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Charles Wyplosz : « Il était plus important pour les politiques de la zone euro de protéger les banques que de sauver la Grèce »

Charles Wyplosz : « Il était plus important pour les politiques de la zone euro de protéger les banques que de sauver la Grèce »

Charles Wyplosz, professeur d’économie à l’Institut de hautes études internationales et du développement, à Genève, commente l’accord du 26 octobre à l’issue du sommet de la zone euro

Les chefs d’Etat européens de la zone euro sont parvenus, dans la nuit de mercredi à jeudi, à un accord de principe qui prévoit notamment une décote de 50% de la dette grecque, la recapitalisation des banques européennes qui y sont exposées et le renforcement du Fonds européen de stabilité financière. Le professeur Charles Wyplosz est particulièrement sceptique sur la portée de l’accord.

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Le Temps: Vous étiez parmi les nombreux économistes qui, dès l’éclatement de la crise de la dette grecque il y a deux ans, préconisaient un défaut partiel et une restructuration de l’économie grecque. C’est précisément ce que les chefs d’Etat viennent de décider, n’est-ce pas?

 Charles Wyplosz: Oui, mais que de temps perdu, sans oublier la contagion à l’Irlande et au Portugal! Par ailleurs, le montant de la restructuration risque d’être beaucoup plus élevé. Pour la Grèce même, on lui a imposé depuis dix-huit mois une politique d’ajustement extrêmement douloureuse. Le pays a certes besoin de se restructurer de manière assez profonde, mais le faire à marche forcée tout en subissant une récession violente est incompréhensible. Je me suis souvent posé la question: pourquoi a-t-on perdu autant de temps? Je n’ai pas de réponse. Je pense que c’était plus important pour les responsables politiques de la zone euro de protéger leurs banques que de sauver la Grèce. Ils l’ont empêchée d’aller au Fonds monétaire international (FMI), tout comme ils l’ont l’empêchée de répudier une partie de la dette.

 – L’accord du 26 octobre préconise une réduction de la dette grecque de 100 milliards de dollars, ce qui la ramène à 120% du PIB en 2020, contre 160% si aucune mesure n’était prise. Cette réduction est-elle suffisante? Quelle impulsion peut-elle donner à l’économie grecque?

 – Nous n’avons pas tous les détails de l’accord. Il est question de 50% de décote, mais dans ce cas la dette serait réduite à 80% du PIB. Il se passe des choses bizarres dans les calculs. Sinon, tous les créanciers ne sont pas traités de la même manière. Par ailleurs, lorsqu’on dit que les banquiers sont prêts à abandonner la moitié de leurs créances de la Grèce, je ne le crois pas un seul instant. Les banques n’ont pas l’habitude d’être des philanthropes. Et il est même prévu d’adoucir l’impact sur les banques. Quand j’aurai vu ces mesures d’adoucissement, je comprendrai mieux. Pour l’heure, je ne crois pas à un accord volontaire pour réduire la dette grecque de moitié.

 – Et quid de l’Irlande et du Portugal? N’ont-ils pas aussi droit au même type de soulagement? L’Irlande parle de mauvais élève qui vient d’être récompensé…

 – On continue de faire les mêmes erreurs. En 2010, le premier plan pour la Grèce ne concernait pas d’autres pays. De nouveau, l’accord ne concerne que ce pays. Or, il faudra aussi penser aux autres et mettre en place des plans de sauvetage. Encore une fois, on a des décisions partielles et non un plan global qui concernerait tous les pays qui sont et qui seront en difficulté.

 – Que risquent les banques qui sont appelées à faire un rabais de 50% sur leurs créances à la Grèce?

 – Je ne crois pas que les banques acceptent volontairement de perdre 100 milliards d’euros. Il y aura forcément une compensation. De toute façon, les détails ne seront publiés qu’en novembre. Il ne s’agit donc que d’un accord de principe et non pas d’un véritable accord.

 – L’Italie, l’Espagne et la France sont tout aussi fragiles. L’accord du 26 octobre résout-il la crise de la dette de la zone euro?

 – De nouveau, cet accord n’est qu’une déclaration d’intention. On voit le principe de réduction de la dette uniquement pour la Grèce et on ne voit pas de participation de la Banque centrale européenne (BCE). Pour résoudre le problème globalement, il faut un accord global et un engagement ferme de la BCE. 

Que pensez-vous de ce nouveau fonds annoncé jeudi, que les pays émergents sont appelés à alimenter pour aider la zone euro?

– Je pense que les Chinois et les Brésiliens sont des gens très généreux, mais je ne crois pas qu’ils mettront de l’argent qui sera perdu. Je ne vois pas, à part des gestes symboliques, comment on peut compter sur une véritable intervention. Les besoins sont trop importants. On parle de plusieurs milliers de milliards d’euros. C’est pourquoi je dis depuis des mois que seule la BCE peut mobiliser de telles sommes.

– Quel rôle précisément pourrait jouer la BCE?

Elle doit garantir les dettes existantes de manière à stopper la panique sur les marchés financiers. Elle doit aussi s’engager sur les futurs emprunts européens.

Et l’économie américaine? Elle broie aussi du noir. Quelles sont les perspectives en termes de croissance, de budget et d’emploi?

– Les prévisionnistes nous disent que les Etats-Unis sont en train de rentrer dans un ralentissement assez net. La Banque fédérale américaine n’a plus beaucoup de moyens pour donner une nouvelle impulsion, surtout que les taux d’intérêt sont déjà à zéro pour cent et que l’assouplissement monétaire n’a des effets qu’à long terme. Par ailleurs, le président Obama a essayé de mettre en place des programmes pour soutenir l’activité et la création d’emplois, mais ils ont été rejetés par le Congrès. On peut donc parler de perspectives angoissantes.

– Voyez-vous le spectre de la récession aux Etats-Unis et aussi en Europe?

– Je ne fais pas de pronostic, mais les prévisionnistes parlent effectivement de ralentissement. C’est une mauvaise nouvelle, car on n’a plus les moyens de faire de relance budgétaire ou de politique monétaire.

– L’inflation liée à la hausse des prix agricoles peut-elle faire capoter les efforts de relance?

On ne peut pas s’inquiéter à la fois de l’inflation et du ralentissement. C’est vrai qu’il y a des liquidités massives qui ont été injectées dans l’économie, mais elles ne sont pas pour l’heure de nature inflationniste.

– Que peuvent encore faire les banques centrales face au risque de récession?

– La plupart des banques centrales ont mis leur taux d’intérêt au minimum. Elles n’ont désormais pas beaucoup de munitions. Des assouplissements monétaires, comme on a vu aux Etats-Unis? Cela prend du temps et on les fait parce qu’il n’y a pas d’autres alternatives. En réalité, on ne peut pas arrêter une récession lorsqu’elle est déjà en route.

La semaine dernière, le prési dent de la Commission européenne, José Manuel Barroso, a annoncé un grand plan d’investissement dans les infrastructures publiques. Peut-il servir à relancer l’économie européenne?

– S’il est rapidement mis en place, oui. Ce serait une relance budgétaire. Mais qui va le payer? Monsieur Barroso peut proposer ce qu’il veut, mais il n’a pas d’argent. Mais l’idée est bonne. Au lieu de faire des restrictions budgétaires avec les conséquences qu’on connaît, vaut mieux utiliser cet outil économique pour relancer l’emploi.

Que peuvent faire les pays émergents par rapport à la crise de croissance et d’endettement en Europe et aux Etats-Unis?

– Ils sont angoissés parce que, en cas de récession dans les pays industrialisés qui constituent leurs marchés, ils en souffriront, sans pouvoir faire quoi que ce soit. Ils ne peuvent qu’encourager les Européens et les Américains à prendre des décisions plus courageuses. Mais c’est aussi l’autre aspect de l’interdépendance. C’est-à-dire lorsque tout va bien, tout le monde en profite et, quand ça va mal, tout le monde en souffre.

N’y a-t-il pas une responsabilité de la part de grands pays comme la Chine d’aider les pays en difficulté, ne serait-ce que pour sauvegarder leurs propres intérêts?

La Chine est certes un grand pays, mais son PIB est le même que celui de l’Allemagne, soit un quart du PIB de la zone euro. Donc, économiquement et financièrement, l’économie chinoise est petite. Enfin, les Chinois ne sont pas une société de bienfaisance. Ils seraient fous de faire des pertes dans la zone euro.

Finalement, vous êtes très négatif sur tous les tableaux…

Oui, je suis négatif parce que cette crise est devenue grave du fait qu’elle a été mal gérée. C’est très frustrant de voir les politiques incapables de prendre des décisions et de constater que les coûts économiques et sociaux doivent être supportés par des millions des gens.

La semaine prochaine, le G20 se réunit à Cannes. Que peut-on attendre de ce sommet?

– Il y a de nombreux sujets qui ont été préparés durant toute l’année. Le président Sarkozy a notamment proposé de réformer le système monétaire international. Mais on en est loin. Les Européens vont arriver à Cannes dans une situation difficile. Les grandes idées avancées au départ se sont effondrées. Il va y avoir une forte pression sur les Européens pour qu’ils fassent ce qu’ils devraient faire. Il y aura sans doute aussi des discussions techniques, par exemple sur le contrôle des mouvements de capitaux ou la gouvernance internationale. A mon avis, il n’en sortira rien de très important.

Le président Sarkozy paraît bien décidé à faire accepter le principe de la taxe Tobin sur les transactions financières. Est-il réaliste?

– Il va essayer, mais je ne pense pas qu’il arrivera à convaincre.

Le mot de la fin?

Beaucoup d’angoisse et peu d’espoir.

Propos recueillis par Ram Etwareea/le temps oct11


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