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2015 sera une année de conflits en France Par Nicolas Tandler

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2015 sera une année de conflits en France Par Nicolas Tandler

Bien que ce soit loin d’être exact, il est convenu de tenir le début du XXIème siècle pour une période de calme social en France. Ce qui contribue à l’acceptation de cette opinion, c’est le formidable volant de chômage, censé entraver les mouvements de débrayage massifs. « L’armée de réserve du capital », comme écrivait Karl Marx, pesait tout aussi lourd en 1995, et n’a nullement empêché les grèves spectaculaires et très suivies de l’automne de cette année-là. Il est vrai que les acteurs principaux se recrutaient dans des catégories non atteintes par le chômage. Mais les conflits ne restent jamais circonscrits car le privé se trouve nécessairement touché quand il y a des perturbations dans la fonction publique. On s’en apercevra cette année.

A la fin de 2014, s’est produit un événement rarissime dans le syndicalisme, non seulement en France, mais aussi sur le plan international, la mise en cause personnelle d’un dirigeant syndical, en l’occurrence le secrétaire général de la CGT, Thierry Lepaon. Un hebdomadaire avait, à l’automne,  publié des informations sur le coût de son logement de fonction, en réfection. Bien que non astronomiques, les chiffres suscitèrent un début de scandale, en dépit de leur caractère erroné. Or, ils étaient censés émaner de l’intérieur de la confédération. Quelques temps après, nouvelles révélations, cette fois sur l’aménagement du bureau de Thierry Lepaon. Là aussi, des éléments factuels plus ou moins exacts. Enfin, troisième tir, le seul véritablement désastreux, l’indemnité indue accordée à T. Lepaon, lorsqu’il quitta ses fonctions régionales pour la Direction Nationale. Là aussi, un flou certain dans l’annonce. Comme dans les deux précédents, ce furent les rectifications émanant de la CGT qui confirmèrent et clarifièrent les faits.

Martinez, la poigne et l’habileté

Personne ne s’étonna qu’aucun des informateurs, présumés internes, ne soit identifié, ni même recherché. Mais, alors, qui ? Pour des responsables de Montreuil (le siège de la CGT), le doute n’existe pas. Un « service », en prise directe sur l’état-major d’un haut personnage de l’Etat, avait pris le risque de « communiquer » des éléments épars et incertains, destinés à une utilisation rapide. Le succès couronna l’entreprise, risquée. Après diverses péripéties, Lepaon quittait ses fonctions, et lui succédait un autre membre du PC, Philippe Martinez, élu en janvier avec plus de 90 % des suffrages du Comité confédéral National, l’organe statutaire pour l’opération. Mais pourquoi la manœuvre ? La longue durée de la grève ferroviaire, déclenchée en juin 2014, animée par la CGT en particulier, et qui avait suscité la colère des responsables du pouvoir socialiste, l’explique. L’analyse du gouvernement mettait en cause précisément Thierry Lepaon, dont les discours ambigus auraient donné à espérer une attitude conciliatrice, calcul inexact, démenti par le comportement des acteurs sur le terrain. Il fallait neutraliser le perturbateur du jeu social. Ce qui fut fait, au-delà de toute espérance. Seulement, la cible se trouva dépassée, et de loin. Toute la CGT commença à se fissurer, et non pas l’unique secrétaire général. Au point que s’esquissa l’implosion de son organisation, dans des détails ahurissants, jetés aux medias, du genre « telle dirigeante est la maîtresse de tel responsable », et ainsi de suite. Pour sauver la plus ancienne confédération de France (surgie en 1895), il fallait un sauveur à poigne, et une ligne. Philippe Martinez, chef de la branche métallurgie, sortit alors d’une ombre relative, avec un mot d’ordre simple mais efficace : l’offensive générale, sur des mots d’ordre maximalistes, mais rassembleurs, comme l’augmentation des salaires ou la semaine de 32 heures.

Une journée de début, pas une fin en soi

Les commentateurs s’esclaffèrent, prédisant l’échec d’une telle stratégie. Ils n’avaient pas remarqué que la marche au pouvoir cégétiste de Martinez ne lui avait demandé que deux semaines, après une rebuffade initiale, et qu’il avait passé ce temps à la base et dans la rue, payant de sa personne. Ainsi s’achevait la période, marquée par la personnalité de Bernard Thibault, le prédécesseur de Thierry Lepaon, d’une CGT équivoque, entre réformisme et semi-activisme. L’entrée en scène du métallurgiste fournit une inspiration au successeur de Marc Blondel à la tête de Force Ouvrière, Jean-Claude Mailly. Accordant un entretien à l’Humanité Dimanche, il laissa plus qu’entrevoir son intérêt à coopérer avec les frères ennemis, FO on le sait, résulte de la scission de 1948 de la vieille CGT. Peu après, le duo revendicatif se constituait, et un appel à une journée nationale de grèves et de manifestations était lancé, pour le 9 avril. Jamais deux sans trois, les trotskistes de SUD rejoignaient le tandem, après une brève réflexion. Les « réformistes », CFDT en tête, refusaient tout contact, mais il pourrait se produire quelques surprises d’ici avril. La préparation du printemps bat d’ores et déjà son plein dans les troupes du nouvel attelage CGT, FO, SUD. Un épisode qui demeurera sans suite ? Voire. Les dossiers sociaux sans perspective ne manquent pas. Le problème salarial est entier. La soi-disant déflation des prix ne se perçoit pas sous forme de pouvoir d’achat accru chez les salariés. La question salariale, sur fond d’aggravation des inégalités,   devrait suffire à ne pas rendre ridicule les marches du 9 avril. Il ne faut pas, par ailleurs, oublier que les transports constituent une zone de perturbations permanente, et qu’ils suffisent, bien pris en main, à assurer le succès d’un mouvement. Lorsqu’on voit le soin avec lequel P. Martinez s’occupe de réactiver les structures de la CGT aussi bien au plan des professions, que des regroupements interprofessionnels territoriaux, on peut penser que le nouveau secrétaire général, aussi volontariste qu’habile, saura à coup sûr prolonger le 9 avril. L’année 2015 verra le retour des grèves, et pas seulement celles de la fonction publique. Avec des acteurs inattendus du privé.

Nicolas Tandler le 21/3/2015

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