Aristote contre Platon

Crise grecque, les suites du référendum. Que peut-il se passer maintenant ?- Le Point en 17 questions/réponses

Crise grecque, les suites du référendum. Que peut-il se passer maintenant ?- Le Point en 17 questions/réponses

Par Alexis Toulet, samedi 4 juillet 2015. 

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  • 1. Pourquoi ce conflit entre Grèce et Institutions ?

Les Institutions – anciennement : « Troïka » – sont l’Union européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international, qui exercent une tutelle sur le gouvernement grec depuis 2010, laquelle tutelle fut acceptée par la Grèce en échange de la prise en charge de l’essentiel de sa dette publique par les autres Etats participant à l’euro.

A partir de 2010 et en plusieurs étapes, les Etats membres de l’eurozone ont racheté la plus grande partie de la dette publique grecque aux banques européennes qui avaient prêté à l’Etat grec, si bien que les Etats européens sont créanciers de la Grèce pour presque les trois quarts de sa dette publique, soit environ 230 milliards parmi 320. Cette opération a permis du point de vue des banques créditrices de substituer à un emprunteur défaillant – l’Etat grec – des emprunteurs solvables – les autres Etats européens, protégeant les banques du plus gros des conséquences de leurs erreurs c’est-à-dire avoir prêté de manière irresponsable de même que la Grèce s’endettait de manière irresponsable, en échange de quoi leur a été demandé seulement de renoncer à une faible partie de leur créance. C’est ainsi que les banques ont été mises à l’abri, et les contribuables européens à leur place.

En échange de la possibilité de ne pas faire faillite en 2010, la tutelle de la Troïka a imposé à la Grèce de suivre une politique économique dite « d’austérité », consistant en une combinaison de « dévaluation interne » et de privatisation généralisée.

L’idée générale d’une dévaluation interne part du constat qu’un pays en crise dévalue en général sa monnaie, ce qui lui donne un peu d’air pour reprendre pied. Cependant un pays membre d’une union monétaire, comme la Grèce, ne peut dévaluer de la sorte. Pratiquer une dévaluation interne, c’est donc baisser non pas la valeur de la monnaie comparée aux monnaies étrangères, mais les salaires pensions et dépenses dans tout le pays – ainsi la compétitivité du pays est améliorée sans que la monnaie ait été dévaluée. Du moins, c’est la théorie…

L’austérité a donc consisté pour la Grèce en une baisse drastique des salaires dans le public, des pensions, en une « flexibilisation » du marché du travail donnant les moyens aux employeurs de licencier ou de baisser les salaires beaucoup plus librement en supprimant les obstacles réglementaires ainsi que les moyens de négociation collective, une baisse des dépenses publiques notamment dans la santé, enfin en une série de privatisations dans l’urgence. La Troïka prévoyait que cette politique créerait certes des difficultés à court terme, mais permettrait après deux ou trois ans à l’économie grecque de rebondir fortement, sortant le pays du marasme et lui permettant au final de rembourser ses créanciers. Du moins, c’est ce qui était prévu…

Les résultats ont été très différents des prévisions. En cinq ans, l’économie grecque a baissé d’un quart égalant le pire de la dépression des années 1930, le chômage a dépassé les 25%, pour les jeunes il a frôlé les 60%, les jeunes Grecs ont commencé à émigrer en nombre de façon à trouver un travail, pendant que la santé s’est fortement dégradée par augmentation de la mortalité infantile et suicides de désespérés. En même temps, la dette mesurée en proportion de l’économie grecque ne diminuait pas, mais bondissait entre 2009 et 2015 de 130% jusqu’à 176% du PIB : tous les sacrifices avaient eu pour résultat d’aggraver encore le problème d’endettement !

En janvier 2015, les Grecs ont porté au pouvoir un gouvernement Syriza de gauche radicale, avec l’objectif de négocier avec les créanciers une nouvelle politique économique plutôt que la catastrophique « austérité », tout en continuant la participation du pays à l’euro auquel la majorité des Grecs est attachée.

Pendant cinq mois, nouveau gouvernement grec et Troïka – rebaptisée pour l’occasion « Institutions » – ont négocié pour trouver un accord. Le gouvernement Syriza a du constater qu’il lui était très difficile d’obtenir un changement de logique de la part des créanciers, il a progressivement mis de l’eau dans son vin, jusqu’à se rapprocher de très près de la position initiale exigée par les Institutions, pendant que l’on s’approchait de la fin juin et de la date limite pour trouver un nouvel accord tout en évitant à la Grèce de faire défaut sur l’un des paiements qu’elle devait effectuer.

Amabilité enjouée en surface

Président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker et Premier ministre grec Alexis Tsipras

Amabilité enjouée… pour qui sait obéir

  • 2. Qu’est-ce qui empêche l’accord ?

Compte tenu des résultats catastrophiques de la stratégique économique qu’elles avaient imposé à la Grèce, il aurait été possible aux Institutions d’accepter de se rendre compte de l’erreur commise, de la reconnaître et surtout de chercher à s’adapter et à faire autre chose. Cependant elles ont refusé de changer de cap un tant soit peu, même en face de l’évidence de l’échec non seulement du point de vue grec avec la catastrophe économique, mais encore du point de vue des créanciers la dette grecque étant encore plus lourde.

Il y a là un véritable entêtement idéologique, un refus d’accepter le réel. Seul celui qui n’est plus aux affaires, sans espoir réaliste d’y revenir, peut se permettre de proposer des changements de logique, l’exemple type étant Dominique Strauss-Kahn, qui n’a jamais été aussi raisonnable en paroles que depuis que sa parole ne compte plus guère.

L’erreur initiale aurait pu n’être qu’une erreur. Persévérer dans l’erreur et refuser d’évoluer contre toute évidence engage indubitablement la responsabilité des dirigeants des Institutions et, derrière eux, des pays les plus influents, l’Allemagne certes en premier lieu, mais également la France.

Il faut ici parler d’une véritable prime intellectuelle au masochisme : le remède est considéré d’autant meilleur qu’il fait plus mal. De ce point de vue, le meilleur remède serait celui qui tue le malade après d’atroces souffrances… ou la saignée, qui comme la politique « austérité » affaiblit le malade plutôt que de le guérir.

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La saignée telle qu’on la pratiquait avant la médecine moderne.

« Ça vous fera du bien… D’ailleurs, si ça ne marche pas du premier coup, on recommencera ! »

La Troïka s’était engagée fin 2012 auprès du gouvernement grec à discuter d’une restructuration et d’un allègement de la dette publique dès que le solde primaire de l’Etat grec serait repassé positif, condition qui a été réalisée en 2014. Cette restructuration était déjà pratiquement inévitable en 2010, ce qui avait été clairement dit à l’époque lors de discussions internes au Fonds Monétaire International, dont le contenu a été depuis révélé. Les participants des pays émergents notamment ont émis des critiques très sévères contre l’optimisme des prévisions des Institutions pour la future croissance grecque ainsi que contre le principe même consistant à soulager le secteur privé de créances problématiques en les mettant à charge du public. Ces critiques sont encore bien plus convaincantes maintenant que l’économie grecque a diminué d’un quart.

La dernière position de négociation du gouvernement Syriza d’Alexis Tsipras dans les derniers jours de juin 2015 était d’accepter très largement la poursuite de la stratégique économique d’austérité, en échange de la discussion effective de cette restructuration de la dette, telle qu’elle aurait du déjà avoir lieu l’année passée. Cependant, les Institutions ont opposé une fin de non-recevoir, renvoyant le sujet à une date ultérieure indéterminée.

  • 3. Alexis Tsipras a-t-il eu raison de convoquer un référendum sur les exigences des Institutions ?

Les référendums sont adaptés aux questions binaires, lorsqu’il s’agit de trancher dans un sens ou dans l’autre. Ils sont nécessaires également quand un gouvernement doit faire préciser par le peuple le mandat qu’il en a reçu. C’est précisément la situation dans laquelle se trouve la Grèce aujourd’hui.

Revenir au peuple, que ce soit par référendum ou par élections anticipées, est la seule option honnête pour un gouvernement qui se trouve devant l’impossibilité de remplir entièrement le mandat que le peuple lui a confié. En l’occurrence, Syriza a été élu avec l’objectif de négocier avec les Institutions un changement de logique dans la politique économique imposée à la Grèce, tout en préservant l’appartenance du pays à l’euro.

L’aboutissement de la négociation à la fin juin, c’est-à-dire les Institutions qui refusent tout changement substantiel en même temps qu’elles utilisent les leviers à leur disposition pour menacer la Grèce d’une expulsion de la zone euro, rend impossible à Syriza de remplir son mandat. Les seules options sont la trahison du mandat confié – ce qui certes s’est pratiqué plus d’une fois, y compris en France – ou le retour au peuple.

Les Grecs ont ce dimanche deux options :

– « Oui », et leur appartenance à la zone euro est assurée. Mais le risque est grand que la catastrophe économique grecque continue, la logique économique désastreuse des cinq dernières années étant maintenue en l’état

– « Non », et le programme d’austérité ne sera pas appliqué. Mais le risque est grand que le pays soit expulsé de la zone euro

De fait, un choix binaire. Et un choix que le gouvernement ne pouvait pas décemment faire tout seul.

  • 4. Que révèle la réaction des Institutions notamment l’Union européenne à la décision de convoquer un référendum ?

Les référendums évoquent traditionnellement des réactions de crainte ou de fureur dans les Institutions européennes, aucun effort n’étant ménagé pour éviter la consultation, faire pression sur les électeurs ou annuler le résultat.

Cela s’est vérifié en 2005, les résultats des référendums négatifs en France et aux Pays-Bas sur la constitution européenne étant annulés dès 2008 par adoption au parlement seulement d’un traité reprenant l’essentiel de la constitution refusée, ou encore par l’annulation du référendum prévu en Grèce en 2011, le premier ministre grec de l’époque étant déposé par certains des parlementaires de son parti sur injonction des Institutions.

Tout espoir de forcer comme en 2011 l’annulation du référendum leur ayant été barré – les députés grecs ont accepté de l’organiser, la commission de constitutionnalité a confirmé son autorisation, la majorité au Parlement grec de Syriza et de son allié Anel est suffisamment confortable – les Institutions se sont rabattues sur une stratégie de pressions sur le peuple grec, menace d’expulsion de l’euro et messages catastrophistes déclenchant un début de panique bancaire qui a forcé le gouvernement Tsipras à fermer les banques dès lundi 30 juin et à instituer un contrôle des capitaux.

Avec un nouveau refus panique d’un référendum dans un pays membre, l’Union européenne ne fait en réalité que montrer une nouvelle fois le respect qu’elle porte à la démocratie et au droit. Pour les opposants à l’UE, le spectacle est sans doute attristant, voire révoltant, il n’est pas surprenant.

Certains de ses partisans seront peut-être surpris, toutefois.

  • 5. La Grèce sortira-t-elle de l’eurozone si les Grecs répondent Non ?

Aucune procédure ne permet d’expulser un Etat participant à l’euro, et le gouvernement grec a clairement indiqué qu’il veut maintenir la Grèce dans la monnaie unique, ce que souhaite la majorité de la population. En théorie, il ne devrait donc pas y avoir de moyen pour les Institutions, ni pour qui que ce soit d’autre, de les y forcer.

En pratique, la BCE a un rôle de financement des banques grecques, de même que pour les banques de tous les autres pays de l’eurozone. Elle a donc la possibilité de cesser de les financer au moment même où elles font face à une vague de demandes de retraits de déposants inquiets, ce qui les empêcherait d’y répondre. Ces demandes se multiplieraient alors dans une course de tous contre tous pour récupérer son argent avant que les coffres ne soient vides et que l’argent ne soit définitivement perdu. Rappelons que les banques ne possèdent pas l’argent qui se trouve sur les comptes de M. et Mme Tout-le-monde, car elles l’ont prêté – ce qui est leur métier même – et elles dépendent donc de leur banque centrale pour les financer afin qu’elles puissent répondre à une vague de retraits simultanés.

A supprimer le financement des banques grecques, la BCE peut forcer l’effondrement de tout le système bancaire de ce pays – comme soit dit en passant elle peut le faire à n’importe quel autre pays de l’eurozone – ce qui ne laisserait d’autre choix au gouvernement grec que d’assister à l’effondrement de toute l’économie de son pays ou bien de sortir en catastrophe de l’eurozone pour créer une nouvelle monnaie avec laquelle financer ses banques en détresse.

En menaçant de le faire si les Grecs répondent Non, la BCE menace ni plus ni moins que d’expulser Athènes de l’eurozone par la force, sans aucune procédure légale ni aucun mandat pour le faire.

  • 6. Beaucoup accusent le gouvernement grec d’irresponsabilité et d’être à l’origine de la panique bancaire en Grèce. Qui est irresponsable dans cette affaire ?

Le premier ministre grec Alexis Tsipras a été accusé d’ « irresponsabilité » pour avoir appelé un référendum, ou du moins pour appeler à voter Non à la proposition des Institutions de continuer la politique économique des dernières années sans changement.

En réalité, ce qui est irresponsable c’est pour les Institutions de ne pas s’être simplement mis en position d’attendre sereinement le résultat du vote pour ensuite continuer les négociations à partir du 6 juillet, avec une position soit un peu plus soit un peu moins favorable à leurs thèses, en fonction précisément du résultat du référendum.

La Grèce devait effectuer un paiement de 1,6 milliard d’euros au FMI le 30 juin, qu’elle n’était pas en mesure d’assurer. Christine Lagarde la directrice du FMI avait déclaré quelques jours avant supprimer le délai traditionnel de grâce de trente jours supplémentaires avant de déclarer le défaut de paiement, par décision discrétionnaire et alors que rien ne l’y obligeait, ceci afin de faire pression sur les négociations alors en cours. Rien ne l’empêchait cependant de corriger ses déclarations et de maintenir le délai de grâce traditionnel avant que le FMI ne réunisse son conseil pour officialiser le défaut de paiement. Il ne se serait pas agi d’accorder quoique ce soit d’inhabituel, seulement de ne pas supprimer une facilité classique. Madame Lagarde a cependant choisi de précipiter exprès le défaut, évidemment de façon à faire pression sur la population grecque en vue du référendum.

Si utiliser une tactique de pression dans le cadre d’une négociation n’a en soi rien d’inhabituel, ce qui est surprenant est de maintenir cette tactique lorsqu’elle n’a plus aucune utilité, sinon de forcer à constater un défaut là où rien n’obligeait à précipiter les choses – et avec la population grecque en ligne de mire.

Rien n’obligeait non plus et encore moins la BCE, par l’intermédiaire de la Banque de Grèce, à annoncer la fin du monde en cas de non acceptation de la position de l’Eurogroupe, c’est-à-dire à organiser elle-même un début de panique bancaire dans un pays qui pourtant fait partie de la zone dont son mandat la charge d’assurer la stabilité, puis à plafonner les liquidités à la disposition du système bancaire grec – par le mécanisme E.L.A. – afin de forcer le gouvernement grec à fermer les banques pour éviter que le début de panique créé par la BCE elle-même ne débouche sur l’effondrement pur et simple de l’ensemble du système bancaire.

Le montant des E.L.A. avait été relevé plusieurs fois par la BCE depuis janvier, alors que les négociations Eurogroupe – Grèce continuaient. Ne plus le relever les quelques jours nécessaires jusqu’au référendum était une décision politique, surtout après avoir suscité les conditions de panique dans lesquelles le recours aux E.L.A. est nécessaire.

L’ensemble de ces décisions a pour objectif évident d’exercer une pression très concrète sur la population grecque et de la gouverner par la peur afin de l’inciter à voter au référendum dans le sens désiré par les Institutions, ainsi que de tenter de la retourner contre son gouvernement accusé d’être à l’origine de la fermeture des banques, quand c’est au contraire la panique organisée par la BCE qui l’y a forcé. Mensonges et manigances à visée politique, alors que la BCE non seulement n’a aucun mandat politique mais encore a bien une mission d’assurer la stabilité du système, non de la torpiller exprès.

Cette politique est non seulement complètement en dehors du mandat et du fonctionnement normal des Institutions notamment la BCE, mais encore c’est un jeu très dangereux en soi. Dangereux certes pour la cause du Oui comme pour la réputation de l’Union européenne.

Mais encore et bien avant cela… dangereux pour la stabilité économique générale. Les risques de « contagion » et de déclenchement d’une crise financière à partir de la situation grecque ne doivent pas être surestimés, mais qu’ils soient faibles n’implique pas qu’ils soient inexistants. Que des institutions comme le FMI et la BCE prennent un risque de déstabilisation à grande échelle, même un risque relativement faible, rien que pour empêcher le déplacement limité d’un certain équilibre dans la négociation avec un petit pays débiteur dont la dette est quoi qu’il en soit impossible à rembourser en totalité… est un spectacle stupéfiant pour ne pas dire atterrant.

Les Romains demandaient Quis custodiet ipsos custodes? C’est-à-dire : qui gardera (contre) ceux qui sont supposés être les gardiens ?

De fait, ni la Grèce, ni aucun autre pays européen n’est gardé ni protégé contre les errements et les folies de ceux qui sont supposés garder et protéger leur système financier, de la Banque Centrale Européenne au Fonds Monétaire International.

propagande euro-imperialiste en faveur du oui

  • 7. Faut-il s’attendre à ce que les Grecs répondent Oui ou Non ?

Les sondages réalisés depuis l’annonce du référendum donnent des résultats divergents, et globalement proches de l’équilibre.

Quand bien même tout ce qui compte en Europe leur a annoncé sortie de l’euro et catastrophe pour le cas où ils voteraient Non, ils ne se prononceront pas sur une proposition de leur gouvernement de sortir de l’euro, mais sur l’acceptation ou le refus d’un certain accord avec les créanciers (« memorandum » étant le terme consacré). Bref, non pas sur une décision de sortie volontaire de l’euro, mais sur une exigence d’avoir à accepter un certain accord, sous la menace d’être sortis de l’euro de force – ce qui n’est pas la même chose.

D’une manière générale, le vote Non était en tête avant la fermeture forcée des banques, et a beaucoup diminué ensuite, un sondage donnant par exemple 57 contre 30 pour le Non avant la fermeture des banques, 46 contre 37 après. C’est l’effet de la pression et de la menace exercée par les Institutions sur la population grecque.

Une tendance demeure en faveur du Non, mais elle est loin d’être suffisamment claire pour paraître inébranlable. L’incertitude demeure.

Une résonance historique pourrait s’avérer importante – il faut se souvenir que les Grecs fêtent chaque année le Jour du Non, qui commémore le refus par la Grèce le 28 octobre 1940 de l’ultimatum du dictateur italien Mussolini, refus de se soumettre à l’Axe qui a été suivi d’une invasion italo-allemande et d’une occupation très dure tuant environ 8% de la population du pays. C’est un fait que l’une des principales gloires de l’histoire grecque moderne est d’avoir su dire Non à un ultimatum. La décision des Institutions de donner à leur position la forme d’un ultimatum en apparaît d’autant plus malavisée. Le gouvernement Tsipras ne fait pas explicitement le rapport, mais il ne se prive pas d’appeler ultimatum le comportement des Institutions et de presser les Grecs de ne pas céder à la peur.

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Comme Léonidas aux Thermopyles, Alexis Tsipras attend de pied ferme les Austéritaires

La Grèce repoussera-t-elle leurs assauts, pour l’Europe sociale ?

  • 8. Si c’est Oui, que se passera-t-il ?

En cas de Oui, le gouvernement grec déjà soumis à pression maximale de la part des Institutions n’aurait évidemment pas d’autre choix que d’appliquer l’accord tel que proposé par l’Eurogroupe jeudi 25 juin, le peuple grec lui ayant alors donné instruction explicite de le faire. Sans doute des questions de procédure se posent, le mécanisme de négociation devant changer, mais si c’est pour constater leur victoire les Institutions sauront trouver une solution.

La question serait l’avenir de ce gouvernement, entre simple remaniement ministériel pour laisser passer l’orage et en ayant pris date pour le moment où les effets récessifs de l’accord auront eu le temps d’encore empirer la situation économique du pays, et démission du premier ministre Alexis Tsipras avec nouvelles élections… mais qui pourraient bien déboucher sur une nouvelle victoire de Syriza dont la popularité atteignait 60% avant la fermeture des banques, peut-être même avec une majorité à lui seul cette fois-ci plutôt que de dépendre d’une coalition avec le parti de droite souverainiste Anel.

Quand bien même le Oui l’emporterait, Tsipras démissionnerait et serait remplacé par un premier ministre acquis aux Institutions… la dette n’en deviendrait pas plus soutenable pour autant. Le seul changement est qu’il serait possible de faire semblant de ne pas le remarquer un peu plus longtemps, tout en continuant la politique économique qui a si bien réussi à la Grèce ces cinq dernières années, d’où probable continuation de la récession et dette encore plus insoutenable au final.

Pour le président du Parlement européen Martin Schulz, en cas de victoire du Oui, le gouvernement Tsipras devrait démissionner, suite à quoi un « gouvernement de technocrates » devrait être désigné, « pour que nous puissions continuer à négocier« . Ce serait ainsi « la fin de l’ère Syriza » Il s’agit bien du scénario le plus probable. De fait, après un vote Oui, le gouvernement Tsipras serait fort affaibli. Le soutien populaire lui ayant été refusé, il n’aurait rien à opposer à un ultimatum franc (bien sûr non public) d’avoir à démissionner sous peine que la Grèce soit quand même expulsée de l’euro – en pratique, que les banques ne puissent rouvrir, entraînant la poursuite de l’effondrement économique. Il paraît difficile qu’il puisse résister à une telle injonction des Institutions.

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Pour le président du Parlement européen, la priorité est de renverser le gouvernement grec

Il faut craindre que l’avertissement de feu Philippe Séguin dans un discours à l’Assemblée Nationale le 5 mai 1992 lors de la campagne pour le référendum sur le traité de Maastricht ne s’avère prémonitoire :

«L’Europe qu’on nous propose (…) enterre la conception de la souveraineté nationale et les grands principes issus de la Révolution : 1992 est littéralement l’anti-1789. (…) Craignons alors que, pour finir, les sentiments nationaux, à force d’être étouffés, ne s’exacerbent jusqu’à se muer en nationalismes et ne conduisent l’Europe, une fois encore, au bord de graves difficultés, car rien n’est plus dangereux qu’une nation trop longtemps frustrée de la souveraineté par laquelle s’exprime sa liberté, c’est-à-dire son droit imprescriptible à choisir son destin.»

  • 9. Si c’est Non, que se passera-t-il ?

La suite d’un vote Non dépendrait essentiellement de la décision toute politique des chefs d’Etat de l’eurozone, avec deux options principales :

  1. Soit tenir compte du refus du peuple grec et négocier un accord moins déséquilibré avec le gouvernement Tsipras, par exemple approuver en l’état la dernière proposition d’accord de ce gouvernement du 22 juin 2015, qui déjà représentait une large victoire de la logique des institutions comme elle prévoyait essentiellement une poursuite de l’austérité en version seulement adoucie, en même temps qu’ouvrir la négociation sur la restructuration de la dette grecque que le bon sens exige depuis cinq ans déjà
  2. Soit prendre prétexte du refus de leur proposition pour expulser la Grèce de l’eurozone, en expliquant à la cantonnade que tel est le véritable sens du vote grec et que telle était la question posée, alors que c’est à l’évidence faux. Qu’il n’existe aucune procédure pour expulser un Etat de l’eurozone n’empêche pas qu’il suffirait à la BCE de maintenir son absence actuelle de soutien aux banques grecques pour forcer la sortie même à un gouvernement et une population grecs qui ne le voudraient pas

Si on se fie à la communication des Institutions et des principaux chefs d’Etat de l’eurozone depuis l’annonce du référendum, voter Non c’est refuser l’euro, mais ce discours est à l’évidence pression sur la population grecque pour qu’elle vote Oui, il ne préjuge pas nécessairement de leur décision finale.

Si les chefs d’Etat choisissent l’option 1, c’est une austérité moindre pour les Grecs et au moins l’ouverture du processus de résolution de la crise – qui passe aussi douloureux que cela soit par une réduction de leur dette.

S’ils choisissent l’option 2, alors la Grèce fera défaut sur la partie de sa dette due aux Institutions européennes, arguant de l’injustice qui lui est faite au mépris des règles de l’UE. Elle deviendra un Etat relativement peu endetté et doté d’une nouvelle monnaie compétitive. Cependant, la période de transition risque d’être véritablement chaotique.

  • 10. Un effondrement économique de la Grèce est-il possible ?

Non seulement il est possible, mais il a commencé, conséquence de la fermeture des banques et du contrôle des capitaux imposé par les Institutions au gouvernement grec.

La description de quelques-uns des problèmes critiques que cette situation commence à poser a de quoi effarer. Voici la traduction de quelques extraits significatifs :

Les dernières réserves du système bancaire s’évaporent d’heure en heure et (des) pans de l’industrie commencent à s’arrêter (…)

Constantine Michalos, chef de la Chambre de Commerce Hellène, dit que les prêteurs arrivent à court d’argent « Nous avons des informations fiables comme quoi les réserves de liquide des banques sont descendues à 500 millions. Celui qui imagine qu’elles rouvriront mardi, il rêve. Le liquide durerait tout juste une heure (…) La communauté des affaires grecque toute entière est dans l’incapacité d’importer quoi que ce soit, et sans matières premières ils ne peuvent rien produire »

(…) « Je ne peux rien importer. Les restaurants commencent à fermer parce qu’ils ne peuvent obtenir de nourriture et nous arrivons au pic de la saison touristique. Si ça continue, ce sera tout simplement horrible »

Pendant ce temps, le gouvernement prépare des mesures d’urgence pour le cas où la pression européenne continuerait au-delà du référendum

« Heureusement nous avons des réserves de pétrole pour six mois et quatre mois pour les médicaments »

(Le ministre des finances grec) Varoufakis dit qu’un comité spécial de cinq personnes du Trésor, de la Banque de Grèce, des syndicats et des banques privées travaille dans une « salle de crise » (pour) allouer les précieuses réserves aux importations prioritaires.

Une chose semble certaine. Si la BCE ne restaure pas le financement des banques grecques de façon à leur permettre d’ouvrir mardi prochain, remplissant ainsi son mandat d’assurer la stabilité économique des pays membres de l’euro, l’effondrement au moins temporaire de l’économie grecque déjà bien mal en point après cinq années de tutelle de la Troïka suscitera une recherche furieuse de responsables et de coupables. Les uns accuseront le gouvernement Tsipras, les autres la BCE, d’autres encore l’Allemagne, mais de toute façon le ressentiment sera grand.

  • 11. Les créanciers sont-ils tous alignés sans divergence ?

Des tiraillements assez vifs apparaissent parmi les chefs d’Etat et responsables des Institutions. On peut lister :

– Les différences de positionnement entre la chancelière allemande Angela Merkel et son ministre des finances Wolfgang Schaüble quant à la désirabilité de la sortie de l’euro de la Grèce étaient déjà dans la presse d’outre-Rhin avant le passage à cette phase plus aiguë de la crise. Il semble que la chancelière se soit ralliée à la position pro-expulsion de son ministre, après avoir pourtant déclaré quelques jours plus tôt « Si l’euro échoue, l’Europe échoue » et appelé au compromis

– Le gouvernement français craint le risque politique lié à l’expulsion de la Grèce et aurait voulu davantage de souplesse dans la négociation, le président François Hollande allant jusqu’à exprimer en public ses divergences « Pour la Grèce, pour la zone euro, il faut savoir terminer une négociation », avant de se raviser peu après suite à un entretien avec la chancelière

– Le FMI fait pression sur l’Union européenne pour une restructuration de la dette grecque, dont le gouvernement allemand ne veut pas entendre parler, quoique la France par son ministre des finances Michel Sapin se soit montrée disposée à l’envisager. Selon une étude du FMI parue de manière fort opportune pendant la campagne référendaire, une restructuration de la dette grecque incluant une forte décote est nécessaire pour que le pays ne reste pas bloqué indéfiniment, dans l’incapacité de se développer, tout comme de rembourser une partie un tant soit peu significative de sa dette

Ces tensions sont probablement promises à s’intensifier, encore davantage si le Non l’emporte. C’est qu’avec le défaut de la Grèce au FMI on commence à couper dans le vif. Si tout cela se termine mal, chacun veut pouvoir expliquer que c’est de la faute des autres… ce qui est vrai aussi entre créanciers.

On ne peut éviter de noter que la position maximaliste du gouvernement allemand de refuser toute restructuration ou décote de la dette grecque pourtant impossible à rembourser est surprenante au regard de l’histoire de l’Allemagne. Au XXème siècle, Berlin a soit fait défaut sur sa dette, soit bénéficié d’une annulation ou d’une large restructuration pas moins de quatre fois, en 1923, 1930, 1953 et 1990, cette dernière date correspondant à l’abandon de réparations dues suite à la seconde guerre mondiale qui étaient retardées jusqu’au moment de la réunification. Les Grecs ont clairement fait des erreurs dans la période exubérante de 2000 à 2009, mais du moins il ne s’agissait que de folies financières, pas d’agressions généralisées sur tout le continent européen.

Par comparaison, la France n’a plus fait défaut sur sa dette depuis 1812 – suite à la campagne russe de Napoléon – et le gouvernement français n’en avait pas moins une position plus réaliste sur la dette grecque. Position malheureusement abandonnée sous influence directrice de Berlin.

  • 12. Comment les pays hors de l’Union européenne tentent-ils de peser sur la crise ?

Deux pays sont fortement intéressés à la crise, Russie et Etats-Unis.

La réaction de Moscou à l’annonce du référendum grec est notable. Le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov « comprend bien » la politique d’Alexis Tsipras et rejette sur Bruxelles la responsabilité d’éventuelles « conséquences néfastes » pour la Grèce. Faisant suite aux rencontres entre Poutine et Tsipras au mois de juin, cette compréhension est bien évidemment tout sauf désintéressée.

La Russie pourrait en effet trouver des moyens de soutenir la Grèce sans dépenser trop. A ce jour, avant même que la Grèce n’ait mis en jeu la possibilité dont elle dispose en tant que membre de l’Union européenne de bloquer le renouvellement des sanctions européennes antirusses en 2016, elle a reçu une exemption de l’embargo de Moscou contre les produits agroalimentaires européens ainsi qu’un plan pour 2 milliards d’investissement dans la prolongation du pipeline Turkish Stream.

Il ne s’agit là que de la mise en bouche. Pour la Russie, l’enjeu de mettre fin aux sanctions européennes dès 2016 et sans bouger d’un pouce sur le dossier ukrainien semble suffisamment important pour qu’elle y consacre quelques efforts. Moscou est certes plus pauvre aujourd’hui qu’il y a un an, suite à la baisse du prix du pétrole, mais ses réserves se montent toujours à plusieurs centaines de milliards de dollars, et en consacrer quelques-uns à se mettre la Grèce dans la poche politiquement parlant vaudrait largement le coup si c’est en échange de la fin des sanctions européennes. Pour la Grèce privée d’investisseurs internationaux après le défaut et l’expulsion de l’euro, quelques milliards d’investissements privés dans son économie seraient un enjeu notable, une aide appréciable pour traverser la période initiale difficile.

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« Amateurs ! Ils nous ont mis sous sanctions en même temps qu’ils ont poussé les Grecs dans leurs derniers retranchements… et ils n’ont pas imaginé que je pourrais m’entendre avec Tsipras ! »

Les Etats-Unis quant à eux voient le risque de rapprochement de la Grèce avec la Russie la faisant sortir de la sphère d’influence américaine, au point de risquer de faire supprimer les sanctions européennes contre la Russie qui ne pourront être renouvelées en 2016 si Athènes le refuse, donc de faire s’écrouler l’essentiel de la stratégie américaine contre Moscou étant donné que la Russie est liée économiquement principalement à l’Europe pour plus de la moitié de son commerce extérieur, seulement pour 5% avec les Etats-Unis. Ceci sans compter naturellement le risque de perturbations sur l’économie mondiale, donc américaine, qui ne se porte pas si bien et n’a aucun besoin de choc de quelque nature que ce soit.

Les Etats-Unis sont le pays le plus influent au FMI, et il n’est pas impossible que l’activisme récent du Fonds en faveur d’une restructuration de la dette grecque doive à leur influence.

Il y a fort à parier que Washington exerce toute sa pression pour que l’Union européenne n’expulse pas la Grèce de l’euro, même en cas de vote Non. Reste à savoir si cette pression serait suffisante, sachant que, Paris étant en position passive, c’est avant tout à Berlin que la décision serait prise.

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« Incompétents ! Eurogroupe et Grèce, pas un pour rattraper l’autre ! »

  • 13. Si la Grèce fait défaut sur tout ou partie de sa dette publique, qui paiera et combien ?

Nul ne peut répondre précisément à cette question, car tout dépend des détails précis du défaut : sur quelle partie de la dette grecque il porterait, serait-il total ou partiel… Ce que l’on peut préciser, c’est la valeur maximale à risque, sachant qu’un défaut sur la totalité de ce montant est improbable.

La dette publique grecque s’élève à 320 milliards d’euros, dont 230 milliards environ sont dus aux autres Etats de l’eurozone, soit par l’intermédiaire du Mécanisme Européen de Stabilité, soit par l’intermédiaire de la BCE. Cette dette aux autres Etats est le résultat de la décision des dirigeants européens en 2010 de prendre en charge la dette grecque aux banques internationales, qu’Athènes aurait sinon été dans l’incapacité de payer – le défaut total ou partiel aurait eu lieu alors, et ce sont des acteurs privés qui en auraient pâti. La Grèce a fait alors défaut sur une partie minoritaire de sa dette, ce qui a été accepté par les banques concernées en échange de la garantie des contribuables européens solvables sur la majorité du reste.

De plus, les banques grecques ont reçu un financement de la BCE à hauteur de 89 milliards d’euros (dispositif de fonds d’urgence ELA).

Enfin, la balance de la Grèce dans le système de compensation européen Target2 est fortement négative – beaucoup moins cependant que celles de l’Espagne ou de l’Italie – à hauteur de 100 milliards d’euros.

Le total de la valeur à risque pour les autres pays de l’eurozone est donc à hauteur de 420 milliards d’euros environ, ce qui correspond à un maximum théorique, au « pire du pire » des défauts grecs envisageables. La part de la France sur ce total correspond à sa part dans le système économique de l’eurozone, soit légèrement plus de 20%. Le maximum théorique des pertes que risque la France est donc d’environ 85 milliards d’euros.

Le plus probable cependant est qu’un défaut grec serait partiel, pour fixer les idées de l’ordre de la moitié du total. On peut donc grossièrement estimer des pertes pour la France dans ce cas à hauteur de 40 à 50 milliards d’euros. En pratique, ces pertes s’ajouteraient à la dette publique de la France, l’augmentant d’un coup d’au moins 2% du PIB français – elle est actuellement estimée à 97,5% du PIB.

14. Si la Grèce est forcée à sortir de l’euro, aura-t-elle les moyens de se relever ?

Une Grèce sortie de l’euro de force connaîtra des difficultés ponctuelles graves, voire catastrophiques. Une monnaie nationale dévaluée par rapport à l’ancien euro augmentera la compétitivité de ses exportations – notamment le tourisme – mais renchérira aussi le prix des produits importés. Le pays aura d’autre part besoin d’investissements pour son développement.

Il faut noter deux faits importants :

– La balance commerciale de la Grèce a évolué d’un déficit de 14% du PIB en 2009 jusqu’à un déficit de 2,6% en 2013. La Grèce reste donc en déficit commercial, mais il s’est très fortement réduit ces dernières années. Il est par exemple nettement plus faible que celui de la France.

– La balance Target2 de la banque de Grèce dans l’eurosystème était de l’ordre de 100,3 milliards d’euros en mai 2015. Ce qui signifie que les entreprises et citoyens grecs avaient placé cette même somme dans des banques du reste de la zone euro. La fuite des capitaux depuis, à raison de plusieurs milliards par semaine, a encore augmenté ce montant.

Les entreprises et personnes privées grecques qui ont mis ces fonds ailleurs dans l’eurozone sont intéressés à continuer leur activité – pour les entreprises – et assurer leurs besoins en cas de coup dur – pour les personnes privées. C’est précisément dans ce but qu’ils ont placé des fonds hors d’atteinte d’une possible dévaluation. En cas de sortie de la Grèce de l’euro, ces sommes resteront en euro, resteront la propriété de citoyens et d’entreprises grecs. Elles permettront donc des achats à l’extérieur sans souffrir d’aucune inflation importée, c’est-à-dire du renchérissement des prix des produits importés provoqué par la baisse de la monnaie nationale.

La séparation forcée de la Grèce de la zone euro générerait des difficultés graves dans le court terme, ceci est hors de doute. Cependant, la Grèce a plus que quelques biscuits pour passer la période la plus difficile, c’est-à-dire la transition avant l’impact positif de la dévaluation sur sa compétitivité extérieure et l’effet de relance de l’économie qui en résulterait.

  • 15. Est-il possible que la Grèce soit expulsée de l’Union européenne ?

L’expulsion de la Grèce hors de l’UE est impraticable, contrairement à son expulsion de l’eurozone. En effet, non seulement aucune procédure n’existe à cet effet, mais aucun mécanisme ne peut forcer la Grèce à en prendre elle-même le chemin, comme le refus de soutien des banques grecques par la BCE permettait de forcer la sortie de l’euro.

Quant à créer une procédure ad hoc, il y faudrait à coup sûr l’unanimité des autres pays. Or, de Chypre à la Hongrie sans compter Bulgarie, et d’autres encore, plusieurs pays la refuseront certainement, que ce soit par proximité avec la Grèce, du fait de relations troublées avec Bruxelles ou plus simplement par crainte d’être un jour prochain le suivant sur la liste des exclus.

Comme le gouvernement et le peuple grec souhaitent rester dans l’UE, ils y resteront. Les expulser n’est pas possible.

  • 16. Au fait… quels sont les véritables objectifs des uns et des autres ?

L’objectif avoué des créanciers notamment de l’Allemagne et des pays alignés sur elle est d’assurer la cohérence de l’eurozone en forçant le respect des règles de la politique d’austérité qu’ils ont choisie et veulent maintenir quels que soient ses résultats jusqu’ici. Leur crainte, si une véritable négociation débouchait sur une inflexion de cette politique ou sur une réduction sérieuse de la dette dans le cas de la Grèce, est que d’autres pays qui souffrent de la politique d’austérité ne tardent pas à la remettre en cause eux aussi, par exemple l’Espagne où le mouvement Podemos, comparable au grec Syriza, est en progression nette et risquerait de parvenir au pouvoir, ou dans d’autres pays. Ils craignent la contagion de la remise en cause de la politique d’austérité, et n’en font pas mystère.

Se pourrait-il que le gouvernement grec quant à lui ait d’autres objectifs que ceux qu’il affiche ?

Alexis Tsipras s’est en effet montré capable de ruser et de dissimuler, cédant en apparence aux exigences des Institutions mercredi 1er juillet le matin, tout en maintenant la demande de renégociation de la dette, puis faisant en fin de journée un discours offensif à la nation se scandalisant de leur refus. Il a ainsi tendu un piège aux créanciers en acceptant presque tout ce qu’il refusait et pourquoi il avait appelé au référendum, prévoyant que l’Allemagne refuserait ce qui lui permettrait de pousser encore l’idée que c’est à un mur que la Grèce s’adresse, que les créanciers ne négocient pas de bonne foi, et donc de favoriser le vote Non. Angela Merkel comme Wolfgang Schaüble sont tombés à pieds joints dans le piège.

Puisqu’il est capable de dissimuler aussi bien, il est permis de se demander s’il ne dissimule pas d’autres choses encore, et quels sont ses véritables objectifs.

Et si le gouvernement grec avait conclu que faire changer de stratégie économique les créanciers était sans espoir et que la stratégie islandaise était la meilleure option pour la Grèce ? Dans ce cas, il ne saurait être question de le dire, il faudrait s’arranger pour se faire expulser de l’euro à son corps défendant, à la fois pour raison de politique interne – car la majorité des Grecs est attachée à l’euro – et afin de s’assurer que toutes les pertes liées à la sortie restent à charge de l’UE et de la BCE. L’objectif serait d’attirer les créanciers dans un piège afin qu’ils « forcent » le gouvernement grec à appliquer la stratégie islandaise de sortie de crise que précisément il voulait appliquer.

Cela reste une simple hypothèse. Mais si elle est vérifiée, alors les tactiques de Tsipras et de Varoufakis ne sont ni brouillonnes ni incompréhensibles comme les Institutions l’ont plusieurs fois suggéré. Elles sont parfaitement calculées.

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Ulysse doit sa renommée à sa mètis, c’est-à-dire sa ruse

Le cyclope est le plus fort, mais Ulysse parvient à le tromper pour s’échapper avec ses compagnons

  • 17. On parle d’un risque de « contagion ». Cette crise peut-elle déboucher sur une crise financière européenne voire mondiale ?

Le FMI entre autres a pu évoquer le risque d’un « Lehmann européen ». On se souvient que la faillite de la banque d’affaires américaine Lehmann Brothers en septembre 2008 avait débouché sur un blocage des transactions entre banques à l’échelle mondiale, chacune craignant de faire des opérations avec toute autre qui pouvait être la suivante à faire faillite, le tout résultant en une crise économique mondiale.

La complexité du système financier mondial, et les réformes seulement cosmétiques qu’il a connu depuis son « accident » de 2008, ouvrent en théorie la possibilité que des événements relativement localisés comme la faillite d’un pays ne représentant pas 0,3% de l’économie mondiale ne provoquent des remous à très grande échelle.

Paul Jorion, l’un des rares économistes qui avait vu venir la crise des subprimes de 2008, pouvait ainsi dire le 28 juin

« Nous sommes dans un système financier extrêmement fragilisé, peut-être presque dans une situation à la  » Lehman Brothers « . Personne n’avait pensé à l’époque que c’était les fonds monétaires (money market funds) qui allaient provoquer l’étincelle.

On ne peut pas colmater toutes les brèches. On ne peut pas maîtriser complètement la situation. C’est pourquoi la situation est détonante. Il y a un million de choses qui peuvent mal tourner. C’est une situation très mal maîtrisée. »

C’est évidemment poser la question du risque de contagion de la crise. Il y a certainement plusieurs voies de contagion possibles :

– par les banques grecques dont la solvabilité et la survie sont en question,

– par le FMI qui subira le premier défaut et la première perte de son histoire,

– par les taux d’intérêts sur les dettes publiques des Etats européens les plus en difficulté, qui pourraient s’emballer s’il apparaît que la Grèce pourrait faire défaut sur sa dette souveraine, les poussant eux-mêmes vers le défaut

– par le précédent potentiel d’une Grèce sortant de l’euro et la spéculation qui pourrait s’ensuivre sur l’identité du prochain

– par l’impact sur la croissance européenne de cette crise à un moment où la croissance américaine déçoit et l’impact potentiel sur les marchés action

– par les dérivés de crédit CDS (credit default swaps), des paris sur la faillite ou non de tel ou tel prêteur dont le marché est à la fois très opaque et de très grande taille

Cette liste n’est pas limitative. Et nul ne peut garantir que la crise grecque ne constituera pas un nouvel « accident ».

La raison principale pour laquelle cela reste peu probable est que les banques centrales du monde entier, y compris la BCE, se sont habituées depuis 2008 à étouffer toutes les crises et tous les risques sous des matelas d’argent fraîchement imprimés. Bien sûr, cette politique de planche à billets pour cacher et reporter tous les problèmes est dangereuse sur le fonds et à terme risque de s’avérer catastrophique, mais il est difficile d’imaginer que la crise grecque à elle seule puisse déclencher une crise inflationniste mondiale. Cette crise n’est tout simplement pas assez massive, lorsque les montants imprimés par les grandes banques centrales se comptent en centaines de milliards par an rien que pour la BCE ou rien que pour la Banque Fédérale américaine.

La planche à billets aplanira probablement les problèmes éventuels… encore pour cette fois.

Téléchargez ici la version PDF de cet essai

http://www.noeud-gordien.fr/index.php?post/2015/06/30/Crise-grecque%2C-que-peut-il-se-passer-maintenant

5 réponses »

  1. Avec des SI…

    Si l’Europe était démocratique, ce sont tous les Européens qui voteraient aujourd’hui, pas simplement les Grecques.

    Si l’Europe était un État, elle aurait une armée pour défendre ses propres valeurs.

    Si l’Europe était unie, l’économie n’en ferait qu’une, et le problème d’aujourd’hui ne se poserait même pas.

    Si l’Europe était celle des peuples, nous aurions pu nous comprendre.

    Oui, avec des Si tout était possible…

    L’Euro est mort, que reste-t-il de l’Europe ? des traités en papier qui brûleront plus vite qu’ils n’ont été écrit, aidés par une finance folle et destructrice qui précipite sa chute !

    L’Europe est condamnée, ce n’est pas une prédiction, c’est une évidence qui s’affirme jour après jour, au grand jour. À part faire durer le supplice, les jeux sont faits.

    Reculer pour mieux sauter n’a jamais était une politique. Aucune vision claire nette et précise n’apparaît, alors, que dans ce moment crucial, l’Europe s’écroule dans toute sa lourdeur, sa passivité, sa cacophonie, ses faux compromis, ses crises perpétuelles et imposées…/…, bref l’aller simple vers le néant est en marche, et cela se voit un peu beaucoup, non ?

    Voilà pourquoi nous sommes dans, l’Après…courage, fuyons, quels que soit les guerres se sont toujours les peuples qui en font les frais, d’une manière ou d’une autre.

    Avec des SI, nous sommes passés à côté…

    • Il n’aurait pas fait mieux, mais nous aurions eu un sarkocrook et je ne suis pas sur que cela eut été un bien.

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