Une petite histoire du langage
D’abord, il y a le Verbe. Le premier, l’unique, la manifestation sublime du Père. Comme une ombre portée de sa Totalité, le Verbe flotte sur les eaux – c’est la Genèse qui le dit, hein, s’pas moi. Il flotte, car le Verbe est un Souffle, une Fréquence, c’est la Forme qui donne son existence aux choses, c’est la ligne qui suscite la matière, c’est la courbe qui invente le plein. Enfin, je crois. Une fois le monde et le cosmos extravasés, sortis de ce reflux gastrique de Dieu – comme un océan qui s’éloigne du rivage et laisserait à voir enfin quelque chose ressemblerait à un début de machin – une fois le cosmos sorti de sa conque, sa chair bien blanche chatouillée par la plume du facétieux Créateur, il reste à savoir quoi faire de ce cosmos, de cette pâte hirsute, de ce machin céphalopode qui babille sur plusieurs parsecs d’un bout à l’autre de l’horizon des évènements – un fond « diffus » diront les imbéciles physiciens.
Heureusement, le Logos est un principe partitionnant, puisque sa petite sœur, la Sagesse aux joues carmines, s’est entichée du vide sidéral et veut le faire parler à son tour, lui donner des mesures, l’embrasser dans ses grandes largesses et féconder ses trous de ver les plus miteux. Voilà donc le Verbe qui se frange de dents, atomes et photons, y a plus qu’à relier les points comme sur un cahier de coloriage ! L’univers est déjà un formidable bazar, un calque posé sur le Rien, et déjà le Verbe s’est ramifié dans toutes les directions du temps et de l’espace, deux complexions simples qu’il utilisera pour convaincre un peu plus tard la matière qu’il est bon de penser.
Penser ! Mais oui. Pour cela, rien de plus simple : il convient de diviser encore les séquences divines en sous-séquences qu’on appellera nombres, puis chiffres. Des morceaux de Dieu métabolisés, parfaitement entortillées dans les ondes qui les sous-tendent, comme des insectes patients, prêt à déployer leurs pattes multiples et à saisir coûte-que-coûte les leviers du monde phénoménal. Et voilà, dans les alambics de la Pangée, dans ces formidables brouets que sont les civilisations nomades balbutiantes, hyperboréennes, indo-européennes : les mots. Magiques, ils donnent aux choses leur fonction, ils rétablissent le lien perdu entre les astres et la terre déjetée où s’accroupissent les peuples, au pied des volcans, à la lisière des forêts primaires. Le langage, cette sève sublime qui barbote dans le cortex, qui s’épanouit en phonèmes à travers un labyrinthe de rivets et de trappes secrètes ! Sublime émulsion de Dieu dans la boue des singes. Voici la trame du monde, posée, infiniment délicate, comme une résille sur nos civilisations glorieuses : les sphères n’ont plus qu’à rougir, le système solaire n’a qu’à bien se tenir ! Vient le grec athénien, langue sublime et précise qui détaille des concepts, qui plie l’abstraction à sa volonté ! Vient le sanskrit, langue des Dieux où leur parole se trouve presque intouchée, encore capable de faire ployer les arc-boutants du réel ! Puis le mésopotamien, les langues sémites, puissantes révolutions numériques où le concept rejoint la courbe du dessin ! Sans oublier les langues régionales européennes, où c’est la terre qui déborde et où chaque feuille morte, chaque galet drossé par l’étang jouit d’un nom propre! Et la langue du XVIIème, si précise et si délicate qu’elle créée des sentiments, juxtapose aux sens et aux passions les ornements qui les prolongent dans le possible ! Les langues, richesses des peuples, mystères silencieux de nos organes chantants…
Et voilà qu’aujourd’hui, une ministre en-marchiste, une certaine Amélie Oudéa-Castéra (what the fuck ?) sorte de yuppie femelle en Stan Smith et en pantalon The Kooples, marche sans vergogne vers son deuxième conseil des ministres, et tweet avec aplomb, croyant sans doute fédérer autour d’elle les plus sinistres cosmopolites de la France du Marais et de Seine Saint Denis : « “Don’t crack under pressure”. Walk. Marche ce matin vers le Conseil des ministres #2. ». Pauvre République. Pauvre Cosmos.
M.O L’incorrect
« Seules deux choses éduquent : avoir un maître ou être un maître »
Seules deux choses éduquent : avoir un maître ou être un maître.
[« Sólo dos cosas educan : tener amo o ser amo »]
Nicolás Gómez Dávila – Escolios a un texto implícito (1977)
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