Art de la guerre monétaire et économique

Etats-Unis : Les causes du recul des salaires au 21ème siècle !

Les causes du recul des salaires au 21ème siècle

Charles Hugh Smith Chronique Agora 15 Septembre 2017

L’un des plus grands mystères pour les économistes conventionnels est de comprendre pourquoi les salaires n’augmentent pas pour les 95% des salaires les moins élevés — même si le chômage est faible et que les embauches restent solides. Selon la théorie économique classique, l’offre limitée de travailleurs disponibles corrélée à une forte demande de travailleurs devrait faire grimper les salaires.

Pourquoi donc les 95% des salaires les moins élevés ont-ils reculé dans une économie en croissance ?

Nous pouvons commencer notre recherche de la réponse en retournant 44 ans en arrière, au début des années 1970. On remarque alors que les 5% des salaires les plus élevés ont commencé à se démarquer dans les années 1980, au moment où la financiarisation et la mondialisation ont décollé.

Cette différence s’est creusée lors du boom technologique des années 1990 et lors de la bulle immobilière du début des années 2000. Les 95% des gens les moins bien payés ont certes profité de ces expansions, mais à un niveau moindre.

Suite l’éclatement de la bulle du crédit subprime en 2008/2009, la « reprise » a vu les salaires des 5% des gens les mieux payés augmenter fortement tandis que ceux des 95% les moins bien payés chutaient.

Ce graphique ne tient compte que de la population masculine.

Un écart entre les salaires qui ne cesse de se creuser

Voici les revenus des ménages depuis le boom d’après-guerre de la fin des années 1940 et des années 1950. Remarquez le changement au début des années 1970 et la stagnation de tous les niveaux de revenus depuis 2000.

Trajectoires de revenus divergentes

Les forces à l’oeuvre dans les années 1970, 1980 et 1990 et qui ont comprimé les salaires sont bien connues : la financiarisation, qui a bénéficié aux salaires les plus élevés aux dépens des salariés asservis par la dette, dont le fardeau est de plus en plus lourd ; la mondialisation, qui a opposé les travailleurs américains à une main-d’oeuvre mondiale en constante augmentation et composée d’employés faiblement rémunérés ; et l’automatisation/les logiciels, qui ont migré de l’usine aux secteurs des services.

Les travailleurs offrant les aptitudes requises par la financiarisation, la mondialisation et l’automatisation – les technocrates et les dirigeants — ont tiré leur épingle du jeu tandis que ceux qui ne pouvaient pas ajouter suffisamment de valeur au sommet de la chaîne ont vu leurs salaires stagner.

Mais ces forces n’expliquent pas à elles seules la stagnation des salaires des 95% au bas de l’échelle.

Trois autres forces tout aussi puissantes entrent en jeu :

1 – Les taux d’intérêt nuls et une liquidité abondante ont maintenu en vie des entreprises moribondes, ce qui a gonflé l’offre.

Dans tous les secteurs prévaut une surabondance de l’offre, de tout : trop d’espaces marchands, trop de fast-foods, etc. Des entreprises marginales ont pu continuer à fonctionner même en étant moribondes, générant juste assez de revenus pour emprunter plus d’argent et pour reporter le remboursement de leurs dettes.

Dans un environnement de taux constants, c’est-à-dire des hypothèques à 6% et des taux plus élevés pour les autres dettes, ces entreprises zombies auraient été fermées. L’offre excédentaire aurait donc diminué, ce qui aurait permis aux survivants de regagner un pouvoir sur les prix et par conséquent leur aurait donné les moyens de payer des salaires plus élevés.

2 – Des revenus ont été siphonnés par une hausse constante des charges socialesau lieu d’être donnés en salaires : cotisations d’assurance médicale, taxes plus élevées pour les indemnités d’accidents du travail, etc.

Lorsqu’un employeur doit payer plus de 500 $ par mois pour l’assurance santé d’un employé, cette somme aurait pu grossir un salaire ; à la place, elle disparaît dans les mâchoires insatiables des soins de santé américains.

3 – La plupart des employeurs ne peuvent se permettre de payer des salaires plus élevés sans tenir compte du marché du travail.

Ils doivent faire face à des coûts toujours plus élevés alors que leur pouvoir sur les prix (leur capacité à augmenter les prix) est nul du fait de l’excédent de l’offre dans quasiment tous les domaines.

Les seuls secteurs ayant la capacité d’augmenter les prix à leur gré sont les cartels qui réussissent à faire leurs profits sur le dos de la population, sous la protection de l’Etat fédéral : l’enseignement supérieur, les grandes sociétés pharmaceutiques, etc.

Confrontés à une absence totale de pouvoir vis à vis des prix et à des coûts plus élevés, les employeurs peuvent soit augmenter les heures de travail de leurs employés actuels, ou bien embaucher à temps partiel des travailleurs sans avantage contractuel. C’est la réalité pour la plupart des petites entreprises.

Le problème de la stagnation des salaires, c’est que notre système socio-économique nécessite des revenus toujours plus élevés pour fonctionner. Les salaires qui stagnent mettent à mal les programmes de financement par répartition tels que Medicare, les impôts des gouvernements locaux indexés sur le revenu, et bien entendu les secteurs de la consommation qui s’appuient sur la dépense des 95% du bas de l’échelle.

Comme je l’ai souvent fait remarquer, combler l’écart entre les salaires qui stagnent et des dépenses plus élevées par un endettement plus élevé, cela fonctionne un temps mais ce n’est pas éternel. Un jour ou l’autre, les coûts croissants de service de la dette engloutissent l’emprunteur – et lorsque ce dernier fait défaut, la créance irrécouvrable engloutit le prêteur à son tour.

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Les salaires stagnent, la croissance s’évanouit

En réalité, c’est pire : pour les 20% des salariés au bas de l’échelle, ils stagnent depuis les années 1970.

 

Des trajectoires de salaires divergentes

Le Produit intérieur brut (PIB) a certes augmenté depuis 2000, mais la part du PIB destiné aux salaires s’est effondrée. Cette tendance prolonge une tendance à la baisse qui dure depuis 47 ans.

Parts du revenu intérieur brut comprenant : rémunération des employés, appointements et compléments de salaires, décaissements

J’ai expliqué que « notre société se divise à cause des inégalités toxiques de notre économie. » Deuxième partie de l’explication : la stagnation des salaires.

Pourquoi la stagnation des bas salaires nous condamne-t-elle ? Parce que notre système nécessite une hausse constante des revenus des ménages pour fonctionner – pas seulement pour les 5% les plus riches, mais pour les 80% les plus riches.

Les programmes sociaux aux Etats-Unis – Sécurité sociale, Medicare et Medicaid – sont des programmes avec un financement par répartition : toutes les dépenses d’une année sont payées par les impôts collectés cette année. Comme je l’ai déjà expliqué, ce qu’on appelle les Trust Funds sont des fictions ; lorsque la Sécurité sociale est en déficit, la différence entre les recettes et les dépenses est comblée par l’émission de bons du Trésor sur les marchés – exactement le même mécanisme que le gouvernement utilise pour financer tout autre déficit.

Les données démographiques aux Etats-Unis ont changé au cours des deux dernières générations. La génération des baby-boomers prend sa retraite en masse, augmentant le nombre de bénéficiaires de ces programmes, tandis que le nombre de travailleurs à temps plein par rapport au nombre de retraités est en baisse : à 10-pour-1 auparavant, il n’est plus que de 2-pour-1 aujourd’hui. On compte 60 millions de bénéficiaires de la Sécurité sociale et de Medicare pour environ 120 millions de travailleurs à temps plein aux Etats-Unis.

Pendant ce temps, les dépenses médicales par personne grimpent en flèche. Des cartels de la santé plus mercantiles que jamais, des traitements nouveaux et toujours plus chers, l’augmentation des maladies chroniques liées au mode de vie – il y a beaucoup de causes à cette tendance. Rien ne permet d’étayer le fantasme que cette tendance s’inversera par magie.

Des coûts qui grimpent de 6% par an

Les coûts grimpent en flèche et le nombre de retraités augmente sans cesse mais les salaires, eux, stagnent. Voyez-vous le problème ? Tous les programmes financés par répartition sont basés sur l’hypothèse que le nombre de travailleurs et les salaires qu’ils gagnent augmenteront à un rythme supérieur au taux de l’inflation et un rythme égal au taux d’augmentation des programmes financés par répartition.

Si 95% des ménages gagnent moins d’argent après ajustement à l’inflation, et que leur richesse a également diminué ou stagné, alors comment peut-on payer pour des programmes qui augmentent de 6% ou plus chaque année ?

En fait, on ne peut pas.

Le budget au niveau des Etats et des collectivités augmente également chaque année à mesure que les citoyens exigent plus de services, que les infrastructures nécessitent une maintenance et des améliorations coûteuses et que les coûts globaux pour fournir des services publics augmentent (la hausse des dépenses des gouvernements est principalement due aux remboursements de santé). Comment les ménages peuvent-ils payer des impôts fonciers et une TVA plus élevés si leurs revenus stagnent ?

Salaires stagnants = rentrées d’impôts sur le revenu stagnantes

Si les salaires stagnent, comment les ménages peuvent-ils dépenser plus ? La réponse conventionnelle est : nous créerons des bulles dans les actions, les obligations et l’immobilier afin que les ménages puissent dépenser cette nouvelle richesse.

Théorie séduisante mais seuls les ménages américains aux plus hauts revenus possèdent suffisamment de ces actifs. Jetez un oeil sur ces deux graphiques : les revenus comme l’inégalité des richesses atteignent des sommets.

Ce graphique montre que la majorité de la croissance des revenus est aujourd’hui concentrée dans le dixième des 1% les plus riches et la plus grande partie de ce qui reste va aux 5% les plus riches. Ceci est le seul résultat auquel aboutissent la financiarisation et les bulles d’actifs gonflées par les banques centrales.

Le fruit de la financiarisation : une augmentation de l'inégalité des revenus

Voici un autre graphique montrant la même dynamique mais excluant les plus-values.

Les 90% les plus pauvres ont perdu 10% lors de la décennie 2002-2012, les 5% les plus riches ont gagné 6% et, tout en haut de la pyramide des revenus, le centième des 1% les plus riches a gagné 76%.

Revenu moyen des ménages, excluant les plus-values, ajusté à l'inflation

La conclusion donne à réfléchir : les salaires ne sont plus un moyen adéquat pour distribuer le revenu ou payer le travail.

Notre système est profondément cassé – pas uniquement au niveau économique mais également au niveau social. Se cramponner à ce modèle condamnera le système.

Le système actuel ne peut perdurer. Emprunter des milliers de milliards de dollars pour couvrir cet échec ne fonctionnera plus encore très longtemps. Nous avons besoin d’un système nouveau.

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EN BANDE SON :

7 réponses »

  1. Les passagers du bateau votent pour le naufrage.
    Jeudi 21 septembre 2017, dans Les Echos, page 6, deux articles ahurissants :
    1- Dans le premier article, nous lisons que la banque centrale des Etats-Unis a injecté 4500 milliards de dollars dans l’économie depuis 2007. Elle a utilisé la planche à billets pour racheter des bons du Trésor et des titres adossés à des créances immobilières. En clair : elle a créé une bulle obligataire, et elle a créé une bulle boursière.
    2- Dans le second article, nous lisons que, depuis 2008, la croissance des salaires réels a été de … 0,2 % dans les pays riches !
    3- Conclusion : depuis 2008, aux Etats-Unis, en Europe, au Japon, les banques centrales ont injecté des milliers de milliards dans l’économie. Malheureusement, ces milliers de milliards ne sont pas descendus dans l’économie réelle. Ces milliers de milliards n’ont fait que gonfler des gigantesques bulles, qui se sont élevées dans le ciel : bulle obligataire, bulle boursière, bulle financière.
    Autrement dit : les détenteurs de capitaux, c’est-à-dire les 5 % les plus riches, ont continué à s’enrichir. Les 95 % des autres citoyens ont continué à s’appauvrir.
    Le plus triste, c’est que les électeurs ont voté pour un milliardaire lors des dernières élections aux Etats-Unis (Donald Trump) et pour un ancien banquier d’affaires de la banque Rothschild en France (Emmanuel Macron).
    Quand les électeurs votent pour les 5 % les plus riches, il ne reste plus qu’à regarder le bateau couler. Les électeurs ont ce qu’ils méritent : le naufrage.
    Lisez ces deux articles :
    La banque centrale américaine a annoncé mercredi qu’elle débuterait le mois prochain la gigantesque cure d’amaigrissement post-crise que les investisseurs attendent depuis des mois, et qu’ils voient comme le signe ultime de la confiance de l’institution dans l’économie américaine.
    Pour soutenir une économie ravagée par la crise, la Fed était en effet intervenue à trois reprises sur les marchés pour racheter des milliards de dollars de titres (des bons du Trésor et des titres adossés à des créances immobilières). Son objectif : soutenir leur valeur, faire baisser le coût du crédit, et injecter une manne considérable de liquidités dans l’économie. Entre 2007 et 2015, la taille du bilan de la Fed a donc été multipliée par cinq pour atteindre 4.500 milliards de dollars. Cet outil puissant a permis, selon les économistes de la banque centrale, de faire baisser les taux à 10 ans d’environ 1 %.
    https://www.lesechos.fr/monde/etats-unis/030592021571-etats-unis-la-fed-tourne-la-page-de-la-crise-2115844.php
    L’augmentation des salaires, décevante, ne permet pas à l’inflation de s’établir au niveau désiré par les banques centrales. En moyenne, depuis 2008, la croissance des salaires réels ne s’est élevée qu’à 0,2 % dans les pays riches. Ce sont les classes les plus défavorisées qui ont le plus souffert de cette tendance, souligne l’OCDE.
    https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/030589576880-la-croissance-mondiale-se-raffermit-2115725.php


    https://polldaddy.com/js/rating/rating.js

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