouvrer le contrôle de la frontière entre l’Ukraine et la Russie (articles 9 et 11 de l’accord). Or, le gouvernement de Kiev a indiqué son refus d’envisager une « fédéralisation » du pays, dans le cadre d’une refonte de la Constitution, qui devrait être réalisée d’ici à la fin de 2015. De même, le Ministre de la Justice de Kiev, M. Klimkin, s’est déclaré être opposé à une amnistie générale[2]. Or, cette amnistie est bien l’une des conditions de l’accord (article 5).

Très clairement, à l’heure actuelle, le régime de Kiev n’a nullement l’intention d’appliquer les clauses politiques de l’accord. Or, on comprend bien que si ces clauses ne sont pas appliquées, la guerre reprendra inévitablement, sauf si l’on s’achemine vers une solution de type « ni paix, ni guerre », ce que l’on appelle un « conflit gelé ». Cependant, une telle solution de « conflit gelé » n’est envisageable que si des forces d’interposition prennent position entre les belligérants. On est donc ramené à la question d’un hypothétique contingent de « Casques Bleus » et de ce fait à la question de l’insertion des Etats-Unis dans le processus d’un accord. On mesure ici, à nouveau, les limites de l’option prise par Mme Merkel et M. François Hollande. A vouloir prétendre que les européens pouvaient trouver sur leurs seules forces une solution à ce conflit, ils se sont enfermés dans une situation sans issue. La position discursive adoptée qui consiste à faire retomber la « faute » de la non-application sur la Russie s’apparente à une ficelle désormais trop grossière. C’est pourtant la voie vers on s’achemine, avec le renforcement des sanctions prises par l’Union européenne[3]. Et cela d’autant plus que l’on voit désormais s’ouvrir des failles importantes au sein même du gouvernement de Kiev, très probablement à l’instigation si ce n’est des Etats-Unis, de forces américaines.

Vers un coup d’Etat à Kiev ?

Il faut, à cet égard, regarder de très prés ce que fait le dirigeant de « Secteur Droit », Dmitro Yarosh, l’un des groupes les plus extrémistes (et souvent ouvertement pronazi) de l’espace politique du pouvoir de Kiev. Ce groupe a été directement mis en cause dans le massacre de la place Maïdan[4]. Ce personnage a un passé politique chargé, ayant été une sorte d’attaché parlementaire de V. Nalivaïtchenko, un député dont les liens avec le gouvernement des Etats-Unis sont bien connus. Yarosh a été blessé dans les combats de Donetsk. Le groupe qu’il dirige, tout en étant très minoritaire, est très influent dans la Garde Nationale et fournit nombre des combattants des « bataillons punitifs » de cette dernières. C’est là qu’il s’est lié à un oligarque ukrainien I. Kolomoisky[5]. Ce dernier s’est constitué un véritable petit royaume privé à partir de Dniepropetrovsk, et surtout Odessa, d’où il finance plusieurs de ces « bataillons punitifs ». Les liens de Kolomoisky avec les Etats-Unis sont nombreux et importants.

Or, dès jeudi 12 au soir, Yarosh annonçait que son mouvement ne reconnaissait pas les accords de Minsk et qu’il comptait établir un « Quartier Général » parallèle à celui existant sous les ordres du Général Muzhenko. Ce dernier s’est attiré l’inimitié de Kolomoisky, qui cherche à le faire remplacer par l’un de ses hommes liges. L’important ici est que Kolomoisky ne s’est pas contenté de financer des bataillons punitifs de la Garde Nationale. Il a aussi recruté entre 400 et 900 mercenaires[6], par le biais des sociétés américaines de contractants militaires. Cela indique que, outre ses liens avec les Etats-Unis, Kolomoisky est désireux de se construire une puissance militaire, peut-être pas sur l’ensemble de l’Ukraine, mais certainement à l’échelle du Sud du pays. Cela implique, de son point de vue, que la guerre continue afin qu’il puisse lui continuer à se renforces.

Mais il y a un autre aspect de la question. Aujourd’hui le gouvernement de Kiev est politiquement divisé (Petro Poroshenko apparaissant à cet égard comme un relatif « modéré ») et surtout techniquement de plus en plus dépendant des Etats-Unis. Des « conseillers » américains occupent plusieurs étages dans les différents ministères. Compte tenu de l’histoire des liens entre Yarosh et les Etats-Unis, on ne peut exclure qu’il puisse représenter une menace de coup d’Etat, si d’aventure le gouvernement actuel devait s’opposer aux intérêts américains.

Ceci montre que les Etats-Unis, qu’ils livrent ou non des armes « létales » à l’Ukraine, sont d’ores et déjà partie prenante de conflit, et d ‘une certaine manière ont acquis une position déterminante dans le gouvernement de Kiev. Ceci expose clairement les illusions de Mme Merkel et de M. Hollande mais nous montre aussi que tant que les Etats-Unis n’auront pas donné leur assentiment explicite à un accord, ce dernier n’a aucune chance d’être respecté. Mais, peut-être peuvent-ils y être contraints.

La question économique.

On le sait, l’Ukraine est virtuellement en faillite. Certes, le Fond Monétaire International a évoqué la possibilité d’un prêt de 17 milliards de dollars. Mais, cette somme, si elle est versée et ceci dépend de la réalité du cessez-le-feu, ne règlera rien. Au mieux, si elle est versée, elle assurera la stabilité financière de l’Ukraine jusqu’à la fin de l’année, pas plus. Cet argent ne remplacera pas une économie saine, et des relations commerciales importantes tant avec la Russie qu’avec l’Union européenne. Le futur de l’Ukraine dépend donc d’un accord entre russes et européens. Plus directement, la survie immédiate du pays dépend largement de l’aide consentie par l’Union européenne.

Ceci permettrait à l’Allemagne et à la France, si elles osaient parler clair et fort à Washington, de contraindre les Etats-Unis à s’engager de manière décisive dans le processus de paix. Sinon, l’ensemble du coût de l’Ukraine reposerait sur les Etats-Unis, et il est clair qu’en ce cas le Congrès se refuserait à financer de telles dépenses, qui pourraient d’ici les 5 prochaines années atteindre les 90-120 milliards de dollars.

La question économique est, peut-être, ce qui pourrait permettre d’aboutir à une application réaliste des accords de Minsk, à deux conditions cependant : que l’Allemagne et la France imposent leurs conditions à Washington et que ces deux pays sortent du jeu stérile et imbécile qui consiste à faire retomber, encore et toujours, la faute sur la Russie alors que l’on voit bien que les fauteurs de guerre sont ailleurs.

[1] Voir ici la déclaration finale des 4 dirigeants : http://interfax.com/newsinf.asp?pg=3&id=571367

[2] http://www.vesti.ru/doc.html?id=2351431

[3] http://top.rbc.ru/politics/13/02/2015/54dd2aec9a79475c523efc2e

[4] Katchanovski I., « The Separatist Conflict in Donbas: A Violent Break-Up of Ukraine? », School of Political Studies, Universitté d’Ottawa, texte préparé pour l’international conference “Negotiating Borders: Comparing the Experience of Canada, Europe, and Ukraine,” Canadian Institute of Ukrainian Studies, Edmonton, October 16–17, 2014

[5] Rosier R., « L’oligarque genevois qui défie Poutine », la Tribune de Genève, 30/05/2014,

[6] https://www.youtube.com/watch?v=TBAQJ_b6j8w

http://russeurope.hypotheses.org/3448

Accord au Donbass

12 février 2015 Par

La réunion de Minsk s’est donc soldée par un accord, certes fragile, mais qui ouvre pour la première fois une perspective d’espoir pour les populations du Donbass. Ce accord devrait donc donner lieu à un cesser le feu qui s’appliquera le dimanche 15 février à 00h00. Il est clair que des combats importants risquent de survenir jusqu’à cette date. Néanmoins, les conditions politiques marquent une victoire significative pour les Insurgés, mais aussi – plus subtilement – pour la Russie.

Les termes de l’accord.

L’accord prévoit le retrait des armes lourdes dans un rayon de 50 à 150 km suivant la portée et la nature de ces armes, à partir de la ligne de feu actuelle pour les troupes de Kiev et de la ligne de cessez-le-feu du 19 septembre 2014 pour les insurgés. Ceci ne concerne QUE les armes lourdes. Cela signifie que la ligne de séparation réelle sera donc bien la ligne de feu actuelle. C’est une victoire pour les Insurgés. En organisant un repli des lance-roquettes multiples (LRM) et de l’artillerie, cet accord empêchera les forces ukrainiennes de bombarder les zones insurgées, garantissant le retour à la paix pour es populations de Donetsk, Lougansk et des régions environnantes. Ceci constitue une seconde victoire pour les Insurgés. Ceci sera fait dans un délai de 14 jours après e cessez-le-feu, sous la supervision de l’OSCE.

Une large amnistie est prévue pour l’ensemble des crimes et délits commis en relation avec la situation ettous les prisonniers devront être échangés (points 5 et 6). Les forces étrangères, et les mercenaires devront quitter le territoire et être désarmés sous le contrôle de l’OSCE (point 10).

Carte (en russe) du territoire de Novorossiya, la zone contrôlée par les Insurgés

A - Novorossiya

Des élections sont prévues « en accordance avec les lois de l’Ukraine » dans les régions insurgées, mais le parlement ukrainien (la Rada) doit voter dans les trente jours après la mise en œuvre de l’accord un texte sur le statut spécial de ces régions. La nature précise de ce statut n’est pas précisée. Mais, il est clair que l’on s’achemine vers un régime de grande autonomie. Il est précisé qu’une nouvelle constitution devra être introduite en Ukraine avant la fin de 2015 devant incorporer le principe de la décentralisation comme unélément clé de cette constitution (points 9 et 11). Les discussions devront se faire avec les représentants des Insurgés. La « note 1 » annexée au document prévoit notamment :

  • Droits linguistiques
  • Doits des autorités locales de nommer les procureurs locaux.
  • Droit du gouvernement central de passer des accords spécifiques avec ces régions concernant leur développement socio-culturel et économique.
  • Reconnaissance par le gouvernement central de la coopération trans-frontière entre ces régions et la Russie.
  • Etablissement d’une milice dépendante des autorités de ces régions.
  • L’autorité des élus ne pourra pas être remise en cause par le parlement ukrainien.

Une fois les élections passées, et la nouvelle Constitution votée (point 11), l’autorité du gouvernement sera restaurée sur la frontière avec la Russie. Ce point pourrait donner lieu à de sérieux accrochages avec les autorités des insurgés.

Globalement, cet accord accorde beaucoup aux Insurgés, tout en maintenant l’apparence d’une autorité ukrainienne sur l’ensemble du territoire. On peut penser que, s’il est appliqué et respecté, il aboutira à la constitution d’une région autonome avec sa propre police, ses propres forces armées, et des relations particulières avec la Russie. C’est un statut proche de celui de la région autonome du Kurdistan en Irak.

Les avantages de la Russie.

La Russie a obtenu que l’Ukraine n’entre pas dans l’OTAN ni dans l’Union européenne. Qui plus est, dans le texte préliminaire à l’accord, elle obtient :

 A-1 accord

Ce point est important. Il revient à prendre en compte les objections de la Russie quant à l’accord de libre échange entre l’Ukraine et l’UE, et il met fin aux prétentions des Etats-Unis « d’isoler la Russie ». La France et l’Allemagne s’engagent à reconstruire les infrastructures des systèmes de paiements, et l’Ukraine s’engage à reprendre le paiement des prestations sociales qui étaient suspendues aux habitants du Donbass. C’est incontestablement une victoire de la Russie.

Texte complet du préambule de l’accord:

A - 2Accord

 La question qui reste en suspens est de savoir donc si cet accord sera appliqué et sera respecté. Ceci dépend dans une large mesure de ce que sera l’attitude des Etats-Unis. Le fait que ces derniers ne soient pas partie-prenante à l’accord laisse planer un doute sur leur volonté d’aboutir à une paix durable en Ukraine. Cet accord est certainement imparfait. Il est de plus notoirement fragile sur certains points, et – à cet égard – l’absence d’observateurs impartiaux (si ce n’est l’OSCE) du cessez-le-feu est une source de craintes. Mais il existe, et c’est cela l’essentiel.

http://russeurope.hypotheses.org/3430

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