Art de la guerre monétaire et économique

Dette « odieuse », dette honteuse Par Pierre-Antoine Delhommais

Dette « odieuse », dette honteuse  Par Pierre-Antoine Delhommais

Sous prétexte qu’elle serait illégitime, certains prônent l’annulation de la dette. Absurde !

 « Peut-on s’asseoir sur la dette ? » C’était le thème, l’autre jour, de C dans l’air, sur France 5. Cela nous a permis de revoir Bernard Maris, dont on n’avait plus trop de nouvelles depuis qu’il avait été nommé au conseil général de la Banque de France. Toujours aussi charismatique, « oncle Bernard ». Pour tout dire, on a eu un peu peur, pendant la première partie de l’émission, que l’ancien cofondateur de Charlie Hebdo ait définitivement revêtu les habits du banquier central. Notamment quand il a mis en avant les importants efforts financiers consentis par la BCE pour aider à sortir de la crise, lui qui auparavant hurlait contre cette « BCE copiée sur la Bundesbank » et traitait Trichet de « nigaud ». 

Mais on a fini par retrouver le chroniqueur économique rebelle quand il a proposé de déclarer « illégitime » la dette publique française, parce qu' »imposée au peuple ». Ce qui serait bien pratique puisque, du coup, nous n’aurions plus à la rembourser. On cite Bernard Maris. « Je pense qu’il faut introduire la notion d’illégitimité de la dette. Je ne pense pas que les Français aient voulu ce système qui consistait à baisser massivement les impôts et à remplacer ces impôts par de la dette. Je ne pense pas qu’ils aient voulu ce système dans lequel les États ne peuvent pas emprunter directement auprès de la BCE. Vous croyez que les Français avaient compris ça ? Il y a une remise en question politique et démocratique de la dette à avoir. » 

PLUS DE DELHOMMAIS EN SUIVANT:

On passera vite sur la supposée « baisse massive d’impôts » depuis quarante ans (les prélèvements obligatoires sont passés de 34 % du PIB en 1974 à 46,5 % aujourd’hui !) pour s’intéresser à la notion de dette illégitime. C’est un ancien ministre russe du tsar Nicolas II, Alexander Sack, qui avait théorisé, en 1927, le concept de dette illégitime, de « dette odieuse ». « S i un pouvoir despotique contracte une dette non pas selon les besoins et les intérêts de l’État, mais pour fortifier son régime despotique, pour réprimer la population qui le combat, cette dette est odieuse pour la population de l’État entier. Cette dette n’est pas obligatoire pour la nation : c’est une dette de régime, dette personnelle du pouvoir qui l’a contractée ; par conséquent, elle tombe avec la chute de ce pouvoir. » 

Sack s’était appuyé sur les événements observés en Amérique du Sud à la fin du XIXe siècle. En juin 1883, le Mexique avait promulgué la loi dite de « règlement de la dette nationale », qui répudiait les dettes contractées par l’empereur Maximilien. En 1898, c’était au tour des États-Unis de refuser de payer la dette de Cuba – qu’ils venaient d’annexer – vis-à-vis de l’Espagne, la qualifiant de « poids imposé au peuple cubain sans son accord ». Vingt ans plus tard, enfin, la Russie bolchevique que Sack avait fuie tirait un trait sur les dettes héritées du régime tsariste. 

La doctrine de la dette odieuse a été remise au goût du jour dans les années 90 par les partisans de l’annulation de la dette du tiers-monde, qui ont proposé de déclarer illégitimes les dettes contractées par des régimes dictatoriaux, corrompus, génocidaires, etc., nombreux en Afrique et en Amérique du Sud. Avec un certain bon sens, il faut le dire. Il est un peu choquant qu’un peuple qui vient de se libérer d’une dictature ait à rembourser une dette ayant servi à financer une armée qui l’opprimait et le torturait. Il est tout aussi choquant que des prêteurs soient remboursés d’un argent qu’ils ont fourni, en toute connaissance de cause, à des régimes sanguinaires. 

Malgré son bien-fondé théorique moral, cette thèse n’a pas rencontré beaucoup de succès. La Banque mondiale y a vu un concept un peu fourre-tout, et surtout dangereux à utiliser car susceptible de priver définitivement un pays de l’accès aux marchés financiers. Et dans les faits, que ce soit en Afrique du Sud, au Nigeria, au Rwanda, en Irak, en Tunisie, en Égypte, les nouveaux régimes démocratiques ont toujours choisi de rembourser les dettes des dictatures qui les avaient précédés. Quitte à les renégocier sous l’égide d’institutions internationales pour obtenir des allègements. 

Il y a en tout cas quelque chose de franchement indécent, pour ne pas dire « odieux », à demander qu’on applique la notion de dette illégitime aux pays riches et aux démocraties occidentales. À laisser entendre en France, par exemple, que l’avènement d’une VIe République chère à Jean-Luc Mélenchon permettrait d’effacer les dettes contractées sous la Ve. 

Jusqu’à preuve du contraire, la Ve République n’est ni une dictature tortionnaire ni un régime d’apartheid. Hollande n’est pas Ben Ali et Sarkozy pas Mobutu, Chirac n’était pas Saddam Hussein, Mitterrand pas Pinochet. Jusqu’à preuve du contraire, la dette publique française a augmenté en toute transparence, avec une destination des fonds connue de tous : permettre à la France de continuer à financer ses déficits, à payer ses fonctionnaires et à assurer le versement des prestations sociales. Jusqu’à preuve du contraire, enfin, les 39 budgets consécutifs en déficit ont été votés chaque année par des députés et des sénateurs choisis à la suite d’élections libres. Sauf à prendre les Français pour des imbéciles et à remettre en question le principe même de démocratie représentative – comme le fait « oncle Bernard » -, on ne voit pas ce qu’il y aurait de légitime à parler de dette illégitime. Aucune trace de « dette odieuse » en France, seulement d’une énorme dette honteuse.

Source Le Point – Publié le 23/05/2013

http://www.lepoint.fr/editos-du-point/pierre-antoine-delhommais/dette-odieuse-dette-honteuse-23-05-2013-1671364_493.php


En savoir plus sur Le blog A Lupus un regard hagard sur Lécocomics et ses finances

Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.

2 réponses »

  1. les français sont abusés depuis la loi de 73, tout ce que les politiques ont décidé depuis l’a été sur la contrainte, la désinformation, le mensonge. Avant de tenir pour responsable les français de base qui ont tout subi, l’abandon des valeurs morales, la chute du niveau scolaire, l’accueil d’une immigration qui n’a été utile qu’au patronat et aux oligarques corrompus par l’argent sale des mondialistes apatrides. Faisons payer ceux qui se sont enrichis et subventionnons les français en récompense du calvaire vécu! Ils se paieront grâce à leur épargne dans les paradis fiscaux. Je ne sais où vit l’auteur de l’article, mais qu’il sache qu’en France, il n’y a pas de démocratie, les représentants élus sont aux ordres des banques et multinationales, le peuple veut la démocratie directe, ce jour venu, nous verrons bien si nous ferons des dettes, en attendant, la dette concerne ceux qui ont engagé ce système et qui n’ont pas respecté le résultat du référendum de 2005.

    J’aime

  2. Les individus ont bien le droit de refuser un héritage, les peuples devraient pouvoir le faire également…
    La jeunesse française ne devrait pas avoir a payer pour l’irresponsabilité de la génération des soixante-huitards…

    J’aime

Laisser un commentaire