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L’Article du Jour : La guerre des moutons (Marc Obregon)

La guerre des moutons

Le seconde volet de la pandémie mondiale aura donc le nom d’un pays : l’Ukraine, et ses nouvelles victimes : un peuple bombardé, déplacé, secoué par les plaques tectoniques de l’Histoire. Qu’il s’agisse d’une grippe féroce ou d’une guerre territoriale et fratricide, c’est toujours le « narratif » qui l’emporte sur la raison. Des “récits nationaux mis bout-à-bout” ne font jamais une histoire. Le narratif, dont se réclament sans ciller nos politiques et nos showrunners de l’information, c’est justement ça : la façon dont une histoire commune est détricotée, désassemblée, pour être réduite à un « consommable », à un chapelet de mèmes et d’émotions prédécoupées. Le narratif c’est ce qui survit une fois que vos silos d’information ont digéré la vérité, et qu’elles le régurgitent, pour votre plus grand plaisir, en quelques phrases-chocs, en quelques titres putes-à-clics. Emmanuel Macron, toujours à l’avant-garde, en incarne peut-être le parangon en posant grotesquement à l’Élysée, affublé d’un sweat-shirt aux armes d’un bataillon de parachutistes français, dans une tentative dérisoire pour copier l’aspect martial-cool de son collègue Zelensky. En se précipitant pour offrir une « aide consulaire » à Marina Ovsyannikova, cette journaliste russe qui a provoqué le régime de Poutine avec une pancarte anti-guerre. Le pouvoir démocratique occidental, toujours prompt à s’émouvoir pour les causes qui sont « validées » contractuellement par la Pentapole. On n’a pas vu Macron aussi velléitaire lorsqu’il s’agissait de défendre Julian Assange ou Edward Snowden, dont les vies ont été brisées par les gentils États-Unis. Non, évidemment, l’humanisme occidental est toujours à sens unique. Cette guerre « aux portes de l’Europe », comme le rappellent nos journalistes avec gourmandise, n’est que le deuxième acte d’une tragi-comédie à l’échelle planétaire organisée par le dispositif technico-médiatique. Nous sommes revenus dans l’Histoire, sans doute, mais au passage on a ramené avec nous les cotillons du festivisme putassier. Bien sûr, les « guerres pour la liberté » ont toujours fédéré les épris de justice, les guérilleros du dimanche, les francs-tireurs de tout poil : Simone Weil a voulu participer à la guerre d’Espagne (elle n’a réussi qu’à s’ébouillanter le pied en renversant une casserole dessus), Lord Byron  a traversé l’Europe ventre à terre pour défendre la Grèce face à l’Empire Ottoman (il est mort de fièvre) et quelques dizaines de nos charmantes têtes plus ou moins blondes ont rejoint la Syrie pour grossir les rangs de Daech (ils récurent les chiottes ou ils taillent des pipes). Les engagés volontaires, si on ne doute pas de leur sincérité, le sont souvent pour des mauvaises raisons, et ce n’est pas le ridicule Matthieu Kassovitz qui nous contredira, lui qui a affirmé récemment qu’il se serait battu en Ukraine s’il n’avait pas d’enfants… grotesque. Et moi je serai bien allé combattre la junte birmane si ma meuf n’était pas en cloques. Voilà bien la plaie de ce siècle handicapé : le cynisme affligeant de l’Occident, doublé d’une facilité crasse à utiliser le malheur des autres pour se faire mousser, pour exister un peu plus au regard d’une petite cour d’abonnés et de lampeurs de derche. Plus grave : la propagande occidentale est en train peu à peu de faire céder la somnolence post-historique de nos « jeunes » : les voilà qui se massent devant l’ambassade ukrainienne pour proposer leurs services… 60 000 volontaires auraient déjà proposé leurs services à travers le monde. C’est sûr que l’Ukraine, c’est toujours plus vendeur que le Nord-Kivu, où les paysans sont massacrés par des mercenaires à la solde des multinationales, déguisés en combattants du peuple, et où les femmes se font violer avec des tisons afin d’être stérilisées durablement (voir à ce propos l’édifiant documentaire sorti aujourd’hui en salle, L’Empire du Silence).  Alors quoi, Obregon ? Tu ne soutiens pas les défenseurs de la liberté, tu ne soutiens pas le comédien-devenu-héros-de-la-résistance, tu ne soutiens pas les combattantes héroïques à têtes de mannequins qui défilent sur Twitter avec des kalach démilitarisées, tu ne comptes pas accueillir des réfugiés chez toi comme Pascal Obispo ? C’est sûrement le COVID qui a éteint ma fibre romantique, mais dans cette embolie de vocations belliqueuses, je ne vois encore que des moutons bêlants qui se regardent le nombril.

Marc Obregon L’Incorrect

« Ce qui donne un sens à la vie donne un sens à la mort »

Quand nous prendrons conscience de notre rôle, même le plus effacé, alors seulement nous serons heureux.

Alors seulement nous pourrons vivre en paix et mourir en paix, car ce qui donne un sens à la vie donne un sens à la mort.

Antoine de Saint-Exupéry – Terre des hommes (1938)

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