Art de la guerre monétaire et économique

Un déposant averti en vaut deux Par Eric Sprott et Shree Kargutkar

Un déposant averti en vaut deux Par Eric Sprott et Shree Kargutkar

« Si une banque comporte des risques, notre première question devrait être la suivante : « D’accord, qu’allez-vous faire, vous la banque, pour remédier à la situation? Qu’allez-vous faire pour reconstituer votre capital? Si la banque ne peut pas le faire, nous allons devoir parler aux actionnaires et aux créanciers obligataires. Nous allons leur demander de contribuer à la recapitalisation de la banque. Et, au besoin, nous nous adresserons aux titulaires de dépôts non assurés : « Que pouvez-vous faire pour sauver vos banques? » » – Jereon Dijsselbloem, 26 mars 2013. 1

Une entente vient d’être conclue avec Chypre. Cependant, ce n’était pas le même accord qui avait été ratifié pour d’autres pays, comme la Grèce, l’Italie ou l’Espagne et aucune banque n’a été sauvée. Le risque n’a pas été transféré des banques surendettées aux contribuables, mais il a plutôt été repoussé aux banques. Leur capital s’est évaporé. Leurs créanciers obligataires ont été anéantis. Les comptes de leurs titulaires de dépôts non assurés ont été assaillis pour obtenir des liquidités additionnelles. Ce n’était pas seulement que les règles du jeu avaient changé, mais le jeu lui-même a été modifié. En s’attaquant aux comptes des déposants, une importante banque centrale a posé un geste sans précédent. Le Rubicon a été franchi. À l’avenir, on s’attend à ce que cette façon de faire soit le « modèle » utilisé pour traiter avec les banques risquées et surendettées et avec les pays qui les appuient.

Pour la première fois depuis le début de la crise, nous sommes confrontés à un nouveau paradigme, ou à un « modèle », soit une nouvelle façon pour les importantes banques centrales de remédier aux accès de faiblesse du secteur financier. Alors que l’ancien modèle comportait une « opération de sauvetage » visant à transférer le risque des entreprises aux contribuables, le nouveau modèle est plutôt une « opération de recapitalisation interne », c’est-à-dire que l’institution affectée assume son propre risque, et ce, au détriment des actionnaires, des créanciers obligataires et, en dernier lieu, des déposants.

Quelles sont les incidences du nouveau modèle sur vous?

Ce « modèle » est déjà utilisé pour les banques qui sont trop grosses pour être sauvées dans les autres pays développés du monde. Un document publié conjointement par la FDIC et la Banque d’Angleterre en décembre dernier contenait la déclaration suivante :

« Une façon efficace de retourner au secteur privé l’administration saine des établissements financiers d’importance systémique mondiale serait d’échanger ou de convertir en capitaux propres un montant suffisant des créances non garanties des créanciers initiaux de la société en faillite. Aux États-Unis, ces nouveaux capitaux deviendraient ceux d’une ou de plusieurs entités nouvellement formées. Au Royaume-Uni, la même approche pourrait être utilisée ou le capital pourrait servir à recapitaliser l’institution financière en faillite – ainsi, les « créditeurs de recapitalisation interne » de premier rang survivants deviendraient les nouveaux propriétaires de l’institution réchappée. Une telle stratégie permettrait d’assurer une discipline du marché et maintiendrait une stabilité financière, et ce, sans que les contribuables aient à en assumer le coût. »2

Il est important de remarquer l’absence des mots « titulaires de dépôts non assurés » dans ce contexte, ce qui rend tant les titulaires de dépôts assurés que non assurés vulnérables à cette situation. Dans le même ordre d’idées, le récent budget du Canada aborde la même question. La page 160 du Plan d’action économique du Canada pour 2013 se lit comme suit :

« Le gouvernement propose d’établir un régime de capitalisation interne pour les banques d’importance systémique. Ce régime sera conçu de manière que, dans le cas peu probable où une banque d’importance systémique épuiserait ses fonds propres, elle pourra être recapitalisée et redevenir viable grâce à la conversion très rapide de certains de ses passifs en fonds propres réglementaires. Cette mesure réduira les risques pour les contribuables. »3

De la même façon, la politique afférente aux banques en difficulté (Open Bank Resolution) de la Nouvelle-Zélande permet à celles-ci de se recapitaliser en s’attaquant d’abord aux actionnaires, en prenant ensuite d’assaut les créanciers obligataires et, finalement, en forçant les déposants à assumer des pertes.4

PLUS DE SPROTT EN SUIVANT:

L’endettement excessif des banques n’est pas un nouveau phénomène. Nous devons apparemment composer avec une crise bancaire une fois chaque génération. Dans la majorité des cas, on laissait les banques en difficulté s’effondrer et de nouvelles banques, plus saines, prenaient leur place. Toutefois, la nouvelle façon de faire des banques centrales et des décisionnaires permettait aux banques surendettées de prendre encore plus d’ampleur, récompensait la prise de risques par l’octroi de plans de sauvetage et laissait le problème inhérent de non-viabilité s’amplifier.

TABLEAU 1 : ACTIF DES BANQUES – PIB DU PAYS

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Sources : Capital IQ, CIA Factbook

Nous avons fait un exercice en additionnant l’actif des banques les plus importantes des pays du G7, ou, autrement dit, celles qui sont « trop imposantes pour faire faillite », pour le comparer avec le PIB du pays où elles exercent leurs activités. Pour les profanes, l’actif typique d’une banque se compose principalement des prêts qu’elle a accordés, alors que le passif est essentiellement constitué des dépôts qu’elle a acceptés. À l’exception de celui des États-Unis, le système bancaire de tous les pays du G7 est devenu plus imposant que leur économie respective et, dans certains cas, il éclipse carrément cette dernière.

Les gouvernements du monde entier commencent finalement à réaliser l’ampleur des risques qui existent au sein de leur secteur bancaire. L’Union européenne a décidé d’adopter le nouveau modèle de recapitalisation interne. Les États-Unis, le Royaume-Uni et le Canada lui ont tous emboîté le pas. Ce nouveau modèle impose entièrement le fardeau au déposant. Ce dernier est un prêteur de l’institution financière avec laquelle il traite. Toutefois, la plupart des déposants supposent naïvement que leurs dépôts sont en toute en sécurité dans les banques et font confiance à ces dernières pour ce qui est de protéger leurs économies. Selon le nouveau modèle, tous les prêteurs (y compris les déposants) des banques peuvent être obligés de participer à la recapitalisation interne de leur banque respective. Plusieurs pays du G7 ont déjà adopté des dispositions leur permettant d’utiliser les comptes des déposants pour rescaper les banques en difficulté. Nous avons exprimé ouvertement nos préoccupations à l’égard de l’état de santé du système financier mondial pendant la majorité des dix dernières années. La tragédie grecque se déroule maintenant en Chypre, mais avec une nouvelle dimension, les déposants étant involontairement devenus des agneaux sacrificiels. Compte tenu de la taille du secteur bancaire dans la plupart des pays du G7 et du gonflement des dettes d’État, la capacité des gouvernements à sauver leurs banques est grandement limitée, particulièrement lorsqu’on prend en considération les obstacles qui existent aujourd’hui sur le plan politique. C’est pourquoi nous croyons fermement que les actifs tangibles l’emportent sur une monnaie fiduciaire conservée dans un compte « d’épargne ». Loin de vouloir être alarmistes, nous voulons simplement dire qu’un déposant averti en vaut deux!

1 Statistiques concernant les importations et les exportations – US Census Foreign trade :

Cliquer pour accéder à budget2013-eng.pdf

2 http://www.bankofengland.co.uk/publications/Documents/news/2012/nr156.pdf

3 http://www.budget.gc.ca/2013/doc/plan/budget2013-eng.pdf

4 http://www.centralbanking.com/central-banking/official-record/2257939/rbnzarticle- says-open-bank-resolution-helps-keep-banks-in-line


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