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Démocratie illégitime (Marc Obregon)

Démocratie illégitime

« L’élection donne un permis de gouverner, mais c’est un permis à points ». Pierre Rosanvallon, historien des institutions et de la justice sociale, ne croit pas si bien dire lorsqu’il démontre dans un colloque organisé en 2014, l’existence de ces « institutions invisibles » qui sous-tendent l’exercice démocratique. En effet, la démocratie parlementaire ne se limite pas à ses institutions ni à ses prérogatives, elle a besoin d’un socle inconscient, d’une adhésion populaire quasi-subliminale, qui résiste à toutes les définitions et reste imperméable aux sondages. C’est pourquoi Gérard Larcher, tiré de sa somnolence post-prandiale par les échos lointains des canonnades en Ukraine, a mis les pieds dans le plat cette semaine en déclarant qu’une réélection d’Emmanuel Macron, dans ce contexte de campagne tronquée, poserait la question naturelle de sa légitimité. Le roitelet en personne a réagi en estimant qu’un « président du Sénat ne devrait pas dire ça ». C’est pourtant précisément son rôle, au « deuxième homme de l’état », de réfléchir sur la nature profonde de nos institutions.

 

Car c’est une véritable crise de gouvernance et de légitimité démocratique qui semble s’installer à la conjonction de ces deux évènements qui secouent la France : le retour de l’Occident dans une Histoire planétaire qui réveille un certain besoin du politique, et la fin d’une mandature qui a brillé par son absence totale de « mystique », c’est-à-dire une mandature exercée par un président-chef d’entreprise, par un chef d’état à voile et à vapeur, dont le gouvernement ressemble davantage à un CODIR qu’à un cénacle de sages. Macron n’est pas dupe, il sait que la désaffection du peuple français pour les élections cache en réalité cette nécessité d’un retour à un réel exercice du pouvoir, qui intégrerait une vision haute et ne se heurterait pas continuellement à des entités supraétatiques qui méprisent toute notion de souveraineté – et dont on a vu l’effet dévastateur pendant la crise du COVID, où les ministres semblaient complètement subjugués par les ordonnances parfois obscurantistes des agences de santé.

 

Le français moyen croit savoir désormais que son gouvernement est fantoche, que le pouvoir réel réside ailleurs, dans les micro-transactions qui font la pluie et le beau temps, dans les capitaux qui s’évanouissent comme par magie dans les zones franches de la finance. Ainsi, Rosanvallon fait la différence entre la légitimité procédurale (qui découle de l’autorisation donnée par l’élection), la légitimité substantielle (qualité intrinsèque de l’homme qui incarne la fonction suprême) et la légitimité d’exercice. C’est bien cette dernière qui est le point d’achoppement principal de la présidence Macron. Elle repose en effet sur le fait qu’un pouvoir est nécessairement articulé, courroie de transmission entre un intérêt général défini par le vote parlementaire et l’impartialité des institutions administratives indépendantes qui sont en charge de l’encadrer. Macron, en jouant au roitelet républicain depuis 5 ans, ne joue pas ce rôle de courroie, au contraire il agit comme si ces deux horizons de la capacité d’action étaient pulvérisés. Il le sait et il s’en inquiète, dit-on : « Il ne faut pas que ce soit une élection par défaut, aurait-il lancé ce week-end à ses proches collaborateurs. C’est une chose d’être élu, c’en est une autre d’avoir un mandat. » On ne lui fait pas dire.

Marc Obregon L’Incorrect

« Il s’agit de choisir, en fin de compte, entre la dictature du poignard et la dictature du sabre : je choisis celle du sabre, parce qu’elle est plus noble.»

Juan Donoso Cortés

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