Peut-on parler de détente entre l’Iran et l’Arabie saoudite, vieux ennemis héréditaires?
La récente rencontre entre les ministres des Affaires étrangères des deux pays a suscité des spéculations sur la possibilité d’un rapprochement entre les deux puissances du Moyen-Orient. Mais la «guerre froide» qui sévit depuis 35 ans n’est pas près d’être enterrée
Le 22 septembre dernier, Javad Zarif et le prince Saoud al-Fayçal, respectivement ministres des Affaires étrangères de l’Iran et de l’Arabie saoudite, se sont rencontrés à New York, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies. Il s’agissait du premier entretien à ce niveau entre les deux puissances régionales rivales depuis l’élection, en juin 2013, du président iranien Hassan Rohani. A l’issue de cette entrevue, les deux ministres ont déclaré vouloir ouvrir un «nouveau chapitre» dans les relations entre leur pays respectif, en «évitant les erreurs du passé» et en œuvrant ensemble afin de trouver une issue à la crise actuelle dans la région.
Mais au-delà du symbole que constitue cette rencontre, que peut-on penser de cette annonce de rapprochement? S’agit-il véritablement de la fin de la «guerre froide» qui oppose depuis trente-cinq ans les deux pays? Est-ce plus modestement le prélude à une détente qui serait une première étape dans un processus progressif de normalisation entre les deux rives du golfe Persique? Ou s’agit-il tout simplement d’un rapprochement de circonstance, destiné à mettre en place une collaboration efficace mais limitée contre la menace sécuritaire que représente l’Etat islamique pour les deux pays voisins?
Difficile, au stade actuel, de donner une réponse définitive à ces questions. Ce qu’il est au contraire plus aisé de constater, c’est qu’au-delà des bonnes intentions affichées de part et d’autre, les obstacles au rétablissement de relations normalisées entre l’Iran et l’Arabie saoudite demeurent innombrables. Jusqu’ici, l’Iran chiite et l’Arabie saoudite sunnite se sont livrés à une lutte d’influence sur la plupart des théâtres de conflit et de crise du Moyen-Orient, de Bahreïn au Yémen, en passant par la Syrie, l’Irak, le Liban ou la Palestine. Sur toutes ces questions, ils en sont restés à un jeu à somme nulle. Si la menace constituée par l’EI semble suffisamment sérieuse pour les rapprocher en Irak, rien n’indique qu’il en sera de même sur les autres terrains de rivalité. Ainsi, les développements cette semaine au Yémen, caractérisés par une prise de contrôle par les rebelles chiites Houthi – que le chef de l’Etat yéménite accuse l’Iran de soutenir – de points stratégiques de la capitale du pays, suivie d’affrontements violents avec des forces pro-gouvernementales, puis de la signature d’un accord de paix sous l’égide des Nations unies modifiant l’équilibre des forces politiques au profit des rebelles chiites, invitent à la prudence. Le Daily Star de Beyrouth constatait à ce propos que la rencontre de New York entre les représentants iranien et saoudien n’avait apporté «aucun développement positif» au regard de la situation explosive au Yémen. Un autre exemple de position divergente entre les deux Etats concerne les bombardements américains contre l’EI en Syrie, auxquels l’aviation saoudienne participe. Pour Téhéran, ces bombardements sans l’aval de Damas sont «illégaux», comme l’a déclaré le président Rohani, et ils portent atteinte à la souveraineté syrienne. Au-delà des questions de droit international que ces opérations peuvent poser, ce que cherche essentiellement la partie iranienne par ces déclarations, c’est surtout à faire avaliser la présence de Bachar el-Assad comme partenaire incontournable de la coalition internationale assemblée par Washington pour lutter contre l’EI, un objectif inacceptable jusqu’ici pour les Saoudiens. Riyad, qui coopère avec divers groupes de l’opposition syrienne depuis plusieurs années, a de son côté choisi d’accueillir sur son territoire des camps d’entraînement pour la formation accélérée de rebelles syriens «modérés», dans le cadre de la stratégie de lutte contre l’EI définie par Barack Obama. Un développement fâcheux pour Téhéran.
A ces éléments, il convient d’ajouter un lourd passé de contentieux, qui remonte à la prise du pouvoir en 1979 par Khomeiny. Ce dernier a toujours considéré l’islam saoudien comme un «islam américain», tout en voulant retirer à l’Arabie saoudite son titre de gardien des lieux saints de l’islam pour les mettre sous contrôle international. Le fondateur de la République islamique a également encouragé les pèlerins iraniens à organiser des manifestations anti-saoudiennes à La Mecque à l’occasion du Hadj(pèlerinage).
Au-delà des considérations de type «idéologique», cette attitude agressive durant la première décennie de la fondation du régime islamique iranien, était aussi un effet de la guerre Iran-Irak (1980-1988) qui a conduit l’Arabie saoudite, comme l’immense majorité des Etats arabes, à soutenir Saddam Hussein. Une position que tous les responsables iraniens n’ont pas oubliée. Dans les décennies suivantes, la rivalité entre les deux pays au Moyen-Orient et dans les espaces post-soviétiques (Asie centrale, Caucase), leurs positions divergentes sur des questions comme la guerre civile en Afghanistan ou au Yémen, la tentative alléguée de coup d’Etat au Bahreïn (1996), l’attentat des tours Khobar à Dahran (1996), diverses affaires d’espionnage, la question du programme nucléaire iranien ou encore, plus récemment, le complot iranien allégué en vue d’assassiner l’ambassadeur saoudien aux Etats-Unis en 2011, ont contribué à entretenir la méfiance.
Enfin, les intentions du président Rohani et ses capacités à mettre en œuvre un rapprochement interrogent. S’agit-il d’une réelle ouverture ou d’un simple mouvement tactique? Rohani dispose-t-il des leviers nécessaires pour maintenir le cap d’un rapprochement, si c’est la direction réelle qu’il a choisie? Il n’y a pas de réponses simples à ces questions. On a, déjà par le passé, assisté à des ouvertures de l’Iran à l’égard de l’Arabie saoudite après la disparition de Khomeiny, notamment lors des présidences «pragmatiques» de Hachemi Rafsandjani (1989-1997) et «réformiste» de Mohammad Khatami (1997-2005), sans que cela n’aboutisse finalement à une relance réelle des relations entre les deux puissances régionales. Comme ces prédécesseurs, Hassan Rohani peut se heurter à de nombreuses difficultés et à des obstacles imprévus, tant sur le plan intérieur qu’extérieur dans la mise en œuvre de sa politique à l’égard de Riyad.
Par ailleurs, au sein de l’élite iranienne, il ne semble pas y avoir actuellement de consensus sur la question des relations avec l’Arabie saoudite. Malgré les déclarations de Rohani en faveur d’une amélioration des relations avec Riyad, de nombreuses actions concrètes poursuivies par Téhéran contredisent ce positionnement. Outre les exemples yéménite et syrien cités plus haut, dans le cas de Bahreïn également, malgré quelques rumeurs, aucun rapprochement ne s’est encore dessiné entre les deux pays. Le soutien, ininterrompu jusqu’ici, que la République islamique apporte aux divers mouvements chiites partout au Moyen-Orient ne va pas non plus dans le sens des intérêts saoudiens. Par ailleurs, les dénonciations récurrentes de l’action de l’Arabie saoudite et de ses liens prétendus avec l’Etat islamique restent très nombreuses, aussi bien dans les médias iraniens que dans le discours de responsables politiques et militaires. En Arabie saoudite fleurissent dans l’autre sens les accusations à l’encontre de Téhéran de s’ingérer dans les affaires du monde arabe, et s’exprime la crainte de voir se mettre en place un «nouveau Moyen-Orient» dominé par un Iran hégémonique. Dans ces conditions, il demeure difficile de parler aujourd’hui de fin d’une «guerre froide» ou simplement d’une véritable détente dans les relations entre les deux voisins. Tout au plus peut-on parler, au stade actuel, d’un processus de désescalade entre les deux pays, accompagné d’une entente tactique face à l’EI.
PAR MOHAMMAD-REZA DJALILI/ Le Temps 3/10/14
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Catégories :Moyen Orient, Propagande et Manipulation, REBLOG, Risques géopolitiques













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