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Tectonique des plaques (Tristan Nevis)

Tectonique des plaques

Quiconque commente la guerre en Ukraine a forcément tort. C’est la règle. Puisque chaque belligérant est un système à part entière qui produit ses propres informations et sa sphère d’influence dédiée. Enfin, il paraît. Car finalement, rien de neuf dans ce conflit qui ne fait que réactiver une bonne vieille tectonique des plaques que la guerre froide avait diluée peu à peu dans des conflits transverses. Un peu de réchauffisme et voilà que les pôles géopolitiques du globe se mettent à crépiter de nouveau. Avec toujours, à leur zone de contact et d’évitement, un martyr unique : l’Europe centrale. Et pas n’importe quelle Europe centrale. Car l’Ukraine, n’en déplaise au néo-tsar Vladimir Poutine, existe bel et bien. Elle n’est ni un produit « subversif » de l’Europe occidentale ni une construction bolchévique, comme l’a sous-entendu récemment le président-presque-à-vie de la Fédération de Russie. Il y a au moins trois guerres emboîtées les unes dans les autres, dans ce nouveau conflit européen qui déchaîne à juste titre les passions. D’abord une guerre diplomatique qui s’inscrit dans un bras de fer quasi-séculaire avec les États-Unis et leurs séides atlantistes. Mais cette guerre-là n’est pas la principale : même si la Russie doit effectivement déplorer une lente concentration des forces otaniennes à ses frontières et dans la plupart de ses ex-républiques soviétiques, le vrai combat russo-américain se jouait ailleurs depuis déjà bien longtemps. D’ailleurs, la France et l’Allemagne avaient déjà mis un veto formel à une adhésion potentielle de l’Ukraine à l’OTAN en 2008. Quant aux américains, les rois du lâchage précipité, ils avaient déjà plus ou moins abandonné l’Ukraine, comme ils l’ont fait avec les kurdes ou les afghans… on peut accorder au moins une chose à Poutine : la mandature de Zelensky a sans doute tout d’un pouvoir fantoche qui est loin d’être aussi « démocratique » qu’on veut bien nous le faire croire aujourd’hui, dans le « camp du bien ».

 

Mais encore une fois, la vraie guerre n’est pas là. La vraie guerre que mène Poutine semble être un combat mémoriel. Poutine est un autocrate, il se sent donc investi d’une mission quasi-millénariste. Il oppose le temps long de l’histoire au temps émotionnel et itératif que manipule à outrance l’occidentisme – pour reprendre un terme cher au philosophe anti-soviétique Alexandre Zinoviev. Ce qui a survécu avec Poutine, c’est le mythe bolchévique de la grande guerre patriotique, déjà hérité de la Russie tsariste du XIXème siècle et avant cela de la Moscovie du XVIème, opposée à sa rivale la Kiévie. C’est-à-dire l’Ukraine. Dont la principale faute est d’être depuis toujours considérée comme le berceau de la Grande Russie. Dès le IXème siècle, les tribus de slaves orientaux se réunissent en un état composite mais soudé par une forte identité foncière, la Ruthénie. Si elle éclate au XIIème siècle, elle se reforme peu à peu en agrégeant de nouveaux foyers de pouvoir et de nouveaux peuples : finnois, baltes slavisés ou de culture steppique, sarmates, tribus d’origine truques ou iraniennes… ce qui se forme sans crier gare, c’est une nation non bâtie sur la notion d’état mais sur un territoire. Un territoire qui définit une culture, une identité, une conception singulière du politique, où l’état n’est pas sacralisé précisément à cause de ce substrat tribal, pan-européen et multi-communautaire. Voir à ce titre le chef d’œuvre de Paradjanov, Les Chevaux de Feu, qui retrace les mythes et les coutumes ancestrales des Houtsoules, population montagnarde assimilée qui vivait dans les Carpathes ukrainiennes. Comme tous les grands peuples européens, le liant national ici c’est la terre, et non l’héritage romain de l’état, entité abstraite. L’Ukraine procède précisément de ce nationalisme völkisch contre lequel bientôt s’opposera le nationalisme étatique d’une Moscovie qui se voit comme l’héritière de l’Empire Byzantin, donc messianique et autoritaire.

 

L’Ukraine, aujourd’hui est une des dernières représentantes en Europe de ce vieux nationalisme « terrien » que Poutine, en bon « bolchévique-tsariste », déteste par-dessus tout. Tout comme l’Occident, condescendant et faux-jeton, le déteste également. Le pouvoir fantoche de Zelensky, qui a paupérisé le pays tout entier et engendré une crise de défiance, a été probablement le coup de poignard avant la mise à mort par les chars de Poutine. Car la troisième guerre s’ajoute aux précédentes, et c’est bien sûr la guerre énergétique. L’Ukraine paye donc triplement sa position géographique centrale et son enracinement profond dans une Europe que toutes les superpuissances haïssent de concert. Comme le rappelait Zinoviev, « aujourd’hui, l’occidentisme se met à singer les prétentions maniaques de l’adversaire disparu ». De part et d’autre de l’Ukraine, il n’y a que des monstruosités supra-étatiques qui entendent bien réduire en poudre et en gaz les plus vieilles nations européennes.

 

Tristan Névis Lincorrect

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