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L’Edito du Vendredi 4 Octobre 2013: Fed, BCE, Buba, Droite, Gauche, la fonction des opposants est d’entretenir l’espoir Par Bruno Bertez

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L’Edito du Vendredi 4 Octobre 2013: Fed, BCE, Buba, Droite, Gauche, la fonction des opposants est d’entretenir l’espoir Par Bruno Bertez

   L’affirmation contenue dans notre titre n’est pas pur goût du paradoxe. Nous jouons, dans cette réflexion,  sur l’écart qu’il y a entre la parole et les actes. La parole qui dénonce et qui, bien sûr, n’est suivie d’aucun effet, est une manifestation d’impuissance. Elle est complaisante. Sa fonction dans le système est d’entretenir l’espoir. L’espoir désamorce les motivations, il dissuade d’agir donc valide, même pas par défaut, l’action de ceux que les opposants font semblant de combattre. Avec l’espoir, on reporte l’action au lendemain. 

Ce papier nous a d’abord été inspiré par ce qui se passe en matière monétaire. Il ne se passe pas de journée sans que les soi-disant opposants à Bernanke s’expriment. Il ne se passe pas de semaine sans que la Bundesbank critique la BCE. Quasi chaque jour, on trouve un homme politique de droite pour critiquer l’action de Hollande et Ayrault. Ajoutons au passage que les médias font la même chose. 

Vous remarquerez que personne n’appelle à l’action. En fait, tous ces gens fourvoient, conduisent dans des impasses. Conduisant dans des impasses, ils désamorcent la colère et discréditent les Cassandre. Nous entendons sans cesse une réflexion de bon sens. Elle est très généralisée, on l’entend dans toutes les couches sociales et dans tous les niveaux socio-culturels : « Je suis étonné que personne ne descende dans la rue ». Ce texte se propose de répondre à la question : pourquoi cela se passe ainsi, en fournissant un schéma d’interprétation général. 

L’analyse financière, l’analyse économique, n’apportent que très peu d’aide à l’investisseur.

Ceci va s’aggravant. Les méthodes et attitudes classiques sont de plus en plus inopérantes.

Les marchés ne se comportent pas en fonction des données de la Sphère Réelle. Ils se comportent en fonction des propos, des déclarations, des « guidances ». Le jeu à la mode, c’est l’exégèse. Exégèse des oracles et de leurs signaux de fumée. Le jeu du « taper » devenu jeu du « non-taper »  illustre parfaitement notre propos. Le contrepied des marchés, selon Dudley, a pour origine une mauvaise compréhension des propos de Bernanke. Selon Dudley, il n’y a pas eu de pas de clerc, pas de changement de pied. C’est dire l’importance de la communication. Peu importe que Dudley mente ou dise la vérité, puisque ce que nous voulons souligner, c’est l’importance de la communication, même mensongère ou maladroite. 

Prenons l’exemple de ce que l’on appelle la « guidance », nouvelle arme dans la panoplie des régulateurs. On accepte de considérer cette nouvelle arme comme si elle en était une, sans se poser la question de ce qu’il y a derrière le mot. On le prend, bouche bée, on gobe sans analyse. 

La « guidance » est une entourloupe, un enfumage. Cette guidance est censée éclairer l’avenir, élargir l’horizon financier. En gros, la « guidance », cela consiste à dire aux gens, vous pouvez y aller, prenez des risques, nous ne retirerons pas le bol de punch avant longtemps. La « guidance » consiste à mettre une assurance, une certitude estampillée par les oracles, là où en réalité, il n’y a qu’incertitude réelle. La « guidance », son efficacité, reposent sur la naïveté des opérateurs financiers et économiques. Pourquoi? Parce que, à d’autres moment, les oracles affirment : « Notre politique est data dependant, nous nous adapterons aux données économiques et financières au fur et à mesure qu’elles tomberont ». Bien, donc la restitution complète est : « Nous vous promettons de maintenir notre politique d’argent bon marché, mais en même temps, nous vous promettons de nous adapter au fur et à mesure que le monde réel évoluera. Bref, nous vous promettons de mettre du fixe sur du variable, du certain sur de l’incertain ». 

Le monde est incertain, les régulateurs sont incapables de le prévoir, c’est une constante depuis 2009, on passe son temps à réviser ses erreurs. La réalité est donc que la « guidance » ne peut être contraignante puisqu’en même temps on promet de s’adapter. La « guidance » en tant que telle n’a bien sûr aucune valeur, mais ce n’est pas pour cela qu’elle est inutile dans le dispositif. Nous prétendons que le Système survit, s’adapte, précisément en affirmant en même temps, une chose et son contraire. C’est l’objet du présent article que de s’interroger sur le statut de la parole et de la parole contraire. De la contradiction. Par avance nous vous présentons nos excuses pour le long détour avant d’en arriver au fait, mais nous cherchons à vous faire toucher du doigt quelque chose et ce détour est une sorte de préparation. 

L’un des grands secrets de nos Systèmes est la fonction conservatrice des opposants. Fonction équilibrante de ceux qui dénoncent. Ils entretiennent l’espoir que cela peut changer. Sans cet espoir qui fait se tenir tranquille les gens, il y aurait des explosions des bouffées de violence. Le fait est évident en matière politique, dans le cas des démocraties. Le mythe de l’alternance cloue le bec des opposants, même les plus décidés. Ils espèrent qu’avec un nouveau vote, un nouveau gouvernement, les choses changeront, et même pour les plus naïfs, que l’on reviendra en arrière. 

Le système démocratique, en particulier bipartisan, est stable grâce à cette propriété de régulation interne du système. En réalité, droite et gauche sont un produit organiquement indissociable du système, le système produit à la fois son « pour » et son « contre ». Et c’est pour cela que cela dure! 

La dénonciation de la société de consommation en 1968 a fait plus pour l’essor de ladite société que toutes les campagnes de publicité réunies. Le système produit sa dote et son antidote, sa maladie et son remède… bien entendu au sens de manipulation des signes, au sens de remède placebo. Ainsi, on détruit allègrement la planète, les écolos les premiers, mais on a la conscience tranquille car « on dénonce et on parle de faire ce qu’il faut ». Ce qui devrait être limité, refusé, dans le cadre d’une dénonciation, revient  bien souvent en parole, en thème publicitaire, en simulacre. La conscience, un moment dérangée, est soulagée, on a en quelque sorte confessé ses péchés, on peut continuer comme avant. La dénonciation publique de DSK a eu la même fonction, fini le secret, les limites à ses « perversions » ; maintenant, il peut faire ce qu’il veut, il est reconnu et même approuvé en tant que libertin. C’est la catharsis de l’aveu. 

Les propos des « chefs » dans cette optique sont surtout à prendre comme autant d’hommages du vice à la vertu. Ainsi, le prix Nobel de la Paix atteste, par ses propos, de la valeur suprême de la paix pour pouvoir librement faire la guerre. Il peut tuer des Syriens pour prouver que c’est mal de tuer des Syriens; idem avec le sinistre G.W.B, il a fait la guerre en Irak au nom du « nation building » et pour le bien du peuple Irakien, ce qui justifie les massacres quotidiens d’Irakiens innocents au rythme, depuis la fin de la guerre, de plusieurs dizaines par semaine. 

Notre société a tendance à privilégier la parole intentionnelle, celle que l’on veut consciemment, volontairement, prononcer. Nous vous proposons un renversement: attacher moins d’importance à ce que le politiquement correct veut et autorise à dire et plus de poids à ce qui se dit involontairement, à ce qui échappe. 

A-t-on changé quelque chose à la situation des personnes de couleur en interdisant la manifestation du racisme, a-t-on fait reculer l’antisémitisme d’un seul pas depuis le début des siècles? Comme le dit Le Pen, les gens continuent de penser tout bas, ils pensent, et ceci faisant l’objet d’un débat interdit, ce qu’ils pensent s’ancre encore plus. Le refoulement met le racisme hors de portée des arguments de la raison. 

Tony Parker, le basketteur champion et modèle, après un mauvais match, a eu, à notre avis, une fonction de révélation ; son cri du cœur: « On a joué comme des tapettes », a, à notre avis, renforcé le sentiment anti-homo, d’abord parce que c’est Tony, ensuite parce qu’il a présenté ses excuses, comme si on pouvait s’excuser d’avoir un inconscient, enfin parce que grâce aux excuses, le scandale a été doublement publicisé, une fois à l’aller, une fois au retour! L’inconscient de TP a parlé et, croyez-nous, la parole de cet inconscient a plus de poids que toutes les excuses, tous les démentis. 

L’inconscient d’un système ou d’une personne est toujours en embuscade pour révéler les vérités « que l’on ne devrait pas dire ». « Il faut » est un jeu social, répressif, mais fondamentalement stérile qui ne fait que renforcer, en mettant hors d’atteinte, ce qu’il s’agit de réprimer. Le réprimé, le refoulé, reste ce qu’il est, mais hors d’atteinte par la conscience, il en est donc renforcé, il devient selon la belle phrase de l’analyste: « la queue du saurien que l’homme traîne encore derrière lui,… le serpent sacré du mystère ».

 La réalité du mal est qu’il est indissociable du bien, indissociable de la vie, et que la crucifixion a pour fonction de le rendre acceptable, donc de permettre la vie. Il en va des sociétés comme des humains, valeur et non-valeur se complètent, sont sur la même pièce ou médaille et le côté « pile » est aussi indissociable de la pièce que le côté « face ». Le mouvement, ou, pour les optimistes, le progrès, n’est que la relativisation, le dépassement de contrastes antérieurs. 

Nous vous avons promis une réflexion de type « économique », venons-y. 

Nous disons souvent que les Maîtres utilisent les techniques soviétiques, elles créent leur propre opposition, leurs faucons et leurs colombes, pour faire passer leurs décisions. C’est évident en matière de guerre, évident en matière monétaire, pour ne prendre que deux exemples convaincants. 

Nous pensons que les critiques sur les achats de titres à long terme par la Fed sont à interpréter de cette façon. Elles permettent de faire ces achats, de les amplifier, de les poursuivre. Pourquoi? Parce qu’elles entretiennent le mythe, l’espoir que tout le monde n’est pas d’accord et donc qu’un jour, le rapport de forces se modifiant, les achats, les gonflements de bilan, le laxisme monétaire, cesseront. 

Comme nous l’avons dit plus haut, la fonction de la dénonciation est d’entretenir l’espoir. Ce sale espoir,  comme disait Antigone. 

Grâce à cet espoir, on continue de faire confiance en la monnaie, on évite de monter trop les taux d’intérêt, puisque l’on est persuadé qu’un jour la débauche finira! L’opposition entretient le pour et le contre sans lesquels rien ne peut durer. Imaginez ce qui se passerait s’il n’y avait qu’un sens. Les marchés seraient booming, exploseraient, le risque financier contre lequel il faut, vous le savez, lutter, -dixit le dernier Jackson Hole-, le risque financier deviendrait colossal. Si l’escroc n’inspirait pas confiance, il ne pourrait escroquer, pour prendre une comparaison désobligeante. 

Nous pensons que la fonction de la Bundesbank et de son patron, figure emblématique, est du même type. La Buba a prêté son crédit à la monnaie commune au moment de la formation de l’Union; si on a fait confiance à cette monnaie, c’est parce que l’on savait que la Buba était derrière, ce qui a permis des taux très bas, un change ferme. 

A la faveur du crédit emprunté à la Buba, les taux ont chuté pour les pays du Sud; ils ont pu s’endetter, se surendetter, et ils ne s’en sont pas privé. Ces pays déficitaires ont bénéficié, non seulement des taux bas qu’ils ne méritaient pas, d’un change stable qu’ils n’avaient jamais osé espérer, mais aussi des facilités de Target 2, système qui permet d’accumuler les déficits et les créances sur la Bundesbank. 

Avec la crise de surendettement, crise de compétitivité, crise de balance de paiements, le système européen doit évoluer. On connaît le sens de l’évolution ; ce sens, c’est l’intégration de plus en étroite au plan économique, financier, bancaire, politique et surtout social. Le FMI vient cyniquement de publier un travail sur cette question. On doit ajouter culturel. On doit faire ce qui n’a pas été fait au début, mais qui avait été envisagé sans le dire. On se reportera à l’ouvrage indispensable de Daniel Lebègue et Christian de Boissieu : « Monnaie unique européenne, système monétaire international, vers quelles ambitions », paru aux PUF en 1991. 

L’escroquerie de l’euro a consisté à dire que c’était faisable, avantageux et de se placer, pour l’analyser,  dans la situation finale, dans la situation d’aboutissement.  C’est à dire à se placer dans la situation où tous les problèmes sont résolus, tous les déséquilibres résorbés. Dans la situation où grâce à la fluidité, grâce à la malléabilité, les Français ont cessé d’être français, les Italiens d’être italiens, les Grecs d’être grecs, etc. 

L’ennui, c’est qu’avant d’être dans la fin de l’histoire, dans la situation finale, il faut suivre le chemin du processus! Il faut y arriver. L’état final est certes l’objectif, mais ce n’est pas un guide ; le guide, il faut l’inventer. Il faut balbutier, se tromper, tromper. Le processus a été négligé et en plus escamoté par les Maîtres. On a fait « comme si » alors que précisément « ce n’était pas comme si ». 

La non convergence, la divergence réelle non prévue, mais très prévisible, a produit une crise, une accélération de l’histoire. Il a fallu en catastrophe précipiter les transitions, dévoiler ce que l’on souhaitait garder caché. Ainsi, il a fallu basculer, faire basculer la Banque Centrale, la BCE, vers un autre modèle que celui de la Buba. Il a fallu que cette Banque Centrale devienne souple, qu’elle apprenne à privilégier le court terme, le circonstanciel, l’aléatoire sur le long terme, sur le fondamental. Il lui faut faire une transition dans laquelle elle passera du stade de fille, sous tutelle bénéficiant de la réputation et du crédit de la Buba, à une situation nouvelle, amalgame hétéroclite au service du mouton à cinq pattes européen. 

Il faut gérer cette transition qui fait passer d’un objectif de discipline inter-temporelle incontournable au profit du long terme, à une flexibilité court-termiste, opportuniste. Dans cette transition, il est évident que le risque, si les marchés étaient lucides, non manipulés et donc étaient de vrais marchés, le risque est que la filiation avec la Buba vole en éclats. Que les taux explosent, que le change chute.

On passerait en un rien de temps du « père avare », au « fils prodigue ». Le crédit, la confiance, la réputation empruntés à la Bundesbank, disparaîtraient, seraient soumis à dévalorisation, dépréciation; les taux monteraient. Le processus, le fameux processus qui doit conduire à l’état final serait plus qu’interrompu, il serait anéanti.

D’où la fonction systémique de la Buba et de Weidmann, ils sont là pour faire durer le crédit de la Bundesbank le plus longtemps possible, pour faciliter la transition, le fameux processus que l’on vous a dissimulé. Les interventions oppositionnelles, critiques, de la Buba, de Weidmann, ont pour fonction systémique objective, peu importe le subjectif, ont pour fonction de freiner la dégradation, la prise de conscience de la mutation. Elles entretiennent l’espoir, le fameux, le triste espoir. Leurs interventions servent à installer ce contre quoi ils font semblants de lutter: l’ordre nouveau européen, la BCE nouvelle, celle des Maîtres. Celle qui renie le « traditionnal Central Banking ». 

On a fait la monnaie unique à crédit, celui de la Buba et la Buba accepte de prêter la main à la dépréciation de ce crédit, de cette dette; on retrouve, en concentré, tout le processus de gestion malhonnête, injuste, trompeur de la crise. Nous l’avons signalé un jour: « On peut toujours prolonger les dérives, il suffit d’accepter de dévaloriser son capital de réputation ». C’est vrai pour les firmes, pour les pays, pour les Banques Centrales,  pour les individus. 

La parole des Maîtres est au centre de la crise, au centre des remèdes face à cette crise. Mais la parole dont il s’agit n’est pas la parole faciale, celle qui se donne à entendre, non, c’est la petite musique qui se cache derrière les mots et qu’il faut transcrire, décoder, en toute liberté.

BRUNO BERTEZ Le Vendredi 4 Octobre 2013

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