En Russie, le capitalisme d’Etat continue d’exercer son pouvoir
Moscou promet de respecter le calendrier des privatisations. Mais le géant du pétrole TNK-BP vient d’être nationalisé

Il était temps de se rappeler au bon souvenir des investisseurs privés après la gigantesque acquisition du pétrolier TNK-BP par le groupe public Rosneft, pour la somme de 55 milliards de dollars. L’aile «libérale» du gouvernement russe fait entendre sa voix au terme d’une saison dominée par les étatistes. Et rappelle que Moscou va respecter le calendrier de privatisations des grandes entreprises publiques. Trois ports stratégiques vont être introduits en bourse, ou vendus sur appel d’offres.
Le Ministère de l’économie table sur une levée de 26,5 milliards d’euros entre 2011 et 2014. Cette année, Sberbank a déjà placé (avec succès) 7,58% de son capital contre 4 milliards d’euros par le biais d’un placement secondaire.
La grosse année sera 2013 avec près de la moitié (en valeur) des privatisations. Parmi les entreprises les plus connues, citons la vente de 10% de Rusnano (fonds pour les nanotechnologies), entre 10 et 25% de la banque VTB, entre 7 et 14% du monopole du diamant Alrosa et 5% de RJD (monopole des chemins de fer). Et, surtout, 6% du géant Rosneft, devenu leader mondial des pétroliers cotés, en termes de production comme en termes de réserves. Mais le vice-premier ministre russe Igor Chouvalov a placé une condition: que le cours du titre (coté à Londres et Moscou) soit au moins égal à celui qu’il avait au moment de son acquisition de TNK-BP à fin octobre. Il présente cette mini-privatisation comme un signe que le Kremlin «va progressivement réduire son contrôle sur Rosneft».
Cependant, rien ne dit que l’Etat russe est prêt à céder le contrôle sur Rosneft, puisque sa part restera supérieure à 50% du pétrolier. C’est aussi le cas pour toutes les autres privatisations: elles ne sont que partielles, car le Kremlin ne fait pas confiance aux actionnaires privés, et garde le contrôle sur les décisions stratégiques comme sur les flux financiers.
Le gouvernement répète comme un mantra que le programme de privatisations suit son cours. De nationalisation, personne ne parle. Le mot est tabou. Pourtant, beaucoup ont l’impression que les faits contredisent les paroles. Pour l’économiste et doyen de l’Ecole russe d’économie Sergueï Gouriev, «même si le pouvoir russe nie instaurer un capitalisme d’Etat et continue à affirmer son engagement à accélérer les privatisations et la concurrence, l’acquisition par Rosneft de TNK-BP prouve exactement le contraire. La juvénile économie de marché russe vient de perdre son dernier bastion important.»
PLUS DE CAPITALISME DETAT EN SUIVANT :
Le principal artisan du capitalisme d’Etat à la russe est Igor Setchine, patron de Rosneft et fidèle allié de Vladimir Poutine. A peine vient-il de démontrer son pouvoir qu’il lance Rosneft à l’assaut du marché gazier. Il vient de signer un contrat de 80 milliards de dollars avec le producteur d’électricité Inter RAO (au conseil duquel il siégeait encore l’année dernière) pour la livraison de gaz pendant 25 ans. Un contrat qui ôte le pain de la bouche du groupe gazier privé Novatek (dont le français Total détient 19%) et a immédiatement provoqué une chute de 8% de son titre en bourse.
Igor Setchine s’engage parallèlement dans une bataille contre les ministres «libéraux» du gouvernement Medvedev pour consolider le rôle de l’Etat dans le secteur de l’électricité. L’enjeu: autoriser ou non Rosneftegaz (une holding d’Etat détenant 75% de Rosneft et 10% de Gazprom) à participer à la «privatisation» partielle de compagnies génératrices d’électricité. Tout semble indiquer qu’Igor Setchine aura la main.
En complément : Le russe Rosneft devient le plus grand groupe pétrolier au monde en rachetant TNK-BP
Le russe Rosneft devient le plus grand groupe pétrolier au monde en rachetant TNK-BP Le groupe proche du Kremlin va débourser 55 milliards de dollars. Le géant britannique sécurise l’accès aux gisements de l’Arctique encore inexploités
Rosneft dépense la somme formidable de 55 milliards de dollars pour 100% TNK-BP, le troisième groupe pétrolier russe, qui appartenait jusqu’ici à parité entre le britannique BP d’un côté et trois milliardaires russes regroupés dans le consortium AAR de l’autre. Le R tient pour Renova, contrôlée par le résident suisse Viktor Vekselberg.
TNK-BP a été fondé en 2003 et est rapidement devenu l’un des groupes pétroliers privés russes les plus rentables, malgré de fréquents conflits d’orientation stratégique entre AAR et BP.
Un accord à la structure complexe. Si AAR récupère 28 milliards de dollars en liquide, BP ne va de son côté recevoir «que» 17,1 milliards de dollars en liquide, mais aussi 12,84% du capital de Rosneft. BP s’engage de son côté à acquérir 5,66% de Rosneft pour une somme de 4,8 milliards de dollars. Au final, BP détiendra 19,75% de Rosneft (en comptant le 1,25% déjà entre les mains des Britanniques) et pourra nommer deux des neufs membres du conseil d’administration. L’Etat russe continuera de disposer de la majorité du capital de Rosneft. Sa part tombera à 55,25% contre 75% aujourd’hui.
Au terme de la transaction, Rosneft va devenir le premier groupe pétrolier mondial coté en termes de production avec 4,5 millions de barils par jour, loin devant les actuels leaders mondiaux Petrochina (2,4 mln b/j) et ExxonMobil (2,3 mln b/j). Rosneft est déjà leader mondial en termes de réserves de pétrole parmi les sociétés cotées.
L’éminence grise Igor Setchine, le patron de Rosneft, a transformé ce qui était un tout petit pétrolier d’Etat en 2003 en gigantesque groupe grâce à l’appui de son mentor, Vladimir Poutine, dont il est le bras droit dans le secteur énergétique. Igor Setchine est réputé être le cerveau de «l’affaire Ioukos», qui a vu le groupe pétrolier de Mikhaïl Khodorkovski se faire phagocyter par Rosneft. Vieille connaissance du président russe, Igor Setchine est souvent considéré comme la personnalité la plus influente du pays après Vladimir Poutine.
Rosneft fait d’une pierre trois coups: une domination de la production domestique (presque la moitié des volumes russes de brut), un accès au savoir-faire de BP en matière d’exploration et d’exploitation offshore. Et surtout, grâce à son actionnaire stratégique BP, une stature internationale, alors que le groupe russe cherche à acquérir des gisements en Afrique et en Amérique latine.
Cet appétit place Rosneft face à des obligations gigantesques. Le groupe affirme financer l’acquisition de TNK-BP grâce à ses propres ressources, ainsi qu’à travers des crédits bancaires. On sait que Rosneft table sur un crédit de 15 milliards de dollars. Une majorité d’experts pense que le seul moyen de couvrir les dépenses est un placement boursier, soit d’une partie de TNK-BP, soit de Rosneft lui-même.
De son côté, BP peut se satisfaire de rester en Russie. Lassé des conflits incessants avec AAR, BP avait depuis plusieurs mois signifié son intention de vendre ses 50% de TNK-BP, afin aussi de renflouer ses finances en difficulté. En outre, BP ne veut surtout pas s’éloigner des immenses réserves pétrolières russes. En scellant une alliance capitalistique avec Rosneft, BP table sur un accès aux gisements de la zone Arctique, dont seuls les groupes d’Etat russes Rosneft et Gazprom détiennent les clés. «20% de Rosneft, c’est une compensation tout à fait acceptable pour la perte des 50% de TNK-BP», commente Konstantin Simonov, directeur du Fonds pour la sécurité énergétique nationale, une société de conseil. Rappelons que TNK-BP représentait plus d’un quart de la production globale de brut du pétrolier britannique.
Les trois milliardaires d’AAR sont, sur le papier, parvenus à récupérer 2 milliards de dollars de plus que BP pour une part égale de TNK-BP. Toutefois, si l’accord de BP a déjà été validé par Vladimir Poutine, le régulateur russe n’a pas encore donné son feu vert pour la transaction avec AAR. Pour l’instant, les paramètres de cette seconde transaction, dont Rosneft rappelle qu’elle est totalement séparée de celle avec BP, restent inconnus.
Par Emmanuel Grynszpan Moscou /Le Temps nov12
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