Behaviorisme et Finance Comportementale

De l’intérêt du mariage Par Pierre-Antoine Delhommais

 De l’intérêt du mariage Par Pierre-Antoine Delhommais

Une thèse montre une individualisation croissante du patrimoine au sein du couple.

Les dieux sont décidément bienveillants avec Silvio Berlusconi, qui lui offrent l’amour pour le consoler de ses déboires politiques.

Dans le dernier numéro du Vanity Fair italien, la présentatrice de télévision Francesca Pascale, sa jeune compagne depuis un an, a confié sa « soif de mariage » avec le Cavaliere. Une telle volonté d’officialiser et de sacraliser cette idylle peut aisément se comprendre lorsqu’on sait qu’en décembre 2012 le tribunal de Milan a condamné Silvio Berlusconi à verser à son ex-femme et ex-actrice de série B, Veronica Lario, 3 millions d’euros de pension alimentaire mensuelle (vous avez bien lu : mensuelle).

Si des romanciers comme Balzac ou Maupassant ont très tôt fouillé les liens étroits qui unissent choix patrimoniaux et matrimoniaux, c’est seulement tout récemment, dans les années 60, que la science économique a commencé à s’intéresser de près au mariage. Notamment avec les travaux de l’économiste américain Gary Becker (prix Nobel 1992). Pour lui, tout individu dispose d’un capital humain qu’il gère, tout au long de sa vie, en fonction de l’estimation coût/bénéfice des décisions qu’il prend. Avec cette grille de lecture et à grand renfort d’équations mathématiques, Becker a étudié la délinquance, l’éducation, l’immigration. Et donc aussi le mariage, considéré par lui comme un moyen pour deux individus d’améliorer leurs conditions d’existence par rapport à un statut de célibataire. »Dès lors qu’hommes et femmes sont en concurrence pour trouver le meilleur conjoint, ajoute Becker,on peut supposer l’existence d’un « marché » des mariages. » Tout cela n’est certes pas très romantique, mais c’est très intéressant.

Les recherches de Gary Becker sur le mariage continuent aujourd’hui encore d’inspirer les économistes, qui les renouvellent au gré de l’évolution sociétale considérable qu’a connue la structure des couples au cours des dernières décennies. 415 000 mariages avaient été recensés en France en 1972, 235 000 seulement en 2012. On décomptait 55 600 divorces en 1975, 132 977 en 2011. Quant au nombre de familles monoparentales, il est passé de 720 000 en 1968 à 1 760 000 en 2005.

Dans une thèse, « Essai sur l’économie de la famille », qu’il vient tout juste de présenter à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, Nicolas Frémeaux a abordé un sujet original : le rôle de la source de richesse dans le choix du conjoint. Pour cela, il a établi, à partir des enquêtes « Patrimoine » de l’Insee, l’importance relative de l’héritage et des revenus du travail dans les préférences matrimoniales. Sa conclusion : « Les héritiers sont en couple avec des héritières, tandis que les travailleurs s’attirent mutuellement. » Au-delà des conventions sociales, cette forme extrême de l’homogamie (le fait de se marier entre personnes du même milieu social) pourrait avoir une origine psychologique : le fait qu’un individu a tendance à choisir un conjoint ayant la même attitude que lui face au risque et face au temps, deux facteurs clés dans la gestion d’un patrimoine.

Autre phénomène mis en évidence par Nicolas Frémeaux : le déclin de la mise en commun du patrimoine au sein du couple depuis les années 70, avec une accélération du phénomène depuis les années 90. En 2010, seuls 45 % des couples récemment formés étaient mariés, contre 70 % en 1992. A cela s’ajoute le recours accru au contrat de mariage avec séparation de biens : moins de 10 % dans les années 70, plus de 20 % aujourd’hui.

 Cette individualisation croissante du patrimoine au sein du couple doit beaucoup à l’émancipation financière de la femme, liée à la fois à l’évolution de la législation – il a fallu attendre 1965 pour que les deux époux disposent des mêmes droits en matière de gestion du ménage – et à l’élévation de leur niveau d’éducation. En 2011, 18 % de femmes de la génération 55-64 ans étaient diplômées du supérieur, contre 47 % pour la génération des 24-34 ans. En clair, les femmes acceptent de moins en moins l’idée de se voir déposséder par un mari du patrimoine qu’elles se constituent grâce à leur travail. Et, si on s’aime bien sûr toujours d’amour fou, chacun préfère garder pour soi ses propres biens. Une sage précaution en cas de séparation, de divorce ou de rupture du Pacs.

Ce n’est pas Silvio Berlusconi qui dirait le contraire. Pierre Bourdieu avait abondamment décrit, pour mieux le dénoncer, le rôle joué par l’homogamie des mariages dans la reproduction des inégalités sociales. A travers sa vie « sentimentale » agitée et son hétérogamie décomplexée, le Cavaliere poursuit donc, d’une certaine façon, le combat du sociologue français en contribuant activement à la redistribution des richesses, fût-elle surtout horizontale.

Le Point – Publié le 24/10/2013

http://www.lepoint.fr/editos-du-point/pierre-antoine-delhommais/de-l-interet-du-mariage-24-10-2013-1747384_493.php


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