De la notion de « frontières mentales »… |
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“Quand on n’est pas mêlé au conflit, qu’on en rende grâces à Dieu ; mais on n’en est pas pour autant élevé au rang de juge » Ernst Jünger, « Journal »En plus des 10 000€ par mois que me file L’Incorrect (plus un carnet de chèques restos qui passent à Super U) pour mes chroniques, je travaille de loin en loin pour la presse étrangère. Et pour des pays tellement lointains aux sociétés tellement éloignées des nôtres qu’expliquer avec des mots simples la situation politique et sociale en France est parfois ardu. Sans parler des problèmes de traduction et de la « charge émotive » des mots. Le mot « républicain » par exemple a une connotation totalement différente entre la France, l’Irlande, l’Afrique du Sud et les États-Unis. Bref, j’ai passé mon après-midi à interviewer des Bretons engagés sur le front ukrainien. Des deux côtés ! Pro-ukrainiens, pro-russes. Et la seule certitude qui ressort de ces interviews est que je n’ai… aucune certitude ! Car les deux camps ont des raisons parfaitement valables pour envahir ou résister au camp d’en face. En fait, cette guerre doit surtout nous donner une leçon d’humilité, à nous verbeux journalistes, qui décidons de qui a raison ou tort derrière notre clavier. Pourtant j’ai l’habitude de dénier le moindre droit à un journaleux parisien d’affirmer qu’il comprend finement la problématique bretonne. Les grosses et grandes lignes, je ne dis pas, mais finement non. A chaque fois qu’il y a un coup de chaud en Bretagne, on voit débarquer tout un tas de lascars en bagnoles de location qui vont rester trois jours et devoir disserter avec des avis définitifs sur des situations que nous-mêmes avons du mal à comprendre. Alors imaginez la même chose pour l’Ukraine actuellement ! Cela n’empêche pas qu’il nous faut des journalistes nomades, allant d’un point chaud l’autre. Mais, mon Dieu !, un peu plus de modestie et de neutralité sur les zones de conflit chers collègues ! Car le piège est toujours de projeter ses propres schémas mentaux, ses petites obsessions, ses parti-pris personnels sur des situations aux contours absolument différents de ce que nous connaissons ici. Nous avons tous notre propres « frontières mentales » en somme. Et elles projettent constamment sur le vaste monde, les schémas de pensée de notre petit monde étriqué. En faisant ces interviews, j’ai notamment eu la surprise d’apprendre que nombres de droitards avaient fait le voyage depuis le déclenchement du conflit au Donbass. Or, ceux-ci croyaient tous y trouver leur vision du monde. Certains voyaient en Poutine « le défenseur du monde blanc chrétien» alors que les bataillons des défenseurs du Donbass sont bien souvent très inter-raciaux, avec des soldats venant de tout l’Empire russe : des Sibériens bouddhistes, des Tchétchènes musulmans, des Tatars tout aussi musulmans, des Orthodoxes hard-core, des Juifs d’Odessa sans parler de toutes les composantes du nationalisme grand-russe : communistes staliniens, « impériaux », nationaux-bolchéviques, etc, défendant des populations se définissant non comme « russes » ou « ukrainiennes de l’est » ou même « donbassiens » mais comme… soviétiques ! Des lascars du GUD ou de l’Œuvre Française se retrouvent donc parfois à défendre le fantôme de l’Union Soviétique et à dormir dans la mosquée de Donetsk sous les ordres d’un commandant juif ou daghestanais ! Pour autant, la vision du monde défendue par les pro-russes du Donbass est globalement très conservatrice. Pas de pédés, pas de plumes dans le cul, pas de néo-féministes, etc. Paradoxe en France, normalité dans le Donbass ! Côté ukrainien, c’est un petit peu la même chose : les nationalistes ukrainiens veulent être européens à mort et rêvent de l’UE mais le fer de lance de la résistance sont les forces spéciales, le bataillon Azov, Pravi Sektor, etc. Actuellement les derniers défenseurs de Marioupol sont les mecs d’Azov, c’est à dire des types politiquement et culturellement beaucoup plus proches des conservateurs du Donbass que de l’Union Européenne mondialisto-LGBT. Et que dire des nationalistes bretons arrivés sur place qui découvrent que l’Ukraine est un pays très centralisé, tout en cherchant à se défaire de l’influence impériale et linguistique russe. Alors que les populations du Donbass sont plutôt fédéralistes, autonomistes, tout en cherchant à se rapprocher d’un empire aux vues hégémoniques. Là encore, quel camp choisir pour un nationaliste breton ou un jacobin droitard tous les deux habitués aux schémas de pensée « jacobins-girondins » franco-français ? La situation me fait penser à ce que beaucoup ressentent en allant en Irlande du Nord : les gentils sont automatiquement les catholiques républicains irlandais colonisés et les méchants, les colonisateurs loyalistes britanniques et protestants. Or, les catholiques républicains sont plutôt pro-LGBT, Palestine, migrants et compagnie alors que les Protestants c’est le contraire tout en étant… farouchement anti-catholiques ! Nos schémas de pensée, notre « prison mentale », notre imprégnation culturelle, notre histoire personnelle guident notre vie, même en tant que journalistes. Je m’en aperçois souvent en discutant avec des camarades parisiens de L’Incorrect qui semblent sortir d’un autre monde (parisien, urbain, familialement de droite) que le mien. Et pourtant nous vivons dans le même état et partageons beaucoup de points de vue commun. Mais Paris n’est pas la Bretagne qui n’est pas l’Ukraine. Ethno-différences. En Ukraine actuellement, il n’y a donc aucune certitude à avoir pour tout homme qui a un tant soit peu la tête sur les épaules et surtout qui connaît ses propres limites de jugement. A part le camp de la paix éventuellement… Par Maël Pellan L’incorrect |
« La seule issue est là où il n’y a pas d’issue au jugement humain. Sinon, qu’aurions-nous besoin de Dieu ? On ne se tourne vers Dieu que pour obtenir l’impossible » Ivan Chestov
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