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La furie de Clio (Ange Apino)

La furie de Clio

Ils s’indignent. Ils publient des ouvrages chez Grasset, des tracts chez Gallimard. Ils interpellent sur les plateaux des émissions politiques de BFM TV. Les historiens. Les historiens lèvent le bouclier contre le péril zemmourien, en ces temps de campagne. Ça avait commencé avant, quand Zemmour, dans Suicide Français, paru en 2014, s’en était pris à Robert Paxton, auteur de la France de Vichy, qui a bouleversé l’historiographie sur le régime du maréchal Pétain. Zemmour affirmait que la sauvegarde de souveraineté tentée par Vichy et dénoncée par Paxton avait permis de sauver des juifs français. De nombreux historiens avaient alors dénoncé la thèse du Z, l’accusant de viser la réhabilitation de Pétain. La querelle entre Zemmour et l’université française s’était accélérée à la publication de l’ouvrage suivant de Zemmour, Destin Français, en 2018. Et pour cause, le livre était son histoire de France, son hommage à Bainville à un siècle de distance. On y retrouvait les mêmes intuitions, le même amour de l’ordre, de l’État, le même goût tout romain de l’unité. Seul différait au fond la vision de Napoléon Bonaparte, condamné comme lumiériste par l’historien d’Action Française, porté au pinacle comme incarnation parfaite du principe d’autorité. Pour répondre à ce nationalisme insupportable, Gérard Noiriel, directeur d’études à la prestigieuse EHESS, était monté au créneau, publiant un ouvrage intitulé, dans un souci de sobriété tout scientifique : Le venin dans la plume Édouard Drumont, Éric Zemmour et la part sombre de la République. Rien que ça. Où il expliquait que le pamphlétaire furieusement antisémite et le journaliste juif appartenait à la même tradition intellectuelle. Rien que ça. Ensuite, il y a eu a la campagne, gorgée d’histoire comme à son habitude. Dans ce contexte, Laurent Joly, lui aussi professeur à l’EHESS, tiens donc, publiait début janvier La falsification de l’Histoire: Eric Zemmour, l’extrême droite, Vichy et les juifs, qui racontait qu’Eric Zemmour était cette fois non pas l’héritier de Drumont mais du bon Maréchal lui-même et qu’il falsifiait sciemment l’histoire pour unir les droites sous la bannière du « nationalisme ethnique ». Rien que ça. Et puis il y a quelques jours, ce tract d’une dizaine d’historiens dont les deux suscités, pour dénoncer l’instrumentalisation de l’histoire par Zemmour. Et hier, ce professeur d’histoire à Nanterre, on devrait s’arrêter, qui prenait à partie le Z à propos des mêmes conneries.

Zemmour malaxerait l’histoire, lui tordrait son cou délicat pour la faire entrer dans le tube de son télescope racisto-misogyno-quelquechosequifaitpeurauxétudiantesensociologie. Oui. Il y aurait d’un côté la vile manipulation politicienne, le royaume du populisme, de la doxa, et de l’autre le savoir aux mains blanches, la très diaphane science historique, généreuse dispensatrice de lumière divine. La belle affaire. Pour avoir usé ses jeans sur les bancs gentiment vermoulus de la Sorbonne, papesse de Clio, pour s’être douché gratis aux postillons de ses professeurs, votre serviteur sait quel profondeur la gangrène woke y a atteint. Circulaires de l’université et mails des professeurs en écriture inclusives, programmes orientés dans des proportions indécentes, vexations pour les professeurs qui ne suivent pas le mouvement, ostracisations des élèves hétérodoxes, la liste pourrait encore s’allonger. Ah mais dis-donc, le savoir universitaire serait bousculé de son imperturbable socle socratique, la raison serait au service de l’idéologie ? Qu’il serait instructif faire une histoire de l’histoire, raconter les biais idéologiques inconscients qui ont orienté la recherche historique, les courants philosophiques ont présidé à ses développements contemporains, et notamment le structuralisme puis la French theory foucaldo-deleuzienne, véritable maîtresse inavouée de l’heure.

Alors non, il n’existe pas d’histoire objective, seulement des interprétations des faits historiques. Zemmour interprète, Noiriel et sa clique interprètent, biaisés chacun, et rien de catastrophique à cela, l’idée même d’un savoir non-biaisé en sciences humaines et en particulier en histoire est une tendre croyance de cour d’école, et d’imbéciles ou d’hypocrites passé cet âge.

Ange Appino l’Incorrect

« Il est souvent plus aisé de découvrir une vérité que de lui assigner la place qui lui revient »

Le principe de l’arbitraire du signe n’est contesté par personne ; mais il est souvent plus aisé de découvrir une vérité que de lui assigner la place qui lui revient.

Ferdinand de Saussure – Cours de linguistique générale (1916)

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