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La démocratie réticulaire (Marc Obregon)

La démocratie réticulaire

A 54 heures jours du grand show électoral en prime time, l’heure est soi-disant au bilan pour Emmanuel Macron. On retiendra surtout une chose : l’avènement d’une « démocratie réticulaire », pour employer une périphrase aimable, déjà en germe dans la mandature de François Hollande, propulsée par un islamo-terrorisme authentifié qui fut d’un excellent cru. Qu’est-ce-à-dire, ô affable lecteur ? Regardez : dès 2017 le gouvernement Macron annonçait le déploiement d’une « boîte noire » – comprendre un dispositif capable de collecter et d’analyser en masse les données informatiques des particuliers. En 2018, sont promulguées la loi sur la « programmation militaire » qui permet à un fournisseur d’accès de poser des « sondes » sur l’ensemble du réseau, mais aussi la fameuse loi anti-fake news, qui instaure une procédure d’urgence en cas d’information non-citoyenne à contrer… en 2019 une nouvelle « loi de finances » autorise l’administration fiscale et les douanes à surveiller les réseaux sociaux pour repérer les fraudes éventuelles. En 2020 le décret Gendnotes facilite le fichage policier et la reconnaissance faciale via une application mobile dédiée. Présentée comme un simple programme de « prise de notes », l’appli permet en réalité de collecter et de recouper des données relatives aux groupes ethniques et aux orientations religieuses et politiques. Dans la foulée, le décret DataJust autorise le ministère de la justice à collecter les données personnelles issues des tribunaux et encourage le développement d’une « justice prédictive », graal de tous les états policiers. Au printemps 2020, des drones flics surveillent le confinement en toute illégalité. Puis dans la foulée, la loi Avia entend bien déterminer, dans un pays déjà muselé par le covidisme, ce qu’on peut dire et ce qui relève de la « haine »… Aah, la haine… la haine du peuple en tout cas, est bien présente, et la pandémie a été un accélérateur de mépris de classe tout à fait sidérant, qui s’est glissé avec délice dans la mantille techno-sécuritaire.

Rien de très nouveau, j’en ai peur. Rien qui n’ai déjà été déjà commenté, analysé, ampoulé et disserté ici même. Mais tout de même, exposons quelques faits : on le sait, depuis la navrante évacuation du religieux par le monde protestant/jacobin/maçonnique (veuillez rayer la mention inutile), depuis la fin donc de l’utopie augustinienne de la Cité de Dieu, qui sous-tendait à notre humble avis tout l’Ancien Régime, le politique on le sait n’est plus affaire de verticalité. En perdant de vue à la fois le Bien Commun et la position transcendante d’un pouvoir incarné dans la personne royale, médiateur du divin dans le monde terrestre, le politique est devenu une grosse métastase qui s’est répandue dans toutes les directions, un organisme désormais privé de colonne vertébrale, privé de cellules médullaires et qui s’est engrossé lui-même pour se répandre ignominieusement dans les contrefaçons que l’on sait, avec les tragédies que l’on sait. Le communisme et le nazisme demeurant encore aujourd’hui les horizons indépassables de cette embolie du politique, de son débordement dans les gouttières de la post-histoire.

De fait, la démocratie aurait dû nous permettre de contourner cette injonction du divin et de « simuler » en quelque sorte la nécessité à la fois individuelle et collective du Bien Commun. Pour cela, encore eût-il fallut qu’elle soit applicable, locale, et surtout affranchie de toute spéculation déterministe – la finance, la mathématisation des rapports sociaux maquillée en « sociologie », le culte morbifique de Mammon déguisé en anthropolâtrie techniciste. Ce n’est évidemment pas le cas. La démocratie moderne, républicaine, adossée à l’oligarchie et au pouvoir des images, circonscrit en réalité encore un peu plus, si besoin était, notre abandon des valeurs chrétiennes, celles-là même qui ont conduit les nations européennes à la gloire. Ainsi, la révolution libérale-libertaire qui a supplanté les totalitarismes s’est dotée d’un culte, d’une esthétique, d’une technique, qui est globalement celle du réseau. Et non pas seulement internet. Bien avant les balbutiements d’Arpanet, le progrès, en se drapant dans la nécessité égalitariste, avait fait du réseau son mantra : dans un réseau, en effet, tous les éléments, toutes les monades sont nourries à la même enseigne, elles participent du même ensemble, elles en alimentent les mêmes flux. C’est l’ars combinatoria de Leibniz dévoyé, détourné au profit de la fabrique du résiduel. Le réseau en cela s’oppose au « σύστημα » des Grecs anciens, qui relève davantage d’un assemblage de partie connexes que d’un maillage. Car le maillage dévore peu à peu le système. Si le réseau est apparu en fait comme le moyen pérenne pour éviter justement le développement totalitaire, pour l’absorber, il finit toujours par ressortir par chacune des pores du système, il se réinvente dans chaque individu.

N’oublions pas que le réseau trouve sa source dans le métier à tisser.  Ce dernier peut se voir comme la quintessence de la technique puisque son fonctionnement même a pour principe de concilier verticalité et horizontalité. Ce n’est pas pour rien que les premières révoltes anti-techniques, celle des luddites, étaient précisément tournées contre les métiers à tisser industriels. Le réseau est également une « grille de lecture » qui a permis d’appréhender une réalité mutante : à partir des Lumières on se met à percevoir le corps humain, l’infiniment petit et l’infiniment grand, comme un maillage. Un maillage qui interface l’observable et l’observé. Aujourd’hui, le maillage est sorti de son rôle il s’échappé de sa condition d’interface, de zone interstitielle, pour abonder dans notre réalité, pour dévier notre regard et déjouer la lumière elle-même. Ainsi va notre démocratie : couplée à cette damnation réticulaire, elle est aujourd’hui un instrument de coercition plus néfaste que jamais, comme en témoignent les nombreuses « avancées » de la Macronie ces cinq dernières années.

Marc Obregon l’incorrect

 

« Sans les religions, les sciences n’eussent pas existé »

Sans les religions, les sciences n’eussent pas existé, car la tête humaine n’aurait pas été habituée à s’écarter de l’apparence immédiate et constante qui lui définit la réalité.

Paul Valéry – Tel Quel (1941)

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