Art de la guerre monétaire et économique

L’affaire LSK

L’affaire LSK

L’affaire LSK, c’est un mort, Thierry Leyne, un ex-ministre des finances reconverti en conseillers pour potentats orientaux, Dominique Strauss-Kahn, et 100 millions d’euros volatilisés. Nombre de créanciers, résignés, honteux, ont avalé leurs pertes en silence. D’autres ont décidé de saisir la justice en Suisse, au Luxembourg, en Israël et en France où trois plaintes ont été déposée, dans ce qui semble être une arnaque à la Madoff. Il y a quelques jours la justice française a placé DSK sous le statut de témoin assisté dans cette affaire. L’ex-­dirigeant du FMI risque gros : il pourrait être condamné à rembourser une partie des dettes, au même titre que les anciens administrateurs de LSK.

“La France, pays des gagne-petits”

Avant toute chose, il convient de planter le décor, et surtout, de présenter l’un des personnages centraux : Thierry Leyne. diplômé de l’École polytechnique de Bruxelles après un bref passage à l’université du Technion de Haïfa, Leyne a réussi son premier coup dans les années 2000 en revendant à Cortal Consorts sa société de bourse en ligne. Son magot de 100 millions en poche, Leyne entend faire fructifier son pactole. Au Luxembourg dans un premier temps, dans une société de gestion de fortune; puis à Paris, dans la pierre où il possède notamment le siège du Nouvel Observateur. Il investit ensuite dans plusieurs sociétés, avec plus ou moins de succès, comme Acadomia. Il est en affaire avec Patrick Drahi du temps d’Altice. C’est le jeu, Leyne flambe, il aime ça. Avec sa femme ils mènent grand train. Puis vient le moment de quitter la France “pays des gagne-petit”, pour la Suisse. Jusqu’ici, difficile de lui reprocher quoi que ce soit sauf par jalousie très gauloise, l’homme ayant épousé la trajectoire du succès.

Thierry Leyne

C’est ainsi que Leyne veut changer de braquet. Il se rêve désormais en un Warren Buffet européen, voulant fonder un groupe financier international qui pèsera. Leyne choisit partout les plus beaux locaux comme à Monaco, il distribue les sacs Gucci à ses collaborateurs. Mais dès lors, les dettes s’accumulent. Leyne reste confiant “on fera de grandes choses”. Pour des raisons encore floues, sa femme, Karen, se suicide en 2011. Ses fils le tiennent pour responsable du drame et coupent les ponts avec leur père. Des vigiles payés par la famille de sa femme l’ont empêché d’assister à l’enterrement … ambiance. Une semaine plus tard, il enlève sa fille à Genève, direction Tel Aviv.

Dernière touche au tableau : Leyne est cité dans l’affaire mirobolante de l’escroquerie à la taxe carbone où des centaines de millions d’euros en carrousel de TVA ont disparu. Leyne entretient en effet des liens très étroits avec l’un des principaux suspect dans ce dossier : Marco Mouly. Leyne va jusqu’à emprunter à Mouly 6 millions d’€ au taux faramineux de 35%. Même dans les pays du tiers monde, les taux d’intérêts ne sont pas aussi élevés. Le prêt est reporté au bilan de ses sociétés, et Leyne va même engager la fille Mouly, Cindy.

Leyne, Strauss Kahn and Partners : la rencontre de l’aveugle et du paralytique.

En 2013, Leyne fait la connaissance de DSK via Nathalie Biderman, la femme qui organise les conférences de DSK. Celui-ci est au plus bas. Les scandales du Sofitel, puis du Carlton l’ont carbonisé. Anne Sinclair, de qui il tirait un confort matériel non négligeable, l’a quitté. Dans la tour Yoo à Tel Aviv où Leyne dispose du plus bel appartement de la ville, ils parlent motos. Cigare aux lèvres, les 2 estropiés refont le monde. DSK, au fond du trou, pense que tout réussi à Leyne qui a 100 employés sous ses ordres et chez qui il passe la majeure partie de son temps. Lui ? Il est au fond du trou. Les discussions avec les banques d’affaire comme Lazard ne donnent rien. Bien sûr il facture des conférences 100 000€ et conseille des pays de seconde zone comme la Serbie, la Tunisie ou la Russie, mais pour quelqu’un à qui l’on promettait l’Elysée après le FMI, la chute est lourde.

Tour Yoo, à Tel Aviv

Leyne sent le filon: en mai 2013, il propose à DSK de l’accompagner au Soudan du Sud pour l’inauguration d’une banque que Leyne finance. Là-bas, dans cette jeune république meurtrie par des années de guerre civile, DSK y est accueilli en chef d’état. Le spectacle est sans aucun doute pathétique : l’ex ministre des finances de la France, ancien patron du FMI, réduit à faire le spectacle sous un parasol face à une obscure banque qui se résume être un bête immeuble en parpaings. Il ne fallait pas plus cependant pour flatter l’orgueil de DSK. Leyne se goberge du “succès” de cette expédition au micro de France Inter

« Ayez confiance, je mise sur DSK, sa côte va monter. »

De retour en France, les 2 larrons s’entendent. A Leyne l’intendance, le back-office et la comptabilité. A DSK les conférences et les journalistes. Ce dernier ne se méfie pas de la sale réputation que traîne Leyne depuis quelques années. Il n’en a cure en fait, DSK a suffisamment souffert de la “rumeur”.

La collaboration démarre ; DSK apporte ses missions de consulting, mais Leyne en veut plus. Au lieu de professer à des équipes de traders concurrentes ses interprétations sur le taux chinois, DSK doit abreuver les propres équipes de Leyne. C’est ainsi que la structure baptisée pompeusement DSK Global Investment Fund est née dans le groupe de la galaxie Leyne renommé LSK pour l’occasion. DSK y est bombardé président, il relève la tête. Pourtant, l’optimisme n’est que de façade, et les comptes désespérément dans le rouge. Les filiales du nouveau groupe peinent à décoller, et le divorce avec l’ex-partenaire de Leyne, Gilles Boyer, a coûté cher. Leyne a besoin très vite de 15 millions d’€ et compte bien sur l’aura de son nouvel ami pour les trouver. Mais au vu des échéances, Leyne ne peut se permettre de seulement espérer. Alors il ordonne à ses salariés de vendre des produits financiers contenant les dettes de son groupe à un taux attractif de 7,5% par an, pour ceux qui veulent bien y croire. C’est ici que la première pierre d’un système à la Madoff est posée, système vieux comme monde qui se résume à de la cavalerie bancaire : de nouveaux crédits sont utilisés en permanence pour rembourser les emprunts antérieurs. Le système s’écroule quand l’emprunteur n’obtient pas le prêt dont il a besoin pour solder le crédit précédent.

« On va bientôt détrôner Lazard. »

Il est difficile de dire à ce moment précis si Leyne, voire DSK, ont réellement cru à leur narratif dans l’espoir que les choses s’améliorent ou si l’escroquerie était consommée. Leyne, pourtant, n’en démord pas. Devant le marasme de ses bilans financiers, il ne réduit pas la voilure de son train de vie et confond un peu trop, au goût des commissaires aux comptes de ses structures, vie privée et vie professionnelle. Au contraire il déniche un futur directeur pour le fond LSK: un libanais “ultra connecté” avec le Moyen Orient du nom de Mohamed Zeidan. Ni une ni deux, il est embarqué en première classe avec DSK pour faire une tournée mondiale de levée de fonds en mars 2014. Leyne tire là sa dernière cartouche. C’est à Pékin qu’un communiqué de presse annonce le lancement officiel du fond avec un objectif grotesque de lever 2 milliards de dollars. « N’importe quoi, c’est irréaliste », s’agace Zeidan tandis que DSK, amusé, laisse l’ami Thierry spéculer dans les médias. Des contacts sont bien établis au Sri Lanka ou DSK est reçu comme un prince, sa légitimité semblant intact dans le tiers-monde. Puis la fine équipe tente sa chance au Panama ainsi qu’au Bahreïn avec des fonds de pension.

Si le cirque LSK amuse, il n’a, en réalité, encore aucune existence légale. Et c’est bien là le problème. Les autorités luxembourgeoises n’entendent pas délivrer aussi facilement le précieux sésame de la licence. Et pour cause : en 2013, Ernest & Young, le groupe d’audit, a refusé d’examiner les comptes. Pour quiconque ayant déjà géré ne serait-ce qu’une microstructure, les signaux rouges vifs s’allument. Mais qu’importe pour l’ancien patron du FMI qui continue de fermer les yeux. Pire, Zeidan, le directeur du fonds fraîchement trouvé par Leyne qui lui a fait un véritable pont d’or, démissionne. « La situation n’est pas brillante, je m’en vais, indique-t-il par téléphone à DSK en juin 2014. Méfie-toi. Regarde : c’est pas propre, il y a de lourdes dettes, plus que tu ne le penses. ». De retour de Capri, DSK rejoint Leyne à Marrakech, celui-ci cherche désespérément des investisseurs. DSK consent à investir de sa propre poche 400 000€. Cela veut dire que DSK y croit toujours assez pour y investir ses propres deniers, incompréhensible pour un esprit si vif que lui, dotée d’une si grande capacité d’analyse. Personne de sensé ne chercherait à investir dans une société dont les comptes sont dans le rouge, non approuvés par un commissaire au compte, et avec un directeur général démissionnaire. Plus grave encore, les enfants de DSK sont également dans le radeau Leyne …

La foi des innocents

Vanessa Strauss-Kahn est bien la fille de son père, économiste de son État. Nommée “directrice du département recherche” par Leyne, elle intègre l’organigramme du groupe. Elle embarque par la même occasion son frère, agrégé de maths, chargé de mettre au point un logiciel d’évaluation des risques. La simulation menée avec un fonds fictif de 100 millions d’€ est prometteuse avec un rendement de 20% sur 6 mois. Et pourtant, l’étau se resserre fin 2014 : une des sociétés dont Leyne est actionnaire fait faillite. En Suisse, le patron d’un fonds ayant découvert qu’il s’était fait fourguer malgré lui des obligations du groupe LSK avertit les autorités de régulation. Au Luxembourg, un autre client, faute de récupérer son argent, fait saisir les comptes de la société sur 2 millions d’€. Le tout sans licence de banque d’affaire ! Les puissants amis de Leyne sentent aussi le vent tourner, à l’image de Viktor Pinchuk, sulfureux oligarque ukrainien, qui finit par le menacer plusieurs fois. « Trouve-moi de l’argent, sinon ça va mal finir »demanda Leyne en catastrophe à une de ses collaboratrices.

Des papiers fuitent dans la presse sur l’arnaque. Il en faut plus pour arrêter Leyne qui finit par déposer les statuts du fonds à Guernesey, île anglo-normande connue pour ses montages financiers adéquats. Il fête la nouvelle avec son nouvel actionnaire, un magnat mauritanien, Ould Bouamatou. Leyne a réussi à convaincre plusieurs retraités d’investir plusieurs millions d’€ dans l’affaire, avec l’aide de DSK. Le 16 septembre 2014, Le Monde annonçait dans ses pages intérieures : « Investissez DSK. »

“Poussé dans le vide”

Le compte à rebours est lancé. Début octobre 2014, Thierry offre à ses enfants un séjour au Waldorf Astoria, mais ce n’est qu’un trompe-l’oeil. Les comptes du groupe publiés le 15 octobre révèlent une dette de 45 millions. Cinq jours plus tard, le 20 octobre, une réunion de crise est organisée avec DSK, à Marrakech, chez son généreux voisin. Ould Bouamatou veut bien, par amitié, lâcher encore quelques millions jusqu’au lancement du fonds.

Le 23 octobre 2014, Leyne se jette du haut du 23ème étage de la tour Yoo à Tel Aviv où il possédait un appartement. Les rumeurs vont bon train. Untel ayant tenu le cercueil l’a trouvé bien léger. Un autre tient d’une source sûre que Leyne a refait sa vie en Amérique du Sud avec un passeport obtenu 2 mois plus tôt. “En Israel, ce n’est pas compliqué d’acheter un cadavre à la morgue”affirme un ancien collaborateur. D’autres sont persuadés que Leyne « a été poussé dans le vide », sans expliquer les lettres laissées sur le bureau. Tous s’étonnent que la police israélienne n’ait mené aucune investigation. Ce qui est sûr c’est que les avocats des parties civiles demandent des expertises ADN sur le corps.

« J’aurais dû me méfier, j’ai été con, je me suis fait avoir comme un bleu. »

Le 7 novembre, deux semaines après le drame, LSK a été déclaré en faillite, avec 150 victimes recensés à ce jour. La faillite déclarée le 7 novembre 2014 auprès du tribunal de commerce de Luxembourg fait apparaître un hallucinant passif de 104 millions d’euros. Leyne menait manifestement la grande vie aux frais de la société, se rétribuant 2 millions d’euros par an, et entretenant des parts dans un jet privé.

Les avocats des victimes pointent la responsabilité des administrateurs, et en premier lieu de DSK dont on voit mal comment la débâcle financière du groupe aurait pu lui échapper. Au Luxembourg, DSK a été condamné à verser 75000€ d’arriérés fiscaux sur ses salaires. Première condamnation d’une longue série ? Ce qui est sûr, c’est que la menace d’un remboursement des clients floués le guette, lui qui a déjà perdu 1,7 million d’€ dans l’affaire selon ses dires sans compter la mise de ses enfants. Pour sa défense, il continue d’avancer qu’il était un président non opérationnel, qu’il ne s’intéressait pas à la gestion du groupe, que sa signature électronique a même été utilisée sans son consentement sur certains PV d’assemblée générale pourtant validés par un notaire. Il n’en reste pas moins qu’il est responsable aux yeux de la loi, et qu’il n’a même pas déposé plainte pour usage de faux, lui qui a piteusement démissionné de sa présidence 3 jours avant le suicide de son ami. Même Marco Mouly, le chef de la “bande du CO2” a discrètement consulté un avocat afin de récupérer sa mise de 4,5 millions d’€. De la fortune de Thierry Leyne, il ne reste plus rien. Même ses montres de luxe ont disparu. Ses enfants, eux, vivent dans l’appartement de la tour Yoo, celui-là même où son père s’est suicidé, l’assurance vie de 10 millions contracté curieusement sans clause de suicide ayant permis à lever l’hypothèque.

Aujourd’hui, l’enquête débutée en 2015 par le parquet de Paris pour abus de biens sociaux, escroquerie en bande organisée, blanchiment, abus de confiance et exercice illégal de la profession de banquier sous la houlette de 3 juges du pôle financier est au point mort. Les investigations s’embourbent à l’internationale. Il est vrai que les justices luxembourgeoises, monégasques, suisses et israéliennes ne semblent pas pressées de laisser la justice française mettre le nez dans leurs pratiques bancaires. De plus, même au niveau français, l’enquête ne semble pas prioritaire malgré le passif financier.

A cette heure, en France, DSK n’est visé “que” par 3 plaintes : Jean-François Ott, ancien PDG du groupe immobilier Orco, affirme « avoir perdu les 500 000 euros » placés en juillet 2014 dans le groupe, via sa société chypriote Roxannia ; Alain Urbach, ingénieur à la retraite, et son épouse avaient, eux, investi en août 2014, 1,14 million d’euros, soit l’intégralité de leur épargne dans la société alors même que celle-ci était déjà en instance de faillite ; la 3ème plainte provient d’un obscur banquier macédonien Jordan Trajkov. Néanmoins, nous sommes bien loin des 100 millions d’€ engloutis dans la faillite.

Madoff condamné à 150 ans de prison pendant que DSK est libre

Chacun se fera son idée sur le rôle qu’a joué DSK et sa défense dans cette affaire. Il y a néanmoins plusieurs signaux évidents pour quiconque étant rompu au monde des affaires. Le retrait d’un commissaire au compte n’est pas une chose anodine, aussi, DSK aurait tout de même pu questionner son ami Leyne sur son train de vie alors que les comptes de la société – dont il était lui-même actionnaire – ne sont plus approuvés par quiconque. On peut également se demander comment Leyne a fait pour lever autant de fonds et faire de la cavalerie pendant si longtemps alors même que son fonds n’avait pas la licence de banque d’affaire ! Le moins que l’on puisse dire c’est que son activité n’était pas camouflée. Tout le monde des affaires savait que Leyne prenait énormément de risques, et son train de vie ne passait pas inaperçu. Il est également curieux que, finalement, eu égard aux pertes enregistrées, si peu de victimes se soient fait connaître des tribunaux de différents pays. De là à s’interroger sur l’origine des fonds entre un magnat mauritanien, un banquier serbe et un oligarque renégat ukrainien, il n’y a qu’un pas.

Le traitement de l’affaire en elle-même est symptomatique de notre pays : on est prompt à clouer au pilori un homme politique pour avoir dégusté un homard, mais qu’une star socialiste fasse une pyramide de Ponzi et soit toujours en liberté, cela semble moins choquer le microcosme médiatique parisien. Outre Atlantique, un Madoff a été condamné pour les mêmes actes à, excusez du peu, 150 ans d’emprisonnement. Cette affaire est encore une fois un exemple flamboyant de ce que génère le capitalisme de connivence français, alors même que de nombreux concitoyens pensent vivre dans un enfer libéral, chimère entretenue à peu de frais par nos politiques.

EN BANDE SON :

2 réponses »

  1. Nettement plus instructif que les homards …a savourer comme un roman de Gérard de Villiers ..p comme un feuilleton DSK va -t-il s’en sortir? Allo médiapart? allo le canard? Non personne ne réponds?

  2. A reblogué ceci sur Chez Dcembreet a ajouté:
    De là à s’interroger sur l’origine des fonds entre un magnat mauritanien, un banquier serbe et un oligarque renégat ukrainien, il n’y a qu’un pas.

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