Art de la guerre monétaire et économique

Douce France : À la foire agricole de Grand Bourgtheroulde

À la foire agricole de Grand Bourgtheroulde

Ordoncques, ce serait fabuleux d’avoir un président qui, animé de quelque feu mystérieux ou d’une substance dopante quelconque (on n’en veut rien savoir), est capable de tenir le crachoir pendant mille heures devant un parterre flaubertien d’élus locaux admiratifs et tout tremblants d’émotion, triés sur le volet et d’une déférence de concubines chinoises, ceints de leurs écharpes tricolores signifiant que les transpalettes factieuses et autres fariboles contre la Maison France n’auraient pas gain de cause, foi d’animal…

Ce spectacle réellement fascinant aux allures de foire agricole avec un bateleur survolté qui nous est venu de la grand’ville comporte toutefois quelques vertus.

Il souligne tout d’abord ce que j’explique depuis quelques semaines : la droite classique se range à sa place naturelle c’est-à-dire derrière le pouvoir, parce que bon les plaisanteries libertines et libertaires ça va bien 5 minutes et on n’a plus 20 ans…

Il souligne également la très grande plasticité, volubile et réellement adaptative d’Emmanuel Macron qui n’aime rien tant que mouiller la chemise au milieu du menu fretin comme autrefois d’autres tâter le cul des vaches.

Cette plasticité de son verbe, souple, rebondissant sur tout et se saisissant de tout, avalant avec gourmandise tout argument pour l’intégrer à sa démarche me semble être le signe exact de ce qu’il est politiquement : à savoir, la disparition-même du Politique, l’abolition du Sens. Dans cette grande moulinette rhétorique, le politique n’est rien, il n’existe pas, on peut dire tout et son contraire l’essentiel étant ailleurs. Le verbe n’est que communicant et vise à occuper l’espace (et le temps) tandis que le rouleau compresseur d’une vision économique exclusivement néo-libérale continue de dérouler tranquillement et d’écrabouiller ce qui se trouve malencontreusement sur son passage. À ce titre, tout argument, même contraire, même critique, peut être pris, ingéré, adapté, on en fera son miel puisque de toute façon le Politique s’effacera in fine, après les parlottes, derrière l’économique et une économie dont on serine qu’elle ne présente de toute façon pas d’alternative (dogme europeiste).

La performance présidentielle -qui est réelle-, le déroulement du débat en lui-même viendront signifier un peu plus cette abolition du sens au profit d’un éternel verbiage divertissant et cathartique.

Anne Sophie CHAZAUD

Les Gilets Jaunes ont d’abord été méprisés, puis exécrés par les élites, car ils portent en eux une contre-culture ou une contre-éthique, celle de la spontanéité populaire, à rebours de la retenue morale et comportementale pratiquée et valorisée par les élites. Celles-ci peinent d’ailleurs à assigner à ce mouvement de contestation radicale sa véritable portée: les élites rêvent d’en faire une simple poussée de fièvre sociale, quand c’est un modèle de comportement et de culture qui est en jeu.

La crise des Gilets Jaunes, qui dure maintenant depuis plus de deux mois sans qu’on ne voit clairement quelle issue politique Emmanuel Macron lui propose, peut se résumer par une crise du contre-temps. Depuis le mois de novembre, les élites découvrent, samedi après samedi, une contestation qu’elle ne comprennent pas, qu’elle ne parviennent pas à analyser, qu’elle n’anticipent pas et dont elle ne décodent aucune expression. Ce retard dans la compréhension porte un danger majeur pour nos institutions, dans la mesure où la réponse au mouvement est toujours trop tardive, et généralement inappropriée. Se dégage peu à peu une revendication politique et institutionnelle majeure qui laisse les dirigeants, les décideurs, les intellectuels, dans un état de sidération inquiétant.

Les Gilets Jaunes ou l’émergence de la spontanéité populaire dans le débat public

Il faut avoir assisté à des débats de Gilets Jaunes pour mesurer la confrontation des cultures qui est à l’oeuvre et qui est, de notre point de vue, au coeur même à la fois des revendications du mouvement, et de son rejet par les élites. 

Nos élites sont formées au principe de rationalité. Un débat doit être organisé, structuré, conduit, piloté. Les intervenants, pour être pris au sérieux, doivent pratiquer un certain art oratoire où l’argumentation tient une place essentielle. Tout discours doit être pondéré, empreint de modération. Il doit fonctionner sur la base d’une dialectique où chaque élément « pour » ou « contre » est exposé, discuté, soupesé, jusqu’à une conclusion raisonnable, modérée, qui ne s’expose pas au reproche du « Vous exagérez! », si courant dans les bons milieux parisiens. 

En quelque sorte, le débat selon les élites est une redite de la dissertation de philosophie au baccalauréat, ou un dérivé de celle-ci. 

Chez les Gilets Jaunes, le débat se passe autrement. Il est fait de confrontations excessives, de passions, de coups de gueule. Les orateurs ne cherchent pas à y convaincre. Ils veulent simplement s’exprimer. On n’est pas ici dans le calcul cartésien qui structure nos esprits les plus dominateurs, et qui est valorisé par nos grandes écoles. Ce qui crée l’écoute dans une réunion de Gilets Jaunes n’est pas la qualité technique de l’argumentation. C’est au contraire la valorisation de l’émotion, de la sincérité, du moi romantique en quelque sorte. Au fond, la culture des Gilets Jaunes est celle de l’excès, du subjectif, de l’emportement. 

Deux France, deux mondes, deux cultures politiques, deux échelles de valeur. 

Éric Verhaeghe

http://www.lecourrierdesstrateges.fr/2019/01/13/les-gilets-jaunes-ou-le-combat-de-la-spontaneite-populaire-contre-la-retenue-elitaire/

EN BANDE SON : 

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