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News de Barbarie: La partition du « Syrak » Par Pepe Escobar/ Guerre au Moyen-Orient: vers une hybridation des moyens de lutte/ Des jihadistes du Daghestan, de Tchétchénie et d’Ingouchie font allégeance au Califat de l’État islamique / Après un an de «califat», l’EI bien armé pour durer/ L’EI frappe-t-il ses propres pièces d’or ?

La partition du « Syrak »

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Pepe Escobar
Pepe Escobar

Par Pepe Escobar – Le 19 juin 2015 – Source :Russia Today

A moins de deux semaines de l’éventuelle signature d’un accord sur le nucléaire entre l’Iran et les P5+1, la stratégie de la danse au bord de l’abîme dans le désert aux miroirsqu’est devenu le Moyen-Orient atteint son paroxysme. La manipulation règne. Et rien n’est ce qu’il semble être.

Bien sûr, dans l’accord sur le nucléaire avec l’Iran, beaucoup de choses ont à voir avec le pipelinistan. L’Iran, en supposant que les sanctions soient supprimées rapidement, sera enfin en mesure de vendre du gaz naturel à l’Union européenne – théoriquement en compétition avec Gazprom; mais cela va prendre beaucoup de temps avant que l’infrastructure iranienne (en décomposition) soit remise en état.

Ensuite, il y a l’avenir de l’important projet de gazoduc Iran-Irak-Syrie, 10 milliards de dollars – rival d’un projet qatari. Il est facile d’identifier ceux qui ne veulent pas d’un Irak stable susceptible d’installer des canalisations de gaz à travers son territoire. Le Qatar se vante d’avoir plus de gaz (livrable) – et une meilleure infrastructure – que l’Iran. La faisabilité d’un gazoduc partant du Qatar et passant par l’Arabie saoudite, la Jordanie et le Liban [ou par la turquie, Ndt] a déjà été étudiée. Si Téhéran veut des résultats rapides, il ferait une meilleure affaire en exportant son gaz vers l’UE directement par la Turquie plutôt qu’à travers l’Irak et la Syrie.

Quant à l’hégémonie, les choses étaient tellement plus faciles en 2003, après le Shock and Awe [choc et effroi]. Ensuite, Washington possédait le monde; il n’avait qu’à marcher droit devant et prendre (et détruire) ce qu’il voulait. C’était une suprématie dans tous les domaines. Ça n’aura duré qu’une fraction (historique) de seconde.

Maintenant, l’administration-ne faisons pas de conneries-Obama, comme elle se qualifie elle-même, peut à peine être décrite comme un miroir brisé dans un désert de miroirs.

Donc allons labourer le désert de Syrak

Les responsables de l’Otan à Bruxelles semblent croire que le Pentagone a entraîné les sunnites dans la province d’Anbar à l’utilisation d’armes lourdes pour éliminer l’ancien gouvernement du Premier ministre al-Maliki à Bagdad – ce qui a causé des problèmes à Washington. Mais le fait est que l’entraînement a facilité la fusion de ces sunnites avec ISIS/ISIL/Daesh.

Le Pentagone – ou l’Otan, d’ailleurs – pourrait facilement briser le faux califat. Mais ils ne le veulent pas; c’est beaucoup mieux de laisser le chaos se développer, la tactique parfaite du diviser pour régner qui convient aux suspects habituels. La Syrie est en ruines. L’Irak est en ruines. Les convois de ISIS/ISIL/Daesh franchissent la frontière de l’Otan entre la Turquie et la Syrie, sous la protection des forces aériennes turques; par conséquent, l’Otan – et la CIA – soutiennent de facto le faux califat. L’Égypte est en faillite. L’Iran est presque brisé. Les suspects habituels ne se sont jamais aussi bien portés.

Passons maintenant à une excellente source des services secrets saoudiens pour compliquer encore l’imbroglio. Selon cette source, Palmyre a étédonnée à ISIS/ISIL/Daesh en Syrie, exactement comme les villes importantes de la province d’Anbar en Irak : «Daesh n’est plus un secret et les États-Unis ont autant d’intérêt pour lui que pour l’[ancien] Axe du Mal.»

Le fait que ISIS/ISIL/Daesh, après chaque victoire sur le terrain, intègre rapidement dans ses forces des quantités d’armement américain très sophistiqué, qui nécessite des mois d’entrainement pour le maîtriser, indique certainement que les brutes du califat ont reçu un entraînement sérieux de la part de formateurs occidentaux.

En même temps, la source saoudienne entretient le fantasme d’un califat à deux têtes; l’un en Syrie directement lié au gouvernement d’Assad à Damas – ce qui est absurde –, tandis que le califat en Irak combat l’Iran.

Le président des États-Unis, Barack Obama, pendant ce temps, procrastine; il a dit que ISIS/ISIL/Daesh peut être vaincu, mais au bout de trois ans. Une fois de plus, pourquoi ne pas laisser le chaos se répandre?

Une autre source saoudienne est positivement découragée : «Les États-Unis ne permettront pas un changement de régime» en Syrie. Cet agent voit le rôle du Conseil de coopération du Golfe (CCG) comme tentant de «sauver la Syrie», et il accuse la CIA d’«interférer avec son transfert d’armes à l’Armée syrienne libre (ASL)». A la fin, les pétromonarchies du CCG «ont ré-acheminé leurs livraisons d’armes pour contourner les obstacles de la CIA». Donc maintenant tous les islamistes fanatiques du genre Jabhat al-Nusra sont dûment armés.

La Maison des Saoud reste obsédée par la chute d’Assad (et sa «relégation dans une enclave sous partition»). Cela serait un coup fatal pour le Hezbollah, en plus de la partition de l’Irak, «brisant le rêve de Téhéran de rétablir l’Empire perse qu’Obama est si obsédé à aider. »

Les Saoudiens semblent donc croire à la fable voulant que les sunnites dans la province d’Anbar aient réalisé que ISIS/ISIL/Daesh est un mandataire – nourri simultanément par l’Occident et par l’Iran – pour «alimenter les conflits sectaires et accélérer l’appel à la partition». En fait, la Maison des Saoud ne veut pas de partition du Syrak. Elle veut deux régimes fantoches et contrôler le tout. Pour employer un euphémisme, Riyad est assez déçu par la lenteur de Washington, qui est sa marque de fabrique.

Le chaos est notre voie

Quelle que soit la propagande, la reconfiguration post-Sykes-Picot du Moyen-Orient se poursuit sans relâche.

Jabhat al-Nusra et Ahrar al-Sham – encore une autre organisation de djihadistes frénétiques – continuent à être totalement armés par la Turquie, l’Arabie saoudite et le Qatar. Ceci est directement lié au proverbial rôle actifdu chef de la nouvelle Maison des Saoud, le roi Salman. Donc Assad à Damas se bat contre un mouvement qui le prend en tenaille : ISIL/ISIL/Daesh à l’est, qui contrôle au moins la moitié du pays (OK, la plus grande partie est du désert), et Jabhat al-Nusra, qui contrôle une «coalition de djihadistes volontaires» au nord et dans le centre. Comme pour toutes ces armes fournies par le Pentagone aux rebelles modérés tellement encensés, ils ont fini par être absorbés par al-Nusra.

Nous savons que lors d’une rencontre de la coalition des volontés[antidjihadistes, NdT] le 2 juin à Paris, co-parrainée par les États-Unis et la France pour discuter de ISIS/ISIL/Daesh, une discussion secrète à huis-clos avait lieu avec les pétromonarchies du Golfe pour examiner à quoi pourrait ressembler un accord avec la Syrie.

La Russie a donc été très active sur ce front, spécialement avec l’Arabie saoudite et le Qatar, essayant de les amener à forcer leurs organisations terroristes à la table des négociations.

Le problème est que le Conseil de coopération du Golfe ne veut rien sinon Assad en exil – en Russie ou en Iran. Et Washington, de manière prévisible, n’aimerait rien de mieux qu’un coup d’État; un petit changement de régime perpétré par des officiers alaouites familiers de la machinerie de l’État syrien.

Rien de tout cela ne semble faisable à distance, puisque l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie ont tous des projets totalement différents et sont obnubilés par le fait de s’assurer que leurs rebelles – depuis les djihadistes inconditionnels jusqu’aux faux modérés – seront les prochains à accéder au pouvoir, sans contestation.

Cela nous ramène au possible accord Iran/P5+1 sur le nucléaire du 30 juin prochain. La Syrie est un élément clé dans les négociations tenues derrière les portes closes. Mais s’agissant de l’Empire du Chaos – sans oublier les pétromonarchies du Golfe – la situation actuelle, changeante et extrêmement embrouillée, est ce qui peut arriver de mieux: Syraktotalement affaibli, la guerre sur deux fronts, l’Iran sur la défensive, et le faux califat qui établit de fait la partition sur le terrain.

Pepe Escobar est l’auteur de Globalistan: How the Globalized World is Dissolving into Liquid War (Nimble Books, 2007), Red Zone Blues: a snapshot of Baghdad during the surge (Nimble Books, 2007), Obama does Globalistan (Nimble Books, 2009) et le petit dernier, Empire of Chaos (Nimble Books).

Traduit par Diane, relu par Hervé pour le Saker Francophone

http://lesakerfrancophone.net/la-partition-du-syrak/

Guerre au Moyen-Orient: vers une hybridation des moyens de lutte

Néanmoins, les groupes rebelles se battant en Syrie sont épuisés. Des centaines de ces groupes aux noms et acronymes bizarres ont disparu. Certains ont été anéantis sous le feu de l’aviation syrienne et l’artillerie du Hezbollah; d’autres ont changé de vocation et ont décidé d’aller tenter leur chance ailleurs. Mais une grosse poignée a rejoint les grands du domaine: Al-Nusra, Daech et Al-Fath.

Attirés par de formidables incitations financières et sociale et pour les plus jeunes, une opportunité de reconnaissance, voire de jouissances sexuelles, des centaines d’ancien miliciens et de volontaires venus des quatre  horizons adhèrent à ces organisations dotées d’une logistique similaire à celle d’un Etat-Nation dont les lignes d’approvisionnements commencent en Turquie et en Jordanie.

Dans la discrétion la plus absolue, l’Iran a rapatrié de Syrie il y a deux jours la dépouille mortelle d’un officier supérieur des forces d’élite du Corps des Gardiens de la Révolution iranienne. Ce général iranien aurait péri dans une bataille dans la province de Deraa, en Syrie méridionale, dans une zone adjacente au plateau stratégique du Golan. Il s’agit du deuxième général iranien mort au combat en Syrie.

En réalité, les rebelles et autres terroristes se battant contre la Syrie, l’Irak, l’Iran et le Liban se sont fédérés dans trois grands ensembles et se sont non seulement dotés d’une logistique conséquente mais d’un armement assez conséquent. Oubliez les 2300 véhicules blindés US tombés entre les mains de Daech lors de la chute de Mossoul en Irak. L’armement de Daech et d’Al-Nusra, pour ne retenir que ces deux organisations terroristes, est à proprement parler fort impressionnant.

Le commandement de Daech tient compte du feedback de ces éléments sur le terrain en ce qui concerne l’armement utilisé. Ainsi les fusils d’assaut de fabrication Allemande G-36 ont été éliminés pour non-fiabilité. Idem pour les quelques exemplaires du Famas F1 français et plusieurs variantes locales de l’AK-47 (Kalashnikov) fabriqués dans la région, préférant nettement des variantes du célèbre fusil russe fabriqués en Europe Orientale et le M4 A1 et autres HK-416.

Idem pour les missiles antichar. Avant la guerre, la Syrie figurait parmi les pays Arabes ayant le plus de véhicules blindés et certainement un nombre record de chars pour un pays relativement pauvre en ressources. Maintenant les terroristes d’Al-Nusra, non satisfaits d’avoir des TOW et des Kornet, réclament à cor et à cri des Javelin.

D’où viennent les micro-drones d’Al-Nusra? Où les puissants émetteurs à micro-ondes que Daech utilise pour désactiver les drones de fabrication iranienne utilisés par l’armée syrienne et le Hezbollah?

Des experts militaires syriens, irakiens, iraniens et libanais tentent de remédier à cette petite bifurcation ou révolution de type T (technologique) pour reprendre les termes d’un des pionniers de l’évolution revisitée.

Damas semble bien défendue pour l’instant mais la situation à l’Ouest d’Alep (Nord), à Homs (centre) et à Deraa (Sud) est en train de connaître une lente et sûre mutation pas du tout favorable à la Syrie. Situation en partie induite par l’adoption d’un nouveau plan par les sponsors de la guerre en Syrie. Il s’agit d’un cas concret d’une hybridation assymétrique des moyens de lutte contre un axe régional pris dans son ensemble. Il semble que le concept de guerre hybride à bifurcations multiples soit le nouveau modus operandi au Pentagone.

Le Secrétaire d’Etat à la Défense a récemment évoqué la possibilité d’une chute de ce qu’il appelle le régime syrien. La stratégie de la sape. Dans un conflit s’étendant du Donbass à l’Afghanistan, cela ne peut qu’accélerer une confrontation encore plus grande.

Ramadan de cette année sera plus chaud que celui de l’année dernière.

https://strategika51.wordpress.com/2015/06/19/guerre-au-moyen-orient-vers-une-hybridation-des-moyens-de-lutte/

Des jihadistes du Daghestan, de Tchétchénie et d’Ingouchie font allégeance au Califat de l’État islamique

imageL’État islamique a étendu ses tentacules en Europe après qu’un important groupe terroriste qui commande 15 000 hommes dans la région du Caucase lui a fait allégeance.Le dirigeant de l’émirat du Caucase, qui a réalisé plus de 900 attaques terroristes sur le sol russe depuis sa création en 2007, a déclaré sa fidélité au commandant en chef de l’État islamique Abu Bakr Al-Baghdadi.«Nous avons besoin de nous unir ainsi nous pourrons couper les têtes des infidèles » a déclaré Aslan Byutukayev dans une nouvelle vidéo de propagande filmée à l’intérieur de la République majoritairement musulmane de Tchétchénie.imageL’émirat du Caucase est un regroupement de petits groupes extrémistes en Tchétchénie, Daghestan et en Ingouchie, qui ont mené des batailles sanglantes pour tenter de rompre avec la domination russe depuis des décennies.Le groupe peut commander des dizaines de milliers de fidèles selon le professeur Gordon Hahn de la Monterey terrorisme Research and Education Program.« L’émirat du Caucase peut être estimé à quelque 15 200 soldats, dirigeants et animateurs » écrit-il dans son livre The Caucasus émirat moudjahidin (…)Source : http://www.dailymail.co.uk/news/article-3134206/ISIS-opens-new-Europe-s-doorstep-Chechan-jihadi-group-15-000-fighters-pledge-allegiance-terror-horde.htmlhttp://civilwarineurope.com/2015/06/24/des-jihadistes-du-daghestan-de-tchetchenie-et-dingouchie-font-allegeance-au-califat-de-letat-islamique/

Après un an de «califat», l’EI bien armé pour durer

Sara Hussein / AFP 20/6/2015

Le chef de l’EI, Abou Bakr al-Baghdadi 

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Un an après la proclamation de son «califat» en Syrie et en Irak, le groupe djihadiste Etat islamique (EI) apparaît capable de survivre des années grâce à ses ressources financières et ses capacités militaires, estiment des experts

Après une période d’expansion, l’embryon d’Etat, avec à sa tête le chef de l’EI Abou Bakr al-Baghdadi a certes connu des revers ces derniers mois.

Les raids de la coalition internationale dirigée par les Etats-Unis et les offensives lancées par l’armée irakienne, les Kurdes ou les milices chiites l’ont obligé à céder du terrain comme dans les villes syrienne de Kobané et Tall Abyad et irakienne de Tikrit.

Mais ailleurs, l’organisation a remporté des victoires spectaculaires comme la capture de l’antique cité de Palmyre dans le désert syrien ou celle de Ramadi, capitale d’Al-Anbar, la plus grande province d’Irak.

«Le groupe agit comme une guérilla: il peut être affaibli dans une région et gagner en puissance dans une autre, mais il continuera à exister dans un avenir proche», prévient Hassan Hassan, analyste auprès de Chatham House.

Même si les frontières du «califat», proclamé le 28 juin 2014 sur les territoires conquis à cheval entre l’Irak et la Syrie, peuvent fluctuer, «je le vois exister pour au moins une décennie encore», ajoute-t-il.

«L’idée d’un califat et du calife Ibrahim restera certainement vivante dans l’esprit de nombreux de ses membres et partisans à travers le monde», renchérit Charles Lister, du Brooking Doha Centre.

 Les ressources financières

Le succès de l’EI s’explique par ses ressources financières, ses capacités militaires et sa faculté à s’appuyer sur les griefs légitimes des populations locales contre les régimes en place en Irak, pays miné par l’instabilité, et en Syrie ravagée par la guerre.

«L’EI est le groupe terroriste le plus riche au monde» avec des revenus de près de deux millions de dollars par semaine, indique Patrick Johnston, politologue au groupe d’analyse Rand Corporation.

Les frappes de la coalition sur les champs pétroliers pris par l’EI et la chute des prix de brut ont réduit les gains, mais le groupe a trouvé des moyens de compenser. «Il extorque des fonds, collecte des impôts et vend des biens pillés lors de ses conquêtes», explique M. Johnston.

Militairement, le groupe bénéficie de l’expérience de ses fondateurs, dont nombre sont d’ex-officiers et membres des services de sécurité de l’ex-dictateur irakien Saddam Hussein, limogés par les Américains après l’invasion de 2003. Ils ont notamment l’expérience des huit années de guerre avec l’Iran.

L’EI peut s’appuyer aussi sur un large réservoir de recrues, notamment de combattants étrangers, et sur un stock considérable d’équipements, qu’il s’agisse d’armes légères, d’artillerie, d’arsenal antichar, de tanks et de blindés, dont des véhicules américains pris à l’armée irakienne.

D’après M. Lister, le groupe «tente presque constamment de remporter des victoires pour mettre la main sur davantage d’armes».

L’EI, qui achète également des équipements sur le marché noir, «a les armes, l’entraînement et les moyens pour opérer comme une petite armée», résume M. Hassan.

Pas d’alternatives

Malgré quelques succès, les marges de manœuvre de la coalition internationale sont limitées par l’absence de troupes au sol et surtout de renseignements, selon les experts.

Parallèlement, l’EI a concentré son expansion sur des régions où les forces de sécurité ont été affaiblies par la guerre.  Après la capture d’un territoire, le groupe y met en place une administration et installe sa police, selon M. Johnston.

Les jihadistes manient la carotte et le bâton avec la population locale, la terrorisant avec des exécutions publiques brutales tout en lui offrant une relative stabilité et des services publics comme la santé et l’éducation.

«Les gens ont peur des exactions du groupe mais certains sont rassurés par son modèle de gouvernance et n’ont d’ailleurs aucune autre alternative», affirme M. Hassan.

Cette absence d’alternative a été l’une des clés du succès de l’EI en Irak et en Syrie, où la population sunnite se sentait exclue du pouvoir détenu par les chiites.

En Syrie, la rébellion contre le président alaouite Bachar al-Assad est issue en majorité de la communauté sunnite, et en Irak celle-ci accuse le gouvernement de discrimination.

Tant que cette situation demeurera, «l’EI pourra continuer à bénéficier de l’acceptation tacite de la population», avance M. Lister. «Une véritable solution au problème de l’EI serait donc de remédier aux divisions au sein de la société que le groupe exacerbe et exploite à son avantage». 

Et que fait-on si l’Etat islamique l’emporte?

Cet article a paru en anglais dans le magazine «Foreign Policy»
du 10 juin 2015

Stephen M. Walt (Traduit de l’anglais par Emmanuel Gehrig)

Le drapeau de l’Etat islamique. (Reuters)

Le drapeau de l’Etat islamique. (Reuters)Permalien de l'image intégréePhoto published for US airdrops anti-Isis propaganda cartoon over Syrian city of Raqqa

Et si les barbares finissaient par établir un gouvernement durable dans les zones qu’ils contrôlent entre la Syrie et l’Irak? Le politologue Stephen M. Walt a un point de vue très pragmatique: d’abord, il faudra vivre avec. Et il faudra mettre toute notre énergie pour éviter qu’ils n’accroissent leur territoire

Le moment est venu d’étudier une éventualité troublante: que devrions-nous faire si l’Etat islamique gagnait? Par «gagner», je ne veux pas dire se répandre comme une traînée de poudre dans tout le Moyen-Orient et fonder un califat de Bagdad à Rabat et au-delà. Certes, c’est bien là le projet des chefs de l’EI, mais les ambitions révolutionnaires ne sont pas la réalité et cette éventualité-là est farfelue. Non, une victoire de l’EI signifierait ceci: le groupe conserverait le pouvoir dans les régions qu’il contrôle actuellement et parviendrait à déjouer les efforts extérieurs visant à l’«affaiblir et le détruire». Ainsi la question que je pose est la suivante: que fait-on si l’Etat islamique devient un vrai Etat et qu’il démontre une vraie capacité à conserver le pouvoir?

Cette hypothèse devient plus probable ces jours-ci, étant donné l’incapacité de Bagdad à monter une contre-offensive digne de ce nom. Si Barry Posen1 a raison (et c’est généralement le cas), l’armée irakiennen’existe plus comme force combattante significative. Voilà qui révèle deux choses: de un, l’échec total des efforts américains pour entraîner les forces irakiennes (et l’échec collectif de tous les commandants américains successifs qui, encadrant ces efforts, ont attesté de notables améliorations). De deux, seule une intervention étrangère à large échelle est susceptible de refouler et, à terme, de détruire l’EI. Cela n’arrivera pas à moins qu’une coalition de pays arabes ne s’entende pour engager des milliers de soldats sur le champ de bataille, car les Etats-Unis ne vont pas et ne doivent pas faire le travail pour des pays dont l’intérêt en jeu dépasse le leur.

Ne nous méprenons pas. Comme tout le monde je serais satisfait d’assister à la défaite et au discrédit total de l’Etat islamique et de son message hyperviolent. Mais il ne faut pas anticiper les choses uniquement selon ses désirs mais aussi selon l’éventualité, ici très sérieuse, que nous ne parvenions pas à nos fins – du moins à un coût jugé acceptable.

Alors que ferons-nous si l’EI parvient à rester sur son territoire et à devenir un vrai Etat? Posen dit que les Etats-Unis (et les autres aussi) devraient gérer l’Etat islamique de la même manière qu’avec d’autres mouvements révolutionnaires constructeurs d’Etats: par une politique d’endiguement. J’abonde dans son sens.

Malgré ses tactiques sanguinaires et macabres, l’EI n’est pas un acteur global puissant. Ses recrues, il les attire parmi la jeunesse occidentale déboussolée. Et 25 000 partisans mal entraînés sur une population globale de 7 milliards n’est pas significatif. Voire, nous pourrions tirer bénéfice du fait que ces gens désertent leur pays d’origine, se frottent à la dure réalité du djihad islamique et reviennent, pour certains, avec la conscience que la brutalité et l’injustice de ce régime mènent tout droit au désastre. Les autres, les irréductibles, resteront isolés et contenus et ne feront pas de grabuge dans leur pays.

Plus important, la poignée d’étrangers qui rejoignent les rangs de l’EI ne constituent qu’une minuscule fraction des musulmans du monde. Le message djihadiste fanatique ne déchaîne pas les foules au sein de cette vaste et diverse population.

Je ne suis pas naïf. Les sympathisants de l’EI mèneront sans aucun doute des actes terroristes et autres troubles dans différents lieux du monde. Mais on est loin de l’objectif affiché par l’EI de conquérir et subjuguer le monde islamique. Ce groupement a le potentiel pour semer le trouble au-delà de la portion de désert qu’il contrôle actuellement, mais il n’a pas encore montré toute sa capacité à s’agrandir au-delà des populations sunnites aliénées de l’ouest irakien et de l’est syrien.

De plus, le territoire de l’EI a peu de ressources naturelles et une faible puissance industrielle. Ses forces militaires, bien que menées adroitement, ne sont pas celles d’une grande puissance (ni même d’une puissance régionale). L’EI se voit opposer une forte résistance dès qu’il essaie de dépasser les régions sunnites (vers le Kurdistan par exemple, ou vers Bagdad dominé par les chiites). Dans ces zones-là, il ne peut plus exploiter le ressentiment contre Bagdad ou Damas.

L’EI est face à un autre obstacle de taille: il n’a plus l’avantage de la surprise. Souvenons-nous qu’il a émergé de manière inattendue du chaos irakien post-invasion américaine et de la guerre civile syrienne. Il illustrel’improbable mariage entre un courant extrémiste de l’islam et certains anciens grands officiels baassistes qui sont rodés dans la gestion d’un Etat policier. La combinaison des deux s’est révélée payante, tout comme l’armée irakienne s’est révélée (ici sans surprise) corrompue et peu fiable. Mais maintenant que le potentiel néfaste de l’EI est sorti au grand jour, les Etats arabes, du golfe Persique à l’Egypte et au-delà, feront tout pour s’assurer que le modèle de l’EI ne prendra pas racine sur leur propre sol. (La Libye est une autre affaire, après l’imprudente intervention occidentale, mais l’émergence d’un Etat islamique bis est aussi un problème susceptible d’être endigué.)

A présent, laissons courir notre imagination. Supposons que l’EI, contenu mais pas renversé, finisse par créer une forme de gouvernement durable. Comme il sied à ce groupe bâti en partie par l’ancienne cleptocratie baassiste, il est déjà en train de créer les structures administratives d’un Etat: levée d’impôts, surveillance des frontières, mise sur pied de forces armées, cooptation de groupes locaux, etc. Certains pays voisins admettent tacitement cette réalité en fermant les yeux sur la contrebandequi maintient le business de l’EI. Si cela devait continuer, combien de temps faudrait-il avant que les autres pays se mettent à reconnaître l’Etat islamique comme un gouvernement légitime?

Cela peut sembler ridicule. Mais rappelons-nous que la communauté internationale a souvent essayé d’ostraciser les mouvements révolutionnaires avant de les reconnaître en maugréant lorsque ceux-ci ont prouvé leur capacité de maintenir leur pouvoir. Les puissances occidentales ont refusé de reconnaître l’Union soviétique plusieurs années après la révolution bolchevique de 1917: les Etats-Unis ont attendu 1933. De même, les Etats-Unis n’ont pas établi de relations diplomatiques complètes avec la République populaire de Chine avant 1979, soit trente ans après le début du régime communiste. Au vu de ces précédents, peut-on être certain que l’EI ne deviendra pas un jour membre légitime de la communauté internationale, avec un siège aux Nations unies?

Vous me direz sans doute que la barbarie de l’EI – femmes réduites à l’esclavage, civils torturés, otages décapités – lui fermera à jamais les portes du club des nations civilisées. N’est-ce pas plus probable que ses chefs finissent à la barre de la Cour pénale internationale plutôt qu’à la tribune de l’Assemblée générale de l’ONU? On aimerait le croire, mais l’histoire suggère une leçon plus cynique.

Les si raffinés Britanniques qu’on aime voir dans la série Downton Abbey? Leurs ancêtres ont fondé le Royaume-Uni par la conquête et la contrainte violente, comme tout Ecossais ou Gallois qui connaît son histoire vous le dira.

Les pionniers américains qui ont répandu l’«Empire de la Liberté» à travers l’Amérique du Nord? Ils ont massacré, violé, affamé les Amérindiens pour y arriver, jusqu’à collecter leurs scalps le long du chemin.

Les bolcheviques et les maoïstes qui ont fondé l’URSS et la République populaire de Chine? Ils n’ont jamais consolidé leur pouvoir par la persuasion et la douceur, pas plus que les wahhabites sous Ibn Saud ou les sionistes fondateurs d’Israël. Comme l’a écrit si clairement le sociologue américain Charles Tilly dans un ouvrage monumental,Contrainte et capital dans la formation de l’Europe (990-1990) (Aubier, 1992), la construction étatique a été une entreprise brutale pendant des siècles, et ces mouvements qui historiquement ont fondé des Etats ont commis d’innombrables actes qu’on jugerait aujour­d’hui proprement abjects. (Et ne prétendons pas qu’aujourd’hui les sociétés «avancées» sont plus distinguées ou morales. L’innocent qui explose par un tir de drone mal guidé est victime exactement au même titre qu’un autre brutalement décapité par l’EI.)

Les normes de l’acceptable ont changé du tout au tout au cours du siècle dernier, ce qui explique pourquoi nous jugeons aujour­d’hui les actes de l’EI comme particulièrement odieux. Souligner que les autres bâtisseurs d’Etats ont mal agi dans le passé n’excuse en rien ni ne justifie ce que font actuellement les djihadistes en Irak et en Syrie. Mais cette histoire longue nous fait prendre conscience que les mouvements, hier sans foi ni loi, finissent quelquefois par être acceptés et légitimés, s’ils parviennent à s’accrocher au pouvoir suffisamment longtemps.

Pour être acceptés dans la communauté des nations, toutefois, les mouvements radicaux ou révolutionnaires se retrouvent contraints d’abandonner une partie (si ce n’est toutes) leurs pratiques les plus féroces. Ainsi que Kenneth Waltz2 le soulignait il y a plus de trente ans, les Etats radicaux finissent tous par «se socialiser dans le système». Avec le temps, ils apprennent que leurs grandioses ambitions idéologiques ne vont pas se réaliser et que la fidélité intransigeante aux ambitions premières s’avère coûteuse, contre-productive, voire peut compromettre leur survie à long terme. Au sein du mouvement, des voix s’élèvent pour en appeler au compromis, du moins à une approche plus pragmatique face au monde extérieur. Au lieu d’une «révolution mondiale», il faut désormais construire «la révolution dans un seul pays». A la place de répandre la «révolution islamique», le temps est à la négociation avec les Grands et les Petits Satans3. Le nouvel Etat s’adapte graduellement aux normes et pratiques internationales en vigueur, et finalement passe de paria à partenaire, surtout quand ses intérêts se mettent à coïncider avec ceux des autres Etats. Celui-ci peut bien rester problématique dans la politique mondiale, mais il n’est plus ostracisé. Je pense que si l’Etat islamique survit et se consolide, c’est ce qui arrivera.

Mais ne nous y trompons pas. Ce processus de socialisation ne se produit pas automatiquement. Les Etats radicaux ne se rendent compte du coût de leur comportement bestial que lorsque d’autres Etats s’unissent pour imposer les pénalités nécessaires. Si l’EI arrive à se cramponner au pouvoir, consolide sa position et crée un authentique Etat de facto à cheval entre Syrie et Irak, alors d’autres pays devront travailler ensemble pour lui apprendre à vivre dans le système international. Et parce que l’EI n’est en fait pas si puissant, il ne devrait pas être extrêmement difficile de l’empêcher de s’agrandir et d’augmenter son pouvoir, et de lui imposer des sanctions pour sa barbarie.

Aussi la tâche des Etats-Unis devrait être de coordonner et soutenir une campagne internationale d’endiguement dans laquelle les acteurs locaux – Arabie saoudite, Jordanie, Turquie, Iran, c’est-à-dire ceux qui risquent le plus gros dans l’affaire – jouent le rôle principal. Cela veut aussi dire aider les autres à contrer les efforts de l’EI pour répandre son message, convaincre d’autres Etats de faire davantage pour limiter ses sources de revenus, et attendre patiemment que les propres excès de l’EI finissent par le miner de l’intérieur.
1. Barry Posen est professeur de science politique au MIT à Harvard (Etats-Unis).
2. Kenneth Waltz est l’un des fondateurs de la théorie du néoréalisme dans les relations internationales.
3. Allusion à la façon dont l’ayatollah Khomeiny qualifiait les pays européens alliés des Etats-Unis.

http://www.letemps.ch/Page/Uuid/2ffd875e-1811-11e5-96f4-d5eb39d18cde/Et_que_fait-on_si_lEtat_islamique_lemporte

L’EI frappe-t-il ses propres pièces d’or ?

 Photo des pièces de monnaie siglées « Etat islamique » postée sur Twitter par un activiste à al-Raqqa.

Dans le but de s’émanciper du système économique mondial jugé « satanique », l’organisation État islamique avait annoncé en novembre dernier son intention de frapper sa propre monnaie. Pour la première fois depuis cette annonce, des photos de ces nouvelles pièces viennent d’apparaître sur les réseaux sociaux.

L’organisation jihadiste État islamique (EI), qui ambitionne de se doter de tous les attributs d’un État souverain, avait annoncé son intention de mettre en circulation des pièces de monnaies le 13 novembre 2014. Une monnaie composée uniquement de métaux précieux, avec des pièces en or, en argent et en cuivre utilisables dans le territoire sous le contrôle de l’organisation en Syrie et en Irak.

Pour l’occasion, l’EI avait créé une page Internet en plusieurs langues où il explique que son objectif est « d’éviter les effets du système financier tyrannique et aveugle qui est imposé aux musulmans, et qui est la cause de leur enchaînement, appauvrissement et de la perte du patrimoine national, tout en enrichissant les juifs et les chrétiens ». . Le groupe jihadiste avait également publié des planches de dessin de cette monnaie, accompagnées de commentaires précisant notamment le motif, le poids et la valeur en dollars de chaque pièce.

 
 

Les images postées lundi 22 juin sur les réseaux sociaux laissent penser que ce projet se concrétise. Elles montrent une pièce de 5 dinars et une autre de 1 dinar.

Celle de 5 dinars (photo ci-dessous), en or, est censée peser 21, 25 grammes et valoir 694 dollars. Sur cette pièce est en outre gravée une carte du monde, un dessin qui traduit la volonté de l’EI d’étendre son influence sur toute la planète.

 
 

La pièce de 5 dinars, côté pile.

 
 

La pièce de 5 dinars côté face.

Quant à la pièce de 1 dinar, elle est également en or et équivaudrait à 139 dollars. Côté face, un dessin représentant sept épis symbolisant « la générosité pour la gloire d’Allah ».

 
 

Ces images ont été postées dans un premier temps sur le compte Twitter d’un combattant de l’EI. Cependant, le compte de ce jihadiste a été supprimé depuis.

Entre-temps, les images ont quand même été relayées, notamment sur le compte Twitter d’un activiste anti-EI basé à Raqqa, capitale de facto du groupe jihadiste en Syrie.

À l’annonce de la création de cette monnaie, plusieurs spécialistes avaient indiqué qu’un tel projet serait très difficile à mettre en œuvre, notamment en raison de la dépendance aux métaux précieux. « Pour fondre l’or, par exemple, l’EI devra en acheter sur le marché noir, ce qui donne aux États-Unis et à leurs alliés un nouveau moyen de traquer les membres de ce groupe. Sans compter que les prix de ces matières premières fluctuent et qu’en cas de hausse subite, la facture de l’État islamique pourrait très vite exploser », avait alors expliqué Pascal de Lima, spécialiste du système financier à France 24.« Si les photos ont été effectivement diffusées par un membre de l’organisation, rien n’indique que cette monnaie a été réellement mise en circulation. En tout cas, l’organisation n’a fait aucune communication officielle en ce sens pour le moment. Il se peut que ces pièces soient juste un prototype », indique Wassim Nasr, journaliste à France 24 spécialiste des groupes jihadistes.

http://observers.france24.com/fr/content/20150624-photos-etat-islamique-monnaie-or

4 réponses »

  1. Pour fondre l’or, l’EI devra en acheter sur le marché noir, ce qui donne aux États-Unis et à leurs alliés un moyen de traquer les membres de ce groupe .

    L’or serais donc plus difficile a acheter que des armes et des munition ?

    désolé mais ces analyses me semble pleine d’incohérence !

    • Vous oubliez un peu vite que l’on a affaire aussi à des pillards qui se servent directement chez l’habitant et qui ont pris possession aussi sur d’important stocks d’or par exemple à Mossoul…

  2. Je pense plutôt a un essai et non a une vrai monnaie, pour 2 raisons.
    1) il serait facile pour l’Occident de fabriquer des faux dinars islamique avec un plaqué si fin que la supercherie se verrait rapidement sapant la confiance dans cette « monnaie »,
    2) en revanche si cette information est largement diffusée en Occident, je saurais alors que c’est une pure propagande de l’occident en déchéance afin de bientôt interdire les métaux précieux sous pretexte que les terroristes les utilisent.
    Or les métaux précieux sont l’une des dernières portes de sorties du petit épargnant pour se préserver de la spoliation a la Chypriote qui arrive.

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