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Quand les aveugles pilotent à vue par Bruno Bertez (Source AGEFI SUISSE)

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Quand les aveugles pilotent à vue par Bruno Bertez (Source AGEFI SUISSE)

Le constat qui vient d’être fait dans les couloirs du FMI est clair malgré le phrasé politiquement correct: on ne sait pas du tout où l’on va. 

Pour le public, la réunion de printemps du FMI est une réunion comme les autres. De la routine, on se congratule et on se pousse du col. Ainsi, Christine Lagarde est apparue sur les écrans de télévision pour proclamer, avec son culot habituel: «Je suis délibérément, désespérément, et de façon décisive, optimiste». 

On sait depuis longtemps que, chez Lagarde, l’espoir et l’optimisme tiennent lieu de stratégie, mais quand même!

http://www.youtube.com/watch?v=NyE_gP0lEMQ&w=560&h=315%5D 

Au même moment, le FMI abaissait, pour la énième fois depuis 2008, ses prévisions de croissance globale.

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Nul besoin de s’attarder sur les prévisions conjoncturelles ou les recommandations du FMI. D’autant plus que ses erreurs sont éclatantes. Le FMI a annoncé en 2009 que l’Allemagne était celle qui allait le plus souffrir parmi les pays considérés, elle a pourtant dépassé son niveau d’avant la crise à peine un an plus tard. A l’inverse, le FMI ne cesse d’annoncer une reprise de la Grèce l’année suivante. En 2008, elle prévoyait que son PIB 2013 dépasserait de 22% celui de 2007. Il est aujourd’hui un quart inférieur!

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   Au même moment, dans les couloirs du même FMI, loin des micros et des caméras, on s’interrogeait: «Est-ce que nous comprenons vraiment ce qui se passe dans les économies avancées?», ainsi s’exprimait l’Italien, ex-BCE, Lorenzo Bini Smaghi. Mervyn King, futur ex de la Bank of England exposait ses doutes: «N’y a-t-il pas un risque à promettre trop ou à laisser espérer plus que nous ne pouvons tenir?». James Bullard, patron de la Fed de Saint-Louis, l’un des meilleurs, le 21 février exprimait les mêmes doutes sur un mode plus académique: «L’instabilité financière, la formation de bulles, est un problème. La Fed en parle souvent, donc c’est important. Mais ce n’est pas nouveau, cela dure depuis 20 ans. Et franchement, il n’y a pas de bonne réponse parce que nous n’avons pas de modèle pour traiter de l’instabilité financière». 

Laissons de côté la propagande, les mensonges et les dénégations de Lagarde, et attardons-nous sur l’essentiel. Cinq ans après la catastrophe, nous en sommes au même point, rien n’a changé. La crise financière et bancaire est toujours enfouie dans les comptes truqués du Système. Les économies ne repartent pas. Le chômage continue d’enfler. Les niveaux de vie régressent. Les patrimoines sont érodés, sinon confisqués, par la répression financière et la fiscalité. Les consensus sociaux s’effondrent.

 

L’incendie a été noyé sous des déluges de liquidités monétaires, les économies ont été tenues à bout de bras par les déficits et l’argent gratuit, les agents privés sont sommés, sans succès, de dépenser, les marchés sont manipulés à l’extrême pour éviter les accès de panique; rien n’y fait, la machine refuse de repartir. 

Au contraire, le système est encore plus lourd, plus déséquilibré par le poids croissant des dettes. Ses marges de manœuvre ont disparu, ses amortisseurs sont usés. Le constat qui vient d’être fait dans les couloirs du FMI est clair malgré le parler politiquement correct: on ne sait pas où l’on va, personne chez les dirigeants n’en a la moindre idée. Voilà la vérité, voilà la réalité.

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En 2008, on a choisi une voie fondée sur l’analyse simpliste de la crise précédente, celle de 1929. On a suivi les enseignements monétaristes, on a ouvert les vannes monétaires, partant de l’idée que c’est parce que la monnaie était rare que la crise des années 30 s’est muée en dépression. On a creusé les déficits souverains, augmenté le stock de dettes contenues dans le système, on a cherché à faire boire les ânes qui n’avaient plus soif. On a refusé l’assainissement, les restructurations, les réformes. On a voulu repartir à l’identique et faire l’économie d’un deuil du passé. Cinq après, alors que les résultats se dérobent, on surenchérit; coûte que coûte, on tente de forcer la machine au mépris des conséquences négatives et non voulues, au mépris de dégâts collatéraux. 

L’histoire depuis 2008 est celle d’un bombardement des économies de plus en plus intensif avec des dégâts civils et citoyens de plus en plus terribles. L’image de la guerre s’impose d’elle-même. Coûte que coûte, surtout aux tiers, plus on on échoue, plus on renforce les dispositifs. La morale, le respect des vies disparaissent, victimes de l’entêtement.

 On navigue maintenant à vue, plus aucune règle, on les transgresse toutes. On charge la barque des endettements. Des impôts et des contrôles. Plus personne ne parle de sortie des politiques exceptionnelles, plus personne ne se hasarde à prédire la sortie de crise, c’est toujours pour demain, pour plus tard. 

En fait, faute de raisonnement, faute de modèle, comme dit Bullard, faute d’imagination, on espère un miracle. Dans son rapport sur la stabilité financière globale, le FMI supplie que l’on «n’arrête pas les politiques monétaires extrêmement accommodantes en cours» et, en même temps, à mots plus couverts, en parler politiquement correct, il suggère que l’on adoucisse les politiques d’austérité. Faire et défaire, c’est toujours travailler pour un fonctionnaire international.

Comment en est-on arrivé là? Voilà la seule question qui importe. Car, pour prétendre traiter un problème, il faut en connaître les causes. Avant d’administrer des remèdes, il faut établir des diagnostics. Voilà la question que les élites refusent d’aborder. Chut. Secret d’états. Silence, on couvre, il ne faut pas que l’on révèle les causes, il ne faut pas éclairer l’histoire, il faut se laisser les mains libres pour continuer à faire comme avant. Il ne faut surtout pas remettre en cause les modèles de développement fondés sur la dette et sur la stabilité sociale financée par les déficits.

 La connaissance historique est essentielle pour pratiquer l’économie et prétendre y interférer. Que dit l’histoire? Elle dit que toujours les expériences monétaires ont mal tourné. Il n’y a aucun exemple de succès d’une grande expérience monétaire réussie. Elle nous dit que les sociétés et les processus sociaux, économiques, financiers et monétaires, sont de plus en plus complexes. Elle nous dit que, plus un système est lourd et complexe, plus il faut dépenser d’énergie et d’intelligence, plus il faut investir pour assurer son maintien et sa reproduction.

 

La complexification, les innovations des 30 dernières années ont été exceptionnelles, tout s’est accéléré. Tout s’est accéléré sans frein, sans limite, sans une pause pour la réflexion et la compréhension. Personne n’a cherché à comprendre, le seul guide a été l’appât du gain facile et rapide.

 Personne n’a remis en cause les analyses idiotes et idéologiques des crises précédentes, personne n’a accepté de réviser les théories économiques fondées sur le présupposé de l’équilibre, personne n’a eu l’audace de remettre en chantier les illusions sur la création monétaire sans douleur, la transmission de l’action des Banques Centrales, l’articulation entre la monnaie et le crédit, le rôle déséquilibrant des marchés suralimentés en liquidités. Tout est resté en l’état. Un état préhistorique de la connaissance économique, financière et monétaire, alors que le réel, lui, de son côté, connaissait une mutation sans précédent.

 

On pense l’économie de façon mécaniste, positive, instantanée, alors qu’elle fonctionne de façon dialectique, non linéaire, relative et cumulative, et qu’elle, en tant que système, elle apprend et se complexifie sans cesse. Les élites gouvernantes, apprentis sorciers, n’ont été capables, ni d’intégrer l’accumulation des dettes, ni l’interconnexion généralisée dans leurs schémas. Elles ont refusé de tirer les enseignements des avertissements japonais de 91, de l’exubérance irrationnelle de 1996, de la folie de l’an 2000, de l’incroyable illusion de l’enrichissement de l’immobilier sans fin de 2006. On persiste à croire que l’on crée de la richesse avec de la monnaie, d’une part, et de l’ingénierie financière, d’autre part. On continue de croire à la création de valeur au mépris de la création de vraies richesses. On veut persévérer dans l’erreur de croire que tant que les prix à la consommation ne montent pas, on peut créer de la monnaie.

 Les gouvernements et banquiers centraux pilotent -si l’on peut dire- sans boussole, sans guide, au jugé des apparences. C’est un phénomène de civilisation et de société. Les processus humains, les «patterns» se développent sur des générations, des siècles, tout vient de loin, de très loin. Et pour agir, il faut étudier, comprendre, critiquer, sans cesse remettre en chantier. Il faut échapper à la tyrannie de l’immédiat, remonter le temps. Comprendre les genèses. L’approche moderne, fondée sur l’illusion du changement, conduit à penser que l’histoire s’arrête, que dorénavant plus rien ne peut être comme avant. 

La grande illusion, c’est de croire que les crises modernes sont différentes des précédentes, de croire que l’on peut échapper à la remise en ordre, faire l’économie des souffrances. La grande illusion, c’est de penser qu’en matière de crise, il y avait un «avant Bernanke» et un «après Bernanke». Seul dans son bureau avec ses livres, il aurait découvert le remède miracle, le Graal.

 

La vérité d’un moment réside dans le moment suivant. Le sens d’un événement historique procède toujours de la fin vers le commencement. L’histoire nous dira bientôt que l’aveuglement des responsables aura été la cause des dislocations qui nous attendent. Les responsables n’ont rien vu avant la crise, ils naviguent à l’aveugle, ils ne voient pas le gouffre qui se creuse.

BRUNO BERTEZ Agefi Suisse mardi, 23.04.2013

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