Comment abattre l’Etat islamique?
Les opérations de la coalition contre l’Etat islamique achoppent en Syrie. Une stratégie fondée exclusivement sur des frappes aériennes est vouée à l’échec
Samedi et dimanche, la coalition a visé les positions des combattants du groupe Etat isIamique (EI) qui assiègent la ville kurde de Kobane, à deux kilomètres de la frontière turque. Pourtant l’EI ne desserre pas son étau, comme si les frappes aériennes restaient inopérantes. Une question se pose donc: la stratégie de la coalition peut-elle réussir? Après huit semaines de bombardements en Irak et presque deux en Syrie, où l’EI veut établir son califat autoproclamé, il apparaît que les deux théâtres d’opération diffèrent fortement et que, sans relais au sol en Syrie, il sera peut-être possible de gêner l’EI mais pas de l’éliminer.
Les peshmergas ont annoncé vendredi une offensive majeure contre l’EI, sur trois fronts. «Nous avons repris la main. Après ses succès spectaculaires, l’EI est désormais sur le repli», a annoncé un porte-parole de la Région autonome du Kurdistan irakien, dont les peshmergas constituent l’armée régulière. En Irak, après avoir stoppé l’avancée des djihadistes, la coalition épaule, avec des conseillers, du matériel et un appui aérien, les troupes régulières irakiennes et les peshmergas qui, au sol, tentent de reprendre les territoires tombés aux mains de l’EI au cours de l’été.
Mais ce qui existe en Irak manque en Syrie. Le gouvernement de Bagdad et celui, régional, d’Erbil travaillent avec la coalition et, surtout, envoient des troupes sur le terrain. En revanche, le président syrien Bachar el-Assad n’est pas un allié de la coalition. De plus, en Syrie, la coalition n’a pas de troupes au sol et aucun allié solide pour mener le combat.
Washington envisage d’armer et d’entraîner en Arabie saoudite un contingent de rebelles modérés. Mais les Etats du Golfe et les pays occidentaux divergent quand il s’agit de dresser la liste des rebelles «acceptables». Par ailleurs, selon le Pentagone, ils ne seraient pas opérationnels avant plusieurs mois. L’autre option serait de soutenir les rebelles du PKK, qui montrent une féroce détermination dans leur combat contre l’EI, mais la Turquie s’y oppose. Quant à cette dernière, elle pourrait intervenir le long de sa frontière. Le gouvernement turc hésite cependant car il soutient certains groupes, notamment le Front Al-Nosra, que les Américains visent.
Les combats qui ensanglantent la région kurde de Kobané, dans le nord de la Syrie, à la frontière turque, illustrent les difficultés de la coalition. D’un côté, des combattants des YPG, la branche locale du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), de l’autre les djihadistes. Mais les deux camps sont si proches les uns des autres et difficiles à distinguer que les avions de la coalition n’ont pu mener de frappes décisives. «Les trois bombardements contre les positions d’EI nous ont aidés à résister. Mais il faudrait plus», explique un leader des YPG.
En raison des attaques sur les postes de commandement, sur leurs bases principales et sur leurs convois, les djihadistes sont freinés dans leur mobilité. Ils sont amenés à changer de tactique, explique l’ancien général français Claude Allard: «Ils peuvent revenir à des modes de combat moins traditionnels. En se fondant dans la population, en utilisant des boucliers humains, en ne se déplaçant que dans les zones à forte concentration humaine, ils pourront échapper aux frappes aériennes.»
Selon Rami Abdel Rahmane, le directeur de l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), «les bombardements de la coalition ont déjà provoqué la mort de dizaines de civils». Les opérations en Syrie ont des répercussions collatérales fâcheuses: le Front Al-Nosra a fait alliance avec l’EI, son ancien adversaire, pour lutter efficacement contre la coalition. Le groupe djihadiste Ahrar al-Sham menace d’en faire autant, il pourrait être rejoint par d’autres combattants islamistes. «En cas de pertes civiles, une partie de la population pourrait prendre fait et cause pour l’EI, contre l’agresseur étranger», ajoute Rami Abdel Rahmane. A Raqqa, les avions de la coalition ont bombardé jeudi des positions de l’EI. Le lendemain, les chasseurs de l’armée régulière syrienne faisaient de même. Cette confusion pourrait nuire à l’image de la coalition.
PAR BORIS MABILLARD/Le Temps 6/10/14
http://www.letemps.ch/Page/Uuid/e6aa41fc-4cc6-11e4-aef6-ddf0e2b621d7/Comment_abattre_lEtat_islamique
«Contenir Daech est une chose. L’éradiquer en est une autre…»
PAR Richard Werly/Le Temps 6/10/14
Fin connaisseur de la région, Gérard Chaliand insiste sur les deux aspects de l’offensive anti- «Daech»: militaire et politique
Dans deux semaines, Gérard Chaliand* arpentera de nouveau la frontière entre le Kurdistan irakien et les zones contrôlées par les islamistes de «Daech» (Etat islamique). Une région qu’il connaît bien et où les Occidentaux doivent accepter, selon lui, de s’engager dans des frappes aériennes de longue durée.
Le Temps: Sur le papier, Daech est une cible à la portée des avions de la coalition. Mais sur le terrain?
Gérard Chaliand: Les frappes aériennes peuvent être très efficaces pour endiguer la progression de Daech et priver ses 15 000 combattants présumés de toute liberté de mouvement ou presque. Je connais bien ces parages du Kurdistan où je m’apprête à retourner. C’est un désert de pierres. Chaque déplacement de combattants deviendra périlleux. Bien menées, les frappes vont aussi compliquer terriblement l’approvisionnement économique de Daech, qui vit, entre autres, de la contrebande de pétrole avec la Turquie. Militairement, endiguer leur progression me paraît donc tout à fait réalisable. Mais sans troupes au sol, et sans stratégie politique dans un Irak où l’Etat a disparu, l’éradication de ce mouvement sera beaucoup plus compliquée.
– Ne craignez-vous pas, comme cela fut le cas en Afghanistan, les risques de bavures qui se retourneraient alors contre la coalition?
– Pour l’heure, la stratégie affichée est de ne pas bombarder les villes. Les frappes visent des cantonnements militaires, des infrastructures, des raffineries. Si l’on s’en tient à cela, le risque que vous évoquez sera limité. Mais vous avez raison: comment faire pour déloger les combattants de Daech si on ne les combat pas au sol et si on ne les prive pas de leurs sanctuaires? La décision des Français et des Britanniques de ne pas frapper pour l’heure en Syrie est de ce point de vue difficilement compréhensible. Cela revient à laisser à Daech des zones de repli. Or, si on ne les poursuit pas, on limite l’efficacité du dispositif. La chose la plus évidente pour moi est que ces frappes devront durer. Si l’on veut durablement affaiblir Daech, il faudra maintenir la pression.
– Il faudrait donc des troupes au sol…
– Il y en a sans doute déjà. Des forces spéciales sont probablement présentes sur le terrain, aux côtés des peshmergas kurdes et des forces irakiennes. Mais cette présence semble vouée à rester confidentielle, pour marquer les cibles ou pour encadrer quelques unités combattantes. Cela ne peut pas suffire pour reconquérir les territoires perdus.
– Comment, dès lors, éradiquer Daech?
– Daech est né sur les décombres de la guerre américaine en Irak, et s’est consolidé comme force combattante entre 2007 et 2011, entre l’Irak et la Syrie. Leur djihad sunnite est une réponse aux graves erreurs commises par les Etats-Unis et aussi, on le dit trop peu, aux rapports de force régionaux, sur fond de bras de fer entre l’Arabie saoudite et l’Iran. On ne peut pas passer sous silence le fait que les militants de Daech défendent un islam ultra-rigoriste très proche de celui des Saoudiens, qui sont officiellement nos alliés et à qui l’on vend des armes. Il faut aussi noter l’ambiguïté des rapports entre ce groupe et la Turquie, laquelle vient d’obtenir la libération de ses ressortissants et, en échange, semble avoir permis à Daech de mener une offensive contre la branche syrienne du Parti des travailleurs kurdes (PKK). Contenir, affaiblir, gêner Daech sur le plan militaire est réalisable car ce mouvement qui fait paniquer les Occidentaux demeure assez faible. Demeure la question politique que pose Daech. On ne peut pas – mais c’est un sujet tabou – mettre tous nos ennemis dans le même sac. Qui est le plus dangereux aujourd’hui pour l’Occident? Daech et les remous que ce mouvement et son exaltation du djihad provoquent parmi les jeunes de nos banlieues en mal d’identité, ou le dictateur Bachar el-Assad? L’opération militaire contre Daech oblige à poser toutes ces questions.
* Dernier livre paru: «Vers un nouvel ordre du monde» (Ed. du Seuil).
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