N’en déplaise au Kremlin, l’une des figures majeures de la scène musicale néo-nazie en Ukraine est russe.

Alexey Levkin, le sinistre individu à l’origine du mouvement Wotanjugend et à la tête du groupe de NSBM M8l8th, est en effet originaire de l’oblast de Tver, au nord-ouest de Moscou, qu’il a dû fuir en 2015 après avoir purgé une peine de prison pour trois meurtres crapuleux. Ce petit garnement ne perd pas son temps : en découvrant en Ukraine une scène black metal très active et au rayonnement international et constatant qu’elle s’arrime à un solide arrière-plan nationaliste, il entend bien la raccorder à ses idées extrémistes. En quelques années, il fédère autour de lui tout une jeunesse déshéritée et parvient à capter l’attention des fans de métal en organisant des festivals ambitieux, dont le Asgardsrei où est conviée régulièrement la fine fleur du black métal européen, à commencer par les Français de Peste Noire. Habile en marketing, Levkin parviendra à utiliser l’aura du groupe avignonnais, pourtant très cocardier, pour mettre en valeur ses propres activités.
Sport, metal, Hitler
En effet, Levkin évolue dans l’orbite de la milice Azov, pour qui il multiplie les « divisions » : il y aura la Wotanjugend, une « université en ligne à vocation culturelle », la Militant Zone qui organise les concerts et produit les groupes et la Misanthropic Division, branche armée qui recrute également à l’étranger, au sein des mouvements skinheads (notamment en Suisse et en France). Musique extrême, sports de combats, entraînements militaires et célébration en grande pompe de l’anniversaire d’Adolf Hitler, on est bien dans le narratif habituel du mouvement néo-nazi opportuniste. Plus surprenant, Levkin parvient à convaincre de nombreux étrangers de rallier son mouvement autour d’un pan-européanisme völkisch retravaillé par ses idées délirantes. De quoi définitivement saper l’image de l’Ukraine dans les scènes alternatives… On n’accusera pas Levkin d’être un pion de Moscou, mais la situation, si elle n’était pas si tragique, aurait tout de même quelque chose de cocasse.
Aile militaire : le régiment Azov
Le régiment Azov est un régiment de la Garde nationale de l’Ukraine qui constitue la branche militaire du mouvement Azov [1]. Son nom provient de la mer d’Azov qui borde le sud de l’Ukraine. Il est formé le 5 mai 2014 à partir des Patriotes d’Ukraine [2], un gang néonazi dont l’ancien leader, Andriy Biletsky, deviendra le premier commandant du bataillon Azov [3].
- A gauche : Andriy Biletsky au second congrès des Patriotes d’Ukraine, à droite : Andriy Biletsky avec le bataillon Azov, en bas : des soldats du bataillon Azov avec un drapeau comportant l’emblème des Patriotes d’Ukraine.
Au départ une milice armée de volontaires formée pour combattre les séparatiste pro-russes aux cotés de l’armée dans l’est du pays [4], le bataillon Azov sera intégré en septembre 2015 à la Garde nationale de l’Ukraine pour devenir le régiment Azov.
Plusieurs rapports du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme font état de crimes de guerres commis par le bataillon Azov tels que des pillages massifs de zones civiles, des détentions illégales, de la torture et des viols [5] [6].
Le logo du bataillon Azov comporte un Wolfsangel inversé ainsi qu’un Soleil noir. Le Wolfsangel est un symbole qui fut utilisé par certaines unités nazies [7], la version utilisée par Azov ressemble particulièrement à celui de la 2ème division SS Das Reich. Le soleil noir est, quand à lui, un symbole du mysticisme néonazi qui apparut pour la première fois pendant la 2ème Guerre mondiale sur le sol du château de Wewelsburg qui était alors utilisé par les SS [8].
- A gauche : l’emblème du bataillon Azov, en haut à droite : l’emblème de la 2ème division SS Das Reich, en bas à droite : le soleil noir du château de Wewelsburg.
La chaîne de télévision norvégienne TV2 a également filmé des volontaires du régiment Azov portant des casques décorés du drapeau du Troisième Reich ou encore de l’emblème la Waffen-SS [9].
Le mouvement Azov bénéficie d’une relation privilégiée avec le ministre ukrainien de l’intérieur Arsen Avakov, qui semble considérer le régiment Azov comme son armée privée. Ce dernier a admis avoir été impliqué dans la création d’Azov en 2014. C’est sous ses ordres que le bataillon a été intégré à la Garde nationale. Plusieurs vétérans du régiment Azov ont été placés par Avakov à des postes importants de son ministère. Parmi eux, ont peut citer Vadym Troyan et Serhiy Bondarenko respectivement chef et chef adjoint de la police de la région de Kiev [10].
Aile politique : Corps National
Le Corps national est un parti ukrainien néo-nazi fondé le 14 octobre 2016 par des membres de la Milice nationale et de vétérans du régiment Azov [11]. Il constitue l’aile politique du mouvement Azov et est dirigé par Andriy Biletsky. Les points principaux de son programme sont [12] :
- L’extension des pouvoirs du président pour en faire le chef du gouvernement et de l’armée
- La renucléarisation de l’Ukraine
- La nationalisation des entreprises appartenant à l’Ukraine lors de son indépendance en 1991
- La rupture des liens diplomatiques, commerciaux et culturels avec la Russie
- La formation d’une fédération des pays se trouvant entre la mer Baltique et la mer Noire (Pologne, Lituanie, Biélorussie et Ukraine)
- La libéralisation du port d’arme
- Le rétablissement de la peine de mort pour trahison et détournement de fonds par des hauts fonctionnaires
Lors des élections législatives ukrainiennes de 2019, la liste commune entre le Corps national et d’autres partis d’extrême droite a obtenu 2,15 % des voix [13].
En plus de sa participation aux élections, les activités du Corps National incluent des affrontement avec des minorités, des activistes et la police, ainsi que l’organisation de camps d’été pour enfants subventionnés par le gouvernement ukrainien [14].
- Des enfants tiennent des AK-47 factices lors d’un camp d’été organisé par la branche jeunesse du Corps National.
Aile “de rue” : Milice nationale
Apparue le 28 janvier 2018 [15], la Milice nationale constitue l’aile “de rue” du mouvement Azov. Beaucoup de ses membres proviennent du régiment Azov, tandis que d’autres sont d’anciens hooligans de football qui ont participé à la révolution ukrainienne de 2014 qui a conduit à la destitution du président pro-russe de l’époque [16].
Parmi ses “faits d’arme” figurent la prise d’assaut du conseil municipal de la ville de Tcherkassy pour forcer ses députés à adopter un nouveau budget [17] ainsi que l’attaque, conjointement avec le Corps National, de personnes LGBT, de militants des droits humains et de minorités [18].
Wotanjugend
Wotanjugend est un groupe néo-nazi originaire de Russie actuellement basé à Kiev. Le visage du groupe ainsi qu’un de ses leaders est Alexey Levkin, un militant néonazi russe arrêté en 2006 pour double meurtre puis relâché quand les charges furent abandonnées. Il fut membre d’un gang néonazi responsable de la vandalisation de tombes musulmanes et juives, de plusieurs agressions et d’au moins quatre meurtres.
Le groupe est né de l’activité de Levkin au sein de la scène musicale néo-nazie russe comme chanteur du groupe de black métal néonazi M8L8TH (du russe molot pour marteau avec les “O” remplacés par deux 8 pour former “Heil Hitler” [19]).Wotanjugend est principalement actif dans l’organisation de concerts et la diffusion de propagande sur internet.
Leur opposition au Kremlin les a mené à soutenir la révolution ukrainienne et, pour certains membres dont Alexey Levkin, à rejoindre différents bataillons d’extrême droite en Ukraine, dont Azov. Le mouvement quittera la Russie pour rejoindre l’Ukraine en 2014 [20].
Wotanjugend est ouvertement néonazi et a organisé un événement en mai 2019 à Kiev appelé “Führernacht” avec saluts nazis, drapeaux du Troisième Reich et portrait d’Adolf Hitler sur un autel.
Le site web de Wotanjugend fait la promotion d’Adolf Hitler, de figures nazies, d’artistes néonazis et de terroristes d’extrême droite comme Timothy McVeigh et Anders Breivik qui sont appelés des “héros”. Le groupe est également l’un des principaux promoteur de la traduction russe du manifeste du terroriste de Christchurch et a partagé la vidéo de l’attentat sur leur page Telegram [21].
Les liens entre Wotanjugend et Azov sont clairs. Alexey Levkin, se décrit comme un “idéologue” au sein de la Milice nationale d’Azov et soutient publiquement le mouvement. Levkin est également proche d’Olena Semenyaka, la “secrétaire internationale” du Corps national qui s’occupe des relations d’Azov avec l’extrême droite d’autres pays. Ils contribuent tous deux à l’organisation de Militant.zone, une maison de disque et boutique en ligne néonazie qui vend de la musique et des accessoires.
Le magasin de Militant.zone se situe à l’intérieur de la “maison cosaque” d’Azov à Kiev. Wotanjugend a également pu tenir son séminaire “Thule Signal”, avec conférence de “théorie raciale”, formation aux armes à feu et tournoi de combats au couteau factice, à l’intérieur d’un établissement d’Azov ayant pour but d’être un “hub nationaliste”.
A son festival “Young Flame”, le mouvement Azov fait la promotion et vend des tickets pour le festival de black metal néo-nazi Asgardsrei, fondé par Alexey Levkin en Russie et relocalisé à Kiev. Ce soutien permet à Azov d’étendre l’influence du mouvement.
« Les vérités sont des illusions dont on a oublié qu’elles le sont »
Qu’est-ce que donc que la vérité ?
Une multitude mouvante de métaphores, de métonymies, d’anthropomorphismes, bref, une somme de relations humaines qui ont été poétiquement et rhétoriquement haussées, transposées, ornées, et qui, après un long usage, semblent à un peuple fermes, canoniales et contraignantes : les vérités sont des illusions dont on a oublié qu’elles le sont, des métaphores qui ont été usées et qui ont perdu leur force sensible, des pièces de monnaie qui ont perdu leur empreinte et qui entrent dès lors en considération, non plus comme pièces de monnaie, mais comme métal.
Nous ne savons toujours pas encore d’où vient l’instinct de vérité : car jusqu’à présent nous n’avons entendu parler que de l’obligation qu’impose la société pour exister : être véridique, c’est-à-dire employer les métaphores usuelles ; donc, en termes de morale, nous avons entendu parler de l’obligation de mentir selon une convention ferme, de mentir grégairement dans un style contraignant pour tous.
L’homme oublie assurément qu’il en est ainsi en ce qui le concerne ; il ment donc inconsciemment de la manière désignée et selon des coutumes centenaires – et, précisément grâce à cette inconscience et à cet oubli, il parvient au sentiment de la vérité. »
Friedrich Nietzsche – Le livre du philosophe, études théorétiques (1872-1875)
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« Je mourrais en ayant conscience de n’avoir pas eu assez de toute une vie pour résoudre un mystère insoluble : pourquoi, lorsque le commandant d’un camp d’extermination nazi, une fois rentré chez lui le soir pour jouer une sonate de Schubert au piano à ses enfants puis lire des poèmes de Hölderlin à sa femme avant le dîner, après avoir passé sa journée à superviser des tortures, des exécutions et des massacres de milliers d’être humains de tous les âges en raison de leur seul crime d’être nés, pourquoi la musique n’a pas dit non, pourquoi la poésie n’a pas dit non ? »Georges Steiner