Douce France

Edmond Burke et la fin de la Chevalerie française Par Nicolas Bonnal

Edmond Burke et la fin de la Chevalerie française

«La seule chose nécessaire au triomphe du mal est que les gens de bien ne fassent rien»

On connait Edmond Burke. Il se révèle un poète, un nostalgique, premier d’une belle lignée qui va jusqu’à Tolkien, comme je l’ai montré dans mes livres.  C’est qu’avant la salle de bains américaine et le recyclage des eaux usées, le monde était plus pur. Burke aura justifié toute notre anglophilie de jeunesse. Je préfère Fogg ou Frodon à Rocambole et John Steed ou Brett Sinclair à Maigret. C’est simplement plus classe. L’anglais d’alors avait encore des racines et des ailes. Depuis, comme dit Tolkien, nous sommes du beurre étalé sur trop de pain.

Savourons ces réflexions sur la révolution française au lieu de les commenter. Commençons par ce passage central sur la chevalerie en allée (the age of chivalry is gone) et cette évocation bouleversante de notre reine martyre et sacrifiée sur l’autel de la république et de la modernité rationaliste :

« Il y a actuellement seize ou dix-sept ans que je vis la reine de France, alors dauphine, à Versailles ; et sûrement, jamais astre plus céleste n’apparut dans cette orbite qu’elle semblait à peine toucher : je la vis au moment où elle paraissait sur l’horizon, l’ornement et les délices de la sphère dans laquelle elle commençait à se mouvoir : elle était ainsi que l’étoile du matin, brillante de santé, de bonheur et de gloire. Elle était ainsi que l’étoile du matin, brillante de santé, de bonheur et de gloire. »

Mais l’étoile du matin, le Français de Neandertal n’en voulait plus – et le chevalier franc ne s’est guère pressé pour la défendre…

« O quelle révolution ! ! ! Et quel cœur faudrait-il avoir pour contempler sans émotion cette élévation, et cette chute ! Que j’étais loin de m’imaginer lorsque je la voyais inspirer à la fois la vénération et l’enthousiasme d’un amour respectueux, qu’elle dût un jour avoir à se défendre contre l’infortune dont le germe était dans son sein ! J’étais encore plus éloigné de m’imaginer que je dusse voir de mon vivant de tels désastres l’accabler tout-à-coup, chez une nation vaillante, pleine de dignité ; chez une nation composée d’hommes d’honneur et de chevaliers : je croyais que dix mille épées seraient tirées de leurs fourreaux pour la venger du premier regard qui l’aurait menacée d’une insulte! — Mais le siècle de la chevalerie est passé. — Celui des sophistes, des économistes et des calculateurs lui a succédé; et la gloire de l’Europe est éteinte à jamais. » 

On répète en anglais car c’est sublime :

But the age of chivalry is gone. That of sophisters, economists; and calculators has succeeded; and the glory of Europe is extinguished forever.

« Mais l’âge de la chevalerie est passé. Celui des sophistes, des économistes et des calculateurs lui a succédé ; et la gloire de l’Europe est éteinte à jamais. »

Burke poursuit :

«  Jamais, non jamais nous ne reverrons cette généreuse loyauté envers le rang et envers le sexe, cette soumission altière, cette obéissance, cette subordination du cœur, qui, dans la servitude même, conservaient l’esprit d’une liberté exaltée ! L’ornement naturel de la vie, cette défense si généreuse des nations, cette pépinière de tous les sentiments courageux et des entreprises héroïques…. tout est perdu. »

Et ici il se rapproche de Novalis (voyez notre texte sur cette belle pensée) et de Tolkien – la sensibilité elfique et nostalgique :

« Elle est perdue cette sensibilité des principes, cette chasteté de l’honneur pour laquelle une tache était une blessure ; qui inspirait le courage en adoucissant la férocité ; qui ennoblissait tout ce qu’elle touchait, et qui faisait perdre au vice lui-même la moitié de son danger, en lui faisant perdre toute sa grossièreté. » 

Le romantique, l’aristocrate, le nostalgique vont passer pour d’abrutis ringards pas suffisamment libérés :

« Mais maintenant, tout va changer, et les illusions séduisantes qui rendaient le pouvoir aimable et l’obéissance libérale, qui donnaient de l’harmonie aux différentes ombres de la vie, et qui, par une douce assimilation, incorporaient dans la politique les sentiments qui embellissent et adoucissent la société privée, s’évanouissent devant ce nouvel empire irrésistible des lumières et de la raison. On arrache avec rudesse toutes les draperies décentes de la vie ; on va rejeter pour jamais, comme une morale ridicule, absurde et antique, toutes ces idées que l’imagination nous représente comme le riche mobilier de la morale ! »

Le ricanement et le persiflage mettront fin au vieux monde. Le roi des temps anciens va devenir un palliatif,  machin qu’on voit à la télé. Il est people le roi. Burke :

« Dans ce nouvel ordre de choses, un roi n’est qu’un homme, une reine n’est qu’une femme : une femme n’est qu’un être, et non du premier ordre. On traite de romanesques et d’extravagants tous les hommages que l’on rendait au beau sexe en général, et sans distinction d’objets. Le régicide, le parricide, le sacrilège, ne sont plus que des fictions superstitieuses propres à corrompre la jurisprudence en lui faisant perdre sa simplicité. » 

Belle conclusion :

« Le meurtre d’un roi, d’une reine, d’un évêque ou d’un père, ne sont que des homicides ordinaires… »

Et l’homme moderne deviendra glacé comme la terreur et la rationalité qu’il a répandues sur le monde :

« D’après le système de cette philosophie barbare ? Qui n’a pu naître que dans des cœurs glacés et des esprits avilis ; système aussi dénué de sagesse que de toute espèce de goût et d’élégance, les lois n’ont plus d’autres gardiens que la terreur qui leur est propre, et elles n’existent que par l’intérêt que les individus pourront y trouver d’après leurs spéculations secrètes, ou à les éluder pour leur avantage personnel. »

Fin de la chevalerie ? Le résultat est là : le tyran avec nos gilets jaunes rebelles… 

Sources

Burke – Réflexions sur la révolution… 

EN BANDE SON :

4 réponses »

  1. « C’est pourquoi la civilisation moderne ne doit pas être considérée comme une civilisation «active », mais comme une civilisation d’agités et de névropathes. Comme compensation du «travail » et de l’usure d’une vie qui s’abrutit dans une agnation et une production vaines, l’homme moderne, en effet, ne connaît pas l’otium classique, le recueillement, le silence, l’état de calme et de pause qui permettent de revenir à soi-même et de se retrouver. Non :
    il ne connaît que la « distraction » (au sens littéral, distraction signifie « dispersion ») ;
    il cherche des sensations, de nouvelles tensions, de nouveaux excitants, comme autant de stupéfiants psychiques. Tout, pourvu qu’il échappe à lui-même, tout, pourvu qu’il ne se retrouve pas seul avec lui-même, isolé du vacarme du monde extérieur et de la promiscuité avec son « prochain ». D’où radio, télévision, cinéma, croisières organisées, frénésie de meetings sportifs ou politiques dans un régime de masse, besoin d’écouter, chasse au fait nouveau et sensationnel, «supporters » en tout genre et ainsi de suite. Chaque expédient semble avoir été diabolique-ment disposé pour que toute vie intérieure soit détruite, pour que toute défense interne de la personnalité soit interdite dès le départ, pour que, tel un être artificiellement galvanisé, l’individu se laisse porter par le courant collectif, lequel, évidemment, selon le fameux «sens de l’histoire », avance vers un progrès illimité. »

    Julius Evola
    L’ Arc et la Massue

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