Des branches économiques au chocolat noir Par Jean-Pierre Béguelin
Dans un pays, la part dans la production des différentes branches, en particulier pour les services financiers, n’est pas intuitive car, comme le printemps arabe l’illustre si bien, l’économie est si complexe qu’elle constitue souvent le principal obstacle sur lequel réformes et révolution viennent buter.
L’économie d’un pays est plus complexe qu’on ne le croit généralement et l’intuition trompe souvent dans ce domaine. Les exportations, par exemple, ne sont pas le secteur d’activité le plus important, surtout dans le cas d’une grande économie qui vend relativement peu hors de ses frontières. Non, presque toujours, c’est le commerce tant de gros que le détail qui génère la plus grande valeur ajoutée – 15% dans notre pays par exemple – ou les administrations publiques, dont la part reste étonnamment stable malgré le rôle plus ou moins grand dévolu à l’État puisqu’elle atteint 10% en Suisse, 12% au Royaume-Uni et 13% tant en France qu’aux États-Unis.
Bien que très connus à la ronde, les produits ou services phare d’un pays n’ajoutent directement que peu à son PIB: l’horlogerie ne fait que 1.5% de la valeur ajoutée helvétique, les voitures 3% de l’allemande et les programmes informatiques moins de 1% de l’américaine. Le cas des banques et autres services financiers est un peu plus délicat, surtout pour une place internationale comme le Royaume-Uni ou la Suisse. C’est qu’une bonne partie de l’intermédiation financière au sens large – collecte de l’épargne, crédits domestiques et transactions sur titres – sert uniquement les ménages, les entreprises et les administrations publiques d’un pays. On demande alors souvent quand cette branche ne sera plus que du chocolat noir ou, en d’autres termes, jusqu’à quel pourcentage du PIB la finance interne peut se développer sans devenir prédatrice.
Personne ne le sait parce qu’une telle limite, si elle existe, grandit avec le temps et l’évolution d’une économie. Au fur et à mesure qu’un pays se développe, son économie utilise en effet de plus en plus de routes, de bâtiments, de machines pour produire une unité de PIB car le rendement des infrastructures diminue avec leur importance. Bref, avec le temps, le PIB s’accroît plus lentement que le capital physique et, comme ce dernier a été financé par des dettes et d’autres titres financiers, qui sont autant d’actifs pour leurs détenteurs directs ou indirects, la masse des avoirs financiers d’une économie grandit alors plus vite que la production du pays. Cette richesse croissante devant être administrée et gérée, elle entraîne un appel de plus en plus fréquent à des intermédiaires financiers dont l’apport à la valeur ajoutée nationale gonfle progressivement.
Outre-Atlantique par exemple, les activités financières hors assurance sont passées de 2% du PIB en 1947 à 5.5% actuellement. Comme elles y sont essentiellement domestiques vues l’étendue du marché intérieur, cette part devrait normalement suffire pour satisfaire les besoins bancaires et financiers d’une économie au stade de développement des États-Unis et, par extension, de la Suisse. Or, dans notre pays, ces activités, qui fournissaient 8% du PIB en 2007 encore, n’en produisent plus que 5,7% fin 2012, soit une proportion très proche de l’américaine. Ainsi, l’activité exportatrice des banques suisses s’est fortement réduite ces dernières années, sans qu’on sache s’il faut en rendre responsables les marchés financiers internationaux et leurs bas taux d’intérêt ou la lente agonie du secret fiscal helvétique.
On considérera toutefois de tels chiffres avec les précautions d’usage. La valeur ajoutée par la finance est en effet une grandeur nettement plus difficile à estimer que pour une production purement physique. Elle dépend en premier lieu de la différence entre les taux créanciers et débiteurs, de la transformation plus ou moins forte des échéances ou de la valeur globale des avoirs, facteurs souvent fort volatils si bien qu’au gré des hypothèses de calcul choisi l’estimation peut facilement différer de quelques points de PIB. Ces complications statistiques viennent évidemment s’ajouter à l’embrouillamini des relations entre secteurs pour venir obscurcir jugements et analyses, mais il ne faut pas en exagérer les effets.
PLUS DE BEGUELIN EN SUIVANT:
A court et moyen terme, certaines conséquences sont presque toujours fort prévisibles, par exemple que la grande complexité des économies fige la structure de la production et, par conséquent, la distribution des richesses ou des revenus à l’intérieur d’un pays. Ceci explique d’ailleurs pourquoi révoltes ou révolutions déçoivent bien souvent leurs auteurs. Quelles que soient la puissance et les richesses accumulées par l’entourage – certains diront la clique – d’un chef d’État plus ou moins despotique, elles n’influencent qu’une petite partie des échanges économiques domestiques. Chasser tout ce monde peut évidemment satisfaire un besoin de justice, mais cela ne peut améliorer comme par miracle la prospérité à moyen terme d’un pays tout en risquant fort, au moins temporairement, de décourager l’activité et de freiner la croissance.
Ainsi, deux ans après le printemps arabe, les pays qui l’ont vécue se retrouvent avec un PIB quelque 10% au-dessous du niveau qu’il aurait atteint si son rythme de croissance avait continué sur sa lancée des années 2000. Sans parler des cas tragiques de la Syrie et de la Libye, l’Égypte a été particulièrement touchée puisqu’elle a vu sa croissance chuter de moitié et son sous-emploi officiel grimper d’autant. Retenus par l’insécurité apparente ou probable, les incertitudes politico-économiques et, aussi, une conjoncture plus que morose en Europe, les touristes sont venus nettement moins nombreux sur les bords du Nil et de la Mer Rouge tandis que les firmes étrangères cessaient de s’installer dans le pays. Ainsi depuis 2009 et en pourcent du PIB égyptien, les activités touristiques ont passé de 5,3% – une part notable pour un secteur exportateur – à 3,5%, un recul d’autant plus douloureux que la branche assurait le sixième des emplois, et les investissements directs vers l’Égypte sont tombés de 3,5% à 0,5%.
En conséquence, les entrées de devises ont chuté drastiquement, forçant la banque centrale à puiser dans ses réserves pour stabiliser sa monnaie. Voyant ces dernières fondre de plus en plus vite – elles sont tombées de 35 à 15 milliards de dollars depuis 2009 – les autorités monétaires ont, en décembre dernier, cessé d’intervenir systématiquement. Depuis lors, la livre égyptienne a perdu un quart de sa valeur externe avec les suites habituelles bien connues: inflation accélérée à l’intérieur, déficit budgétaire grandissant et, malgré l’aide des pays exportateurs de pétrole, besoins accrus de financement externe. Bref, tout le monde s’attend à une intervention du FMI, qui aura sans doute lieu après les élections. Mais ce dernier ne pourra que prôner les remèdes autant classiques que politiquement douloureux: diminution des subventions, libéralisations diverses et flexibilité des salaires. Ainsi le printemps arabe, qui n’a connu à la place de l’été qu’un automne de plus en plus frais, risque bien de subir un hiver long et rigoureux…
Source Le Temps 1/6/13
http://www.letemps.ch/Page/Uuid/f8c58f82-c9f9-11e2-8d8d-ee62c80b2961/Des_branches
En savoir plus sur Le blog A Lupus un regard hagard sur Lécocomics et ses finances
Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.
Évaluez ceci :
Partager :
- Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Facebook
- Cliquer pour partager sur X(ouvre dans une nouvelle fenêtre) X
- Cliquez pour partager sur Telegram(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Telegram
- Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Imprimer
- Cliquer pour envoyer un lien par e-mail à un ami(ouvre dans une nouvelle fenêtre) E-mail
- Cliquez pour partager sur Pocket(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Pocket
- Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre) LinkedIn
- Plus
- Cliquez pour partager sur Tumblr(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Tumblr
- Cliquez pour partager sur Pinterest(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Pinterest
- Cliquez pour partager sur Reddit(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Reddit
- Cliquez pour partager sur WhatsApp(ouvre dans une nouvelle fenêtre) WhatsApp













NI PUB, NI SPONSOR, NI SUBVENTION, SEULEMENT VOUS ET NOUS....SOUTENEZ CE BLOG FAITES UN DON


