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Le banquier et son fusible (Marc Obregon)

Le banquier et son fusible

 

Il est avachi sur sa chaise comme Al Pacino à la fin de Scarface. Il renifle de dédain, il lève régulièrement un sourcil circonflexe, il joint devant lui ses grosses mains baguouzées. Il ne lui manque que le col pelle à tarte et l’illusion serait parfaite. Il a juste troqué Michelle Pfeiffer pour Jean-Mi et la cocaïne pour un boost de Juvamine. Le financier international dans toute sa splendeur, qui dégage même à travers l’écran une odeur d’aftershave poivrée, une odeur de cuir et de laiton, l’odeur des huisseries de l’Elysée mélangée à un lointain parfum de vaseline. S’il était de la génération précédente, il fumerait peut-être le cigare. Il a bien changé, le candidat de 2017 qui se disait amateur de cordons bleus. En 5 ans, les masques sont tombés les uns après les autres, et ce qui reste de Macron a été visible ce soir-là, sans trop se forcer : une sorte d’hyper-banquier arrogant et dominateur, qui faisait mine de prendre des notes pour se donner des airs doctes – comment humilier son adversaire à peu de frais dès les premières secondes…

 

Prendre de la hauteur, Macron sait faire. Il assène une véritable leçon dès les premières minutes du débat. Son mindset est simple, éculé, mais il l’applique sans vergogne : laisser venir à lui la petite blonde apeurée, lui donner du lest, l’endormir avec de sournoises marques de respect, puis la ferrer au dernier moment et ne plus la lâcher. In cauda venenum. Macron et ses acolytes ont lu Sun Tzu pendant que Marine Le Pen, une fois de plus, cafouillait, pédalait dans ses réformes budgétaires, bredouillait ses pourcentages, éternelle cancre condamnée à revivre un cauchemar récurrent : celui où c’est la France tout entière qui se transforme en salle de classe.

 

Au final, le président sortant aura donné le la de ce débat, presque sans rien faire : un débat de ronds-de-cuir, de technocrates, qui perd les Français dès les premières minutes sur des questions de T.V.A, de bouclier énergétique et de cotisations patronales. Un débat dont il aura imposé le tempo et les sujets. Marine Le Pen, paralysée par la peur de commettre une bévue, obsédée par son image d’éleveuse de chats débonnaire et souriante, aura eu ce visage troublant toute la soirée, presque indéchiffrable, dans lequel semblait bourdonner une tempête de sentiments contradictoires : celui d’une France qui se sait vaincue, celui d’une France flouée, dominée, violentée, et qui ne peut que constater amèrement l’étendue de la désolation.

 

En face, Macron aura pris tous les tics de la droite libérale vampirique, on le croirait sorti d’une usine d’assemblage de golems du RPR, il a tous les atours d’un Sarkosy revisité par Castelbajac – avec son style à lui, avec cette espèce de voracité détendue, ce genre de trucs qu’on apprend en école de trader : comment dévorer les autres tout en souplesse, sans donner l’air de faire aucun effort… on se demande bien à quoi il tourne, Macron, quel genre de « compléments alimentaires » lui donne ce rythme, cette brillance nocive dans les yeux, cette aisance luciférienne…

Notre prèze bien-aimé a des casseroles sonnantes et trébuchantes, pourtant, et d’une autre ampleur que le petit prêt contracté par le RN à une banque russe « proche du pouvoir »… la revente d’Alstom qui fleure bon le délit d’initié ? Son intéressement dans l’OPA Nestlé-Pfizer, volatilisé dans les chausse-trappes de la compta ? Le concordat technocratique dont il est à la tête, cette « France-Mc Kinsey » qu’il mène tambour-battant ? Et pourquoi pas la vente d’armes à la Russie ? Marine aurait pu le mettre en porte-à-faux, tout comme elle aurait pu élever le débat, sortir de ces chiffres qu’elle n’aime pas et qui le lui rendent bien. Elle aurait pu parler de son idée de la France, convoquer sa vision de l’histoire. Surprendre un peu le petit banquier biberonné à la stochastique et à l’école de Chicago. Rappeler qu’on ne dirige pas un pays comme une entreprise. Pour quelques punchlines qu’elle a sorties presque douloureusement – on les sentait stabilotées sur ses notes, entre son pathétique tweet imprimé et ses tableaux Excel – combien de tunnels de chiffres, de professions de foi monocordes, délivrées sur un ton sentencieux ?

 

Mais qui éteint Marine Le Pen au début de chaque débat présidentiel ? C’était comme si une voix sorti d’outre-tombe lui demandait de se coucher, c’était comme si au fond, arrivée face à l’échéance suprême, tout le château de cartes patiemment élaboré par la dynastie Le Pen s’écroulait et montrait sa vraie nature… celui de n’être qu’un parti d’opposition instrumentalisé dès le départ, un ennemi utile, un chiffon rouge destiné à être agité rituellement à chaque grand raout démocratique, un minotaure aux pieds d’argile qu’il conviendra d’exécuter à chaque solstice de printemps avec toujours la même délectation, toujours le même vice. Et bien que les médias autorisés unissent à nouveau leurs voix pour nous protéger du fascisme, arguant que « cette fois-ci, c’est différent, le RN a réussi à se dédiaboliser » … En réalité c’est tout l’inverse : Marine Le Pen n’a jamais semblé aussi lointaine que ce soir-là, aussi pâle, aussi condamnée – par un système qui la vomit d’avance et par sa propre nature de fusible.

Marc Obregon ( L’Incorrect)

« La pitié est souvent un sentiment de nos propres maux dans les maux d’autrui »

La pitié est souvent un sentiment de nos propres maux dans les maux d’autrui : c’est une habile prévoyance des malheurs où nous pouvons tomber.

Nous donnons du secours aux autres pour les engager à nous en donner en de semblables occasions ; et ces services que nous leurs rendons sont, à proprement parler, un bien que nous nous faisons à nous-mêmes par avance.

François de La Rochefoucauld – Maximes et réflexions morales (1678)

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2 réponses »

  1. Mystifier: Abuser de la crédulité de quelqu’un pour s’amuser à ses dépens (1er sens) ; Abuser de la naïveté du public, pour servir un intérêt particulier (2ème sens).
    Pour moi E. Macron est un mystificateur.
    « La mystification est la ressource des petits esprits. » (Honoré de Balzac, Modeste Mignon, 1844)

  2. Marine Le Pen a annoncé que c’était sa dernière campagne. Elle n’a pas attaqué le bilan de macron parce qu’elle ne s’attend pas à être élue et parce qu’elle ne veut pas l’être (elle n’aime pas la politique, entre autres raisons).
    Elle a voulu partir en beauté, elle a joué en finesse. En restant calme et humaine, sourire patient et entendu, celle qui est diabolisée depuis des lustres a montré à qui veut le voir, qui est diabolique.
    La seule façon de s’opposer au candidat de Davos chargé de détruire la France étant de voter pour son adversaire, soit on vote pour elle, sans état d’âme, soit on est complice de la destruction en cours. Il faut choisir son camp.
    On n’attend pas d’un président qu’il maîtrise tous les dossiers et les chiffres, puisqu’il sera entouré de conseillers experts. Il faut d’autres qualités que celles d’une feuille Excel.

    Avant d’aller voter, lisez, partagez et demandez à vos contacts de faire de même, cet article de Liliane Held-Khawam, auteur de Dépossession et de Coup d’Etat planétaire. https://lilianeheldkhawam.com/2022/04/23/emmanuel-macron-le-candidat-banquier-qui-avait-servi-les-interets-de-pfizer-video/

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