Art de la guerre monétaire et économique

Syrie – Les superpuissances face à face : La «tempête de Jazeera», cet orage qu’on vous cache !

La «tempête de Jazeera», cet orage qu’on vous cache

 par Fernand Le Pic Antipresse 1/10/2017

Alors que les ouragans ravagent les côtes de l’Amérique, une tempête — d’origine américaine elle aussi — s’emploie à dévaster ce qu’il reste de la Syrie. Le public européen n’en reçoit que des bribes d’informations qu’il est difficile de relier entre elles.

La guerre de Syrie s’est amplifiée depuis une dizaine de jours. Deux théâtres d’opérations principaux concentrent des enjeux hautement stratégiques et portant des risques très aigus d’extensions internationales: la région d’Idlib (Nord-Ouest) et celle de Deir ez-Zor (Est).

La première était encore aux mains de diverses milices islamistes aussi nombreuses qu’atomisées, dites «rebelles», armées et financées, comme on le sait, par les donateurs sunnites régionaux, ainsi que le contribuable américain, français, britannique, etc. Depuis fin août-début septembre, une campagne de fusion-absorption jihadiste a permis à al-Qaida, sous sa nouvelle enseigne «Hayat Tahrir al-Sham» (anciennement «Front al-Nosra»), de s’arroger les pleins pouvoirs sur cette province d’Idlib. Ce corps d’armée contrôle aussi bien les taxes et l’administration civile que l’électricité ou encore le passage frontalier vital de Bab el-Hawa, avec la Turquie.

Deir ez-Zor, à la croisée des convoitises

La seconde région de Deir ez-Zor est un verrou crucial encore tenu par l’État islamique (EI) jusqu’à ces dernières semaines. Cette province à cheval sur les deux rives de l’Euphrate, est riche en pétrole et en gaz, surtout dans sa partie orientale (rive gauche de l’Euphrate). C’est aussi le point de passage obligé du couloir terrestre chiite que l’Iran projette de contrôler jusqu’aux bords syriens et libanais de la Méditerranée. Un projet qu’Israël n’acceptera jamais.

L’enjeu de la reprise de Deir ez-Zor, de ses champs d’hydrocarbures et de ses voies de circulation avec l’Irak, est donc d’une importance considérable.

Vont en dépendre des recettes pétrolières et gazières indispensables à la reconstruction de la Syrie, mais également le degré d’influence de l’Iran dans toute la région. C’est donc là que les intérêts géostratégiques le plus divergents ont vocation à s’affronter. Et c’est ce qui se passe.

Avec la reprise éclair de l’aéroport de Deir ez-Zor par Damas et ses alliées, le 9 septembre 2017, alors qu’il était assiégé par l’EI depuis 3 ans, suivie de la libération de la rive droite (occidentale) de la ville, puis de quelques villages de la rive gauche (orientale) dans la foulée, les Syriens légitimistes, la Russie et l’Iran, ont pris de court le commandement américain.

Troupes au sol et tireurs de ficelles

Dès le lendemain, une partie des troupes américaines a levé le camp de Raqqa pour foncer sur Deir ez-Zor. En 2 jours, elles ont repris 250 kilomètres carrés de la rive Est de l’Euphrate à l’EI. Mais avec une telle facilité que les Russes y ont vu un sauf-conduit sans doute monnayé en dollars avec les jihadistes. Un procédé que les Américains connaissent bien et qui est lui aussi parfaitement compatible avec la shar’îa, dans la rubrique de l’amân («droit de sauvegarde»), en tout cas jusqu’à ce que les parties se retrouvent sur le front, c’est-à-dire dès les faubourgs de Deir ez-Zor Est. Mais l’amân ne protège que les déplacements parfaitement identifiés au préalable. Un oubli et c’est le combat à mort assuré.

Avant qu’elle ne devienne une course contre la montre, cette opération américaine baptisée «Tempête de Jazeera», et présentée comme émanant des forces démocratiques syriennes (FDS), sous commandement kurde de façade, avait été annoncée en grande pompe le 25 août 2017.

Elle est coordonnée par un «Conseil militaire de Deir ez-Zor», inconnu jusqu’alors. Il s’agit en réalité d’un regroupement hétéroclite de tribus arabes soudoyées par le Pentagone et autres, et dirigées par l’improbable «routier» (au sens propre de bandit de grands chemins) Ahmed abu Khawla al Diri, pour l’occasion rapatrié de Turquie par les Américains.

Tout ce petit monde demeure bien sous commandement américain. Rappelons à cet égard que toute avancée militaire en terrain hostile est nécessairement précédée par des unités de renseignement, spécialisées en particulier dans la «recherche humaine». Les Américains savaient ainsi, entre mille autres choses, que le général Valery Assapov se trouvait sur place et dirigeait notamment l’installation d’un pont de campagne de 210 mètres, non loin du village de Mazloum (ou Madhlum), tout proche de l’aéroport de Deir ez-Zor fraîchement libéré.

Encore une surprise russe

Il fallait évidemment freiner coûte que coûte cette progression russe vers la rive orientale de l’Euphrate. Les Américains commencèrent par faire ouvrir les vannes d’un barrage très en amont du fleuve, provoquant une crue qui aurait pu, à elle seule, ruiner pour assez longtemps les efforts des troupes russes du génie et faire de nombreuses victimes.

Mais les Russes traversent et commencent à réduire les poches de l’EI, notamment autour des fermes de Khusham, soit à quelques centaines de mètres, voire moins par endroits, des troupes américaines et supplétives. La situation est donc très tendue, puisque les deux grandes puissances militaires y sont clairement face à face.

C’est dans ce contexte qu’au cours de la nuit du 19 septembre, un escadron de police militaire russe d’une trentaine d’hommes (d’origine tchétchène) est attaqué par des jihadistes d’al-Qaïda, épaulés par des Ouighours du Parti Islamique du Turkestan. Ils sont en surnombre (plusieurs centaines) et très lourdement équipés (véhicules blindés, pick-up armés, vision nocturne, etc.). Les Russes n’ont aucune chance. Cela se passe à l’autre extrémité de la Syrie, juste en deçà de la limite sud-est de la province d’Idlib. Le but est d’enlever les Russes et de fabriquer de la communication extrêmement négative pour Vladimir Poutine, qui verrait défiler des images en boucle de ses hommes outrageusement maltraités. Mais contre toute attente, ils résistent. Une expédition de secours est organisée en un temps record, et elle réussit. Viennent ensuite les représailles, qui se poursuivent à ce jour: il n’y aura pas de quartier pour al-Qaida en Idlib. Plus stratégiquement, il s’agit également de réduire à néant les accords d’Astana qui avaient créé ces zones de trêve, que ces mêmes policiers militaires étaient chargés de faire respecter.

Un autre objectif de pure tactique, et très plausible, a aussi été évoqué. Celui de faire diversion pour renforcer l’opération «Tempête de Jazeera» en occupant les Russes ailleurs. Ce serait alors les Américains et leurs supplétifs (Français?), qui auraient organisé l’opération ratée. Mais ce n’est qu’une hypothèse.

En parallèle, les Américains accusaient déjà les Russes de bombarder les positions qu’ils venaient de prendre, notamment le très important champ gazier de Conoco. On sait depuis lors que les jihadistes de l’EI l’avaient pris pour cible, avec des batteries de roquettes Grad.

Un dragon tombé dans une guerre qui n’existe pas?

En toute hypothèse, il faut des renforts aux Américains sur ce front de l’Est. C’est pourquoi ils font venir d’Hassaké (province kurde de l’extrême Nord-Est syrien) plusieurs convois d’armement nocturnes, provenant de leurs bases irakiennes et composés chacun de 150 à 200 semi-remorques, pouvant donc transporter, chaque fois, des chargements de 5 à 6000 tonnes.

Mais il faut également aux Américains plus de renseignement militaire de terrain, compte tenu de l’intrication très mouvante des belligérants. On sait qu’ils donnent l’ordre à leurs supplétifs français de l’opération Chammal d’y contribuer. Une 4×4, aussi banalisée que possible, fonce alors droit vers le sud, sur l’autoroute Hassaké – Deïr ez-Zor. Elle tombe dans une embuscade presque banale d’une équipe de l’EI, armée de missiles antichars. Un seul suffira. Le véhicule n’avait sans doute pas son amân.

Un oubli? Une négligence coupable des donneurs d’ordres? Toujours est-il qu’à son bord se trouvait une équipe kurde tout juste formée par des instructeurs français, dont l’un d’eux eût le malheur de devoir les accompagner, espérant sans doute lui-même grader. C’est très vraisemblablement ainsi que périssait l’adjudant G. (nom connu de l’auteur), soldat d’élite du 13e Dragons, laissant une veuve et une orpheline, qui soufflera bientôt sa première bougie sans lui.

Le premier communiqué militaire de la «coalition» annonçant l’information (n° 20170923–02) a été émis par l’état-major américain, prenant de court les Français. Il est rédigé en des termes pour le moins laconiques:

« ASIE DU SUD-OUEST – Un militaire français au service de la Coalition a été tué lors d’un incident lié à une situation de combat, au Moyen-Orient, le 23 septembre. Le nom du militaire et les circonstances entourant son décès seront divulgués à la discrétion des autorités nationales compétentes.»

On remarquera que le mot «France» n’y apparaît même pas! Daté en premier lieu du 23 septembre, ce communiqué américain a ensuite été postdaté au lendemain 24, afin de ne pas donner l’impression que le gouvernement français se contentait de relayer les communiqués de sa hiérarchie du Pentagone.

Cela étant dit, ce soldat français n’avait aucun droit, pas plus que ses collègues américains et autres, de fouler le sol syrien, raison pour laquelle la France utilisera dans son propre communiqué officiel l’euphémisme de «Levant» pour ne pas attirer l’attention sur sa présence illicite en Syrie, le lieu de sa mort. Imaginons un instant que la famille endeuillée se décide à intenter un procès en responsabilité au gouvernement français. Compte tenu de cette infraction caractérisée au droit international mais également national, c’est Emmanuel Macron lui-même qui en porte l’entière responsabilité. Ça ferait désordre.

Deux jours plus tard, c’est au tour du général Assapov de périr dans des conditions assez similaires, à Mazloum, même si ce sont vraisemblablement des mortiers de 120 mm d’origine turque qui ont été cette fois utilisés. Pour qui aurait des doutes, la porosité du «Conseil militaire de Deir ez-Zor» et des jihadistes est totalement avérée: le propre frère du routier Ahmed abu Khawla al Diri travaillait pour le compte de l’EI encore très récemment.

Les superpuissances face à face

Compte tenu des moyens logistiques imposants que les forces américaines ont concentrés sur ce théâtre d’opérations, les jours prochains s’annoncent donc très rudes pour les hommes qui vont s’y battre. Il en sera de même dans la province d’Idlib, que la Turquie n’est pas prête à lâcher, sauf si la visite que Vladimir Poutine rendait à Recep Tayyip Erdogan le 28 septembre dernier, à Ankara, devait modifier la donne. Ce qui n’est pas impossible, notamment dans le contexte de désapprobation commune de l’indépendance du Kurdistan irakien.

En attendant, et contrairement à ses habitudes, la Russie a levé un coin du voile sur le dispositif américain très peu furtif auquel elle fait face sur l’Euphrate, en publiant les photos satellite du campement et des équipements des forces spéciales U. S. en zone contrôlée par l’EI au nord de Deir ez-Zor.

Depuis l’origine, la campagne de Syrie était destinée à la partition de ce pays, notamment en vue d’affaiblir l’influence iranienne. Un demi-million de morts plus loin, ce but n’a manifestement pas encore été atteint.

PS — Aux toutes dernières nouvelles, les Américains avancent plus vite contre l’EI, côté oriental, que les Russes, côté occidental de l’Euphrate, même si les jihadistes se battent très farouchement contre les Américains. Mais ils font de même contre les Syriens légitimistes, beaucoup moins bien équipés, ce qui oblige les Russes à descendre davantage dans l’arène et les retarde.

Par ailleurs les Kurdes expliquent qu’une grosse opération héliportée a eu lieu à quelque km au Nord de Deir ez-Zor, à al-Kibar. C’est là que se situent les restes du réacteur nucléaire nord-coréen que les Israéliens ont bombardé il y a exactement 10 ans (septembre 2007).

Les Kurdes disent que les commandos parlent arabe avec l’accent hébreu. Les Israéliens sont donc sur le terrain, au minimum pour l’inspection des travaux finis…

EN BANDE SON : 

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