Allemagne

Europe : le fil du mensonge

Europe : le fil du mensonge

miscellanees01.wordpress.com mai 9, 2019

Une enquête haletante de Philippe de Villiers livre des révélations sur le grand Mensonge qui préside à la construction européenne. C’est la fin d’un mythe.

À la fin d’une conversation qui roulait sur la « construction européenne », l’ancien ministre des Affaires étrangères du général De Gaulle, qui savait tout sur tout le monde, laissa tomber d’un air entendu : « Philippe, il vous suffira de tirer sur le fil du Mensonge et tout viendra… ». Des décennies plus tard, en y consacrant un temps discret et beaucoup d’ardeur, bénéficiant par ailleurs de complicités au plus haut niveau des arcanes de l’Europe, Philippe de Villiers décide de tirer sur le fil. Alors tout est venu.

Il a mené ses recherches jusqu’au bout du monde, à Stanford, à Berlin, à Moscou et partout où pouvaient se trouver des documents confidentiels récemment déclassifiés. Et les archives ont parlé. Elles ont livré des secrets dérangeants. L’envers de l’Europe est apparu. Ce n’est pas du tout ce qu’on nous avait dit.

De ce travail d’enquête, Philippe de Villiers a fait un livre de révélations sur le grand Mensonge. Il a résolu de publier les preuves. Elles sont accablantes. Tout y passe : les Mémoires apocryphes, les dollars, la CIA, les agents, le passé qu’on efface, les allégeances qu’on dissimule, les hautes trahisons. Le récit est parfois glaçant. Mené au rythme d’une enquête haletante, il se lit comme un polar. On n’en ressort pas indemne. C’est la fin d’un mythe : ils travaillaient pour d’autres et savaient ce qu’ils faisaient, ils voulaient une Europe sans corps, sans tête et sans racines. Elle est sous nos yeux.

Lire un extrait (Fayard)

Extraits choisis par Jean-Christophe Buisson (Le Figaro)

Hallstein, le «père encombrant de l’Europe»

Premier président de la Commission européenne en 1958, cet universitaire allemand «dénazifié» par les Américains en 1944 fut beaucoup plus impliqué dans le régime hitlérien qu’on le prétend depuis soixante-dix ans.

«Je viens de découvrir un ouvrage historique glaçant, dont le titre traduit en français est: Dictionnaire des personnalités du IIIe Reich. Qui était quoi avant et après 1945. C’est la somme d’un travail de recherche minutieux de vingt-cinq ans sur le national-socialisme mené par Ernst Klee, historien de référence de la période nazie. Il y a répertorié près de 4300 noms de l’élite sociale au sein des «personnalités» du régime nazi, «y compris celles qui ont occupé des postes importants après 1945». A la page 221 du dictionnaire, c’est le choc: la fiche biographique de Walter Hallstein, qui se présente ainsi:

«Hallstein, Walter. Juriste. 17.11.1901 Mayence. A partir de 1927, lnstitut Kaiser-Wilhem de droit privé étranger et international à Berlin. 1930 Professeur à Rostock. D’après Hammerstein (Goethe) membre de la Fédération national-socialiste de protection anti-aérienne, la Fédération nationale-socialiste pour le bien-être populaire et la Fédération des juristes nationaux-socialistes. 1941: professeur de droit commercial, droit du travail et de droit économique à Francfort, doyen. D’après Heiber (Professeur, p. 360), au début 1944, l’Université propose Hallstein à la Fédération des professeurs nationaux-socialistes en tant qu’officier instructeur national-socialiste qualifié ayant le rang d’officier. Avril 1946 à septembre 1948: Recteur. 1950: Secrétaire d’Etat à la Chancellerie fédérale, 1951 au Département des Affaires étrangères. Président de la Commission de la Communauté économique européenne en 1958. Décédé le 21.03.1982 à Stuttgart.»

En 1943, Walter Hallstein (à droite) est officier instructeur national-socialiste auprès des troupes de la Wehrmacht. Mission de la NSFO: s’assurer de la volonté des soldats allemands de se battre jusqu’à la mort pour le Führer.

Comment expliquer une biographie aussi lourde? A partir de 1933, le processus de «mise au pas» destiné à contrôler tous les secteurs de la société impliquait l’encadrement par les nazis de la moindre association. On laissera donc ici de côté la «Fédération nationale-socialiste de protection anti-aérienne», créée en 1933 par Göring, ministre de l’Aviation du Reich, à partir d’associations existantes. On ne s’attardera pas non plus sur la «Fédération nationale-socialiste pour le bien-être populaire» créée en 1932 et pratiquant naturellement le culte hitlérien. […]

Ce qui est le plus problématique, c’est la participation active du professeur Hallstein aux deux autres organisations. Plusieurs documents exhumés des archives fédérales de Berlin et Coblence confirment que le professeur Hallstein a, pour le moins, minimisé ses relations avec le national-socialisme. La Fédération des juristes nationaux-socialistes a été fondée en 1928 par Hans Frank et affiliée au parti hitlérien, le NSDAP, devenue en 1936 le NS-Rechtswahrerbund, NSRB. Hans Frank devait devenir ministre et gouverneur – on devrait plutôt dire «bourreau» – de la Pologne. Les membres du NSRB étaient considérés comme «incarnant la pensée juridique nationale-socialiste».

Afin de l’aider dans sa mission pour la nazification du droit allemand, Hans Frank créa l’Académie de droit allemand. Walter Hallstein y a œuvré comme expert auprès de quelques-uns des quarante-cinq groupes de travail

Afin de l’aider dans sa mission pour la nazification du droit allemand, Frank créa l’Académie de droit allemand. Walter Hallstein y a œuvré comme expert auprès de quelques-uns des quarante-cinq groupes de travail. L’Académie s’emploie aussi à façonner l’Europe nouvelle par un intense «échange entre des “vérités juridiques” fascistes et nationales-socialistes maintenues par les juristes pratiquant la science et la jurisprudence». C’est dans l’auguste décor du Capitole qu’est célébrée cette glaçante «syntonie entre fascisme et national-socialisme».

La première conférence organisée par la Commission pour les relations juridiques italo-germaniques se tient ici, à Rome, du 21 au 25 juin 1938. Dans son discours inaugural, le ministre du Reich Hans Frank s’enflamme: «Pensez allemand, agissez en allemand, professez votre essence allemande et soyez fier d’être allemand! Vous préférez mourir allemand plutôt que de nier votre origine allemande! De ce sentiment profond de votre race découle la plus haute règle de tout votre comportement envers la société! De cette foi dans le pouvoir de notre peuple découle notre conception du problème de la race: selon notre législation, il ne peut s’agir que d’un Allemand de sang allemand, et d’un sang allemand ne peut être que de celui de sang aryen.» […]

Le professeur Hallstein est assis parmi la petite délégation des quinze juristes de haut niveau conduite par le ministre du Reich. En écoutant religieusement exalter «le génie législatif inaccessible de Mussolini et de Hitler», le jeune universitaire Hallstein ne se doute pas que l’Histoire, dans toute son ironie, le ramènera ici même, au Capitole, dans presque vingt ans, pour signer, au nom de l’Allemagne post-hitlérienne, le traité européen devant amorcer sa rédemption.

«La création du grand Reich allemand n’est pas seulement un fait politique, un acte du Führer de portée universelle,c’est aussi un événement historique et juridique d’une importance extraordinaire»

Pour l’heure, sa tâche est de contribuer à jeter les bases juridiques de l’unification une fois que les armes auront donné au Reich allemand sa dimension européenne: «Das neue Europa». Ces travaux se déroulèrent dans la foulée du fameux voyage du Führer en Italie en mai 1938, accompagné de ses ministres Hess, Goebbels, Himmler, von Ribbentrop et Hans Frank, justement. Cinq cents personnes arrivées par trois trains spéciaux y avaient été accueillies par Mussolini et le roi Victor-Emmanuel à Rome dans une gare spécialement construite pour l’événement.

Le quotidien La Nazione publiera la liste complète des membres de l’aristocratie et de la bourgeoisie allemande, ainsi que du parti fasciste local qui assistèrent à la représentation d’un opéra de Verdi, au théâtre communal après le dîner de gala. Nous sommes à la veille du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale par les puissances de l’Axe. Le ministre Hans Frank remercia chaleureusement le jeune professeur Hallstein, de Rostock, en lui disant «son admiration pour ce que la jurisprudence allemande vous doit» […]. Le dignitaire nazi, grand admirateur du professeur Hallstein, sera condamné à Nuremberg pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, et pendu en 1946.

L’investissement personnel de l’universitaire Hallstein dans les affaires du Reich va prendre un nouvel élan avec la conférence qu’il donne, le 23 janvier 1939, au Mahn & Ohlerichs Keller à Rostock, sur «L’entité juridique de la grande Allemagne». Devant un parterre d’uniformes acquis à la doctrine nazie – un ministre, plusieurs sommités du parti et de la Wehrmacht, des hommes politiques locaux, de collègues de l’université et d’étudiants -, le futur architecte de la Communauté européenne expliqua, de sa voix nasale: «La création du grand Reich allemand n’est pas seulement un fait politique, un acte du Führer de portée universelle, un de ces actes qui bouleversent la carte de l’Europe et répondent à un vieux désir des peuples […], c’est aussi un événement historique et juridique d’une importance extraordinaire. Il n’est plus seulement nécessaire de rénover la vieille maison délabrée, mais, plus largement, de construire une nouvelle bâtisse pour une famille qui s’agrandit.» L’idéologie supranationaliste européenne est là, dans ce grand dessein. […]

Sa carte de membre de la Ligue nationale-socialiste des professeurs (NSLB).

Le doyen Hallstein sera nommé, en 1941, directeur de l’Institut de droit comparé de Francfort. Le Dozentendund (…) est la quatrième organisation nationale-socialiste à laquelle Walter Hallstein était effectivement lié, selon le Dictionnaire des personnalités du IIIe Reich. Il s’agit de la Fédération des professeurs nationaux-socialistes créée en 1935 par Rudolf Hess et affiliée au NSDAP, qui contrôlait politiquement l’enseignement universitaire et, naturellement, les nominations. Au Bundesarchiv de Berlin, j’ai trouvé la carte, au nom de Walter Hallstein, datée de juillet 1934 et numérotée 310212. […]

Créé en 1943 sur ordre de Hitler, le corps des Nationalsozialistischen Führungsoffiziers – NSFO – avait pour mission d’enseigner le national-socialisme aux soldats pour s’assurer de leur volonté de combattre jusqu’à la mort. Chargés de la surveillance politique des troupes, prédicateurs et mouchards, ils s’apparentaient aux commissaires de l’Armée rouge. On ne devenait pas commissaire national-socialiste sans être membre du parti nazi ou sans avoir été parrainé par deux de ses membres, ni sans avoir donné assez de gages idéologiques.

Comment ne pas être troublé par cette collection d’allé­geances au régime national-socialiste par Walter Hallstein, là où bien d’autres personnalités d’un niveau de responsabi­lités comparable fuyaient, résistaient ou se terraient en attendant des jours meilleurs ?

Comment Hallstein a-t-il pu se retrouver sur une telle liste parmi quinze officiers instructeurs en national-socialisme, proposée par l’université de Francfort? Le professeur Hallstein entretenait dans son for intime une véritable fascination pour l’armée. […] De Rostock et Francfort au Mississippi, en passant par la Wehrmacht, Hallstein n’a quasiment jamais cessé d’enseigner à des militaires, assouvissant ses deux passions: le droit et l’uniforme.

De l’enseignement du droit privé comparé à celui du droit anglo-américain de la concurrence, en passant par l’enseignement des objectifs du national-socialisme, le sobre et discret Walter Hallstein aura été toute sa vie un professeur au sens plein, un passeur des savoirs juridiques et politiques, adaptant ses cours aux nécessités de l’Histoire. Se réorientant au gré du soleil. Un vrai «tournesol». Comment ne pas être troublé par cette collection d’allégeances au régime national-socialiste par WalterHallstein, là où bien d’autres personnalités d’un niveau de responsabilités comparable fuyaient, résistaient ou se terraient en attendant des jours meilleurs?

Si ce «pionnier» de l’intégration supranationale européenne, inconnu du grand public, est l’un des rares dont on n’a pas donné le nom à l’un des bâtiments du quartier européen, c’est peut-être tout simplement parce qu’il est le père encombrant.»

Monnet, Schuman, et «l’argent américain»

«En 1955, Schuman devient président du «Mouvement européen», un groupe de pression international qui promeut l’intégration européenne. Ce mouvement a été fondé en 1948, lors du congrès de La Haye, et son siège est à Bruxelles. Et, à la même date, Monnet décide de créer le Comité d’action pour les Etats-Unis d’Europe, cependant que Henri Frenay, l’ancien résistant, préside l’Union européenne des fédéralistes. Comment financent-ils leurs mouvements?

[…] Voici les pièces du flagrant délit: l’argent est venu régulièrement. Et ce ne sont pas des petites sommes. Le 24 juillet 1957, Monnet a écrit à son ami Shep Stone, l’ancien officier des services de renseignement, agent éminent de la Ford Foundation, accréditée par le Département d’Etat et la CIA pour les versements. Monnet sollicite une subvention de 100.000 dollars (786.800 euros en 2018). Un peu plus tard, il va recevoir un télégramme de son ami Shep Stone: le montant versé sera de 150.000 dollars (1180 000 euros en 2018). Le 23 janvier 1958, une lettre attendue arrive à l’avenue Foch – la secrétaire n’a pas appliqué la consigne de la mettre au feu. Elle porte l’en-tête de la Chase Manhattan Bank et est destinée à Jean Monnet.

Le plus grave dans les versements d’argent américains à Jean Monnet, c’est qu’il y a des contreparties

On retrouve le même petit monde: le président de la Chase Manhattan Bank n’est autre que John McCloy, l’officier traitant d’Alger [Secrétaire adjoint à la Guerre, c’est lui qui a organisé, en 1943, l’arrivée à Alger de Jean Monnet, qui travaille alors au cabinet de Franklin Roosevelt, pour représenter les intérêts américains auprès de l’administration Giraud, ndlr], qui deviendra haut-commissaire en Allemagne, puis, en 1958, président de la Ford Foundation. Un homme du renseignement, de l’administration et de la banque, un ami proche de Monnet, son compagnon de route. Ce n’est pas là un simple appoint. Les autres ressources – non américaines – apparaissent dans les documents pour des montants dérisoires: 10.000 dollars en 1965 (69 600 euros en 2018) et 20.000 dollars en 1966 (136.500 euros en 2018). L’aide américaine de 150.000 dollars est à rapporter à ces sommes modiques. Donc, le plus clair des ressources de Monnet vient des Etats-Unis.

Celui-ci crée un «Centre de documentation» pour plus de «discrétion» et ne pas attirer l’attention. Mais le Centre dépend du Comité. Ce n’est qu’une coquille ou plutôt une boîte à lettres, d’ailleurs avec la même adresse. Le Centre de Monnet est ainsi largement dépendant du financement de l’ACUE, le bailleur de fonds publics et privés américains. Mais les versements ne s’arrêteront pas là. Monnet va s’y habituer. La deuxième subvention arrivera en 1960 – encore d’un montant de 150.000 dollars (1.381.034 euros en 2018). La troisième sera versée le 8 janvier 1963, toujours de 150.000 dollars. Celle-ci est particulièrement bienvenue, car c’est elle qui financera le lobbying de Monnet pour la neutralisation du traité de l’Elysée conclu entre De Gaulle et Adenauer, qui jetait pour la première fois les bases d’une coopération véritablement politique, dans les domaines des affaires étrangères, de la défense, de l’éducation et de la jeunesse entre la France et l’Allemagne. Washington ne voulait pas de cette Europe-là, l’Europe des Etats.

L’opération de sabotage menée via Jean Monnet changea le cours de l’histoire: aux côtés des diplomates venus spécialement de Washington pour l’occasion et de ceux de l’ambassade de Bonn, le Comité de Monnet eut un rôle essentiel de propagande auprès des parlementaires allemands pour faire ajouter au traité de l’Elysée, lors de sa ratification par le Bundestag allemand, le célèbre préambule atlantiste et supranational le vidant de sa philosophie authentiquement européenne. La quatrième subvention fut accordée par les Américains en 1964. Le Comité est de plus en plus dépendant de l’argent américain, alors que la Communauté européenne existe depuis sept ans. La somme totale sera de 600.000 dollars – 60 millions d’anciens francs (4,4 millions d’euros en 2018). La clôture des opérations du Centre intervient en 1966.

[…] Mais le plus grave, dans tous ces versements, c’est qu’il y a des contreparties. Cet argent n’est pas gratuit. Il y a des commandes américaines, auxquelles il faut répondre: ce sont bien sûr les actions du lobbying, les opérations de propagande, etc. C’est aussi la fourniture régulière, à travers les «rapports d’activité», de renseignements confidentiels, voire secrets, destinés à fournir à la diplomatie américaine des informations précieuses, toutes couvertes par le secret-défense.

Le Centre de documentation de Monnet travaille en relation étroite avec les Communautés européennes. Les informations secrètes ainsi recueillies à Bruxelles traversent l’Atlantique et sont acheminées jusqu’à Washington. Monnet incarne ainsi le Parti de l’étranger, car tout cela se fait évidemment en dehors des règles de l’Etat de droit, sans que le Quai d’Orsay n’en sache rien. Tous les renseignements si précieux, voire inestimables, concernant la «politique énergétique de l’Europe», le «degré de dépendance de l’Europe vis-à-vis du monde extérieur pour les matières premières principales», «la fusion des exécutifs», font l’objet de dossiers secrets ad hoc qui sont transmis par liasses, lus, relus et exploités à Washington, au Département d’Etat.

On apprend que ce sont les Américains qui ont voulu «l’unification de l’Europe», mais que ce sont les Européens qui ont quémandé l’argent

[…] Robert Schuman, lui, quitta cette terre en emportant son secret. Jamais il n’a éprouvé le besoin d’évoquer les financements reçus du temps où il était le président du Mouvement européen, de 1955 à 1961. Est-ce par humilité, par pudeur, ou par un souci de discrétion pour être fidèle à la parole donnée à ses mandants, qui exigèrent la parfaite confidentialité des mouvements de fonds? Dans les échanges de courriers – heureusement préservés de la destruction par des secrétaires insouciantes des consignes -, la vérité apparaît toute nue. On y apprend que ce sont les Américains qui ont voulu «l’unification de l’Europe», mais que ce sont les Européens qui ont quémandé l’argent.

Dans une lettre de William Foster, président de l’American Committee on United Europe, adressée à Robert Schuman, président du Mouvement européen, l’auteur américain souligne: «Cela fait juste une décennie que le général Donovan et ses associés créaient le Comité américain à New York. Nous avons fait cela sur la suggestion d’un groupe de leaders européens…»

Cet état de subordination de Robert Schuman aux hommes du renseignement d’une puissance étrangère – fût-elle une alliée précieuse – a été complètement occulté

Nous sommes donc en 1960, le Comité américain va envisager de suspendre ses activités d’influence et donc d’envois de fonds. […] Le 8 mai 1960, Schuman écrit en réponse à son bienfaiteur: «Je veux vous remercier pour les activités du Comité américain pour l’Europe unie au cours de ces dix dernières années.» Il rappelle que, grâce aux versements successifs de l’argent américain, les «communautés européennes ont bien avancé dans la transformation des esprits». Il se dit soulagé de la décision du Comité américain de ne pas mettre fin à ses financements mais seulement de les suspendre.

«En effet, dit-il, nous serons amenés à intensifier notre action en faveur de l’établissement d’une véritable Communauté politique. Les termes de votre lettre me donnent l’assurance que nous pourrons ultérieurement faire appel à nouveau à la coopération du Comité américain pour l’Europe unie.» C’est donc, selon ses propres mots, parce que le Mouvement européen lancera des campagnes pour l’intégration fonctionnaliste, dessaisissant les démocraties nationales, qu’il est heureux que le Comité américain ne cesse pas ses activités.

L’ancien ministre français des Affaires étrangères adresse ensuite des remerciements à deux personnes […] d’abord au général Donovan, l’ancien directeur de l’OSS – les premiers services secrets américains -, le fondateur de la CIA, l’ancien président-fondateur du Comité américain. Ensuite, il remercie Paul Hoffman, l’ancien membre de l’OSS, administrateur du plan Marshall, le directeur de l’European Cooperation Administration, le président de la Ford Foundation et l’ancien président du Comittee. Cet état de subordination aux hommes du renseignement d’une puissance étrangère – fût-elle une alliée précieuse – a été complètement occulté.»


Le livre donne notamment confirmation du rôle éminent de Walter Hallstein, un intime de Hans Franck, dans la nazification du droit et l’élaboration du projet de « Nouvelle Europe » à partir de la conférence de Rome de 1938 :

Extrait des pages 194 – 195 :

« Plusieurs documents exhumés des archives fédérales – les Bundesarchiv – de Berlin et Coblence confirment que le professeur Hallstein a, pour le moins, minimisé ses relations avec le national- socialisme.

La Fédération des juristes nationaux-socialistes a été fondée en 1928 par Hans Frank et affiliée au parti hitlérien, le NSDAP, devenue en 1936 le NSRechtswahrerbund, NSRB.

Hans Frank devait devenir ministre et gouverneur – on devrait plutôt dire « bourreau » – de la Pologne. Les membres du NSRB étaient considérés comme « incarnant la pensée juridique nationale-socialiste ».

Afin de l’aider dans sa mission pour la nazification du droit allemand, Frank créa l’Académie de droit allemand. Walter Hallstein y a œuvré comme expert auprès de quelques-uns des quarante-cinq groupes de travail.

L’Académie s’emploie aussi à façonner l’Europe nouvelle par un intense « échange entre les “vérités juridiques” fascistes et nationales-socialistes maintenues par les juristes pratiquant la science et la jurisprudence ».

C’est dans l’auguste décor du Capitole qu’est célébrée cette glaçante « syntonie entre fascisme et national-socialisme ». La première conférence organisée par la Commission pour les relations juridiques italo-germaniques se tient ici, à Rome, du 21 au 25 juin 1938.

Dans son discours inaugural, le ministre du Reich Hans Frank s’enflamme : « Pensez allemand, agissez en allemand, professez votre essence allemande et soyez fier d’être allemand ! Vous préférez mourir allemand plutôt que de nier votre origine allemande ! De ce sentiment profond de votre race découle la plus haute règle de tout votre comportement envers la société ! De cette foi dans le pouvoir de notre peuple découle notre conception du problème de la race : selon notre législation, n’est allemand que celui qui est de sang allemand, c’est-à-dire de sang aryen. »

Au dehors, du haut de sa monture de bronze, la figure de Marc Aurèle affiche une moue sévère tandis que la main du sage empereur semble nous mettre en garde : « N’entrez pas, malheureux ! »

À l’intérieur, un jeune universitaire à l’allure frêle affiche, lui, derrière ses petites lunettes, son visage impassible.

Le professeur Hallstein est assis parmi la délégation des quinze juristes de haut niveau conduite par le ministre du Reich. En écoutant religieusement exalter « le génie législatif incomparable de Mussolini et de Hitler », le jeune universitaire Hallstein ne se doute pas que l’Histoire, dans toute son ironie, le ramènera ici même, au Capitole, dans presque vingt ans, pour signer, au nom de l’Allemagne post-hitlérienne, le traité européen devant amorcer sa rédemption.

Pour l’heure, sa tâche est de contribuer à jeter les bases juridiques de l’unification une fois que les armes auront donné au Reich allemand sa dimension européenne : « Das neue Europa ».

Ces travaux se déroulèrent dans la foulée du fameux voyage du Führer en Italie en mai 1938, accompagné de ses ministres Hess, Goebbels, Himmler, von Ribbentrop et Hans Frank justement. Cinq cents personnes arrivées par trois trains spéciaux y avaient été accueillies par Mussolini et le roi Victor-Emmanuel à Rome dans une gare spécialement construite pour l’événement. Le quotidien La Nazione publiera la liste complète des membres de l’aristocratie et de la bourgeoisie allemande, ainsi que du parti fasciste local qui assistèrent à la représentation d’un opéra de Verdi, au théâtre communal après le dîner de gala.

Nous sommes à la veille du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale par les puissances de l’Axe. Le ministre Hans Frank remercia chaleureusement le jeune professeur Hallstein, de Rostock, en lui disant « son admiration pour ce que la jurisprudence allemande vous doit », avant d’ajouter son espoir qu’en Italie « il soit possible de remplacer l’idée stérile mais pourtant puissante, issue de la conception française d’une unité des familles latines, par le programme plus fécond d’une école allemande ; l’unité et donc la préservation de la culture juridique européenne peuvent, je crois, en sortir très gagnantes ».

Le dignitaire nazi, grand admirateur du professeur Hallstein, sera condamné à Nuremberg pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, et pendu en 1946. »

Le livre de Philippe de Villiers fournit aussi de nouvelles révélations sur la fascination de Walter Hallstein pour le nazisme, dont il enseigna la doctrine aux soldats de la Wehrmacht ; il précise aussi que les autorités américaines et allemandes d’après-guerre connaissaient parfaitement son passé et l’ont sciemment caché afin de mieux « tenir » celui qui allait piloter l’Europe et s’opposer à de Gaulle :

Extrait des pages 198 – 199 du livre de Philippe de Villiers :

» Au Bundesarchiv de Berlin, j’ai trouvé la carte, au nom de Walter Hallstein, datée de juillet 1934 et numérotée 310212. Les responsables des archives fédérales m’ont confirmé qu’il s’agit de sa carte de membre du NSLB (Nationalsozialistischen Lehrerbundes, la Ligue nationale-socialiste des professeurs).

Helmut Heiber, historien scientifiquement irrécusable, à qui fut confiée la mission de rassembler l’imposante documentation en vue des procès de Nuremberg, s’employa pendant des décennies à reconstituer des dossiers de la Chancellerie pour la période allant de 1940 à 1945 et du Parti national-socialiste. Dans sa longue étude documentée sur les enseignants pendant le IIIe Reich, Heiber classe les universitaires en deux chapitres aux titres éloquents : les « opposants ou indifférents » (chapitre II) et ceux qu’il appelle les « croyants » (chapitre III).

C’est ici, parmi les « croyants » du IIIe Reich, que le nom de Hallstein surgit en ces termes : « Après une enquête de la direction du corps professoral du Reich au début 1944, l’université de Francfort communiqua une liste, commençant par Walter Hallstein et se terminant par Wilhelm Ziegelmayer, composée de quinze hommes officiers qualifiés en national-socialisme ayant rang d’officier et vingt-six autres intervenus pour la “mobilisation complète de l’ensemble de la Wehrmacht dans des proportions inouïes” – eux aussi sont bien sûr des “activistes politiques” (à titre de comparaison, l’université technique de Darmstadt a signalé zéro officier dirigeant nazi et trois orateurs actifs) . »

Créé en 1943 sur ordre de Hitler, le corps des Nationalsozialistischen Führungsoffiziers – NSFO – avait en effet pour mission d’enseigner le national-socialisme aux soldats pour s’assurer de leur volonté de combattre jusqu’à la mort. Chargés de la surveillance politique des troupes, prédicateurs et mouchards, ils s’apparentaient aux commissaires de l’Armée rouge. On ne devenait pas commissaire national-socialiste sans être membre du parti nazi ou sans avoir été parrainé par deux de ses membres, ni sans avoir donné assez de gages idéologiques.

Comment Hallstein a-t-il pu se retrouver sur une telle liste parmi quinze officiers instructeurs en national-socialisme, proposée par l’université de Francfort ? Le professeur Hallstein entretenait dans son for intime une véritable fascination pour l’armée.

Sa carrière militaire un peu laborieuse avait en fait commencé bien plus tôt qu’il ne l’a indiqué lors de la dénazification. Il avait déployé mille efforts auprès des autorités, dès 1935, pour obtenir la Croix d’honneur du combattant pour son service militaire chez les « scouts en Belgique », puis pour être admis à un cours d’artillerie où il avait d’abord été jugé médicalement inapte, avant de réussir en février 1936 et, plus tard, de s’engager comme officier de réserve.

De Rostock et Francfort au Mississippi, en passant par la Wehrmacht, Hallstein n’a quasiment jamais cessé d’enseigner à des militaires, assouvissant ses deux passions : le droit et l’uniforme.

De l’enseignement du droit privé comparé à celui du droit anglo-américain de la concurrence, en passant par l’enseignement des objectifs du national-socialisme, le sobre et discret Walter Hallstein aura été toute sa vie un professeur au sens plein, un passeur des savoirs juridiques et politiques, adaptant ses cours aux nécessités de l’Histoire. Se réorientant au gré du soleil. Un vrai « tournesol ».

Comment ne pas être troublé par cette collection d’allégeances au régime national-socialiste par Walter Hallstein, là où bien d’autres personnalités d’un niveau de responsabilités comparable fuyaient, résistaient ou se terraient en attendant des jours meilleurs ?

Si ce « pionnier » de l’intégration supranationale européenne, inconnu du grand public, est l’un des rares dont on n’a pas donné le nom à l’un des bâtiments du quartier européen, c’est peut-être tout simplement parce qu’il est le père encombrant.

En vérité, la mise côte à côte des pièces d’archives officielles dégage une telle impression qu’elle se passe de tout commentaire. Les hiérarques de l’Europe ont feint de ne rien connaître de cette histoire. Or, les Américains, leurs mandants, eux, avaient en leur possession toutes les informations. Il y a donc, pour le moins, un mensonge par omission.

À Washington et à Bonn, on savait. Et ceux qui savaient le tenaient. On a dissimulé la vérité. On connaissait les pièces qui se trouvent aux Bundesarchiv de Berlin et Coblence, la photo sur microfiche où l’on reconnaît le lieutenant Hallstein, officier instructeur du national-socialisme, auprès de son colonel, en feldgrau.

Le négociateur allemand du traité instituant la CECA, le ministre signataire du traité de Rome, le président de la Commission européenne avait donc été une « personnalité du IIIe Reich » et, à ce titre, l’un des brillants esprits qui élaborèrent justement le cadre juridique supranational de la « grande Allemagne », c’est-à-dire d’un Reich européen. »

EN BANDE SON :

2 réponses »

  1. Il a inventé l’eau tiède ,Marie France Garraud avait dans une émission télévisée et un débat exposé en clair il y a quelques années ce quje De Villiers découvre aujourdhui,le redire est une bonne chose ,mais c’est moin d’être un scoop pour pour les journalopes véreux

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