Qui est Alexandre Douguine ?
Alexandre Douguine, né à Moscou le 7 janvier 1962, est un intellectuel et théoricien politique russe, fondateur en 1993 du Parti national bolchévique (PNB). Entre les années Elstine et le premier mandat présidentiel de Vladimir Poutine, les « nazbols » ont exercé une influence certaine sur la politique et surtout la jeunesse russe, sous la conduite de l’écrivain Edouard Limonov. Bien que le PNB ne parvienne jamais à rassembler plus de quelques dizaines de milliers d’adhérents, il est devenu, emmené par le charismatique et excentrique Limonov, l’un des pôles de l’opposition intellectuelle à Vladimir Poutine en Russie, jusqu’à ce que le parti éclate en 2006, suscitant de violents affrontements entre pro-Douguine et pro-Limonov. Dès lors, Douguine se consacre au deuxième parti qu’il a fondé, en 2002, le Parti Eurasie, resté plus fidèle que le PNB à la doctrine eurasiste prôné par l’intellectuel moscovite, résumée dans ses nombreux ouvrages, ainsi que sur le site du mouvement: « La voie suivie par l’occident est destructrice pour lui et pour tous ceux qui tentent de la suivre. Le même occident attend d’être sauvé. Sa civilisation est spirituellement vide, fausse et monstrueuse. Derrière la prospérité économique se cache une dégradation spirituelle totale. Nous n’avons pas besoin de prospérité en échange de la perte de notre humanité. Si l’occident persiste sur cette voie, laissons-le sombrer dans l’abîme ».
Douguine, à travers l’eurasisme, propose une sorte de redécoupage idéologique du monde qui emprunte à la fois au philosophe allemand Carl Schmitt, au géographe britannique Harold McKinder et à la tradition panslave russe. De Schmitt, Douguine retient ce principe, énoncé dans le Nomos de la terre : « Au commencement de l’histoire de tout peuple devenu sédentaire, de toute communauté et de tout empire se trouve sous une forme ou une autre l’événement constitutif d’une prise de terres. [D’elle] dérivent tous les rapports ultérieurs de possession et de propriété ». Dès lors et à partir de ce principe, Douguine élabore l’opposition entre les « peuples de la mer », nations occidentales et marchandes qui s’opposent aux « peuples de la terre », les civilisations sédentaires et continentales héritières d’une culture enracinée et par nature opposée au « mondialisme », paravent de l’impérialisme américain. De MacKinder, Douguine retient la théorie du heartland, le bloc eurasiatique, pièce maîtresse de la géographie mondiale, avec en son centre la Russie. Ces deux sources idéologiques irriguent son néo-panslavisme et l’idée que la Russie constitue un rempart civilisationnel naturel face au déclin spirituel et aux appétits impérialistes de l’occident matérialiste. Cette conception des choses l’amène à justifier un autre impérialisme, russe celui-là, naturellement opposé à l’influence occidentale. Ce faisant, Douguine réinitialise la vieille doctrine panslaviste qui postule l’unité des peuples slaves, doctrine qui prend racine dans les écrits du croate Juraj Križani? au XVIIe siècle, puis du philosophe russe Nikolaï Danilevski ou de Dostoïevski au XIXe siècle.
La doctrine panslaviste a servi de fondement doctrinal à l’expansionnisme russe, des guerres des Balkans au XIXe siècle contre l’empire ottoman jusqu’à l’impérialisme soviétique au XXe. Les théories d’Alexandre Douguine trouvent leur place au début du XXIe pour justifier la politique menée par Vladimir Poutine, au nom de la restauration de l’influence russe, en particulier auprès des autres peuples slaves et dans les marges de l’ancien empire soviétique. « À nos yeux, Poutine est partisan d’une politique de puissance étatiste, un patriote incarnant une autorité verticale, un chrétien orthodoxe, fidèle aux racines spirituelles russes mais aussi fidèle aux autres confessions et traditions eurasiennes. Poutine est pour nous celui qui sauvera le pays du séparatisme et du désordre », proclame la conférence politique du mouvement pan-russe Eurasie le 1er mars 2002. Vingt ans après cette proclamation, Alexandre Douguine s’affirme toujours comme un fervent soutien de la politique de Poutine, et en particulier de l’opération militaire déclenchée en Ukraine le 24 février. C’est ce soutien qui a sans doute coûté la vie à sa fille, Daria Douguine, journaliste alignée sur les thèses de son père. Il est fort probable en effet que l’attentat qui lui a coûté la vie ait visé aussi son père mais la question qui reste en suspens est celle des commanditaires.
Pour autant, on peut se demander quel intérêt les Ukrainiens trouveraient à perpétrer sur le sol russe un acte terroriste qui pourrait leur aliéner le soutien occidental et provoquer en retour de nouvelles frappes russes meurtrières
Immédiatement après l’annonce de la mort de Daria Douguine, le président de la république autoproclamée de Donetsk, Denis Pouchiline, a fustigé sur Telegram d’« abjectes crapules », accusant directement des « terroristes du régime ukrainien ». Sur le même réseau, la porte-parole de la diplomatie russe, Maria Zakharova, a estimé que « si la piste ukrainienne se confirm[ait] (…), il s’agira[it] de la politique du terrorisme d’État mise en place par le régime de Kiev ».
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DIMITRY ORLOV :
Bien que les médias occidentaux se soient empressés de qualifier Douguine de « conseiller de Poutine » ou de « nationaliste russe » ou de toute autre épithète insensée, il ne s’agit là que de la bêtise habituelle des médias occidentaux. Douguine est un philosophe et, étant plutôt controversé, il n’est en aucun cas proche du Kremlin. Il a produit une œuvre très impressionnante et ce n’est peut-être pas une bonne idée de la résumer en quelques phrases, mais je vais essayer.
Les spécificités de l’État russe sont liées au vaste paysage eurasiatique et sont indépendantes de l’ethnologie, de la religion, de l’économie ou de l’idéologie ; elles nécessitent, pour leur préservation, un seul dirigeant fort dont le pouvoir repose sur l’approbation d’une vaste majorité conservatrice, autonome et patriotique. Lorsque la Russie a bénéficié d’un tel leadership, notamment sous le Prince Vladimir [~915-1015], Ivan IV le Terrible [1530-1584], Pierre Ier le Grand [1672-1725], Joseph Staline et maintenant Vladimir Poutine, son royaume s’est rapidement étendu. Même sous des dirigeants moins grands, il s’est développé de manière constante parce que son modèle de gouvernance, avec un centre autoritaire sauvegardant les intérêts de communautés éloignées, grandes et petites, sans distinction d’ethnie, de langue ou de religion, a progressivement gagné des adhérents parmi les populations voisines sur la base du principe de complémentarité ethnique évidente. Les deux contre-exemples d’incompétence massive sont Mikhaïl Gorbatchev et Boris Eltsine, qui ont amené la Russie au bord de l’effondrement économique et de la dissolution politique. Après la fin du moment unipolaire de l’Amérique, il y a une dizaine d’années, la Russie n’a cessé d’étendre son influence et a d’excellentes chances de rejoindre les autres grandes nations d’Eurasie pour former un centre de pouvoir eurasien qui se débarrassera du fardeau du contrôle extérieur et de l’exploitation par les nations occidentales. Douguine considère Moscou comme la troisième Rome et l’héritier de l’Empire romain d’Orient et de l’Empire mongol. C’est un patriote russe mais le qualifier de nationaliste est une pure absurdité puisque la Russie n’est pas une nation mais une fédération de nombreuses nations.
Comme il semble habituel avec les Ukrainiens, l’acte odieux de l’assassinat de la fille de Douguine a été pour eux un acte puissamment autodestructeur. Avant cet événement, Douguine travaillait dans une relative obscurité et ses idées étaient connues dans des cercles plutôt étroits et considérées comme controversées. Mais aujourd’hui, son nom est partout et des dizaines de millions de personnes le recherchent et étudient son travail. Le martyre de sa fille l’a élevé, elle et lui, au rang de héros nationaux et leurs noms, ainsi que son œuvre, vivront à jamais.
Les Ukrainiens n’auraient guère pu faire plus pour faire avancer la cause de la souveraineté eurasienne et pour hâter la disparition de leur faux clan nationaliste mono-ethnique mort-né, contrôlé par l’étranger. L’assassinat de la fille d’un philosophe est un acte d’humiliation nationale ukrainienne et ses dirigeants, qui ont ordonné le meurtre, se vautreront désormais dans l’ignominie et la honte perpétuelles.
ALEXANDRE DOUGUINE : Contre le Great Reset, le Manifeste du Grand Réveil
En 2020, au Forum de Davos, son fondateur Klaus Schwab et le prince Charles de Galles ont annoncé un nouveau cours pour l’humanité, le Great Reset, la Grande Réinitialisation. Dans ce livret, Alexandre Douguine analyse ce projet, trace sa généalogie et propose une contre-attaque qu’il structure en un texte : Le Manifeste du Grand Réveil.
ALEXANDRE DOUGUINE : La Quatrième théorie politique
Quand la droite et la gauche en politique ne veulent plus rien dire, quand les libéraux et les libertaires sont d’accord sur l’essentiel, quand les trois grandes théories politiques du XXème siècle, le communisme, le fascisme et le capitalisme ont prouvé leur incapacité à gouverner, que reste-t-il à faire ? Il reste à inventer une Quatrième théorie politique, nous dit Alexandre Douguine, l’intellectuel le plus écouté aujourd’hui en Russie. Sa pensée, située au-delà des clivages idéologiques artificiels et des réflexes conditionnés par les médias, préconise de se ressourcer aux spiritualités traditionnelles pour affronter l’avenir de manière résolument conquérante. La guerre est donc déclarée au postmodernisme occidental, ce mélange morbide de société du spectacle et de consommation émanant de l’empire anglo-saxon et de ses projets de domination mondiale définitive. Douguine montre que la construction d’un monde multipolaire fondé sur des valeurs de vie authentiques ne sera possible qu’en maintenant à tout prix une extériorité à l’Occident atlantiste. Comment ? En préservant sans condition la souveraineté géopolitique des puissances du continent eurasiatique, Russie, Chine, Iran, Inde, garantes de la liberté des autres peuples sur la planète. Véritable manuel de guérilla culturelle, cet ouvrage démontre une fois de plus que les idées ne se défendent toujours en dernier recours qu’avec des armes.
ALEXANDRE DOUGUINE : Pour une théorie du monde multipolaire
Le monde en phase de globalisation, alors qu’il s’apprête à faire un pas décisif au-delà des limites de la modernité et des temps modernes, découvre soudain que, dans de nombreuses régions du monde, la modernité n’est pas encore vraiment été établie, et que les temps modernes ne sont toujours pas advenus. Apparaît alors le soupçon que peut-être, dans ces sociétés non-occidentales, l’avènement de la modernité au sens européen – et habituel – du terme, n’est pas possible du tout, et que les temps modernes n’adviendront peut-être même jamais. On prend alors exactement conscience de ce qu’est le facteur civilisationnel, porteur de l’ensemble de ses attributs pré-modernes. Et si ce facteur se révèle suffisamment puissant et stable, alors la logique historique occidentale, marquée par le progressisme, la linéarité et l’universalisme, sera neutralisée. La théorie du monde multipolaire suggère d’agir de la sorte, et de passer d’une compréhension linéaire de l’histoire à une compréhension cyclique, de basculer d’un temps global et universel de l’humanité à des trajectoires et des voies spécifiques, particulières à chaque civilisation, entrelacées les unes aux autres dans un environnement complexe, dont les schémas sont en constante évolution.

ALEXANDRE DOUGUINE : Vladimir Poutine, le pour et le contre
ladimir Poutine, le pour et le contre (Écrits eurasistes – 2006-2016) rassemble la totalité des textes publiés en français par Alexandre Douguine entre les années 2006 et 2016. L’ouvrage entre dans un projet plus vaste qui est de rassembler dans plusieurs volumes tous les textes du théoricien du néo-eurasisme parus depuis la fin des années 1990.
Ce livre, et les volumes qui le suivront, devraient pallier cela et permettre à tous, militants, étudiants ou chercheurs, de découvrir d’une manière simple une pensée vaste, originale et souvent révolutionnaire. Quant à son titre, il évoque le principal thème autour duquel ce recueil s’organise sans en épuiser la richesse.
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