Mais pourquoi s’opposer à la diffusion d’une telle carte dont les données ont été collectées par Richard Lynn et Tatu Vanhanen ?

La première serait les auteurs eux mêmes, Richard Lynn étant controversé par ses pairs et s’étant vu retirer son titre de professeur émérite de psychologie de l’université d’Ulster. N’ayant lu aucun de ses ouvrages je ne me prononcerai pas sur la qualité de ses travaux mais toujours est-il que, si on peut discuter des conclusions tirées des données, on ne saurait rejeter les données elles-mêmes sur la simple base de la personne qui les a collectées. Mais la méthodologie pour recueillir ces données fait aussi l’objet de controverse. La première est l’estimation faite de 79 pays en se basant sur le QI des pays limitrophes qui manque de rigueur, même si Richard Lynn et Tatu Vanhanen ont rassemblé de nouvelles données au fil des années.

Admettons que ces données soient correctes, il reste encore une limite aux chiffres présentés dans cette carte résidant non pas dans les chiffres eux-mêmes mais dans l’interprétation que certains en font. Nous avons pu observer beaucoup de personnes sur les réseaux sociaux qui, au vu de cette carte, en sont venus à la conclusion logique « Les noirs sont plus bêtes que les blancs ». Et c’est pour cette raison que Laurent Alexandre se prononce contre la diffusion de cette carte, afin de préserver la cohésion sociale.

Mais plutôt que d’interdire la diffusion, il est préférable de donner un éclairage sur cette dernière et les limites qu’elle peut présenter.

On passera rapidement sur le débat consistant à remettre en question la capacité des tests du QI à mesurer l’intelligence. Presque tous les psychologues s’accordent aujourd’hui sur l’existence d’un facteur général d’habileté mentale, l’intelligence, qui explique la majorité des performances d’un individu à des tests cognitifs et que les tests de QI mesurent approximativement ce facteur général.

Que nous dit cette carte ?

Ne nous cachons pas derrière notre petit doigt, en admettant que les données soient correctes, cette carte indique effectivement qu’à l’instant où les données ont été collectées, les Est-Asiatiques témoignent d’un QI supérieur aux Européens, qui témoignent eux même d’un QI supérieur aux Africains indépendamment des causes résultant sur ces différences. L’erreur consisterait cependant à procéder à une forme d’essentialisation de ces différences en se basant sur le caractère « héritable » du QI.

C’est ce qui nous a donné envie d’éclairer le lecteur sur ces notions « d’hérédité » et « d’héritabilité » qui semblent recouvrir la même signification pour le commun des mortels, mais qui sont en réalité différentes dans le jargon de la génétique.

Hérédité vs héritabilité

Il est très facile de sur-interpréter la notion d’héritabilité car le phénomène qu’elle décrit est largement contre-intuitif. L’étude des comportements génétiques produit un score appelé, le score d’héritabilité. Par exemple, certaines études ont reporté un score d’héritabilité de 40-60% pour des traits liés à des comportements sociaux comme la résilience après un stress psychologique, la sensibilité sociale, l’attitude politique, l’agression, et le potentiel à diriger. Mais qu’est-ce que le score d’héritabilité ? Comment les gènes influencent la moyenne d’un trait ? Et comment les gènes influencent la variation de niveau au sein d’une population donnée ? Ces deux dernières questions sont en réalité extrêmement différentes.

Quelle est la part de responsabilité des gènes en moyenne sur le score aux test du QI des personnes ? Puis, quelle est la part de responsabilité des gènes dans l’observation d’une personne disposant d’un score plus élevé qu’une autre ? Pour faire une analogie : quelle est la part de responsabilité des gènes expliquant le pourcentage de personnes aimant les glaces ? Et quelle est la part de responsabilité des gènes pouvant expliquer les différences de variation dans le choix des parfums de glace ?

Si les gènes influencent grandement la moyenne du niveau d’un trait, ce trait est fortement hérité. Si les gènes influencent la variabilité autour de ce trait particulier, ce trait possède une large héritabilité. L’héritabilité est une mesure à l’échelle d’une population. Le score d’héritabilité indique le pourcentage de variations totales attribuables à un facteur génétique.

Pour résumer, prenons l’exemple d’un trait largement hérité mais qui a une faible héritabilité, le nombre de doigts. Quelle est la part de responsabilité des gènes dans la probabilité pour un humain d’avoir 5 doigts ? presque 100%. Quelle est le taux de variation autour de ce trait ? pas tellement, le pourcentage d’humains ayant moins, ou plus, de cinq doigts est extrêmement faible. Ce trait est donc hautement hérité mais a une faible héritabilité. Si l’on vous demandait de deviner si un individu a cinq doigt en posant une seule question, vous aurez plus de probabilité de tomber juste en demandant si cette personne est charpentier qu’en questionnant son code génétique.

Prenons maintenant un second exemple d’un trait où l’influence génétique directe est nulle mais qui possède une forte héritabilité. Quelle est l’influence directe des gènes dans le fait que les humains portent des vêtements et pas les chimpanzés ? très faible. On ne naît pas avec des habits. Mais au sein d’un groupe d’humains, comment la génétique peut nous aider à prévoir si une personne portait une robe dans un bal en France en 1950 ? La part d’héritabilité expliquant la variation du trait consistant à porter des robes dans ce contexte est d’environ 100%. Simplement, les individus porteurs de deux chromosomes X avaient de grandes chances de porter des robes.

En d’autre terme, le score d’héritabilité ne peut être produit que dans un environnement particulier. L’héritabilité du trait consistant à porter une robe peut être de 100% dans le contexte d’un bal en France en 1950 et de 50% dans un club aux États-Unis en 2019.

L’interaction entre les gènes et l’environnement

Imaginons un scientifique étudiant un gène particulier sur une plante. Dans ce scénario fictif, le seul gène, qu’on nommera pour l’occasion gène 2435, régule la croissance de la plante. Ce gène possède 3 variations, que l’on nommera ab et c. La plante avec la version a du gène pousse et atteint toujours la taille de 20 cm après un an, la version b, 30 cm, la version c, 40 cm. Quel facteur nous permet de savoir quelle plante sera la plus grande ? De toute évidence la connaissance de la version du gène possédé par la plante. Cela explique l’entièreté des variations observées. Ce trait est donc 100% héritable.

Dans le même temps, à 12000km de là dans la jungle tropicale, un autre scientifique étudie la même plante avec les mêmes variations. Dans cet environnement, les plantes avec les versions a b et c mesurent respectivement 1m, 1,1m et 1,2m. Ce généticien conclue lui aussi que dans ce cas, le trait présente 100% d’héritabilité.

Si je vous demande à présent de prédire la taille d’une plante de ce type et vous octroie une seule question, quelle information vous sera la plus importante à connaître ? la variation du gène ou l’endroit où elle a poussé ? Connaître l’environnement semble plus important dans ce cas.

Le score d’héritabilité indique combien le taux de variation d’un trait est influencé par les gènes au sein de l’environnement dans lequel il fut étudié. Plus on multiplie les environnements dans lesquels est étudié un trait, plus le taux d’héritabilité décroit.

Changeons les scores des résultats de notre plante à présent. Admettons que dans le premier environnement les 3 variations donne des plantes de 20 cm et dans le deuxième environnement, les plantes mesurent toutes 1 m. Dans ce cas, l’héritabilité sera de 0%. Tout est expliqué par l’environnement.

Imaginons maintenant que dans le premier environnement, les plantes mesurent respectivement 20 cm, 30 cm et 40 cm puis dans les deuxième environnement elles mesurent aussi 20 cm, 30cm et 40 cm. Alors l’héritabilité sera de 100%.

Autre exemple, où dans le premier environnement les plantes mesurent 20 cm, 30 cm et 40 cm, puis dans le deuxième environnement, 25 cm, 35 cm et 45 cm. Alors le score d’héritabilité sera quelque part entre 0% et 100%.

Finalement, imaginons le scénario où dans le premier environnement les plantes mesurent 20 cm, 30 cm et 40 cm, puis dans le second environnement 40 cm, 30 cm et 20 cm. Dans ce cas, parler de score d’héritabilité est problématique, car les différences génétiques ont un effet diamétralement opposé suivant l’environnement. Cela illustre un concept central de la génétique, l’interaction entre les gènes et l’environnement.

Dans quel scénario le trait de l’intelligence chez les humains se retrouve-t-il ?

Pour en revenir à notre carte, vous l’aurez compris, même si la méthodologie pour collecter les données est la même partout, sa limite est de ne pas offrir de contrôle suffisant sur l’environnement et donc l’impossibilité d’estimer la part de responsabilité génétique sur les différences observées. Cela dit, il ne s’agit pas un défaut de méthodologie puisque le but est simplement de comparer les résultats par pays. De plus, mettre en garde contre la sur-interprétation de cette carte ne saurait relativiser l’information cruciale qu’elle nous délivre néanmoins. Si un Africain adulte a un QI de 70 en Afrique subsaharienne, ce n’est pas parce qu’il change d’environnement en venant en Europe que son QI va changer. il aura toujours 70 de QI en Europe. Les psychologues reconnaissent aujourd’hui que le QI d’une personne, qui est influencé par les gènes et les facteurs environnementaux, est relativement stable une fois l’adolescence atteinte. On remarque aussi que les scores au test de QI sont corrélés au niveau d’études, aux revenus, et à beaucoup d’autres résultats socio-économiques.

En cela, nous ne saurions nous opposer à la diffusion de cette carte si elle ne souffre d’aucun problème méthodologique, mais il nous apparait important que nos lecteurs s’informent plus sur ce sujet pour comprendre dans quel scénario se trouve le trait de l’intelligence chez les humains. La carte n’est pas suffisante en elle même et peut conduire à une sur-interprétation, mais de nombreuses autres études ont été effectuées dans d’autres environnements et tendent à démontrer que la part de responsabilité génétique n’est pas nulle. Il est fort possible que des facteurs génétiques influencent les différences de QI observées entre les populations mais beaucoup de scientifiques suspendent leur jugement en attendant que les recherches ADN soient capables de mettre en avant précisément une combinaison de gènes ayant une responsabilité sur les scores aux tests de QI. Cela fera l’objet de prochain article.

http://rage-culture.com/des-limites-de-la-carte-du-qi-a-ne-pas-diffuser/