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Pourquoi la situation des EHPAD n’est pas prête de s’arranger (Yves Montenay)

Pourquoi la situation des EHPAD n’est pas prête de s’arranger

 

L’affaire Orpea ne doit pas occulter l’essentiel : la situation de maltraitance dans certains EHPAD est moins liée au caractère public ou privé de leur gestion qu’au problème démographique général… et qui ne va pas aller en s’arrangeant, vu la pyramide des âges française !

Vous avez probablement suivi le dossier Orpéa suite la parution du livre « Les Fossoyeurs » de Victor Castanet et le fracas médiatique qui se poursuit avec la récente mise en cause de son concurrent Korian, leader en France des EHPAD privés (*). La maltraitance des vieux en EHPAD est un sujet connu de beaucoup de Français pour des raisons familiales, mais bizarrement peu débattu jusqu’à présent.

Je crains que les postures idéologiques « anti-secteur privé » n’occultent les données démographiques et ne compliquent encore l’analyse de la situation.

En effet la dénonciation médiatique insiste sur le fait que Orpéa est une société privée, cherchant à faire du profit sur la maltraitance des vieux. C’est se tromper de problème.

Dénoncer les EHPAD privés occulte les vrais problèmes

D’abord il faut rappeler dans quel état épouvantable étaient ces établissements publics quand nos gouvernants ont appelé le privé au secours.

Les gouvernements étaient dans l’incapacité financière d’investir dans suffisamment de nouveaux bâtiments et d’assurer le bien-être d’un nombre suffisant de vieillards diminués, alors que les prévisions démographiques annonçaient une hausse rapide des besoins.

Le privé a fait la moitié du travail, en construisant de bien meilleurs bâtiments, du fait de leur puissance financière et en faisant appel aux épargnants, encouragés à financer des chambres moyennant un loyer intéressant.

C’est ainsi que l’on a mis un terme par exemple aux six personnes par chambre, dont j’entendais parler il y a quelques décennies, comme l’a rappelé Le Figaro récemment.

Le privé a ainsi permis d’accueillir 25 % des vieux, et dans de meilleurs bâtiments. Certes, c’est plus cher, mais l’expérience montre qu’il y a eu la demande correspondante en face.

Reste l’autre moitié du problème : les soins… ou le manque de soins.

Parmi les 900 réclamations reçues ces 6 dernières années par les défenseurs des droits, 45 % concernent un EHPAD public, 30 % un EHPAD à but non lucratif et 25 % un EHPAD privé à but lucratif.

Ce qui correspond exactement à leur part de marché relative, vu la répartition des places en EHPAD en France : 45% Publics, 31% associatifs et 24% privés (source Panorama des EHPAD en France de Uni Santé). 

Panorama des EPHAD en France (2021) - Crédit : Uni Santé
Panorama des EHPAD en France (2021) Source Uni Santé

Les soins médicaux sont suivis par les agences régionales de santé (ARS) en régions.

Si ces dernières font bien leur travail, les soins sont de qualité analogue à celle du public, ce qui est illustré par des réclamations de même niveau.

En réalité, la qualité des soins dans le public comme dans le privé reste insuffisante en France  pour la raison que nous allons voir ci-après : le problème n’est pas dans le statut public ou privé des EHPAD concernés mais dans la démographie française.

Les données démographiques sont têtues

Tout le monde est d’accord pour dire qu’il faut plus de soignants (**) mais on retombe sur le problème que je soulevais dans mon article récent : « On manque de bras et de cerveaux : où sont-ils » .

Pour avoir plus de soignants mais aussi davantage d’enseignants, de juges, d’informaticiens etc. il faudrait pouvoir rajouter plusieurs millions d’actifs à la population française, ce qui s’avère extrêmement difficile pour des raisons politiques et temporelles : il faut par exemple 20 à 65 ans pour voir les effets sur la population active d’une politique nataliste … si elle est efficace, ce dont il y a peu d’exemples dans l’histoire, comme l’illustre l’échec de la Chine dans ce domaine.

Si on a raison de dire que l’analyse démographique amène à prévoir de plus en plus de vieillards diminués à soigner, on oublie que la même analyse démographique montre qu’il n’est mathématiquement pas possible de les encadrer suffisamment. Premier problème démographique.

Ce problème est aggravé par la forme de la pyramide des âges française : si nous étions heureux du baby-boom de 1945-73 qui a probablement sauvé la France de la disparition, il est normal que nous en payions le prix, en nous occupant maintenant de la vieillesse de ceux qui ont sauvé le pays.

Non seulement ils ont gonflé le haut de la pyramide des âges, mais leurs enfants ont rétréci son milieu en diminuant leur fécondité et l’on pourrait aussi évoquer la responsabilité de certains gouvernements qui ont grignoté les dispositions natalistes de la Libération.

Il y a donc aujourd’hui relativement moins d’actifs pour s’occuper de tout et notamment des vieux.

Le maintien à domicile pourrait-il être la solution ?

Notre gouvernement cherche une autre solution : le maintien à domicile. Il est souhaité par les intéressés et il est conseillé par les médecins.

Mais on se heurte là aussi à la démographie : combien d’infirmières ou d’aides-soignantes faudra-t-il pour cela ? S’il s’agit d’aider ou de soigner 2 heures par jour, c’est possible, mais ça ne soulagera pas les EHPAD qui sont destinés à un public plus diminué.

La France est l’un des pays européens qui compte la proportion la plus élevée de personnes âgées en EHPAD (8,8 % des 75 ans et plus).

Près de 7 600 EHPAD accueillent plus de 600 000 personnes âgées en perte d’autonomie ou handicapées qui sont majoritairement des personnes en situation de vulnérabilité :

  • 80% sont classées en GIR (en situation de dépendance*)
  • 260 000 souffrent d’une maladie neurodégénérative
  • et 28% sont sous régime de protection juridique des majeurs.

Les besoins en soins et les niveaux de dépendance des résidents continuent à progresser : selon les projections de la Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques, en 2050, les plus de 60 ans seront 25 millions, dont 4 millions en situation de perte d’autonomie ou de handicap…

Pour cette catégorie qui a besoin d’une assistance 24 heures sur 24 à domicile, il faudrait 7 infirmières par personne, c’est-à-dire au moins 20 fois plus que dans les EHPAD, où un soignant s’occupe de plusieurs personnes !

Cela explique pourquoi une partie de ce travail est prise en charge par la famille, et l’aide que notre gouvernement a commencé à apporter aux « aidants ». Encore faut-il qu’il y ait une famille disponible, ce qui n’est pas le cas général.

Il faut donc avoir le courage de constater que le problème est insoluble dans le cadre actuel.

Regardons ce qui se passe à l’étranger, qui est souvent beaucoup plus menacé que la France puisque la fécondité y a été bien inférieure depuis longtemps.

Que peut-on retenir des exemples étrangers ?

D’abord pas grand-chose pour l’instant, puisque dans la plupart des pays concernés le problème n’est pas encore traité, et, en attendant, ce sont les familles qui supportent le choc… comme cela a toujours été le cas dans les pays pauvres.

Si cette solution familiale est éternelle, elle sera de plus en plus difficile.

En effet le modèle familial mondial est de moins en moins celui des grandes familles africaines avec deux ou trois vieux pris en charge par une foule de descendants. La taille des familles diminue partout dans le monde.

C’est en train de devenir insupportable en Chine du fait de la politique de l’enfant unique qui vient juste de s’arrêter, sans d’ailleurs parvenir à faire remonter la fécondité : deux parents doivent nourrir un ou deux enfants, quatre grands-parents et de un à huit arrière-grands-parents !

Et qu’on ne dise pas que l’on va remplacer l’action des familles par des retraites ou des subventions. Financièrement c’est donner à la main gauche l’argent qu’on a pris à la main droite, et démographiquement ça ne change rien !

Un exemple intéressant est celui du Japon, pays ayant un niveau de vie et de modernité voisin du nôtre. Il n’y a pas de solution miracle mais il y a trois palliatifs :

  • de plus en plus de robots domestiques pour aider à la vie courante des vieilles personnes seules,
  • l’émigration vers des pays pauvres (souvent les Philippines) où l’on peut mieux vivre qu’au Japon avec une petite retraite. C’est à méditer pour les opposants à l’immigration : cela donne du travail sur place dans les pays pauvres où la migration vers les pays riches devient donc moins nécessaire. Mais cela coupe des familles.
  • travailler jusqu’à 80 ans et au-delà, ce qui se fait de plus en plus.

L’immigration à la rescousse du secteur de la santé ?

En France, une partie du choc a été résolu par l’immigration : dans quel état seraient nos anciens aujourd’hui s’il n’y avait pas les aides-soignantes et autres personnels indispensables des premières, deuxième et troisième génération d’immigrés ?

Vous reconnaissez ici ce que je prêche depuis toujours sur les retraites, mais le problème est encore plus aigu : un retraité peut vivre plus chichement sans drame, mais pour des anciens, on est déjà tombé trop bas !

Dans les crèches, il existe un ratio obligatoire de professionnels pour encadrer les enfants, y compris dans le secteur privé. Rien de tel dans les EHPAD. Déjà la démographie limite le développement des crèches et autres structures d’accueil des jeunes. C’est encore pire pour ceux des anciens.

Mais, jusqu’à aujourd’hui, le grand public avait la tête ailleurs : la presse regorge de préoccupations sur les jeunes : ils ont du mal à trouver un emploi (la réforme de l’apprentissage atténue le problème), ils n’ont pas pu aller en boîte pendant de nombreux mois, ils sont affolés par la menace environnementale etc.

Je me suis fait engueuler par de nombreux amis en disant qu’une bonne partie des pays européens refusant encore plus que nous l’immigration aujourd’hui tout en ayant encore moins d’adultes que nous, seraient obligés d’accepter bientôt l’immigration qu’ils refusent aujourd’hui.

Cela alors qu’ils auront moins d’adultes pour l’encadrer, l’intégrer puis l’assimiler. Bref que les populistes les poussent au suicide sous prétexte de les sauver !

Cela n’empêche pas d’être très ferme envers les nouveaux venus, et de ne pas les présenter comme des victimes du colonialisme, du racisme, du capitalisme etc. Ce sont des gens qui profitent d’une opportunité démographique, le déclin de l’Europe et de bien d’autres pays, pour améliorer considérablement leur niveau de vie.

Un mot maintenant pour les écologistes qui prônent la décroissance de la population par une très stricte limitation des naissances. On voit bien que ça ne ferait qu’aggraver le problème … Ou alors il faut diminuer la population en tuant les vieux !

Il y a maintenant 20 ans, dans ma conclusion d’un livre sur ce sujet, j’imaginais un président chinois autoritaire (qui est apparu entre-temps !) demandant aux plus de 75 ans de se jeter par la fenêtre pour le bien du pays.

 

Bref il n’y a pas de solution miracle, mais arrêtons de compliquer le problème par une idéologie opposant public et privé, peur ou victimisation de l’immigration ! Et analysons froidement les données pour trouver des solutions au lieu de chercher des boucs émissaires.

Yves Montenay
Docteur en démographie politique.

 

(*)  Maltraitance dans les EHPAD : l’avocate Sarah Saldmann va lancer une action collective en avril contre le groupe Korian (France Info, 7 février 2022

(**) La France a-t-elle abandonné ses vieux ? « Malgré un personnel dévoué, les moyens manquent, le temps et le manque d’effectif aussi. » (France Inter, 24 octobre 2017)

LEXIQUE

EHPAD : Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes.

Le GIR (groupe iso-ressources) correspond au niveau de perte d’autonomie d’une personne âgée. Il est calculé à partir de l’évaluation effectuée à l’aide de la grille AGGIR. Il existe six GIR : le GIR 1 est le niveau de perte d’autonomie le plus fort et le GIR 6 le plus faible :

  • GIR 1 : dépendance totale, mentale et corporelle
  • GIR 2 : grande dépendance
  • GIR 3 : dépendance corporelle
  • GIR 4 : dépendance corporelle partielle
  • GIR 5 : dépendance légère
  • GIR 6 : pas de dépendance notable.

SOURCE

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2 réponses »

  1. Tres jolie envolee lyrique Monsieur Montenay, mais quid de la reelle et monstrueuse menace en cours de la surpopulation, seul reel probleme sur cette planete.

    Nous sommes 90 millions de plus sur terre chaque annee, bientot 100 millions l´an, avec les consequences destructrices majeures que nous constatons chaque jour, et la dite croissance dont les MSM et les politiques nous rebattent les oreilles en permanence est tout simplement IMPOSSIBLE a terme, vu que nous vivons sur une toute petite bille limitee.

    J´ai une mere,veuve de 93 ans qui est chez ORPEA sur sa demande depuis bientot une decennie, elle est maintenant GIR 1 depuis deux ans, le medecin en charge la qualifiant off record de GIR 1 ++, c´est a dire qu´elle est inconsciente, grabataire, nourrie de force avec des bouillies et hydratee avec du gel ou des perfusions, enuresique et encopresique evidemment, et elle me coute ainsi qu´a mes freres et soeurs 3200 euros mensuels, et le directeur de l´EHPAD quand je lui ai suggere d´abreger ses souffrances m´a repondu qu´elle ne se plaignait pas et donc que le document signe par elle a son entree et autorisant une forme d´euthanasie n´etait pas encore valide!

    La question est:
    quelle est cette sorte de fin de vie legumineuse et non plus humaine que l´on impose a certains de nos anciens, pour qu´elle absurde raison et lachete morale ne pouvons nous pas decider d´abreger cette aberration?
    Et je ne parle pas du cout financier pour la societe ni du profit pour les EHPAD, ni d´une limite d´age imposee, mais d´une limite des conditions acceptables d´une survie forcee et inepte.
    Desole pas d´accents, clavier allemand.

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