Delit d'Opinion

Réponse de Renaud Camus Bel Écrivain adressé à Emmanuel Carrère Écrivain Bobo

Réponse de Renaud Camus Bel Ecrivain adressé à Emmanuel Carrère Ecrivain Bobo

L’APPARTEMENT : Réponse à Emmanuel Carrère

(Cet article, demandé par un journal italien, n’a pas été publié, je ne sais pourquoi)

Lorsque est paru en français le recueil d’articles et de textes critiques d’Emmanuel Carrère, Il est avantageux d’avoir où aller, notre ami commun Alain Finkielkraut nous proposa, à lui et à moi, d’en discuter à la radio, puisque Carrère, dans son livre, critique énergiquement mes positions, par le truchement d’une lettre ouverte à moi adressée quelques années plus tôt. Je connais Emmanuel Carrère depuis toujours, comme on dit. J’ai pour lui beaucoup d’affection et d’admiration. Mais j’ai trouvé un peu déloyal qu’il refuse ce débat public, alors qu’il est, à juste titre, l’enfant chéri des médias, adulé par eux et invité partout, sur la couverture de tous les magazines, tandis que je suis, moi, non sans raison non plus, d’ailleurs, leur bête noire, chassé de partout et privé de tout autre moyen d’expression, désormais, du moins en France, que mes livres autoédités. Pour une fois que j’aurais pu répondre, il me semble qu’il n’aurait pas dû m’en empêcher par sa dérobade.

Mais voici qu’à l’occasion de la publication de son livre en Italie, La Verità m’offre précisément l’occasion de le faire, répondre. J’aurais mauvaise grâce à refuser.

La lettre que m’adressait Carrère pour ma revue d’alors, et qu’il reprend dans son recueil, s’ordonnance toute entière autour du thème de l’appartement. On se croirait chez Leibnitz, dans la Théodicée :

« Là-dessus la déesse mena Théodore dans un des appartements : quand il y fut, ce n’était plus un appartement, c’était un monde, solemque suum, sua sidera norat ».

Et en effet, l’appartement de Carrère, c’est le monde. C’est à la fois une métaphore du monde et un appartement bien réel, un bel appartement, dit-il, sis dans le Xe arrondissement de Paris.

Carrère a le courage bien rare de s’assumer bobo, “bourgeois bohème”, une des catégories sociales les plus universellement détestées en France, par ceux qui n’y appartiennent pas et par beaucoup de ceux qui y appartiennent. Carrère, presque seul, défend le bourgeois bohème, le bourgeois bohème à l’aise, bien installé dans la vie, libéral, progressiste, généreux, de gauche ou assimilé : le bourgeois bohème qu’il est dans son bel appartement clair, grand, lumineux, en plein ciel, et pas si cher qu’on pourrait le penser car situé dans un quartier déjà très largement livré à la “diversité”, selon le terme consacré. En 2011, donc, lorsqu’il m’écrit sa fameuse lettre, Carrère vit là avec sa femme et leurs deux enfants. Toutefois, déclare-t-il :

« Ce que je voulais dire, c’est que si demain un décret m’ordonnait de n’occuper plus avec ma famille qu’une pièce de ce bel appartement et de céder les autres à ces hordes de Kurdes ou d’Afghans qui campent dans la rue quatre étages plus bas, je trouverais ça éminemment désagréable, je chercherais à m’en aller et à m’organiser ailleurs, si c’est encore possible, une vie plus conforme à mes goûts, mais je n’arriverais pas à considérer la mesure qui me lèse comme injuste. »

On relèvera très en passant la belle inconscience de classe que témoigne Carrère, qui « chercherait à s’en aller et à s’organiser ailleurs », et qui sans aucun doute y parviendrait facilement, aussi longtemps du moins qu’il existe un ailleurs. Or c’est précisément ce que des millions de nos compatriotes ne peuvent pas faire, contraints qu’ils sont, faute de moyens, de rester sur place et de devenir, sort effroyable, des étrangers dans leur propre pays, parmi des nouveaux venus de culture, de mœurs et de civilisation différentes, pas toujours amènes et faciles à vivre.

Mais passons, car il y a plus grave. Nous sommes ici au cœur de l’idéologie remplaciste, qui veut persuader les indigènes européens qu’ils ont le droit et la morale contre eux. Ils peuvent traîner un peu des pieds s’ils le veulent, mais ils savent bien, au fond d’eux-mêmes, que c’est leur devoir de laisser la place. Et pourquoi est-ce leur devoir ? Parce qu’ils sont moins nombreux. Si en bas, dans la rue, il y a une famille de dix-sept enfants, celle qui n’en a que deux doit lui abandonner son beau grand appartement si lumineux, ou du moins se terrer dans une seule pièce et tâcher de se faire oublier. Ce n’est pas seulement là le cœur de l’idéologie remplaciste, c’est aussi la description des moyens techniques, le mode d’emploi, de la substitution ethnique : ce que le poète Aimé Césaire a nommé très justement, à propos de la Martinique, et donc dans un tout autre contexte, le génocide par substitution. Je ne sais ce qu’il en est en Italie mais en France, du moins, la législation nataliste, destinée à l’origine à défendre l’existence du peuple français, s’est révélée à l’usage l’un des plus efficaces instruments du changement de peuple.

Avant celui des Européens, les autres génocides n’avaient pas inventé ce raffinement suprême : le consentement des victimes. J’ai désigné le remplacisme, l’idéologie de la substitution générale, comme le communisme du XXIe siècle. La légitimation, par les Européens mêmes, de leur propre effacement, c’est très exactement l’équivalent remplaciste de l’autocritique stalinienne. Le Grand Remplacement est un long procès stalinien, pendant les purges. Emmanuel Carrère nous explique pourquoi nous devons nous effacer, pourquoi nous sommes coupables d’exister et de prendre trop de place sur nos territoires de toujours.

« Je ne vois, dit Carrère, aucune raison pour que le petit Liré [le village de Du Bellay, le poète — disons Arquà Petrarca, ou Recanati… ] nous appartienne à nous plutôt qu’aux crève-la-faim du Soudan ».

Et pourquoi y auraient-ils autant de droits que nous, c’est-à-dire davantage, ces Soudanais, au séjour qu’ont bâti nos aïeux ? Parce qu’ils sont plus nombreux. Carrère, contrairement aux formes les plus coutumières de l’autocritique remplaciste, qui est en fait une haine de soi, n’invoque pas les crimes des Européens. Non, lui invoque la démographie. Ce qui fait, à l’en croire, que les Africains ont plus de droits que nous à notre bel appartement c’est qu’ils ont dix-sept enfants, ou sept, alors que nous en avons deux, ou pas du tout.

Or je tiens pour ma part que la terre n’en peut plus de l’homme, et les autres espèces non plus ; que l’explosion démographique est le plus grand danger qui menace la planète ; que toutes les politiques écologiques sont parfaitement vaines tant que l’augmentation de la population n’est pas maîtrisée ; que les vieux peuples européens, qui eux-mêmes n’ont jamais été si nombreux, témoignent une très grande et très profonde sagesse en pratiquant, en dépit des exhortations des démographes fous, une très raisonnable décroissance démographique ; tandis que la démographie africaine, elle, est une effroyable bombe à retardement.

Pour Carrère, cependant, c’est cette folie, cette totale irresponsabilité planétaire, la natalité incontrôlée, qui confère des droits. C’est parce qu’ils font plus d’enfants que les extra-Européens auraient le droit, selon lui, d’envahir le territoire des Européens et de s’installer comme chez eux dans leur bel appartement. En somme il encourage le vice et punit la vertu. Il rend l’irresponsabilité fondatrice de droits et la responsabilité facteur de mort, ou d’effacement.

Au passage, et très significativement, il abolit le droit de propriété, ce mal-aimé de la conscience juridique moderne. Les appartements, si on le suit, sont à ceux qui en ont le plus grand besoin. C’est encore un point commun entre le remplacisme global et le communisme. Ce qui s’est le mieux transmis de l’existence soviétique, aujourd’hui, en Europe occidentale, c’est la kommounalka, l’appartement collectif partagé, comme à Moscou ou Saint-Péterbourg au temps de Staline ou Brejnev. Seulement, en passant à l’ouest, la kommounalka s’est élargie à l’échelle d’un continent. Notre kommounalka à nous c’est le terrible vivre ensemble, la cohabitation forcée entre les peuples, dont la traduction la plus naturelle, inévitable, outre la tension permanente et le terrorisme, est l’état d’urgence.

Et que le droit de propriété soit dans la ligne de mire du remplacisme global, on s’en aperçoit un peu plus tous les jours, partout en Europe, avec les cas de plus en plus fréquents d’expulsion d’indigènes au profit des prétendus réfugiés et les réquisitions à leur avantage d’appartements inoccupés. C’est l’occasion de nous souvenir que le droit de propriété, malgré sa mauvaise presse, a toujours été considéré comme un élément constitutif de la civilisation, de la liberté et même des droits de l’homme — et cela pour les peuples aussi bien que pour les individus. Il est parfaitement logique que les idéologies de l’homme remplaçable et des peuples interchangeables viennent buter sur lui et veuillent le réduire, en finir avec lui, car il est un obstacle, comme les races, comme les classes, comme les sexes, comme les générations, comme les niveaux de langage et de culture, comme les noms, comme les formes et les justes distances, à la production industrielle de la MHI, la Matière Humaine Indifférenciée.

EN BANDE SON : 

 

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