Boboitude

« On devient stupide dès qu’on cesse d’être passionné »

« On devient stupide dès qu’on cesse d’être passionné »

Par miscellanees01.wordpress.com 3 min 26 Octobre 2019

« Les gens sensés, ces idoles des gens médiocres, sont toujours fort inférieurs aux gens passionnés ; […] ce sont les passions fortes qui, nous arrachant à la paresse, peuvent seules nous douer de cette continuité d’attention à laquelle est attachée la supériorité d’esprit. […]

On devient stupide dès qu’on cesse d’être passionné. Cette proposition est une conséquence nécessaire de la précédente. En effet, si l’homme épris du desir le plus vif de l’estime, et capable, en ce genre, de la plus forte passion, n’est point à portée de satisfaire ce desir, ce desir cessera bientôt de l’animer, parce qu’il est de la nature de tout desir de s’éteindre s’il n’est point nourri par l’espérance. Or la même cause qui éteindra en lui la passion de l’estime y doit nécessairement étouffer le germe de l’esprit. […]

[…] l’activité de l’esprit dépend de l’activité des passions. C’est aussi dans l’âge des passions, c’est-à-dire depuis vingt-cinq jusqu’à trente-cinq et quarante ans, qu’on est capable des plus grands efforts et de vertu et de génie. À cet âge les hommes nés pour le grand ont acquis une certaine quantité de connoissances, sans que leurs passions aient encore presque rien perdu de leur activité. Cet âge passé, les passions s’affoiblissent en nous ; et voilà le terme de la croissance de l’esprit : on n’acquiert plus alors d’idées nouvelles ; et, quelque supérieurs que soient dans la suite les ouvrages que l’on compose, on ne fait plus qu’appliquer et développer les idées conçues dans le temps de l’effervescence des passions, et dont on n’avoit point encore fait usage.

Au reste ce n’est point uniquement à l’âge qu’on doit toujours attribuer l’affoiblissement des passions. On cesse d’être passionné pour un objet lorsque le plaisir qu’on se promet de sa possession n’est point égal à la peine nécessaire pour l’acquérir : l’homme amoureux de la gloire n’y sacrifie ses goûts qu’autant qu’il se croit dédommagé de ce sacrifice par l’estime qui en est le prix. […] On ne triomphe point de ses habitudes et de sa paresse si l’on n’est amoureux de la gloire ; et les hommes illustres ne sont quelquefois sensibles qu’à la plus grande. S’ils ne peuvent envahir presque en entier l’empire de l’estime, la plupart s’abandonnent à une honteuse paresse. L’extrême orgueil et l’extrême ambition produisent souvent en eux l’effet de l’indifférence et de la modération. Une petite gloire, en effet, n’est jamais desirée que par une petite ame. Si les gens si attentifs dans la maniere de s’habiller, de se présenter et de parler dans les compagnies, sont en général incapables de grandes choses, c’est non seulement parce qu’ils perdent à l’acquisition d’une infinité de petits talents et de petites perfections un temps qu’ils pourroient employer à la découverte de grandes idées et à la culture de grands talents, mais encore parce que la recherche d’une petite gloire suppose en eux des desirs trop foibles et trop modérés. Aussi les grands hommes sont-ils presque tous incapables des petits soins et des petites attentions nécessaires pour s’attirer de la considération : ils dédaignent de pareils moyens. […]

J’ai fait, je crois, suffisamment sentir que l’absence totale de passions, s’il pouvoit en exister, produiroit en nous le parfait abrutissement, et qu’on approche d’autant plus de ce terme qu’on est moins passionné. Les passions sont en effet le feu céleste qui vivifie le monde moral : c’est aux passions que les sciences et les arts doivent leurs découvertes et l’ame son élévation. Si l’humanité leur doit aussi ses vices et la plupart de ses malheurs, ces malheurs ne donnent point aux moralistes le droit de condamner les passions, et de les traiter de folie. La sublime vertu et la sagesse éclairée sont deux assez belles productions de cette folie pour la rendre respectable à leurs yeux.

La conclusion générale de ce que j’ai dit sur les passions, c’est que leur force peut seule contrebalancer en nous la force de la paresse et de l’inertie, nous arracher au repos et à la stupidité vers laquelle nous gravitons sans cesse, et nous douer enfin de cette continuité d’attention à laquelle est attachée la supériorité de talent. »

Claude-Adrien Helvétius – De l’esprit (1758)

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4 réponses »

  1. Excellent. Par contre je ne suis pas sur que toutes les passions puissent être la source d’une quelconque évolution. La passion de l’excellence peut être. Mais la passion de l’argent des honneurs et autres matérialités c’est la régression assuré. Au purgatoire il y a ceux qui se dirige vers les enfers et ceux qui se dirige vers le paradis. Le problème consiste surtout a comprendre ou nous nous trouvons est surtout vers quoi nous voulons nous diriger. ;))

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