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Les économistes de gauche et la tentation églitaire

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Les économistes de gauche et la tentation églitaire

Les économistes de gauche et la tentation églitaire Les travaux des économistes ouvrent parfois de nouvelles pistes de réflexion ou apportent des solutions originales aux problèmes actuels. Mais il arrive aussi que leur thèse heurte le bon sens


Les travaux des économistes ouvrent parfois de nouvelles pistes de réflexion ou apportent des solutions originales aux problèmes actuels. Mais il arrive aussi que leur thèse heurte le bon sens et porte sérieusement ­atteinte à leur image. C’est le cas de Marc Chesney, professeur de finance à l’Université de Zurich et vice-directeur de l’Institut de banque et finance. L’ enseignant zurichois défend aujourd’hui l’initiative 1:12. C’est naturellement son droit, mais son argumentation égalitaire nous paraît aussi étrange qu’inquiétante. Si elle était acceptée, à son avis, non seulement les très hauts salaires seraient revus à la baisse, mais les bas et moyens salaires seraient rehaussés. Comment croire qu’un haut responsable compenserait l’abaissement de son ­salaire par l’augmentation de ses employés? Dans une interview au SonntagsBlick, il évoque le départ de Suisse des deux grandes banques en cas d’acceptation, et en déduit un soulagement pour le contribuable suisse puisque la protection offerte par la loi sur les banques systémiques (trop grandes pour faire faillite) ne s’appliquerait plus à nos multinationales de la ­finance. A supposer que le scénario soit réaliste, à aucun moment il n’imagine le risque de départ d’autres sociétés, industrielles par exemple, et le renoncement d’autres entreprises à s’implanter en Suisse. L’initiative 1:12 ne s’appliquerait pas qu’aux managers des deux grandes banques. Elle créerait un climat défavorable à la création de richesses dans l’ensemble du pays. C’est tout le modèle économique suisse qui serait fragilisé. La gauche caviar, tendance gros sel, ne l’a-t-elle pas réalisé? La France est de ce point de vue un bon indicateur. L’offensive contre les riches pénalise le niveau de vie de l’ensemble de la population.

Le professeur zurichois, spécialiste de la finance quantitative, n’en est pas à sa première incohérence. Il avait, le 1er juillet, publié dans la NZZ une longue diatribe sur la crise financière qui avait choqué nombre d’économistes. Il y mettait bout à bout, sans analyse, tous les défauts du système financier qui ont accompagné la crise. Et pour conduire son propos vers sa cible préférée, le libéralisme, il appelait à la barre Ludwig von Mises lui-même (1881-1973), l’un des deux plus grands philosophes libéraux de l’école dite «autrichienne» et l’un des principaux adversaires de la finance «quantitative». Totalement à contresens, il osait prétendre que le système libéral défendu par Ludwig von Mises visait à améliorer le bien commun – ce qui est correct – et non celui d’intérêts particuliers – ce qui est aussi correct – et il en déduisait que Mises favorisait une société égalitaire – un non-sens absolu. Ludwig von Mises est un «minarchiste», un adversaire de l’étatisme sous toutes ses formes et un défenseur de la liberté individuelle et de l’ordre spontané. Comment un homme pour qui la «planification individuelle» est supérieure à toute planification collective vanterait-il les vertus de l’égalitarisme? D’autant plus que dès 1922, dans Le Socialisme, Mises prévoyait le nécessaire écroulement du communisme. Pour Chesney, l’Etat a-t-il été un acteur bienveillant?

Heureusement deux économistes de renom, Rudolf Walser et Alois Bischofberger, au nom d’Avenir Suisse, ont contre-attaqué et remis l’église au milieu du village. «Ce n’est pas parce que quelqu’un ne respecte pas les dix commandements qu’il faut s’attaquer à la Bible», expliquent-ils également dans la NZZ.

Dans son acharnement, Chesney ne distingue jamais entre les nombreux courants libéraux. Pourtant Mises n’est ni Hayek, ni Friedman ni Ayn Rand. Comme l’écrivent Bischofberger et Walser, on aimerait aussi que Chesney décrive le lien entre le libéralisme et le pouvoir des agences de notation issu des réglementations étatiques, les subventions à l’immobilier, l’aléa moral et les excès des rémunérations des grandes banques. Et qu’il présente une solution. C’est un peu court d’accuser le marché.

Au sein des économistes partisans d’une intervention plus forte de l’Etat contre les inégalités, mieux vaudrait nous pencher sur les idées et méthodes de Thomas Piketty L’argumentation est mieux construite, même si la solution est traditionnelle (plus d’impôts). Thomas Piketty, socialiste français, partisan (en 2009 lors d’un débat de The Economist) d’un taux d’imposition maximal du revenu de 80% et ex-conseiller de Ségolène Royal, est toutefois très critiqué pour sa méthodologie. L’essayiste, qui vient de publier Le Capital au XXIe siècle, y plaide en faveur d’une nouvelle taxe sur le capital.

L’auteur a notamment été critiqué pour son emploi des statistiques des autorités fiscales américaines lorsqu’il s’attachait à démontrer l’accélération des revenus du 1% supérieur aux Etats-Unis au début des années 1980. Sa démarche omettait toutefois les réformes fiscales et leurs effets. En effet, le taux d’imposition maximal a chuté de 70% à 35% en quelques années. Le début de la forte hausse des revenus les plus élevés coïncide exactement avec la réforme fiscale, selon le fiscaliste Alan Reynolds. En effet, les hauts salaires déclarent davantage leurs revenus si le taux d’imposition est bas. L’évasion fiscale diminue avec la baisse des impôts, explique-t-il.

En outre, Piketty estime qu’un taux d’imposition très élevé est moins dommageable que le statu quo. L’inverse est vrai: les taux d’imposition punitifs tels que ceux envisagés par Piketty ont créé de vastes distorsions économiques, selon Martin Feldstein, professeur à Harvard. Il faut savoir que la moitié des bénéfices d’entreprises se reflète dans les revenus des personnes physiques, car bon nombre d’entreprises sont familiales. Le changement du taux d’imposition modifie donc l’investissement et l’emploi. Une baisse du taux d’imposition sur le revenu de cinq points de pour-cent s’accompagne d’une hausse de 10% des investissements.

Piketty évoque «l’âge d’or» (de 1930 à 1980) de taux d’imposition supérieurs à 60%. Une époque qui n’empêchait pas la croissance. Alan Reynolds a raison de rétorquer que le contexte était différent. C’était l’époque des taux de change fixe et du contrôle des capitaux. La fin du système de Bretton Woods, l’ouverture aux échanges et l’arrivée des marchés émergents a tout changé. Les entreprises et les talents sont nettement plus mobiles. Un gouvernement dont la politique est hostile au capitalisme, comme celui de François Hollande, peut tourner le dos à la mondialisation, mais à ses risques et périls.

Pourquoi la Suisse devrait-elle suivre cette voie et accepter 1:12 ou le SMIC à 4000 francs? Les propositions des Jeunes socialistes et de Piketty supposent que la richesse des riches serait le fruit de l’exploitation des pauvres. La science économique regorge de lacunes, mais elle a au moins montré que cette théorie de l’exploitation était absurde.

Pour l’essayiste Philippe Nemo, le capitalisme n’a pas réparti autrement les richesses. Il «a fait jaillir de terre des richesses qui auparavant n’existaient pas». Les richesses par habitant ont été multipliées par 16 dans les pays capitalistes (depuis 1800) alors que Marx prévoyait une baisse des salaires réels. Cet envol n’est pas le fruit des découvertes scientifiques ou de l’emploi des matières premières, mais de l’acceptation progressive des valeurs bourgeoises, des mérites de la liberté individuelle, du commerce et de la propriété privée, ainsi que l’a montré Deirdre McCloskey.

Pour Philippe Nemo, il est donc aussi immoral qu’économiquement suicidaire de briser cette logique des échanges par la spoliation fiscale. Il va jusqu’à qualifier les conceptions de Piketty de «totalitaires», parce que «caractérisées par un stupéfiant mépris de la propriété privée, du travail et de la liberté des gens». La Suisse va-t-elle suivre cette voie-là?

Par Emmanuel Garessus/Le Temps 23/10/2013

http://www.letemps.ch/Page/Uuid/e4897e4c-3b3d-11e3-bc1a-272b5f0b0972/Les_économistes_de_gauche_et_la_tentation_églitaire

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Une utopie coûteuse Par Yannic Forney

Le revenu de base inconditionnel est une mesure coûteuse et inégalitaire, mais aussi dégradante pour l’individu en ce sens qu’elle incite l’homme à ne rien faire pour assurer sa subsistance, argumente Yannic Forney, de la Fédération des entreprises romandes

Un comité va déposer tout prochainement à la Chancellerie fédérale une initiative populaire qui a pour objectif d’instaurer un revenu de base inconditionnel (RBI). L’idée sous-jacente de cette initiative est que tout citoyen, actif ou non et vivant légalement en Suisse, toucherait une certaine somme tous les mois, sans for­malités ni conditions. Même si le texte ne mentionne pas de montant, les initiants évoquent un revenu de 2500 francs par mois pour les adultes et de 625 francs pour les moins de 18 ans.

S’il est un premier point important qu’il faut relever, c’est que le revenu de base inconditionnel tel que l’exige l’initiative n’a encore jamais trouvé d’application pratique, même s’il existe des approches qui vont dans ce sens. Même en Alaska, seul pays au monde où l’Etat verse un revenu à tous ses citoyens à titre de participation aux produits des forages pétroliers, le principe essentiel du RBI n’est pas rempli: les montants alloués sont bien trop faibles pour garantir le minimum vital.

Si la perspective d’un RBI peut ainsi, à première vue, paraître alléchante, le texte soulève de nombreux problèmes, sur lesquels les initiants ne s’attardent pas trop, en particulier celui du financement de ce nouveau modèle économique. Selon les calculs effectués par les milieux économiques, l’instauration d’un RBI obligerait l’Etat à verser plus de 200 milliards de francs annuellement à la population…

Les auteurs de l’initiative soutiennent que le revenu de base permettrait d’économiser une grande partie des prestations sociales versées en Suisse. Si le ­potentiel d’économie estimé se montait à environ 60 milliards, ils oublient de dire que le découvert annuel resterait à près de 140 milliards de francs!

Pour «colmater» une partie de ce trou financier, les initiants envisagent d’obtenir 110 milliards de francs, montant qui proviendrait de la part des salaires que les entreprises n’auraient plus à verser aux travailleurs, qui la toucheraient sous la forme de RBI. C’est donc une très mauvaise nouvelle pour les travailleurs. Pour ceux qui pensaient que le RBI viendrait s’ajouter au revenu du travail, ce n’est pas le cas. Ainsi, pour un employé qui gagnerait 7500 francs par mois, ce montant resterait inchangé avec le RBI, mais serait ­réparti différemment. Il proviendrait à hauteur de 2500 francs du RBI et à hauteur de 5000 francs du salaire. Les entreprises devraient ainsi verser les 2500 francs dans un fonds servant à alimenter, en partie, le RBI.

C’est un système qui serait de facto très inégalitaire puisqu’il privilégierait les inactifs et n’apporterait strictement rien aux actifs, si ce n’est des entraves supplémentaires. Dans ce contexte, il est certain que le RBI n’inciterait en rien au travail et entraînerait une chute globale de la motivation au travail. Comme le dit très bien l’économiste Beat Kappeler, «c’est un mensonge que de croire que notre pays fonctionnerait avec un tel système. Et c’est une négation de ce qu’est l’Homme. La dignité, c’est aussi la capacité d’assurer seul sa subsistance, sans compter sur la collectivité.»

En outre, les effets sur la performance économique seraient très néfastes. Pour financer leur projet et notamment les 30 milliards restants (200 milliards – 60 milliards – 110 milliards = 30 milliards), les initiants comptent sur une adaptation de la fiscalité. En d’autres termes, ils envisagent de passer soit par une compensation salariale (par prélèvement direct sur le salaire), soit par un relèvement de la TVA, soit par un couplage entre un relèvement de la TVA et une refonte de l’impôt fédéral direct. Selon les estimations réalisées par les milieux économiques, l’instauration d’un RBI s’accompagnerait d’une baisse du produit intérieur brut (PIB) de près de 20% et nécessiterait une hausse de la taxe sur la valeur ajoutée à plus de 50%! Ainsi, il ne faudrait pas que le citoyen soit trompé: distribuer un revenu à la population ne se fera pas sans augmenter les impôts. Et vous pouvez imaginer ce qu’il restera pour le citoyen si la quote-part de l’impôt sur le revenu progresse fortement et que la hausse de la TVA est de plus de 50%.

Ne mettons pas en danger inutilement le fonctionnement de notre modèle socio-économique tant envié dans l’Union européenne et qui prévoit déjà dans son fonctionnement le versement de prestations complémentaires, d’allocations ou de subventions pour les personnes ou les familles qui en ont la nécessité. Le RBI, c’est la mauvaise réponse à un questionnement de fond qui mérite ­réflexion. C’est également un projet coûteux qui soulève plus de questions qu’il n’apporte de réponses. Mais le pire avec ce genre de proposition, ce sont les conséquences qu’il aurait, à savoir notamment une baisse globale de la motivation à travailler, une iné­galité de fait entre les actifs et les inactifs, une recrudescence de personnes travaillant à temps partiel, une forte immigration et une baisse notable de la compétitivité de notre économie. Sans parler du rôle de l’Etat, qui deviendrait une machine à ressources financières et qui instillerait à tout un chacun une mentalité d’assisté par principe.

Solow, Prix Nobel américain d’économie à la fin des années 80, a d’ailleurs conclu dans une étude sur la US Welfare-to-Work Reform que la nation se faisait des illusions en croyant qu’il existait des solutions bon marché en matière de garantie des besoins fondamentaux. Le RBI est ainsi un projet utopique qui peut certes susciter de l’intérêt au niveau philosophique mais, si l’on se veut pragmatique, l’instauration d’un revenu inconditionnel est un mythe. Comme le veut la formule consacrée: retour à l’expéditeur!

http://www.letemps.ch/Page/Uuid/7fb4b854-2c49-11e3-8b1e-af7a7b03bf5a/Une_utopie_coûteuse

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