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Politique Friction du Vendredi 19 Octobre 2012: Le sommet européen, l’interview de Hollande par Bruno Bertez

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Politique Friction du Vendredi 19 Octobre 2012: Le sommet européen, l’interview de Hollande par Bruno Bertez

François Hollande a décidé de donner une interview à la presse étrangère. Il s’agit de sa première interview importante depuis son élection en mai. Le texte est publié dans le Guardian, la Stampa, El Pais, la Süddeutsche Zeitung.

L’actualité de cette interview est fournie par le sommet européen.

    Nous ferons d’abord remarquer que la pratique par les leaders européens de donner des interviews dans les journaux étrangers se généralise. On ne se contente plus de manipuler sa propre opinion publique, on essaie de manipuler celle de ses voisins. La diplomatie ne consiste plus seulement à transmettre des messages par les canaux habituels, elle consiste également à transmettre ses messages par les médias publics. Dans une certaine mesure, il s’agit de peser sur les peuples afin qu’indirectement ceux-ci fassent pression sur leurs propres gouvernements. Une sorte de supranationalité, par conséquent, s’ébauche. Sans le dire, on change de système.  Nous aurons certainement l’occasion d’y revenir.

François Hollande, dans cette interview, trace les grandes lignes, l’articulation de son action. Il tente, en quelque sorte, de résumer et de concilier les points importants, voire contradictoires.

Ainsi, il considère que le retour à la croissance implique que l’on mobilise des fonds au niveau européen. Il nous dit que c’était l’objet du pacte de croissance adopté au sommet en juin dernier.

Nous nous arrêtons d’ores et déjà sur cette affirmation car c’est un choix fondamental que d’oser dire que le retour à la croissance implique de mobiliser des fonds. Pourquoi pas mobiliser des prières et des invocations? Nous sommes dans une faiblesse d’esprit congénitale qui consiste à croire que ce sont les signes, bref, l’argent, qui produisent la croissance. Croyance typique de personne qui n’a jamais eu d’activité productrice et qui marche sur la tête. Ce sont les hommes qui créent la croissance par leur travail, par leur innovation, par leur ambition. Et ils le font par le biais de l’incitation; le mot clé de la croissance, c’est l’incitation. L’argent est une incantation magique. Nous rappelons en passant une très vieille phrase du regretté Marcel Dassault que tout gouvernement devrait méditer, tout syndicat, toute organisation patronale, bref que tous les participants du monde de la magie devraient apprendre par cœur. Marcel Dassault disait: « ce sont les produits qui créent l’argent, jamais l’argent qui crée les produits ». Et les produits, ce sont les hommes qui les font.

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Donc, François Hollande reste dans son cadre de pensée, celui du keynésiannisme et du financiarisme. Il ne lui vient pas à l’idée de tourner ses yeux du côté de la Chine qui est partie de rien et qui est maintenant le compétiteur mondial, leader dans presque tous les domaines et qui, à la faveur d’une population industrieuse, nombreuse, efficace et éduquée, à la faveur d’un système fondé sur l’incitation, a accumulé des réserves financières et des capitaux qui en font en réalité le maître du monde. La Chine donne l’exemple et la preuve que ce sont les hommes qui produisent les richesses et non pas les capitaux. A fortiori, les capitaux tombés du ciel, les capitaux bancaires, les subventions, bref, les capitaux non gagnés. Le capital gagné dans le cadre de l’association entre l’activité humaine, l’épargne, le goût du risque, l’innovation, est efficace. Le reste n’est que gaspillage.

Deuxième point, François Hollande reconnaît qu’il faut améliorer la compétitivité. Discours creux comme on en entend aussi  bien venant de droite ou de gauche, ou du milieu ou des côtés. La compétitivité est un mot creux qui sert à masquer une volonté de baisser les pouvoirs d’achat, baisser les salaires, baisser les retraites et les protections sociales. Hélas, ou plus exactement heureusement, la compétitivité n’est pas cela. Là aussi, François Hollande ferait bien de regarder du côté de la Suisse, pays le plus compétitif du monde avec des salaires élevés, un taux de chômage très bas et une protection sociale efficace. La compétitivité, cela vient d’en bas, pas d’en haut. Cela vient de l’efficacité à produire des richesses, cela vient du souci d’économie, cela vient de l’innovation et cela vient de l’investissement. Qu’est-ce que l’investissement, c’est l’accumulation des capitaux et leur utilisation à des fins productives. Nous sommes loin de la compétitivité vue par Hollande et son gouvernement, conçue comme austérité, transferts et finalement régression.

Troisième point. Le Président français affirme qu’il faut qu’en Europe, les politiques économiques soient coordonnées. On sait ce que cela veut dire: les pays qui ont un surplus doivent faire du keynésiannisme, augmenter les dépenses, afin de stimuler leur demande interne. Ils doivent le faire par le biais de hausses de salaires et par des baisses d’impôts. Monsieur Hollande appelle cela de la solidarité. Nous nous appelons cela « se tirer une balle dans le pied». Les forts doivent devenir laxistes, les forts bien musclés doivent devenir mous, gras et bedonnants. Il faut, bien sûr, augmenter le nombre de fonctionnaires et d’improductifs. Bref, ce que Hollande conseille à l’Europe, c’est d’émousser, de rogner son fer de lance allemand, néerlandais, finlandais, de perdre sa compétitivité internationale au nom de la solidarité. Dans la conception de Hollande, ce ne sont pas les faibles qui doivent devenir forts, mais les forts qui doivent devenir faibles. C’est une attitude d’esprit que l’on retrouve sans arrêt chez les socialistes. Au lieu d’accepter que la société marche en avant sous la conduite des plus forts, on considère qu’elle doit stagner, voire régresser, pour que les trainards ne soient pas lâchés. On voit ce que cela donne en matière d’éducation et d’école. La France tue ses élites au profit des analphabètes.

Voilà ce que nous considérons comme essentiel dans l’interview de Hollande. Pour nous, le reste n’est que circonstanciel. Le Président français développe une vision politique, sociale, économique, parfaitement identifiée: c’est une position qui, derrière des vocables généreux, mais dévoyés,  comme ceux de solidarité, masque une politique de renoncement et de régression. Cette fois, non plus seulement de régression pour la France car celle-ci est déjà acquise, mais aussi pour l’ensemble de l’Europe et surtout pour ses fers de lance qui croient encore à l’excellence. Notons au passage l’eurocentrisme. Notons au passage à quel point la vision est courte. L’horizon du dirigeant français, c’est l’Europe, il n’a pas encore accédé à la vision mondiale, à la vision d’un monde globalisé. C’est le combat de 1982 alors que nous sommes en 2012. La solidarité qu’appelle de ses vœux François Hollande implique quasi automatiquement un abaissement des capacités économiques de l’Europe  à relever le défi de la compétition globale.

Bien entendu, dans ce cadre, on n’abandonne pas les instruments du laxisme. On continue de plaider pour les euro-bonds, forme d’impôt sur les productifs au profit des improductifs, on n’abandonne pas le recours à la planche à billets et aux facilités monétaires. On notera un petit hommage du vice à la vertu dans la mesure où on accepte de considérer que celui qui paie doit avoir le contrôle de l’usage des fonds dont il accepte de se dessaisir. Celui qui paie doit avoir le droit de surveiller de contrôler et de sanctionner. Sur ce point, Hollande fait une concession aux Allemands, mais elle est totalement vide puisque la France refuse pratiquement concrètement tout ce qui donnerait les   moyens de surveiller, de contrôler et de sanctionner. La pirouette étant rendue possible bien évidemment par le fameux recours à la mutualisation de la dette, c’est à dire les euro-bonds.

Nous assistons également dans cette interview à la naissance d’un nouveau mouton à cinq pattes. Les socialistes français en avaient déjà produit un en la forme de l’austérité dans la croissance. C’est le fameux pacte budgétaire que l’on signe en échange d’une petite poignée de lentilles pour faire semblant de privilégier la croissance. C’est le mythe de la correction budgétaire dynamique, celle qui permet d’appuyer sur le frein et l’accélérateur en même temps.

Le nouveau mouton à cinq pattes, c’est l’intégration dans la solidarité, l’intégration solidaire: « chaque fois que nous faisons un pas vers une plus grande solidarité, l’union conçue comme respect des règles communes, doit progresser également ». Il faudrait un magazine complet pour décortiquer cette idée et en montrer la vacuité. Il y a des domaines où les choses sont blanches ou noires; on retrouve un vice de pensée de la pensée socialiste, un peu de ceci, un peu de cela, cela permet de ne pas trancher et de continuer les délires laxistes. L’ordre de l’énoncé de Hollande est important et n’est pas choisi au hasard. C’est d’abord un pas vers la solidarité et ensuite seulement la mise en place de règles communes et de leur respect.

Un dernier mot enfin sous forme d’apothéose. Une apothéose qui consiste à dire à la fois une chose et son contraire, à faire une chose et son contraire, en jouant sur l’ambiguïté des mots et sur le facteur temps: « l’union politique, c’est pour plus tard, c’est l’étape qui suivra l’union budgétaire, l’union bancaire, l’union sociale… elle donnera un cadre démocratique à tout ce qui aura été fait dans le cadre de « l’intégration dans la solidarité » ». Bref, quand il n’y aura plus rien à faire, quand tout aura été mis en place, quand les élites non-élues, quand les fonctionnaires auront décidé, et bien sûr que tout sera irréversible, alors, seulement alors, on songera à consulter les électeurs et à donner un cadre démocratique (sic) à ce cadre que l’on aura déjà rempli.

Si Madame Merkel avait un temps soit peu de fierté nationale, si elle était consciente des intérêts de son peuple, si elle avait une vision historique au lieu d’avoir une vision politicienne, il est évident qu’elle rejetterait sans discussion un tel cadre, un tel programme. Les principes sur lesquels ils sont établis sont incompatibles avec tout ce qui fait la spécificité allemande.

Le point clé, à  notre avis, à surveiller est celui du couple antagonique: contrôle/solidarité. L’Allemagne, pour rester l’Allemagne,  ne peut déroger. Il faut qu’elle obtienne que la surveillance, le contrôle et les sanctions des gestions des nations européennes précèdent la mise en place des solidarités. Faute d’une mise en place préalable, Merkel et l’Allemagne se feront tirer par les pieds vers le bas, tirer vers le gouffre sans fond des dépenses, des déficits et des dettes.  Déjà, il est bien tard, les marges de manœuvre de l’Allemagne sont faibles, contrairement à ce que l’on pense. L’Allemagne est prisonnière de la situation de son système bancaire, prisonnière des créances de la Bundesbank sur le système Target II.

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Allemagne: aide aux banques prolongée

Le gouvernement allemand prévoit une nouvelle prolongation de son dispositif d’aide aux banques du pays, le SoFFin, qui arrive à échéance en fin d’année, a annoncé Steffen Kampeter, secrétaire d’Etat aux Finances. Un projet de loi en ce sens sera présenté mercredi en conseil des ministres, a-t-il ajouté lors d’un point presse, sans pouvoir donner plus de détails pour le moment. Le SoFFin avait été créé en octobre 2008 pour stabiliser les banques allemandes après l’effondrement de la banque d’affaires américaine Lehman Brothers. Il avait été doté d’une capacité de 480 milliards d’euros, dont 400 milliards de garanties et 80 milliards de crédit. En début d’année, la durée de vie du dispositif avait déjà été prolongée une première fois, jusqu’à fin 2012. A fin septembre, quatre banques allemandes, dont Commerzbank et Hypo Real Estate, disposaient toujours de 18,8 milliards d’euros de capitaux prêtés par SoFFin et trois banques utilisaient encore 5,2 milliards d’euros de ses garanties..

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Les partenaires de l’Allemagne le savent et ils en jouent. Il suffit de voir et de décoder les insinuations de l’Italie et de l’Espagne. Insinuations quasi terroristes qui se résument à: nous détenons la bombe atomique, nous pouvons tout faire sauter.

Dans son interview, François Hollande ne va pas aussi loin que les Italiens et les Espagnols mais il montre le bout de l’oreille, et pour qui sait lire entre les lignes, il n’est pas très loin d’agiter lui aussi la menace du chantage. Un chantage assez particulier, il est vrai. On peut interpréter ce qui suit de différentes manières: « Merkel et moi, nous ne sommes pas dans la même échelle de temps, j’ai été élu il y a cinq mois, et la Chancelière a des élections dans dix mois ». Nous interprétons cette phrase de la façon suivante, moi, je suis élu,mon élection est derrière moi et j’ai les mains libres. Vous, votre élection est devant vous, vous êtes en position de faiblesse, vous savez besoin de tergiverser, de gagner du temps. La suite, chacun la complète à sa manière.

Il y a un élément qui est bien souvent négligé par les commentateurs et les analystes politiques, c’est l’existence d’une internationale socialiste qui a des objectifs communs, un programme commun. cette internationale socialiste constitue un cheval de troie dans les systèmes nationaux, elle trace des solidarités qui dépassent les frontières. d’une certaine façon, le lien entre les socialistes allemands et les socialistes français, alors que les élections allemandes se profilent à l’horizon, est important. est-ce que c’est cela que hollande, indirectement, cherche à rappeler à merkel?

BRUNO BERTEZ Le Vendredi 19 Octobre 2012

llustrations et mise en page by THE WOLF

EN BANDE SON :

EN COMPLEMENT : Interview de François Hollande mercredi 17 octobre 2012

A la veille du Conseil européen des 18 et 19 octobre à Bruxelles, le président François Hollande a répondu, à l’Elysée, aux questions des six journaux, dont «Le Monde», qui réalisent conjointement le supplément «Europa»

Le Monde: L’Union européenne a été récompensée par le Prix Nobel de la paix à la veille d’un nouveau conseil européen, auquel vous participez, destiné une fois de plus à tenter de sauver l’euro. Ce choix vous confère à tous une responsabilité supplémentaire. Comment allez-vous sauver l’Europe?

François Hollande: L’attribution du Prix Nobel à l’Union européenne est à la fois un hommage pour le passé et un appel pour l’avenir. L’hommage, il est adressé aux pères fondateurs de l’Europe, capables d’avoir réussi la paix au lendemain d’un carnage. L’appel, il est lancé aux gouvernants de l’Europe d’aujourd’hui, pour qu’ils soient conscients qu’un sursaut est impérieux.

Sur la sortie de la crise de la zone euro, nous en sommes près, tout près. Parce que nous avons pris les bonnes décisions au sommet des 28 et 29 juin et que nous avons le devoir de les appliquer, rapidement. D’abord, en réglant définitivement la situation de la Grèce, qui a fait tant d’efforts et qui doit être assurée de rester dans la zone euro. Ensuite, en répondant aux demandes des pays qui ont fait les réformes attendues et qui doivent pouvoir se financer à des taux raisonnables. Enfin, en mettant en place l’union bancaire.

Je veux que toutes ces questions soient réglées d’ici la fin de l’année. Nous pourrons alors engager le changement de nos modes de décision, et l’approfondissement de notre union. Ce sera le grand chantier au début de l’année 2013.

– Ces pays qui ont fait des efforts, précisément, avec des sacrifices lourds pour la population, ne voient pas d’amélioration. Combien de temps pensez-vous qu’ils pourront tenir sans changement de stratégie pour relancer la croissance?

– J’ai voulu, depuis mon élection, que l’Europe se donne comme priorité la croissance sans remettre en question le sérieux budgétaire, rendu indispensable par la crise des dettes souveraines. Si nous ne donnons pas un nouveau souffle à l’économie européenne, les mesures de discipline ne pourront trouver de traduction effective.

Le retour de la croissance suppose de mobiliser des financements à l’échelle de l’Europe, c’est le pacte que nous avons adopté en juin, mais aussi d’améliorer notre compétitivité, et enfin de coordonner nos politiques économiques. Les pays qui sont en excédent doivent stimuler leur demande intérieure par une augmentation des salaires et une baisse des prélèvements, c’est la meilleure expression de leur solidarité. On ne peut pas infliger une peine à perpétuité à des nations qui ont déjà fait des sacrifices considérables, si les peuples ne constatent pas, à un moment, les résultats de leurs efforts. Aujourd’hui, ce qui nous menace, c’est autant la récession que les déficits!

– Comment comptez-vous surmonter le clivage qui subsiste entre les partisans de l’austérité et ceux de la croissance?

– Il appartient à la France, parce que c’est un grand pays de l’Union européenne, de porter ce compromis entre le désendettement et la croissance afin de changer la perspective.

– Comment ramener la croissance?

– Il y a deux leviers. Le premier, c’est la confiance. Plus tôt nous sortirons de la crise de la zone euro, c’est-à-dire plus rapidement nous réglerons le cas grec, et plus vite nous parviendrons à financer à des taux raisonnables les dettes des pays bien gérés, plus vite les investisseurs reviendront vers la zone euro. Nous avons tous les moyens pour agir – Mécanisme européen de stabilité (MES), règles d’intervention de la Banque centrale européenne (BCE). Alors, utilisons-les.

Le second levier, c’est de mettre en cohérence la politique économique européenne. Nous avons défini un pacte de croissance. Mettons-le en œuvre. Cent vingt milliards d’euros, certains diront: c’est trop peu. Mais ce qui compte, c’est que ces sommes soient dépensées vite et bien. Le budget européen est aussi un élément de stimulation de l’économie, notamment à travers les fonds structurels. Nous pouvons aller plus loin, en mobilisant des ressources supplémentaires. La taxe sur les transactions financières va faire l’objet d’une coopération renforcée. Onze pays ont donné leur accord. Son produit pourrait être pour une part affecté à des projets d’investissement et pour une autre à un fonds de formation pour les jeunes. C’est le rôle de la France que de dire inlassablement à nos partenaires que l’austérité n’est pas une fatalité.

– Pour remotiver les citoyens européens, pour «réenchanter l’Europe», quelle idée de l’Europe voulez-vous soutenir? Une Europe fédérale? Une Europe des nations?

– Le débat ne se pose plus comme au début des années 1960, autour du débat entre l’Europe des patries ou l’Europe fédérale… Il y avait six pays à cette époque, puis huit, puis douze, aujourd’hui nous sommes vingt-sept, bientôt vingt-huit avec la Croatie. En changeant de dimension, l’Europe a changé de modèle.

Ma démarche, c’est une Europe qui avance à plusieurs vitesses, avec des cercles différents. On peut les appeler «avant-garde», «Etats précurseurs», «noyau dur», peu importent les appellations, c’est l’idée qui compte. Nous avons une zone euro, elle a un patrimoine, c’est la monnaie unique. Elle appelle une nouvelle gouvernance. Cette zone euro doit prendre une dimension politique. Je suis favorable à ce que l’Eurogroupe, qui rassemble les ministres des Finances, soit renforcé et que le président de l’Eurogroupe ait un mandat clair et suffisamment long.

Je suis également partisan d’une réunion mensuelle des chefs d’Etat et de gouvernement de cette zone. Finissons-en avec ces sommets soi-disant de la dernière chance, ces réunions historiques, ces rendez-vous exceptionnels… et qui n’ont débouché que sur des succès éphémères. Les marchés, c’est tous les jours, les arbitrages des entreprises, c’est dans l’instant! L’Europe ne peut plus être en retard.

Le Conseil de la zone euro permettra de mieux coordonner la politique économique et de prendre, pays par pays, les décisions appropriées. Il ne s’agit pas d’exclure les autres pays: ceux qui veulent rejoindre la zone euro seront associés à nos débats. Certains pays ne le veulent pas – c’est leur choix. Mais pourquoi faudrait-il qu’ils viennent nous dire comment doit être dirigée la zone euro? C’est une prétention que j’entends, mais qui ne me paraît pas répondre à l’obligation de cohérence.

Alors, ensuite, il y a cette Europe des Vingt-Sept/Vingt-Huit bientôt et demain davantage. C’est un espace politique de solidarité, un grand marché, une volonté de convergence économique, sociale, culturelle. Je voudrais lui donner une nouvelle dimension pour la jeunesse, l’université, la recherche, l’énergie. Mais cette Union large ne doit pas empêcher des coopérations renforcées, celles que des Etats voudraient engager à quelques-uns et qui dégageraient des moyens au-delà du budget européen. Ce sera le cas avec la taxe sur les transactions financières.

– Certains voudraient créer un embryon de Parlement séparé de la zone euro. L’Union européenne ne risque-t-elle pas de se réduire aux pays de la zone euro, une Europe à deux vitesses?

– Que l’Europe ait plusieurs vitesses, c’est déjà le cas. Mais le Parlement européen a vocation à représenter toute l’Europe, et si la zone euro se structure davantage, il est parfaitement capable de définir en son sein des procédures démocratiques dédiées à la zone euro.

– Pour une Europe plus intégrée avec l’union politique, ne faut-il pas un nouveau traité constitutionnel, soumis à référendum?

– Je crois me souvenir qu’en 2005 nous avons essayé cette formule et qu’elle n’a pas donné les résultats escomptés! Parce qu’avant de se lancer dans une mécanique institutionnelle, les Européens doivent savoir ce qu’ils veulent faire ensemble. C’est le contenu qui doit l’emporter sur le cadre. L’enjeu institutionnel est souvent évoqué pour ne pas faire de choix. Les plus empressés à parler de l’union politique sont parfois les plus réticents à prendre les décisions urgentes qui la rendraient pourtant incontournable, ça ne m’a pas échappé…

– Les Allemands?

– Non, je ne vise personne en particulier. Plusieurs fois, dans le passé, les Allemands ont fait sincèrement des propositions sur l’union politique. Elles n’ont pas été saisies. Aujourd’hui, nous sommes en phase. La France défend l’«intégration solidaire»: chaque fois que nous franchissons un pas vers la solidarité, l’union, c’est-à-dire le respect des règles communes autour d’une gouvernance, doit progresser.

Ainsi, l’union bancaire qui conduit à une supervision, dont la Banque centrale européenne sera l’organe, et qui permettra une résolution des crises, avec une recapitalisation des banques, c’est une compétence très importante. Cette solidarité ne pourra aller sans contrôle démocratique: l’union bancaire qui vise à maîtriser la finance sera une étape importante de l’intégration européenne.

– Quelle est la capacité réelle de la France de convaincre l’Allemagne et les pays réticents d’avancer sur cette voie?

– Nous avons pris des décisions ensemble au conseil européen de juin. Elles ont eu incontestablement des conséquences favorables: le calme est revenu sur les marchés. La BCE y a contribué en clarifiant ses modes d’intervention. Donc, ma position est simple: tout le conseil européen du 28 juin, rien que le Conseil européen du 28 juin, mais appliqué le plus vite possible. L’objectif, c’est de tout régler d’ici à la fin de l’année. Plus personne aujourd’hui ne pense que l’euro va disparaître ou que la zone va éclater. Mais la perspective de son intégrité ne suffit pas. Maintenant, nous devons sortir de la crise économique.

– Donc l’union politique, ce n’est pas pour maintenant?

– L’union politique, c’est après, c’est l’étape qui suivra l’union budgétaire, l’union bancaire, l’union sociale. Elle viendra donner un cadre démocratique à ce que nous aurons réussi de l’intégration solidaire.

– A quelle échéance la voyez-vous, cette union politique?

– Après les élections européennes de 2014. L’enjeu de cette consultation, ce sera l’avenir de l’Union. C’est la condition pour mobiliser les peuples et augmenter les taux de participation autour d’un vrai débat. J’espère que des partis européens présenteront leurs propositions aussi bien en termes de contenu, de cadre institutionnel que de personnalités, pour les porter notamment à la présidence de la Commission européenne.

Beaucoup de voix s’élèvent contre l’objectif du déficit ramené à 3% du produit intérieur brut (PIB). Claude Bartolone, président (PS) de l’Assemblée nationale, le qualifie même d’«absurde». Un accord européen est-il possible pour le repousser d’un an?

Tous les pays ne sont pas dans la même situation. Et beaucoup dépendra de nos choix en matière de respect des disciplines budgétaires et de croissance. Cette discussion aura lieu en 2013. Mais pour ce qui concerne la France, j’ai fixé l’objectif de réduction de déficit à 3% pour 2013 et de rétablissement de l’équilibre des comptes publics en 2017. Pour une raison simple et qui ne se résume pas à un engagement européen: de 2007 à 2012, la dette publique est passée en France de 62% du PIB à 90%. Prolonger cette tendance ne serait pas soutenable.

L’objectif, il est aussi, à l’échelle de l’Europe, d’harmoniser les taux d’intérêt dans la zone euro. Politique monétaire et politique budgétaire doivent se conjuguer. Et il ne peut être admis, dans un même espace monétaire que des pays se financent à 1% à dix ans et d’autres à 7%! Il faut éviter un effet de rente.

– Votre élection a créé des attentes énormes. Que diriez-vous à un Grec au chômage, sans argent pour se soigner?

– Que je ferai tout pour que la Grèce demeure dans la zone euro et dispose des ressources indispensables d’ici à la fin de l’année, sans qu’il soit nécessaire d’infliger de nouvelles conditions autres que celles qui ont été admises par le gouvernement Samaras.

Mais je m’adresse aussi aux Espagnols et aux Portugais qui payent cher les dérèglements commis par d’autres: le temps est venu d’offrir une perspective au-delà de l’austérité. L’Espagne doit pouvoir connaître les conditions précises pour accéder aux financements prévus par le conseil européen du 28 juin. Et il n’y a pas lieu d’alourdir la barque.

La France est le trait d’union entre l’Europe du Nord et celle du Sud. Je refuse la division. Si l’Europe s’est réunifiée, ce n’est pas pour tomber ensuite dans l’égoïsme ou le chacun pour soi. Notre devoir, c’est de poser des règles communes autour des principes de responsabilité et de solidarité. Comme Français, ma responsabilité, c’est de faire en sorte que les Européens soient conscients d’appartenir au même ensemble.

– C’est ce que vous dites à la chancelière allemande, Angela Merkel, aussi?

– Oui, mais elle le sait parfaitement. La preuve, c’est qu’elle est allée à Athènes.

– Etes-vous inquiet de la résistance croissante, en Allemagne, à la solidarité avec les pays du Sud?

– Mais nous participons tous à la solidarité, pas seulement les Allemands! Les Français, les Allemands comme tous les Européens dans le cadre du Mécanisme européen de stabilité [MES].

Cessons de penser qu’il n’y aurait qu’un seul pays qui paierait pour tous les autres. C’est faux! En revanche, je sais la sensibilité de nos amis allemands au problème de la surveillance. Qui paie doit contrôler, qui paie doit sanctionner. Je suis d’accord. Mais l’union budgétaire doit être parachevée par une mutualisation partielle des dettes: à travers les eurobonds.

Je sais aussi combien pèsent les souvenirs de l’hyperinflation, transmis de génération en génération en Allemagne. Les modalités d’intervention de la BCE évitent tout risque de cette nature, puisque la Banque centrale vient en appui des décisions prises au sein du MES. Or, qu’est-ce que le MES, si ce n’est un ensemble d’Etats? Donc, la BCE ne créera pas de monnaie lorsqu’elle viendra en soutien des pays débiteurs. Elle rendra plus efficace la politique monétaire.

J’ai également considéré les arguments démocratiques avancés outre-Rhin. J’admets parfaitement que les parlements doivent pouvoir autoriser les engagements demandés aux Etats, aussi bien dans le cadre de l’union budgétaire que de l’union bancaire. Mais il n’y a pas de temps à perdre. La France y est prête.

– Dans cette Europe à plusieurs vitesses, quelle place occupera l’axe Paris-Berlin? Est-ce le premier cercle?

– C’est le couple qui permet l’accélération. Et qui, donc, peut aussi être un frein s’il n’est pas en phase. D’où la nécessité de la cohérence franco-allemande. Nous avons un devoir d’union; il exige un sens élevé de l’intérêt européen et, donc, du compromis.

Est-ce que ce doit être une relation exclusive? Non! L’Europe ne se décide pas à deux. L’amitié franco-allemande doit agréger, associer, assembler. Je prends garde de ne pas opposer grands et petits pays, pays fondateurs et pays nouvellement adhérents. L’Europe a besoin de tous, elle ne se résume pas à de l’intergouvernemental. Les institutions communautaires: Commission et Parlement doivent jouer pleinement leur rôle.

Elle appelle également une ambition. C’est la vision qui est confiée historiquement à la France et à l’Allemagne. Si nous avons été capables de nous unir, nous, c’est que nous pouvons réussir à le faire tous! C’est ce que nous rappellerons lors des cérémonies pour le 50e anniversaire du traité de l’Elysée.

– Dans votre relation personnelle avec Mme Merkel, qu’est-ce que vous avez appris d’elle?

– Elle est claire, elle dit les choses… Cela fait gagner du temps. Et j’ai la même démarche. Alors, ensuite, de nos points de départ, nous cherchons à trouver le meilleur point d’arrivée. C’est plus facile avec des points de départ explicites qu’avec des points de départ ambigus. Et on ne peut pas reprocher à Angela Merkel d’être ambiguë! Certes, nous ne sommes pas dans la même échelle de temps: je suis élu depuis cinq mois, et la chancelière a ses élections dans dix mois, mais ça ne nous conduit pas à différer les choix.

– Et vous, que lui apportez-vous?

– Posez-lui la question! Je pense qu’elle est consciente que l’alternance en France a créé une nouvelle donne. Elle est très sensible aux questions de politique intérieure et aux exigences de son Parlement. Je le comprends: nous le sommes tous. Nous avons tous notre opinion publique, nos débats démocratiques. Mais notre responsabilité commune, c’est de faire prévaloir l’intérêt de l’Europe.

– On vous présume européen…

– Vous faites bien!…

… mais pendant la campagne, vous n’avez parlé que du «rêve français», jamais du «rêve européen». Quel est votre attachement personnel à l’Europe?

– L’idéal européen, il est dans le rêve français. Les révolutionnaires de 1789 avaient imaginé une nation ouverte à tous les Européens. Victor Hugo fut le premier à parler des Etats-Unis d’Europe. Après la boucherie de 14-18, Aristide Briand plaidait déjà pour l’Europe au nom de la paix. A la Libération, pour Jean Monnet comme pour Charles de Gaulle, construire l’Europe, c’était reconstruire la France. François Mitterrand a conçu sa présidence au nom de l’Europe.

Je m’inscris dans cette perspective. Ce que je veux pour mon pays, c’est qu’il retrouve la fierté et la force de renouveler la promesse républicaine à la jeunesse. Pourquoi suis-je Européen? Parce que l’Europe nous permet d’y parvenir. Et s’il se produit une fracture entre l’Europe et la patrie, alors le risque est de perdre à la fois la cohésion nationale et l’idéal européen.

– C’est ce qui s’est passé en 2005, avec le non au référendum sur le traité constitutionnel?

– C’était un avertissement sérieux. Il n’a pas été entendu. L’enjeu, aujourd’hui, c’est de retrouver la confiance en nous-même et en l’Europe. Ce qui nous menace, ce n’est pas la nation, c’est le nationalisme. Ce n’est pas l’Europe, c’est son absence.

– Prendriez-vous le risque de voir la Grande-Bretagne quitter l’Europe?

– Je souhaite un Royaume-Uni pleinement engagé en Europe, mais je ne peux pas décider à la place des Britanniques. J’ai observé que, pour le moment, ils souhaitaient être plutôt en retrait. Les Britanniques sont liés par des accords auxquels ils ont souscrit. Ils ne peuvent s’en détacher. Maintenant, ils ont au moins le mérite de la clarté. La zone euro, l’union budgétaire: ils n’y sont pas. Je n’entends pas les forcer.

– Quelle est la plus grande menace qui pèse sur l’Europe?

– C’est de ne plus être aimée. De n’être regardée au mieux que comme un guichet austère, où les uns viendraient chercher des fonds structurels, d’autres une politique agricole, un troisième un chèque, au pire comme une maison de redressement. A elle de donner du sens à son projet, mais aussi de l’efficacité à ses décisions. Et pourtant, l’Europe reste la plus belle aventure pour notre continent. Elle est la première puissance économique du monde, un espace politique de référence, un modèle social et culturel. Elle mérite un sursaut pour renouer avec l’espérance.

– Le pire est passé?

– Le pire – c’est-à-dire la crainte d’un éclatement de la zone euro –, oui, il est passé. Mais le meilleur n’est pas encore là. A nous de le construire.

Propos recueillis par Sylvie Kauffmann (Le Monde), Angelique Chrisafis (The Guardian), Berna Gonzalez Harbour (El Pais), Jaroslaw Kurski (Gazeta Wyborcza), Alberto Mattioli (La Stampa) et Stefan Ulrich (Süddeutsche Zeitung)

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