Douce France

Sérotonine, de Michel Houellebecq. Le Oui et le Non à la vie !

Il m’a laissé à la fois heureux et accablé, le dernier roman d’Houellebecq. Heureux ? Non. Quel bonheur peut apporter une histoire qui, aussi réjouissants que soient ses sarcasmes à l’encontre des bobos, baigne dans une tristesse si épaisse ? Oublions le bonheur, le plus usé (et faux) des mots. Ce que cette histoire m’a apporté, c’est la plénitude déchirée – ce n’est pas pareil : c’est infiniment mieux – qu’apporte tout grand chef-d’œuvre.

Et celui-là en est un. C’est peut-être la plus grande des œuvres qu’Houellebecq nous a offertes. C’est, en tout cas, la plus déchirée et décharnée, la plus nihiliste et désespérée. Nul espoir n’y est permis. Cent ans de solitude, disait García Márquez. Pas cent ans, cent siècles, semble dire Houellebecq, en songeant surtout au nôtre : au siècle dont les hommes tombent plus seuls et plus nus que jamais dans l’abîme où halètent échec, ruine et décomposition.

Et pourtant…

Si ce n’était que cela ; si Houellebecq se bornait à cela ; si tout se réduisait à un plaidoyer sur la noirceur du monde et le non-sens de la vie, ni ce livre n’aurait rien à voir avec l’art, ni je ne m’y serais plongé à fond. C’est toujours la même chose qui m’arrive avec Houellebecq – et avec Céline aussi, cet autre génie auquel il ressemble à tant d’égards.

En un sens, je suis profondément en désaccord avec ses idées. Ma sensibilité, si différente, ne peut que se soulever face à une vision tellement désolée du monde. Comment pourrais-je y adhérer quand, tout en souffrant et tout en combattant cette désolation, je fais mien l’amor fati nietzschéen : l’acceptation – non résignée : offensive – des desseins du sort ; le grand vitalisme qui conduit Nietzsche à s’exclamer : 

« Je veux en toute circonstance être celui qui dit Oui »« le grand Oui à toutes les choses élevées, belles, téméraires, le grand, le sacré Oui à la vie ».

La proclamation de l’Amor Fati, voir dans la nécessité des choses le beau. Nietzsche, Gai Savoir, 276

Et face à cela, le grand Non à la vie que balbutient les personnages d’Houellebecq, notamment ce Florent-Claude Labrouste dont les actions… ou non-actions charpentent Sérotonine. Ce qui se passe, c’est que le Non d’Houellebecq n’est jamais univoque. Il l’exprime avec un tel humour et un tel art qu’à travers lui grouille toute la contradictoire complexité d’une vie qui, avec ses mille tendresses et mesquineries, ses mille amours et désamours, ses mille bontés et méchancetés, souffle et se débat face au grand Néant qui prétend l’engloutir.

À l’occasion – et elle est cruciale –, la vie souffle même en prenant la hauteur d’un combat politique où Houellebecq manifeste toutes ses sympathies. Elles vont à l’ancienne et aujourd’hui dépossédée aristocratie rurale, ainsi qu’aux paysans – les seuls à se sauver du grand désastre postmoderne – en butte à la spoliation entreprise par Bruxelles et par les grandes entreprises du capitalisme mondialisé.

Non, le désarroi qui anéantit les personnages d’Houellebecq n’est pas seulement un désarroi psychologique, intime, individuel. Ou, s’il est individuel, c’est dans la mesure où il est individualiste. Ce qui les accable, c’est le désarroi qui fait chavirer les hommes dépourvus d’amour érotique, et d’attaches familiales, et des liens d’un peuple, et de l’enracinement dans des traditions, et de la fermeté d’un ordre donnant un sens à la vie vouée à la mort.

S’il en est ainsi, si se déploient dans l’œuvre les deux moteurs qui, s’affrontant, poussent le monde – le Oui et le Non, la vie et la mort –, qu’importe alors que la littéralité de l’œuvre privilégie celui des deux moteurs qui ne serait peut-être celui qu’on tendrait à privilégier ?

http://www.bvoltaire.fr/serotonine-de-michel-houellebecq-le-oui-et-le-non-a-la-vie/?mc_cid=f6bd315d55&mc_eid=b338f8bb5e

EN BANDE SON : 

4 réponses »

  1. Houellebecq consensuel… ramasse… ou d’autre d’autres sont morts sur la champ de bataille …
    Aux petits hommes
    dont je fait partie.
    « De la part de la philosophies et de moralistes,c’est s’abuser que croire échapper à la décadence du seul fait que l’on prend parti contre elle « Nietzsche
    Un gramme
    de Nietzsche dans l’oeuvre de l’écrivain nihilisme
    Un gramme d’âme
    Combien pèse une âme?
    21 gramme…a quel prix?

    « On comprend a sa lecture et relecture pourquoi Nietzsche est si mal enseigné.
    Tout en lui préfigure l’abandon de toutes les croyances sur lesquelles l’université moderne se fonde. »

    Nietzsche en action:

    « Nous gravirions de hautes montagnes
    Nous danserions en ombres chinoises sur une vague de dunes arabiques
    Certains viseraient sans doute à s’élancer au delà des frontières de notre gravité.
    D ‘autres se retrouveraient quelque part a marcher lourdement le le long d’une crête isolée,avec un fusil d’assaut en bandouillére
    Certains encore, plus rare seraient devenus musiciens,ou poète, ou astrophysiciens…..
    Mais non, grâce aux habiles trucages et a la FANTASTIQUE bureaucratie de la pensée qui instituée
    aux cours du siècle…rien de tel ne s’est produit. Nietzsche est étudié comme tous les autres philosophes.
    Et les étudiants peuvent disserter des années durant sur le transmutation des valeurs ou la notion d’Eternel Retour,sans que rien ne change jamais. »
    MgDantec

    « La vérité
    est blanche
    au -dessus des collines de Los Alamos
    comme l’été
    indien des Anges
    venus des cités de Babylone
    les foules aveuglent
    marchent
    d’un bel ensemble
    vers leurs destinations. »
    Mg Dantec

    • Pendant que MG DANTEC danse d’entre les morts, Houellebecq se complet dans la merde et la laideur, avec style certes mais affection et application comme le fit Céline en son temps, et surtout parce qu’il a peur de mourir en bon desesperados soixantehuitard. Pas nihiliste le Michel juste nombriliste jusqu’au bout de sa queue !

      Nietzsche le meilleur antidote à Houellebecq car le surhomme ne saurait avoir peur, surtout de l’andropause et des problèmes de prostate, car il bande pour la beauté et son regard est dionysiaque ! Merci Anders de nous le rappeler au travers de la prose poétique de notre Monseigneur à tous : Dandy Dantec !

      • @The Wolf

        « et surtout parce qu’il a peur de mourir en bon desesperados soixantehuitard. Pas nihiliste le Michel juste nombriliste jusqu’au bout de sa queue !

        Au cœur de la cible!
        Les babyboomers commencent a comprendre qu’ils sont mortels c’était pas dans leur programme!

        « 

  2.  » Ce qui les accable, c’est le désarroi qui fait chavirer les hommes dépourvus d’amour érotique, et d’attaches familiales, et des liens d’un peuple, et de l’enracinement dans des traditions, et de la fermeté d’un ordre donnant un sens à la vie vouée à la mort »

    Primordial! !!

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