Parce que la vertu monétaire n’est pas un gage de survie la BNS fait le choix de l’option nucléaire

source Wall Street Journal

source Financial Times
Les réactions à la décision de la Banque nationale suisse sont nombreuses. Entre admiration, évaluation des risques et répercussions sur l’ensemble de l’équilibre monétaire international….
PLUS DE GUERRE DES CHANGES EN SUIVANT :
Ce n’est pas tous les jours que la Suisse est à la une du Financial Times (FT), du Wall Street Journal (WSJ) et du site de The Economist, qui rend très largement compte des réactions, nombreuses, dans le monde, sur le «pari» helvétique. Il faut dire que mardi, en décidant d’affaiblir le franc avec la fixation d’un cours plancher de 1 fr. 20 pour un euro, la Banque nationale (BNS) a sorti l’artillerie lourde. But de la manœuvre: préserver l’emploi et soutenir les entreprises, particulièrement celles d’exportation.
Le FT, dans son commentaire qui escorte plusieurs pages consacrées à la décision de la BNS, écrit qu’«en promettant de vendre le franc à un taux fixe face à l’euro, quel que soit l’acheteur et pour n’importe quel montant, la BNS joue sa dernière carte pour prévenir la hausse incessante de sa monnaie nationale. Pour une économie de taille moyenne, elle est la victime d’événements et de choix politiques qui échappent à son contrôle. Même si cela pourrait déclencher une guerre monétaire, la BNS n’avait guère d’autre choix que celui d’agir, de façon décisive et radicale.»
Mais est-ce une bonne idée? questionne le quotidien londonien: «L’offre sera désormais déterminée par les appétits des investisseurs mondiaux. […] Car si la parité persiste, il ne se passera pas beaucoup de temps avant que la Suisse ne ressente les effets de l’expansion monétaire: inflation, bulles d’actifs, ou les deux. Pour l’instant, les Suisses préfèrent vivre avec ces problèmes.» Mais attention, «les répercussions mondiales sont plus inquiétantes. La Suisse est trop petite pour causer directement des déséquilibres macroéconomiques, contrairement à la Chine. Mais sa démarche pourrait inciter d’autres pays à lui emboîter le pas et à faire l’ultime choix d’un contrôle des capitaux.»
Aux yeux du WSJ, l’action sur le franc représente un test pour le président de la direction générale de la BNS, Philipp Hildebrand, après que «l’échec des interventions massives de l’institut d’émission monétaire en 2009 et 2010 pour freiner le franc eut déclenché des appels à sa démission». Cependant, cette fois, «le banquier central semble avoir plus de soutien, avec des politiciens et des chefs d’entreprise suisses qui louent la prise de risque de la banque pour acheter des euros en quantités illimitées».
Et dans son commentaire, le quotidien new-yorkais ne prétend rien de moins que ce titre provocateur: «La Suisse a abandonné sa neutralité.» Cela pourrait avoir «un effet psychologique sur les investisseurs» reléguant au second plan le risque d’inflation, qui «n’est pas un problème». Au niveau international, la décision de la BNS marque «une rupture avec l’orthodoxie» qui disait jusque-là: laissons faire les marchés. Si cette dernière atteint son but, «cela pourrait conduire à une réévaluation plus large et bienvenue des accords sur les changes qui ont dominé la pensée monétaire durant des décennies et qui produisent maintenant cette extrême volatilité».
Le Handelsblatt est plus alarmiste: va-t-on vers «une nouvelle guerre des devises?» se demande-t-il dans sa propre revue de presse. Où il apparaît que la Süddeutsche Zeitung espère, elle, que «la décision suisse apporte un peu de calme dans les débats sur l’euro», avec une mesure que la Neue Zürcher Zeitung qualifie de «courageuse», «non conventionnelle», mais «absolument nécessaire». Et en Australie, le Business Spectator craint une bombe pour le dollar océanique, maintenant que le franc suisse semble avoir trouvé un port plus sûr. Reste que si «la Suisse tente le tout pour le tout», aux yeux des Echos, «dans un acte que certains qualifieront de désespéré», cela a un premier effet, confirment-ils: «Les investisseurs sont déjà à la recherche d’actifs sans risque alternatif.»
Mais hélas, «la vertu macroéconomique n’est pas un gage de survie. L’expérience récente de la Suisse l’illustre à la perfection», explique le quotidien économique français: «Adossé à des comptes extérieurs excédentaires (solde courant de 14% du PIB), une base exportatrice dynamique et des comptes publics solides (dette de 37% du PIB), le franc suisse est considéré comme une valeur refuge. Lorsque l’aversion pour le risque augmente, les investisseurs délaissent les actifs risqués et recherchent des safe havens. […] C’est la malédiction des pays vertueux: une hausse violente du change qui pénalise les exportations et peut entraîner un risque de déflation.» Résultat, selon le titre de La Tribune: «La Banque nationale suisse dégaine l’arme nucléaire». Commentaire: «Audacieux, le pari est aussi risqué.»
Par Olivier Perrin/le temps sep11
EN COMPLEMENT : La décision de la BNS en dix questions
Par Mathilde Farine, Frédéric Lelièvre, Servan Peca/le temps
Quelles sont les conséquences de la fixation d’un cours plancher? Pour l’économie, pour la BNS, pour les taux hypothécaires. Réponses avec plusieurs économistes
Plusieurs économistes décortiquent la fixation d’un taux plancher de l’euro à 1,20 franc
■ Que signifie la fixation d’un cours plancher de 1,20 franc pour un euro?
La Banque nationale suisse (BNS) décide qu’elle défendra le niveau minimum de 1,20 franc pour un euro. Concrètement, cela signifie qu’elle interviendra en achetant des euros contre des francs dès que le taux de change descend en dessous du plancher.
Dès à présent, pour échanger ses euros contre des francs, on ne peut donc plus obtenir un moins mauvais taux de change que 1,20 franc. En revanche, si la situation s’améliore en Europe, la BNS laisse toute latitude à une remontée de l’euro à 1,30 franc ou plus.
D’une certaine façon, la BNS fait en même temps «un geste désespéré» et «un vote d’enthousiasme pour la zone euro» en annonçant être prête à acheter des quantités illimitées de monnaie unique, analyse Michel Juvet, économiste de la banque Bordier.
■ Quelle est la différence avec un arrimage à l’euro?
Dans le cas d’un arrimage (un peg en anglais) à l’euro, la BNS défend un taux de change déterminé, aussi bien à la hausse qu’à la baisse. Dans le cas présent, elle n’intervient qu’en cas de baisse du taux de change, donc d’appréciation du franc. Si, au contraire, la monnaie helvétique revient à 1,25, elle laissera faire.
Cependant, aussi longtemps que la crise de la dette perdure dans la zone euro, le franc risque de rester au taux plancher fixé par la BNS. «Nous sommes pratiquement dans une situation de peg, ce qui signifie une perte d’indépendance de la BNS», selon Michel Juvet.
■ Combien de temps va durer cette mesure?
La décision de défendre le plancher de 1,20 est jugée temporaire. Dès que les tensions sur les marchés se seront calmées, la BNS n’aura plus besoin d’intervenir. Mais cela peut prendre du temps. «Il faut penser en termes de mois, estime l’économiste Jean-Pierre Béguelin. Tout dépendra de ce qui se passe dans le monde et, surtout, en Europe.»
■ Pourquoi une telle décision a-t-elle été prise?
Parce que malgré les trois communiqués successifs du mois d’août, la dépréciation du franc n’a pas duré. Ce que les économistes n’interprètent pas forcément comme un échec: «Il s’agit d’une étape supplémentaire. La BNS a avancé progressivement, en espérant éviter des mesures trop importantes», explique Bruno Jacquier, économiste à la Banque privée Edmond de Rothschild.
Michel Juvet se demande cependant si la BNS n’a pas «outrepassé son mandat», compte tenu des pertes illimitées qu’elle dit être prête à assumer. «Les montants pourraient dépasser l’aide à UBS. Une telle intervention nécessite une approbation politique», relève-t-il.
■ Pourquoi est-elle prise maintenant?
«La décision était mûre politiquement, contrairement à 2010», juge Jean-Pierre Béguelin. La BNS a peut-être aussi pris peur de voir le franc s’apprécier à nouveau, malgré les mesures prises au mois d’août, ajoute l’économiste. Enfin, une série d’études venant d’instituts de conjoncture et d’organisations faîtières publiées ces derniers jours ont témoigné de la détérioration de la croissance en Suisse.
■ Pourquoi un cours de 1,20 franc?
Le niveau qui prévalait lundi soir, proche de 1,10, n’aurait pas véritablement aidé l’économie suisse, parce qu’il représentait une surévaluation trop importante du franc, estime Peter Rosenstreich, chef analyste des devises chez Swissquote. Aller au-delà, en visant un plancher à 1,30 – soit un niveau plus proche de ce que l’on peut considérer comme un taux de change d’équilibre – n’aurait pas été impossible, mais cela aurait obligé l’institution monétaire à engager des sommes encore plus importantes pour maintenir ce niveau, poursuit l’expert.
«Un taux entre 1,40 et 1,50 franc serait souhaitable, mais il est impossible à défendre actuellement, abonde Marc Chesney, professeur de finance à l’Université de Zurich, et vice-directeur de l’Institut de banque et finance. Le marché tend vers la parité. La BNS a donc arbitrairement choisi un taux intermédiaire, qui semble réaliste pour soulager l’économie et être tenu sur le marché des changes.»
■ La BNS sera-t-elle capable d’empêcher l’euro de passer sous 1,20 franc?
En 1978, la BNS avait annoncé défendre un taux plancher à 80 centimes pour un deutsche mark. La monnaie allemande s’était effondrée en peu de temps face au franc, passant de 1,25 franc pour un mark à 0,75 franc. «Si cette expérience peut servir de référence, la BNS devrait réussir», jugent des experts d’UBS.
«Je souhaite que l’action de la BNS fonctionne, mais je suis très dubitatif pour le moyen-long terme si la crise de l’euro se poursuit, déclare Marc Chesney. Sur le marché des changes interviennent des institutions (hedge funds, banques d’affaires, etc.) qui n’avaient pas une telle puissance il y a 20 ou 30 ans. Elles vont tester la BNS et sa capacité à acheter des devises en «quantité illimitée» [ndlr: comme elle l’écrit dans son communiqué]. Cette politique risque de ne pas être tenable à long terme de par son coût excessif.» La BNS peut en effet créer autant de monnaie qu’elle le souhaite pour défendre le plancher.
Pour l’universitaire, «une intervention conjointe avec la Banque centrale européenne aurait eu un peu plus de poids sur un marché des devises où s’échangent en moyenne journalière environ 4000 milliards de dollars». Enfin, ajoute Marc Chesney, «il serait plus réaliste pour la BNS de reconnaître qu’elle n’a plus vraiment la capacité de s’imposer face aux marchés. Il faudrait agir différemment en taxant les transactions financières de manière à réduire la spéculation et ainsi limiter la puissance des hedge funds et banques d’affaires. Il faudrait aussi alléger la charge des entreprises qui souffrent du franc fort.»
Si la mesure ne fonctionne pas, d’autres mesures sont envisageables, annonce d’ailleurs le communiqué de la BNS. Elle ne dit pas lesquelles, mais Jean-Pierre Béguelin évoque des possibilités qui ne sont pas forcément du ressort de l’autorité monétaire. Comme le contrôle des crédits bancaires en cas de menace inflationniste ou la limitation des entrées de capitaux en Suisse.
■ Quels sont les risques d’une telle politique monétaire pour le bilan de la BNS?
Les économistes sont presque unanimes pour pointer le risque inflationniste dû à une création monétaire débridée. Le bilan de la banque centrale risque également d’exploser. «Cela incite les banques à prêter de manière trop laxiste et il est probable que nous soyons à l’aube d’une bulle immobilière en Suisse», considère Bruno Jacquier.
En outre, «la BNS joue sa crédibilité», prévient le spécialiste. C’est dangereux: «Si elle échoue à maintenir ce plancher, elle se retrouvera dans la situation de la Banque du Japon, que le marché ne croit plus.»
Cette politique va «coûter très cher» à la Banque nationale, estime Marc Chesney. «Le risque de pertes est grand, poursuit-il. Il s’agit tout de même d’argent public. Sans oublier que la BNS investit dans une devise dont on n’est pas certaine qu’elle existe à moyen terme.»
■ Les taux d’intérêt vont-ils augmenter?
Il est assez clair que non, pour le moment. Selon Thomas Veraguth, économiste chez UBS et spécialiste du marché hypothécaire, cette décision, même si elle a provoqué une légère remontée des taux, mardi, n’est pas à considérer comme l’épisode marquant la fin des taux bas en Suisse. «Cela dépendra beaucoup des attentes sur le marché», selon lui. Et sur ce point, l’incertitude demeure. «Des interventions répétées de la BNS sur le marché des changes, en provoquant de nouvelles injections de liquidités, pourraient encore faire baisser le niveau des taux suisses», détaille l’économiste. «Mais à moyen terme, des anticipations plus positives sur la croissance et sur l’inflation en Suisse pourraient tout aussi bien mener à des hausses de taux, bien que légères», admet Thomas Veraguth.
Le responsable des études financières de la BCGE, Jean-Luc Lederrey, opte plutôt pour ce second scénario. «Si la BNS réussit son pari, elle pourrait éloigner les risques de récession dans le pays.» Une bonne nouvelle susceptible de mener à «une remontée modérée» des taux longs. De manière épidermique, c’est d’ailleurs la réaction qui a été observée hier.
■ Qu’en est-il des taux hypothécaires?
La corrélation entre les taux du marché et les taux hypothécaires proposés par les banques de détail est assez mécanique, reprend Thomas Veraguth. Il ne faut pas s’attendre à des hausses immédiates, mais à moyen terme, «il sera utile de surveiller l’évolution de la courbe des taux pour déterminer le comportement des banques sur le marché du financement immobilier.»
Jean-Luc Lederrey préfère pondérer: «L’environnement économique global reste relativement faible et certaines banques n’avaient probablement pas ajusté leurs conditions aux baisses de taux les plus récentes.» Deux arguments qui plaident pour une augmentation très modérée des taux hypothécaires. Une chose est en tout cas certaine, selon l’économiste genevois, la convergence des taux suisses avec les taux européens n’aura pas lieu. Parce qu’en prenant cette décision, la BNS ne prive pas tout à fait la Suisse de son indépendance monétaire, comme certains l’ont affirmé hier: «La défense de ce plancher n’équivaut pas à un vrai arrimage à l’euro et la différence d’inflation entre les deux zones monétaires est trop importante pour que les taux suisses se rapprochent des taux européens», juge-t-il.
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