REBLOG

L’Afrique concrète (Marc Obregon)

L’Afrique concrète

Neuf ans et quelques « morts pour la France » plus tard, la France prend congé du Mali et sort par la petite porte. Presque en catimini. Un  Afghanistan pour l’Hexagone  qui laissera probablement un goût amer dans la bouche d’Emmanuel Macron. Humiliée par une junte pilotée de loin en loin par le Kremlin, nos forces d’occupation tranquille n’ont plus qu’à remiser leurs blindés au garage et à rendre leurs drones Reaper aux américains. On veut éviter à tout prix un fiasco trop retentissant, on préfère se retirer avant d’être chassé par des hordes de civils en colère et par des barbouzes russes suréquipés. La France se sera définitivement enlisée au Sahel : une dure leçon pour Macron et Le Drian, qui espéraient sans doute encore pouvoir recoller les morceaux, lorsque la junte a pris le pouvoir et que les diplomates français allaient jusqu’à saluer “la détermination” des officiers maliens.

 

La Françafrique est-elle vraiment finie ? Disons qu’elle a pris un autre visage. Aujourd’hui, finies les nations post-coloniales qui continuent vaille que vaille d’accorder leur imprimatur à des régimes bridés et bricolés vite fait sur un substrat ethnique. Aujourd’hui, on est dans l’ère de la polyarchie, et elle s’applique toujours davantage sur le continent africain, qui demeure un espace tristement privilégié pour toutes les expérimentations délétères, toutes les ingénieries sociales les plus salopes, toutes les instrumentalisations décomplexées. Il y a belle lurette que les états ne mènent plus le jeu, mais plutôt les entreprises, les multinationales, les fonds d’investissement et les mercenaires qui servent à acheter la paix sociale à coups de formations militaires orientées barbarie et viol groupés. Vous avez besoin de Coltan sur la frontière rwandaise du Congo ? Pas de souci, il suffit de provoquer une petite guerre ethnique, de faire livrer aux bergers quelques kalachnikov et quelques mines anti personnelles via une entreprise-fantôme gérée en sous-main par Thalès, et voilà le travail. Dans le Sahel, pourtant, c’est un peu différent. Si le Mali a fait appel à la France en 2012, c’est bien parce que la région était en passe de devenir une véritable poudrière, principalement à cause de deux peuplades, les Touaregs au nord et les peuls au sud, que la lente imprégnation djihadiste menaçait peu à peu de corrompre. Les djihadistes : rien de tel pour réactiver quelques vieilles querelles et pour ménager de nouvelles autoroutes aux trafics en tout genre. Ce sont un peu les croquemitaines idéal d’un Capitalisme sauvage qui dévore le continent. Instruments de pouvoir téléguidés par les puissants, ils servent de « parefeux » – des firewall aux sens informatique du terme. Ils aspirent les velléités indépendantistes, ils absorbent les chocs de la guerre civile, diluent les revendications du peuple dans le brouhaha parasitaire de cet islam crasseux et dégénéré qui sert de paravent à toutes les ignominies tribales. La France, les États-Unis, et toutes les forces européennes de la force Takuba combattaient d’un côté les salafistes, et de l’autre leurs entreprises siphonnaient les terres abandonnées, les villages délaissés. Le principe des vases communicants, avec des peuples entiers pris en otage, livrés en pâture aux gorgones.

 

Pourtant, la France a sans doute eu raison de se battre au Sahel, ne serait-ce que pour endiguer les tentations séparatistes locales, dans un territoire qui constitue un véritable hub transactionnel et diplomatique, avec l’Algérie, la Côte d’Ivoire et la Libye non loin tout proches, qui veillent à leurs intérêts frontaliers avec plus ou moins d’à-propos. Mais la France a dû affronter un bon vieux retour du concret : la Chine, d’abord, qui sape toutes les initiatives locales avec des investissements stratégiques (elle gère actuellement tout le parc de serveurs informatiques de la région) mais aussi la Russie, qui entend bien profiter à son tour du gigantesque gâteau que représente le sol africain. Avec l’opération Barkhane, c’est surtout l’Europe qui prouve ses limites militaires : pas assez préparée, pas assez « articulée ». Elle se heurte aujourd’hui à une politique du concret qui prédomine depuis toujours sur le continent africain.

Marc Obregon L’Incorrect

Catégories :REBLOG

Tagué:

Laisser un commentaire