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Ukraine : Des erreurs aux conséquences à la fois tactiques et stratégiques (Alastair Crooke)/Cette fois, l’OTAN a intérêt à prendre au sérieux les avertissements de Poutine concernant l’Ukraine

Des erreurs aux conséquences à la fois tactiques et stratégiques

INFLATION


Le résultat le plus probable est que l’économie de la Russie ne s’effondrera pas (même si l’UE s’acharne sur l’énergie et « tout » le reste).


Par Alastair Crooke – Le 18 avril 2022 – Source Strategic Culture

Les faucons de l’OTAN et les interventionnistes libéraux américains et européens veulent par-dessus tout voir Poutine humilié et répudié. Nombreux sont les Occidentaux qui veulent voir la tête ensanglantée de Poutine au sommet d’une pique surplombant la « porte de la ville » , visible par tous, comme un avertissement retentissant à ceux qui défient leur « ordre international fondé sur des règles » . Leur cible n’est pas seulement le Pakistan ou l’Inde, mais la Chine, en premier lieu.

Pourtant, les faucons voient qu’ils n’osent pas – ne peuvent pas – aller jusqu’au bout. Malgré la belligérance et les postures, ils veulent que l’aspect cinétique du conflit soit confiné à l’intérieur des frontières de l’Ukraine : pas de bottes américaines sur le terrain (bien que ceux dont l’existence même ne peut franchir le seuil de nos lèvres soient déjà sur place, et qu’ils aient « mené la barque »).

Le Pentagone, en tout cas, n’a pas envie de risquer une guerre qui s’envenime contre la Russie et qui pourrait déboucher sur l’utilisation d’armes nucléaires. (Cette position est toutefois remise en question par des néoconservateurs de premier plan qui affirment que les craintes d’un recours de la Russie aux capacités nucléaires sont exagérées et qu’elles devraient être mises de côté).

Ainsi, pour réaliser ces vastes programmes, l’Occident s’est limité (depuis 2015) à former et à armer des cadres d’élite (tels que le régiment Azov), et à s’assurer qu’ils sont branchés à tous les niveaux (y compris au sommet) du leadership politique et militaire ukrainien.

L’objectif est ici de maintenir le conflit (puisque la victoire pure et simple n’est pas envisageable) : plus la guerre se prolonge, selon le récit américain, plus les 5 000 sanctions imposées à la Russie nuisent à l’économie russe et sapent insidieusement le soutien de l’opinion publique russe à la guerre.

L’expérience acquise en Syrie imprègne l’espace de combat : pour les forces russes, l’expérience du nettoyage d’Alep des extrémistes jihadistes a été formatrice. Et, pour le commandement des opérations spéciales américaines qui forme ces unités d’élite ukrainiennes, la cruauté et les opérations sous faux drapeau (perfectionnées par leurs protégés d’Idlib) semblent avoir suffisamment impressionné leurs anciens instructeurs occidentaux pour qu’ils les transmettent à une insurrection éventuelle dirigée par Azov, même si elle opère à l’opposé de l’idéologie insurrectionnelle.

Il y a des raisons de penser que le FSB (service de sécurité russe) a peut-être sous-estimé la façon dont le recours à des tactiques de gestion de la population de type Idlib pouvait laisser une population civile majoritairement pro-russe trop effrayée pour se défendre efficacement contre la domination de type Azov. En conséquence, les forces russes ont dû se battre, plus que prévu. Il s’agissait peut-être d’une erreur tactique, mais pas d’une erreur stratégique.

Il y a en effet une erreur stratégique majeure – à savoir la décision prise par l’Occident de mener avant tout une guerre financière contre la Russie – qui pourrait bien causer la faillite du programme de guerre occidental. (L’insurrection ukrainienne, dans la pratique, s’est largement limitée à faire gagner du temps aux sanctions et à la super guerre PSYOP, en particulier pour que la guerre PSYOP puisse atteindre la psyché russe).

Voilà où le bât blesse : en mars, le président Biden s’est présenté devant le Congrès et s’est vanté de la chute de 30 % du rouble russe et de 40 % du marché boursier russe. L’économie russe, a-t-il dit, était sur le point de s’effondrer ; la Mission était sur le point de s’achever.

Pourtant, contrairement aux attentes du G7 selon lesquelles les sanctions occidentales feraient s’effondrer l’économie russe, le FT reconnaît : « Mais le système financier russe semble [aujourd’hui] se remettre du choc initial des sanctions » ; le « secteur financier russe retrouve ses marques après le barrage initial des sanctions » . Et les ventes de pétrole et de gaz de la Russie – plus d’un milliard de dollars par jour en mars – signifient qu’elle continue d’accumuler d’importants revenus étrangers. Elle affiche le plus important excédent de sa balance courante depuis 1994, grâce à la flambée des prix de l’énergie et des matières premières.

Ironiquement, les perspectives économiques de la Russie semblent aujourd’hui, à bien des égards, meilleures que celles de l’Occident. Comme la Russie, l’Europe connaît déjà – ou connaîtra bientôt – une inflation à deux chiffres. La grande différence est que l’inflation russe est en baisse, alors que celle de l’Europe s’envole (notamment avec les prix des denrées alimentaires et de l’énergie) au point de déclencher l’indignation et les protestations populaires.

Eh bien… Le G7 s’étant trompé (la crise politique, après tout, était prévue pour la Russie, pas pour l’Europe), les États de l’UE semblent maintenant décidés à redoubler d’efforts. Si la Russie ne s’est pas effondrée comme prévu, alors l’Europe doit insister : tout supprimer. « Aucun navire russe n’entrera dans les ports de l’UE ; aucun camion ne franchira les frontières de l’UE ; pas de charbon ; pas de gaz – et pas de pétrole. Pas un euro ne doit parvenir à la Russie » , clame-t-on.

Ambrose Evans-Pritchard écrit dans le Telegraph : « Olaf Scholz doit choisir entre un embargo énergétique sur la Russie et un embargo moral sur l’Allemagne » :

… le refus de l’Europe occidentale de couper le financement de la machine de guerre de Vladimir Poutine est intenable. Le préjudice moral et politique pour l’UE elle-même devient prohibitif. Cette politique est déjà un naufrage diplomatique pour l’Allemagne, stupéfaite de découvrir que le président Frank-Walter Steinmeier est un paria – le Kurt Waldheim de notre ère ? – tellement souillé par deux décennies passées à être le sombre seigneur de la collusion avec le Kremlin que l’Ukraine ne veut pas de lui dans son pays. Ces atermoiements ne rendent pas justice au peuple allemand, qui soutient massivement une réponse à la hauteur de la menace existentielle qui pèse aujourd’hui sur l’ordre libéral de l’Europe.

Voici clairement le grand programme révisé, Mark II : la Russie survit à la guerre du Trésor parce que l’UE continue d’acheter du gaz et de l’énergie à la Russie. L’UE – et plus particulièrement l’Allemagne – finance, selon le mème, la « guerre grotesque et injustifiée » de Poutine. « Pas un euro pour Poutine » .

La deuxième erreur stratégique consiste à ne pas comprendre que la résilience économique de la Russie ne découle pas uniquement du fait que l’UE continue d’acheter du gaz à la Russie. Mais c’est plutôt en jouant sur les deux tableaux de l’équation – c’est-à-dire en liant le rouble à l’or, puis en liant les paiements énergétiques au rouble – que la Russie a vu sa monnaie se renforcer.

De cette façon, la Banque de Russie modifie fondamentalement l’ensemble des hypothèses de travail du système commercial mondial (en remplaçant les transactions évanescentes en dollars par des transactions solides en devises adossées à des matières premières), tout en déclenchant un changement du rôle de l’or qui redevient un rempart pour le système monétaire.

Paradoxalement, les États-Unis ont eux-mêmes préparé le terrain pour ce passage au commerce en monnaie locale par leur saisie sans précédent des réserves de la Russie, et la menace sur l’or de la Russie (si seulement ils pouvaient mettre la main dessus). Cela a effrayé d’autres États qui craignaient d’être les prochains sur la liste et d’encourir le « mécontentement » capricieux de Washington. Plus que jamais, le monde non occidental est désormais ouvert aux échanges en monnaie locale.

Cette stratégie de « boycott de l’énergie russe » est un désastre pour l’Europe, bien sûr. L’Europe n’a aucun moyen de remplacer l’énergie russe par d’autres sources dans les années à venir : ni par l’Amérique, ni par le Qatar, ni par la Norvège. Mais les dirigeants européens, consumés par une frénésie d’« indignation morale » face à un flot d’images d’atrocités en provenance d’Ukraine, et par le sentiment que l’« ordre libéral » doit à tout prix éviter une perte dans le conflit ukrainien, semblent prêts à aller jusqu’au bout.

Ambrose Evans-Pritchard poursuit :

« Le barrage politique est en train d’éclater en Allemagne. Die Welt a su retranscrire l’humeur exaspérée des médias en qualifiant l’histoire d’amour de l’Allemagne avec la Russie de Poutine de « plus grande et plus dangereuse erreur de calcul de l’histoire de la République fédérale » . Les présidents des commissions des relations extérieures, de la défense et de l’Europe du Bundestag – représentant les trois partis de la coalition – ont tous appelé à un embargo pétrolier jeudi. « Nous devons enfin donner à l’Ukraine ce dont elle a besoin, et cela inclut les armes lourdes. Un embargo énergétique complet est faisable » , a déclaré Anton Hofreiter, le président des Verts à la commission des affaires européennes.

L’augmentation des coûts de l’énergie inhérente à l’exclusion de l’énergie russe va tout simplement anéantir ce qui reste de la compétitivité de l’UE et entraîner une hyperinflation et des troubles politiques. Cela fait-il partie de l’agenda initial de l’OTAN, qui consiste à maintenir l’Amérique « à l’intérieur » , la Russie « à l’extérieur » et l’Allemagne « à terre » ?

Cette tentative de l’UE et des États-Unis de réaffirmer leur « libéralisme » , leur insistance sur le fait qu’il ne toléreront aucune « altérité » , présente de sérieuses failles. Sur des questions telles que l’agenda d’une élite scientifique et technologique et la « victoire » en Ukraine, il ne peut y avoir d’autre perspective. Nous sommes en guerre.

Que va-t-il donc se passer ? L’issue la plus probable est que l’économie russe ne s’effondrera pas (même si l’UE s’acharne sur l’énergie et « tout » le reste). La Chine soutiendra la Russie, et la Chine est « l’économie mondiale » . Elle ne peut pas être sanctionnée en vue d’une capitulation.

Échec et mat ? Alors, quel pourrait être le plan III de l’Occident ? La frénésie guerrière, la haine viscérale, le langage qui semble conçu pour exclure un « accord politique » avec Poutine. Ou alors, les dirigeants de Moscou sont toujours là et les néoconservateurs sentent l’opportunité :

L’intellectuel néoconservateur, ancien rédacteur de discours de Reagan, John Podhoretz, a récemment écrit une colonne triomphante intitulée Neoconservatism : A Vindication. L’article de The Commentary déclarait que les architectes de la guerre contre la terreur comme lui sont maintenant « de retour au sommet » , les événements mondiaux leur ayant donné raison sur tout – de la police communautaire à la guerre.

Non seulement ils sont de retour au sommet, affirme Podhoretz, mais les néo-conservateurs ont vaincu leurs principaux adversaires intellectuels en ce qui concerne le cadre moral de la dissuasion. Cela représente le nouveau « jeu » interne dans la question de l’Ukraine : les néo-conservateurs pensent que l’Ukraine leur a donné raison.

Bien sûr, lorsque l’invasion de l’Irak s’est soldée par une débâcle monumentale, les Néo-cons ont été universellement raillés et Podhoretz bredouillait des excuses. Sans surprise, dans son sillage, la validation initiale de l’intervention militaire américaine est entrée dans un déclin abrupt, et la guerre des sanctions du Trésor a pris sa place en tant qu’intervention ne nécessitant « aucune présence au sol » .

Les néoconservateurs partagent donc l’idée erronée que la guerre du Trésor, associée à des PSYOPS extrêmes, pourrait réduire le pouvoir de Poutine.

Les néoconservateurs se réjouissent de l’échec de la guerre financière. De leur point de vue, cela remet l’action militaire sur la table, avec l’ouverture d’un nouveau « front » : une attaque contre le principe clé initial selon lequel un échange nucléaire avec la Russie doit être évité, et l’élément cinétique du conflit, soigneusement circonscrit pour éviter cette possibilité.

« Il est vrai qu’agir fermement en 2008 ou 2014 aurait signifié risquer un conflit »écrit Robert Kagan dans le dernier numéro de Foreign Affairs, déplorant le refus des États-Unis d’affronter militairement la Russie plus tôt :

Mais Washington risque le conflit maintenant ; les ambitions de la Russie ont créé une situation intrinsèquement dangereuse. Il est préférable pour les États-Unis de risquer la confrontation avec des puissances belligérantes lorsqu’elles en sont aux premiers stades de leur ambition et de leur expansion, et non après qu’elles aient déjà consolidé des gains substantiels. La Russie possède peut-être un arsenal nucléaire redoutable, mais le risque que Moscou l’utilise n’est pas plus élevé aujourd’hui qu’il ne l’aurait été en 2008 ou en 2014, si l’Occident était alors intervenu. Et il a toujours été extraordinairement faible : Poutine ne risquait pas d’atteindre ses objectifs en se détruisant et en détruisant son pays, ainsi qu’une grande partie du reste du monde.

En bref, ne vous inquiétez pas d’entrer en guerre avec la Russie, Poutine n’utilisera pas la bombe. Vraiment ? Pourquoi devriez-vous penser que c’est vrai ?

Ces Néo-cons sont généreusement financés par l’industrie de la guerre. Ils ne sont jamais lâchés par les réseaux. Ils entrent et sortent du pouvoir régulièrement, sont parqués dans des endroits comme le Council on Foreign Relations ou le Brookings Institute ou l’AEI, avant d’être rappelés au gouvernement. Ils ont été aussi bien accueillis à la Maison Blanche d’Obama ou de Biden qu’à celle de Bush. Pour eux, la guerre froide n’a jamais pris fin, et le monde reste binaire – « nous et eux » , le bien et le mal.

Mais le Pentagone n’y croit pas. Ils savent ce qu’implique une guerre nucléaire. En fin de compte, les sanctions feront mal, mais ne provoqueront pas l’effondrement de l’économie russe ; la vraie guerre (et non pas la guerre PSYOPS sur l’incompétence et l’échec de l’armée russe) sera gagnée par la Russie (toutes les fournitures militaires européennes et américaines de gros équipements à l’Ukraine étant vaporisées dès qu’elles franchissent la frontière) ; et l’Occident connaîtra ce qu’il craint le plus : l’humiliation dans sa tentative de réaffirmer l’ordre libéral fondé sur des règles.

L’Europe craint que, sans une réaffirmation retentissante, elle ne voie des fractures apparaître dans le monde entier. Mais ces fractures sont déjà présentes : Trita Parsi écrit que « les pays non occidentaux ont tendance à voir la guerre de la Russie de manière très, très différente » :

Les demandes occidentales leur demandant de faire des sacrifices coûteux en coupant leurs liens économiques avec la Russie pour maintenir un « ordre fondé sur des règles » ont engendré une réaction allergique. Cet ordre n’a pas été fondé sur des règles ; au contraire, il a permis aux États-Unis de violer le droit international en toute impunité. Le message de l’Occident sur l’Ukraine a porté à un tout autre niveau son manque de discernement, et il est peu probable qu’il gagne le soutien de pays qui ont souvent connu les pires aspects de l’ordre international.

De même, l’ancien conseiller indien à la sécurité nationale, Shivshankar Menon, a écrit dans Foreign Affairs que « loin de consolider le « monde libre » , la guerre a souligné son incohérence fondamentale. En tout état de cause, l’avenir de l’ordre mondial sera décidé non pas par les guerres en Europe, mais par la compétition en Asie sur laquelle les événements en Ukraine ont une incidence limitée » .

L’élément le plus marquant du premier tour de l’élection présidentielle française de la semaine dernière est que même si Macron gagne le 24 avril (et l’Establishment et ses médias feront tout pour assurer sa victoire), ce sera à la Pyrrhus. Une majorité d’électeurs français a voté le 13 avril contre un système de verrouillage des intérêts entre l’État et la sphère des entreprises.

Les électeurs français ont l’impression d’être embarqués dans un train fou d’inflation, de baisse du niveau de vie, de réglementation supranationale, d’OTAN, d’UE et de diktats américains.

Aujourd’hui, on leur dit que la flambée des prix des denrées alimentaires, du chauffage et du carburant est le prix à payer pour paralyser la Russie et la Chine et « préserver le fondement moral de l’ordre libéral » .

Si l’on devait caractériser cette « guerre » tacite, on constaterait que Macron parle (avec mépris) à La France, de manière abstraite. Le Pen, en revanche, s’adresse aux Français et leur parle d’une politique à laquelle ils peuvent s’identifier de manière personnelle. Lors de cette élection, les anciennes catégories traditionnelles et les « conteneurs » de la politique française, à savoir l’Église catholique, le Parti républicain et le Parti socialiste, ont été rendus insignifiants.

Le président Eisenhower, dans son discours d’adieu de 1961, a clairement prévu le schisme à venir :

Aujourd’hui, l’inventeur solitaire a été éclipsé par des groupes de travail de scientifiques dans les laboratoires et les champs d’essai. De la même manière, l’université, historiquement la source des idées libres et des découvertes scientifiques, a connu une révolution dans la conduite de la recherche. En partie à cause des coûts énormes que cela implique, un contrat gouvernemental devient pratiquement un substitut à la curiosité intellectuelle. Pour chaque vieux tableau noir, il y a maintenant des centaines de nouveaux ordinateurs électroniques.

 

La perspective d’une domination des savants de la nation par l’emploi fédéral, l’attribution de projets et le pouvoir de l’argent est toujours présente – et doit être sérieusement considérée.

 

Pourtant, en tenant la recherche et la découverte scientifiques en respect, comme nous le devons, nous devons aussi être attentifs au danger égal et opposé que la politique publique devienne elle-même captive d’une élite scientifique et technologique.

C’est la guerre.

Alastair Crooke

Traduit par Zineb, relu par, pour le Saker Francophone

Cette fois, l’OTAN a intérêt à prendre au sérieux les avertissements de Poutine concernant l’Ukraine

Dans l’une des plus grandes erreurs de politique étrangère des temps modernes, les dirigeants américains et européens ont ignoré à plusieurs reprises les avertissements de Vladimir Poutine selon lesquels la Russie ne tolérerait jamais que l’Ukraine devienne un atout militaire de l’OTAN. En raison de la résistance des gouvernements français et allemand (qui s’explique autant par la corruption chronique de l’Ukraine que par la crainte de la réaction de la Russie), l’Alliance a tardé à proposer à Kiev un plan d’action pour l’adhésion – une étape essentielle vers l’adhésion. Néanmoins, lors du sommet de Bucarest en 2008, les membres actuels de l’OTAN ont ostensiblement insisté sur le fait qu’ »un jour », l’Ukraine rejoindrait l’Alliance, et ils ont répété cette promesse à de nombreuses occasions par la suite.

Pire encore, les responsables occidentaux ont généralement insisté sur le fait que la Russie n’aurait rien à dire à ce sujet. Jens Stoltenberg, le secrétaire général de l’OTAN, s’est montré particulièrement franc et arrogant à cet égard. Fin 2021, il a sommairement rejeté les demandes de Moscou, qui souhaitait que l’OTAN fournisse des garanties de sécurité contraignantes à la Russie, notamment l’engagement que l’Ukraine ne se verrait jamais proposer l’adhésion et que les forces militaires de l’OTAN ne seraient pas déployées dans ce pays.

La réponse de Stoltenberg n’aurait pas pu être plus intransigeante. « L’OTAN a une politique de la porte ouverte. C’est inscrit dans le traité fondateur de l’OTAN… Le message adressé aujourd’hui à la Russie est qu’il appartient à l’Ukraine, en tant que nation souveraine, de décider de sa propre voie. Et aux 30 alliés de l’OTAN de décider quand l’Ukraine sera prête à devenir membre. »

Les responsables occidentaux ont implicitement supposé que la Russie pourrait être intimidée et finalement contrainte d’accepter l’Ukraine dans le cadre de l’OTAN. Ils n’ont pas tenu compte des avertissements de plus en plus précis du Kremlin selon lesquels les efforts visant à faire de Kiev un atout de l’Alliance franchiraient une ligne rouge qui porterait atteinte à la sécurité de la Russie. Leur hypothèse selon laquelle Moscou accepterait sans broncher une présence de l’OTAN à l’intérieur de la zone de sécurité centrale de la Russie s’est avérée spectaculairement erronée, et l’Ukraine paie aujourd’hui un prix très élevé en argent et en sang pour cette erreur de calcul.

On pourrait espérer que les dirigeants de l’OTAN auraient tiré une leçon importante d’une erreur aussi coûteuse. Mais ils s’obstinent à ignorer une nouvelle série d’avertissements inquiétants de Moscou et, cette fois, le prix d’une telle arrogance pourrait être tout à fait catastrophique. En effet, elle crée le risque d’un affrontement nucléaire entre la Russie et les États-Unis. Dans son premier discours annonçant l’ »opération militaire spéciale » en Ukraine, Vladimir Poutine a averti toutes les parties extérieures (signifiant clairement les membres de l’OTAN) de ne pas interférer. « Quiconque tente d’interférer avec nous […] doit savoir que la réponse de la Russie sera immédiate et vous conduira à des conséquences telles que vous n’en avez jamais connues dans votre histoire. »

Pourtant, l’administration Biden et d’autres gouvernements de l’OTAN se vantent du soutien que l’Alliance apporte à la résistance militaire de l’Ukraine à l’invasion russe. Jusqu’à présent, la pièce maîtresse de cet effort a été l’augmentation des livraisons d’armes à l’Ukraine, notamment des systèmes plus lourds et plus puissants. Le secrétaire américain à la défense, Lloyd Austin, promet que les États-Unis « remueront ciel et terre » pour continuer à armer l’Ukraine. Paul Krugman, chroniqueur au New York Times, se réjouit que les États-Unis soient redevenus « l’arsenal de la démocratie », comme ils l’avaient été pendant la Seconde Guerre mondiale.

Cette politique constitue une entreprise extrêmement risquée qui pourrait faire des États-Unis un belligérant dans une guerre périlleuse. Moscou a déclaré à de multiples occasions que les convois transportant des armes des pays de l’OTAN vers l’Ukraine sont des cibles de guerre légitimes. Poutine pourrait facilement interpréter la cascade orchestrée par les États-Unis d’armes de l’OTAN pour soutenir la résistance militaire de l’Ukraine comme une ingérence inacceptable. Il en va de même pour une autre mesure de l’administration Biden, à savoir le partage de données de renseignement avec Kiev, voire la fourniture aux forces ukrainiennes d’informations de ciblage en temps réel. Dans un cas, ce partage de renseignements a apparemment permis à l’Ukraine d’abattre un avion russe avec plusieurs centaines de soldats à bord.

Comme ils l’ont fait pendant la période d’avant-guerre, les pays de l’OTAN ignorent les avertissements émanant de Moscou. Adoptant une attitude de défi, ils augmentent au contraire leur aide militaire et créent une véritable guerre par procuration contre la Russie. Les avertissements du Kremlin se font de plus en plus pressants. Poutine lui-même a récemment demandé aux membres de l’OTAN de ne pas mettre la patience de la Russie à rude épreuve en continuant à accroître leur soutien à l’Ukraine. Margarita Simonyan, rédactrice en chef de RT et de Sputnik et proche collaboratrice du président russe, a déclaré que la Russie pourrait n’avoir d’autre choix que d’utiliser des armes nucléaires si la politique occidentale continue sur sa lancée.

Une fois de plus, cependant, les faucons de la politique étrangère sont extrêmement confiants dans le fait que la poursuite de la belligérance des États-Unis et de l’OTAN dissuadera le Kremlin. Michael McFaul, ancien ambassadeur des États-Unis en Russie, affirme allègrement qu’il faut ignorer les avertissements de Poutine concernant l’utilisation d’armes nucléaires en réponse à l’augmentation de l’aide militaire occidentale à Kiev. « La menace d’escalade est un discours facile », déclare McFaul avec assurance. « Poutine bluffe. »

Dans une tribune publiée le 27 avril dans le Wall Street Journal, l’ancien sous-secrétaire adjoint à la Marine, Seth Cropsey, a même souligné que les États-Unis devaient être prêts à démontrer qu’ils « gagneraient » une guerre nucléaire contre la Russie. D’autres faucons font pression sur l’administration Biden pour qu’elle ne cède pas au « chantage nucléaire » de la Russie. Ils semblent sereinement inconscients des conséquences probables s’ils ont tort. Deux analystes ont même critiqué l’administration pour sa crainte excessive d’une « escarmouche » directe avec la Russie, comme si un affrontement avec une grande puissance nucléaire était l’équivalent d’une bagarre dans la cour de récréation d’un collège. Malheureusement, les politiques que Washington poursuit en déversant des armes en Ukraine et en créant une guerre par procuration contre la Russie suggèrent que les décideurs de l’administration sont presque aussi ignorants des dangers que les ultra-belligérants à l’extérieur du gouvernement.

Les responsables occidentaux et les membres des établissements de la politique étrangère aux États-Unis et en Europe parlent ouvertement d’aider l’Ukraine à gagner sa guerre et à infliger une défaite humiliante à la Russie. Ce que ces personnes ne semblent pas comprendre, c’est que l’Ukraine est un intérêt vital pour la sécurité de la Russie, et que le Kremlin fera tout ce qui est nécessaire – probablement même l’utilisation d’armes nucléaires tactiques – pour empêcher une défaite. L’incapacité à comprendre l’importance de l’Ukraine pour la Russie a conduit les dirigeants occidentaux à ignorer les avertissements lancés par Moscou pendant plus de dix ans contre la possibilité de faire de Kiev un allié militaire. Pour la même raison, ils semblent commettre une erreur encore plus dangereuse en ignorant la dernière mise en garde de Poutine contre le risque de faire de l’Ukraine un pion dans une guerre par procuration de l’OTAN contre la Russie. Il est impératif de prendre ces nouveaux avertissements très au sérieux et de s’éloigner d’une guerre imminente aux conséquences potentiellement horribles.

Traduction d’AntiWar par Aube Digitale

INFLATION

« Le chemin est long par les préceptes, et court par les exemples »

Le chemin est long par les préceptes, et court par les exemples.

François des Rues – Les marguerites françaises, ou Fleurs de bien-dire (1595)

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