Art de la guerre monétaire et économique

L’Edito du Jeudi 30 Juillet 2015 : Le changement de régime monétaire, ce serait un changement de Système Par Bruno Bertez

L’Edito du Jeudi 30 Juillet 2015 : Le changement de régime monétaire, ce serait un changement de Système Par Bruno Bertez

Comme vous avez pu le remarquer, nous suivons de plus près les marchés financiers . C’est un choix, une politique délibérée qui ne contredit pas la phrase de Jean Bodin que nous citons souvent : « il n’est de vérité que du tout ». Car précisément, les marchés financiers, surtout en ce moment sont un reflet du Tout.

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Notre actualité, la notre, celle que nous mettons en avant parce que nous la considérons comme déterminante, est celle des marchés financiers au sens large, changes, taux, actifs à risque.

L’actualité est une production des médias et de la classe politique. Le réel est ce qu’il est, mais il ne devient «actualité» que lorsque l’on en parle. Lorsqu’on le met à la « une » en quelque sorte. L’actualité est une hiérarchisation, une sélection qui font que l’on accorde de l’importance à certains évènements plutôt qu’à d’autres. Comme telle, l’actualité ou la production d’actualité est un attribut du Pouvoir et de ses alliés, c’est un attribut et un instrument. On tourne le regard ou on le détourne, selon les périodes, selon les objectifs poursuivis et bien sur quand même, selon la gravité des évènements. On ne fait pas totalement ce que l’on veut, car il y a des « actualités » qui s’imposent. Mais on peut dire sans trop se tromper que la transformation en « actualité », l’ « actualité-isation » fait partie de cette panoplie des illusionnistes qui nous gouvernent. Vous savez que le ressort de la pseudo magie c’est l’illusion et que l’illusion repose sur le détournement de l’attention.

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Mettre l’accent sur le suivi des marchés financiers mondiaux alors que seuls les professionnels s’en préoccupent est donc notre choix parce que nous considérons, comme le groupe de médias qui est tristement et honteusement vendu à Drahi, que « c’est là que cela se passe ». C’est là que les choses importantes se jouent.

Il va de soi que cet article est en grande partie de la prospective caricaturale. Une tendance est engagée, des annonces sont faites, un consensus s’est établi sur une prochaine hausse des taux de la Réserve Fédérale américaine. Il ne s’agit pas ici de débattre de cette première étape de normalisation, il s’agit d’en tracer, si elle se fait, les conséquences éventuelles. En particulier et pour que ce soit clair, notre pari fondamental reste que la normalisation est impossible, même si elle est pensable. Donc ici, nous la pensons.

Notre actualité à nous, c’est la dislocation de l’ordre ancien qui s’est mis en place au début des années 80, s’est renforcé tout au long des années 90 et qui s’est accéléré depuis 2009/2010.

Nous sommes à la veille, ou l’avant veille peu importe, d’un changement Copernicien. Après des années de baisse, après des années de taux zéro et des années de promesses de taux zéro, ce que l’on nous promet maintenant, c’est, car c’est une promesse difficile à tenir, ce que l’on nous promet maintenant, c’est que l’on essaiera d’inverser, de renverser : on va tenter d’envisager un début d’Exit.

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Un Exit à pas de bébé peu assurés, un Exit réversible, un Exit qui ne portera que sur les prix, pas sur la quantité de dollars disponibles. Mais un Exit complexe car perturbé par le jeu des anticipations d’une part, et par l’imbrication opaque entre le paramètre « prix » et le paramètre « quantité ». Un Exit complexe, car les préoccupations nationales des Etats-Unis sont antagoniques des objectifs géopolitiques mondiaux. La monnaie est une arme, mais elle est à double tranchant.

Dire que nous sommes à la veille ou à l’avant veille, est déjà faux car l’Exit n’est pas un évènement, mais un processus. Comme l’a encore rappelé récemment un Gouverneur, « parler de hausser les taux, c’est déjà resserrer la liquidité et réduire le liquidity glut » . Il y a longtemps que l’on en parle, on en a parlé en 2011, en Novembre 2012, puis au printemps 2013, puis en Aout 2013, puis ….mais c’était sur l’air d’une valse hésitation, car on suggérait en même temps que la musique allait encore jouer. Et les danseurs, lesquels possédaient le code des messages, ont continué à s’agiter sur la piste. Seuls les plus fragiles, les plus brinquebalants comme les Emergents ont commencé de chercher des sièges pour se poser.

Les processus économiques et financiers sont longs, ils sont plus courts pour les financiers et plus longs pour les économiques. La finance est un monde de signes, l’économie, c’est du sang, des larmes , des efforts, des investissements, du travail. A l’intérieure de la finance il y a des vitesses différenciées. Ainsi les marchés des changes et des taux sont précurseurs par rapport aux marchés d’actions. Et que nous disent les marchés des changes avec les devises des émergents à un plus bas de 15 ans ? Ils nous disent que c’est le retour du King dollar. Nous sommes dans une phase de changement de régime monétaire. Voila la seule chose qui importe et vous ne la verrez pas faire les titres des journaux.

Le changement de régime monétaire se donne à voir en Chine avec l’effondrement du marché financier qui vient d’emporter au « money heaven » près de 4 trillions, avec les sorties colossales de capitaux en Turquie, en Malaisie, en Russie, au Brésil ou il va précipiter une crise politique, en Australie en Nouvelle Zélande . etc etc. Les capitaux quittent les Périphéries. Le retour du King dollar fait chuter l’or, il pèse sur le Franc Suisse, sur le pétrole, sur les commodities etc etc.

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Le changement de régime monétaire est, pour certains pays, un tout ou rien. Pendant de nombreuses années ils ont reçu la manne et se sont développés ; malheureusement de façon déséquilibrée, et maintenant, tout s’inverse, les changes, les taux, la croissance, la politique, bientôt le social.
Alors que les USA fêtent leur Indépendance, les autres, prennent conscience de leur Dépendance. La Chine s’apprêtait à contester l’Hegemon des USA , en particulier au FMI. Et voila qu’elle se trouve paralysée dans un noeud de contradictions : pour jouer un plus grand rôle elle doit libéraliser, jouer le jeu de l’ouverture, mais l’effondrement de sa croissance, sa crise bancaire et boursière l’obligent à faire l’inverse, à s’enfoncer dans les contrôles, les manipulations et l’autoritarisme ! Elle doit choisir entre la chienlit à l’intérieur ou la montée sur la scène internationale. A-t-elle le choix ? On ne peut avoir un pied dedans le Système et un pied au dehors, la Russie en fait l’expérience. Le Brésil est une catastrophe en attente d’arriver.

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Nous verrons ce qu’il en adviendra, sous le nouveau régime monétaire, de l’Europe, de l’Union Européenne. Car là aussi c’est déterminant. L’Union a bénéficié du régime monétaire marqué par la surabondance des dollars, des liquidités et donc de l’appétit pour le risque. Normal, car une partie de l’Union est un risque, un risque masqué, couvert, mais énorme. Une partie de l’ Union est ce que l’on appelle une périphérie.

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L’Union ne tient que par le replâtrage de Draghi, lequel n’est autorisé que par le régime monétaire d’abondance , celui qui est en cours d’inversion. Pendant longtemps, on a masqué ceux qui se baignent nus.

Les USA ont le pouvoir de contester l’Hegemon allemand. La relation entre l’Allemagne et les USA est dialectique, positive et négative selon la séquence : alliance, conflit, partage. Positive car l’Allemagne est le vecteur du pouvoir US en Europe, mais négative car les deux impérialismes en réalité, historiquement, s’affrontent. Il n’y a pas de place pour deux logiques antagoniques. L’Allemagne a sa volonté de puissance comme dans les années 30 : elle n’a pas changé. Elle s’oppose à l’extension de la philosophie monétaire anglo-saxonne fondée sur la monnaie serve et l’inflationnisme, elle est l’empêcheur d’inflater en rond. Elle est pour le capitalisme Rhénan, le capitalisme de production, qui lui convient si bien et a fait en sorte qu’elle exporte 40% de son GDP. Elle refuse les délices du capitalisme d’arbitrage. De ceci témoigne les travaux récents des Conseillers Economiques Allemands. Ils disent qu’il ne faut pas défendre à tout prix l’intégrité de l’Union monétaire, qu’il faut oser envisager la fin du « extend and pretend », qu’il faut « virer » les plus faibles ou désobéissants. Pourquoi ? Parce que si on ne les vire pas, alors il faut à la fois faire l’Union fiscale et en même temps accepter l’inflationnisme. Il faut, si on soutient les plus faibles, accepter de s’affaiblir. Fini le modèle Allemand.

Il suffit que les USA aillent plus loin ou plus vite dans la normalisation monétaire pour faire craquer les marchés export de l’Allemagne, pour mettre à genoux l’Italie, le Portugal puis menacer la France ! Ce faisant, ils mettent les Allemands au pied du mur. Et le pied du mur, on le voit, on l’entend chez les faibles comme l’Italie et la France, c’est l’intégration politique « démocratique » façon Hollande , celle qui diluera l’Hegemon Allemand. Le retour du King Dollar, c’est dans un premier temps, la baisse de l’euro, son déclin comme monnaie de réserve, c’est l’inflation en Allemagne, les tensions sociales, la dislocation du consensus. Après une euphorie trompeuse, c’est la fissure des fondations.

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Rien n’est simple et rien n’est joué. Nous avons dit que les objectifs nationaux américains se heurtaient aux antagonismes globaux. Les Etats-Unis n’ont les mains libres pour changer de régime monétaire que pour autant qu’ eux, restent protégés, à l’abri. C’est toute la question du découplage. Y a-t-il vraiment une exception américaine, la question sera posée.

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Les dislocations extérieures sont contagieuses par les interconnexions économiques, financières, bancaires et boursières. La conjoncture domestique américaine rencontre le vent contraire de l’appréciation du dollar, la contraction des débouchés extérieurs, le poids des incertitudes.

Le système bancaire et financier est plus solide qu’ailleurs et il sert actuellement de refuge, donc il bénéficie dans un premier temps d’afflux de capitaux. Ceci permet de masquer les craquements du crédit, les fissures dans le Junk et le High Yield provoquées par le reflux du prix de l’énergie. Mais dans un second temps, il est vulnérable par les déficits, les dettes et leur financement. Une grosse partie est détenue par les institutions étrangères. C’est la croissance des réserves mondiales qui a permis un financement sans douleur des déficits et maintenu les taux très bas. Or ces réserves fondent comme neige au soleil. Le Système BWII qui a assuré, par le recyclage, le financement américain risque de manquer de matière à recycler. On parle, à tort ou a raison des ventes de Treasuries de certains grands pays. Un marché ordonné des Treasuries US est central dans la mis en place de la transition vers le nouveau régime.

Ce que nous voulons faire ressortir et toucher du doigt, c’est que nous avons vécu dans un certain Système, que ce Système est un tout, tout se tient par la barbichette, et lorsqu’on en touche une partie, alors c’est l’ensemble qui doit se réaménager.

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BRUNO BERTEZ Le 30/7/15

illustrations et mise en page by THE WOLF

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4 réponses »

  1. Bonjour à vous
    « Les marchés financiers ,surtout en ce moment ,sont un reflet du Tout »
    En tête de liste:Lookheed
    http://fr.sputniknews.com/economie/20150728/1017271941.html
    Les USA :50% de l’armement mondial
    Les proportions des budgets militaires des « grands pays »….1 ers budgets,dans quels pays?
    Est-ce seulement pour montrer les muscles?
    ou le prélude à une confrontation pour imposer
    un nouveau marché financier?
    Une gigantesque partie d’Echecs où nous sommes programmés pour être

    les pigeons

  2. Excellent article. Tout se tient oui. Mais je persiste à penser que la faille dans la normalisation voulue, rêvée par les maîtres ( et le battement d’aile de papillon conséquent) viendra des mécanismes de CDS qui s’activeront à la faveur d’un défaut, qui passera inaperçu au départ, même aux yeux de l’hégémon.
    Défaut provoqué par la tentative de normalisation.
    Comme avec AIG en 2008.
    Aussi je trouve que poser le problème de la Révolution copernicienne en cours en tant qu’hypothèse de travail, comme vous faites est gage de sérieux.
    Eux y croient dur comme fer, contrairement à vous. Et c’est en cela qu’ils me font l’effet d’amateurs. De dangereux amateurs mais d’amateurs quand même.

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