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L’Edito / Le Pacte avec le Diable : la défense de l’usure par Bruno Bertez

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L’Edito / Le Pacte avec le Diable : la défense de l’usure par Bruno Bertez

L’actualité est d’une telle richesse que le chroniqueur a du mal non seulement à y voir clair, mais en conséquence, à choisir son thème. 

Pêle-mêle, nous avons le rapport sur la GFC, la Great Financial Crisis ; le Forum de Davos ; le soulèvement égyptien ; la déstabilisation de nombreux pays pauvres ; le discours de l’Etat de l’Union d’Obama ; les réunions européennes destinées à renforcer l’euro et à éviter le retour des crises sur le marché de la dette des pays fragiles ; la hausse historique des cours des produits agricoles ; le chômage dangereusement élevé… 

Cela fait beaucoup et il est évident qu’un article journalistique, même excessivement long, ne peut suffire à balayer, à ratisser un champ aussi large. 

Dans ces conditions, face à cette difficulté, nous choisissons, non pas de ratisser large, mais de creuser profond.

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 Nous vous livrons de suite, sans plus attendre, le résultat de notre recherche : ce qui est enfoui, ce qui est dissimulé en dessous de cette apparente diversité de l’actualité, c’est une seule réalité, une seule vérité : nous sommes en plein dans les conséquences, voulues et non voulues, des politiques qui ont été mises en place pour faire face à la grande crise financière de 2008. 

Le prétexte de nos écrits étant les marchés financiers, nous commencerons par eux, si vous le voulez bien. 

Les actions des pays industrialisés sont orientées à la hausse, sous la conduite des valeurs américaines. Les émergents sont à la traîne, victimes des tensions inflationnistes et des politiques qui sont mises en place pour les contrer. Alternativement, les actions montent, soit sur le thème de la reprise économique, soit sur celui du Safety Trade. Le résultat est une tendance positive qui ne se dément pas malgré le net besoin technique de pause et de consolidation

source bespoke 

Les taux d’intérêt longs sont orientés à la hausse. Les portefeuilles obligataires continuent de perdre. Du côté des marchés directeurs, ceux du 10 ans et du 30 ans américains, les taux sont sur des seuils critiques. Il faudrait peu de choses pour qu’ils basculent et qu’une hausse plus nette ne se précise. C’est le cas en particulier du niveau des 3,5% sur le 10 ans. 


 

 

L’or est en baisse. C’est normal puisque les anticipations de taux sont à la hausse et que les autorités donnent l’illusion d’avoir repris le contrôle de la situation. L’or ne bénéficie pas du Safety Trade. 

En revanche, les matières premières, surtout agricoles, continuent de flamber. Nous vous rappelons quelques performances, si l’on peut appeler cela des performances, sur un an : coton +150%, café +85%, maïs +85%, blé +75%, soja +55%, bétail +30%. 

Le pétrole brut n’a gagné que 20% environ ;  mais nous dirons que l’enjeu de la période actuelle, c’est le prix du brut. Pour reprendre une expression en vogue du temps où l’on parlait de Saddam Hussein et de l’Irak, c’est l’équation pétrole contre nourriture. Si l’on passe les 100$ sur le WTI, c’est une nouvelle mécanique spéculative qui s’enclenche. L’Arabie Saoudite a fait ce qu’il fallait en menaçant d’augmenter sa production pour calmer les marchés. Mais si ce couvercle saoudien saute, les prix peuvent galoper. Une poursuite de la hausse du brut serait, à notre avis, un élément susceptible de changer la donne de l’économie globale et de sa régulation.

Nous sommes depuis début décembre 2010 « überbullish » sur les actions américaines, c’est à dire sur le S&P500. 

Pour trois raisons au moins :

1) la liquidité est surabondante grâce au QE et aux POMO ;

2) l’économie connaît une belle embellie et elle va durer plusieurs mois ;

 3) la psychologie a été renversée, les animal spirits se sont réveillés. L’échec du QE2 sur les taux est le symétrique positif de son succès sur la psychologie. Les liquidités, au lieu de fuir le système américain et de se déverser sur le reste du monde, restent car la situation relative meilleure des Etats-Unis s’est réaffirmée. La fragilité fondamentale du reste du monde est en train de réapparaître tant au plan économique qu’au plan structurel et au plan social. 

Les Etats-Unis sont au Centre. Ils sont le Centre. La solidité de leur économie, de leur système financier, est peut-être écornée, mais leur solidité institutionnelle et organisationnelle est intacte. Le capital qui est enfoui dans les institutions américaines est considérable alors que les bases, les fondations des compétiteurs stratégiques du reste du monde sont fragiles, vulnérables, trop récentes. Tout se passe comme si l’on comparait un immeuble traditionnel construit de briques et de mortier avec une construction préfabriquée. Ce que nous disons est vrai pour l’ensemble du reste du monde, y compris pour l’Europe. L’Europe a beau être composée de vieux pays, en tant que système, elle est récente, fragile, bâclée. Nous y reviendrons plus bas. 

Encore quelques mots sur l’embellie américaine. Elle va durer au moins un an, peut-être plus. La croissance va monter jusqu’à 4% ; l’emploi privé va s’améliorer même si c’est modestement. On va croire qu’une croissance organique est devenue possible. Les taux d’intérêt vont monter. La préférence pour la liquidité va faiblir, les masses monétaires vont accélérer. Les prix aussi. Est-ce que cela se verra dans les indices officiels ? Ce n’est pas sûr, mais cela se ressentira dans les budgets des ménages. 

La reprise est fondée sur la consommation, elle est alimentée par la rechute du taux d’épargne. Cette reprise va s’étouffer faute de carburant, c’est à dire faute de pouvoir d’achat. Nous faisons le pari que les dépenses d’équipements, c’est à dire l’investissement des entreprises ne prendra pas le relais. Ceci explique que l’emploi ne repartira pas puisque, comme chacun sait, l’emploi est corrélé à l’investissement des firmes privées et non pas à la consommation. 

Figure 4
Actual and fitted saving rates

Figure 1
Household net worth and personal saving rate

Figure 2
Household debt and personal saving rate

  source FRBSF

Figure 3
Household debt and credit availability

 

Venons en donc à l’Europe. Grâce au « extend and pretend » généralisé, l’Europe a passé le cap du début d’année. Les interventions visibles et occultes sur les marchés ont crucifié la spéculation. L’euro a remonté, les spreads se sont détendus, les CDS se sont dégonflés. 

Image: CMA Datavision

Les marchés sont tenus en laisse par une forte pression médiatique des autorités et le calendrier des réunions. A notre avis, jusqu’à fin mars, les marchés sont neutralisés. 

Pendant ce temps,  l’Allemagne œuvre afin que les pertes qui sont enfouies dans les bilans des banques ne soient pas extériorisées, afin que les ratios continuent d’être truqués, afin que les capitaux propres restent ce qu’ils sont, c’est à dire fictifs. 

Les propositions sur la compétitivité sont de la cosmétique politique. Elles sont irréalisables dans le volet social, comme l’âge de la retraite et les protections sociales ; elles sont ridicules au plan économique. La compétitivité est une affaire de long terme, générationnelle. Elle passe par un effort d’investissement soutenu. Qui va aller investir dans des pays périphériques, en difficultés, alors qu’aucune des conditions propices à l’investissement n’est remplie. Dans ces pays, l’incertitude, l’instabilité, l’insuffisance des taux de profit sont des obstacles à un investissement soutenu, susceptible de renverser les tendances longues de l’économie.  Par ailleurs, le modèle allemand n’est absolument pas extrapolable ; tout le monde ne peut copier la spécialisation industrielle de ce pays. 

Le thème de la compétitivité n’est qu’une façon de gagner du temps pour neutraliser les  marchés. Il montre à l’évidence que, du côté allemand, on n’a toujours pas compris les origines de la crise et que l’on continue de faire l’autruche sur le problème fondamental, à savoir l’insolvabilité conjointe des souverains et des banques. 

L’EXPOSITION DES BANQUES EUROPENNES ET PAR PAYS AUX PAYS A RISQUE (CLIQUEZ SUR LE LIEN POUR CETTE EXCELLENTE INFOGRAPHIE) 

Pendant ce temps, le « run » silencieux sur les banques des périphériques continue. C’est lui qu’il faut surveiller, plus que les marchés (muselés). Les capitaux et les dépôts, en particulier étrangers, votent avec leurs pieds, ils quittent les banques des PIIGS. On en est déjà aux subterfuges et à la création monétaire officieuse pour le dissimuler.

 Les responsables européens réunis à Davos ont émis un message à peu près unanime : cela va bien, mais il y a des risques. La ministre français, Christine Lagarde, a rabroué Dominique Strauss-Kahn lorsque, à Singapour, il s’est permis de tirer la sonnette d’alarme et d’insister sur la gravité des dangers

Nous voudrions insister et corriger le discours politiquement correct : il est abusif et trompeur de dire qu’il y a des risques. Il n’y a pas des risques, il y a des coûts réels, certains, incontournables, associés aux politiques actuelles

Le premier, c’est l’inflation. Il n’existe pas d’exemple dans l’histoire que la création de liquidités, la surabondance monétaire, les taux d’intérêt négatifs, les déficits fiscaux colossaux ne se traduisent pas par une hausse des prix. Celle-ci peut-être masquée, différée, mais elle réapparaît comme une vengeance sitôt que l’activité économique accélère. 

Le second, c’est le chômage. La volonté de faire payer la reconstruction du système bancaire au sens large par les classes moyennes et les salariés est doublement déflationniste : en terme de pouvoir d’achat et d’emploi. Les ressources prélevées sont détournées de la consommation et de l’épargne, de la vraie épargne. La destruction et les ponctions en cours sur l’épargne obèrent le potentiel d’investissement et elles vont peser longtemps sur le potentiel économique lui-même. 

 
  
Le thème européen lancé par Merkel, de la compétitivité, n’est rien d’autre qu’un autre habillage de l’austérité. L’obsession allemande reste inchangée : les autres vivent au-dessus de leurs moyens. 

Le troisième, c’est l’instabilité généralisée. Quand toutes les données sont faussées, dissimulées, travesties, les comportements économiques et sociaux rationnels sont découragés. Quand l’opacité  s’installe, l’incertitude augmente. L’esprit de jeu et de spéculation prend le dessus. Les activités réellement productives sont découragées. L’absence de transparence et de visibilité est aggravée par le perpétuel  changement des règles du jeu fiscales et monétaires. Ceci suscite et entretient les désordres, sape la légitimité des élites et favorise l’agitation sociale. 

L’un des coûts les plus élevés associé à la mauvaise gestion de la crise est aussi l’un des plus cachés : c’est la destruction en profondeur du consensus sur lequel reposent nos sociétés

 

En octobre 2010, lorsque les contours du second round de QE américain se sont précisés, Thomas Hoenig, Président de la Federal Reserve Bank de Kansas City a déclaré : « you are making a bargain, I am afraid, with the devil ». Dans son Investment Outlook du tout début février, Bill Gross, patron de Pimco, le plus gros investisseur obligataire du monde, choisit pour titre : « Devil’s Bargain ». 

Pacte avec le Diable. On ne peut mieux caractériser les politiques actuelles. Le Pacte avec le Diable consiste à refuser de faire payer ceux qui ont failli et à faire supporter la charge de leurs erreurs à ceux qui, tout en n’étant pas responsables, sont les plus faibles. Ce pacte consiste pour sauver un ordre établi qui a évolué dans un sens pervers à créer un désordre, une déstabilisation planétaire. Ce qui se passe en Egypte, Tunisie, Indonésie, Syrie, Inde, bientôt au Pakistan, n’est qu’un avant-goût des conséquences du choix qui a été fait de la défense de l’usure. Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Historiquement, anciennement, l’usure, ce n’est pas le taux d’intérêt abusif, c’est l’intérêt tout court.

BRUNO BERTEZ le 3 Fevrier 2011

EDITO PRECEDENT :

L’Edito : Le scénario 2010 vole en éclats, attention aux pertes par Bruno Bertez

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