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Les Clefs pour Comprendre du Dimanche 8 Février 2015 : Le Grand Secret, la vieille taupe creuse sous vos pieds Par Bruno Bertez (1ère partie)- Quand le dette remplace les salaires

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Les Clefs pour Comprendre du Dimanche 8 Février 2015 :  Le Grand Secret, la vieille taupe creuse sous vos pieds Par Bruno Bertez (1ère partie)- Quand le dette remplace les salaires

Le pouvoir, en général, repose sur le secret. C’est parce qu’il y a des secrets qu’il y a des grands prêtres, des prophètes et des élites. Bref des sujets supposés savoir. Tous ces gens sont censés  avoir accès à ce savoir et c’est cet accès qui en fait des privilégiés, au-dessus des autres. Tous ces secrets les dépassent. Ils feignent de conduire ces mystères qui fixent votre destin. La dette est la taupe qui mine notre système. 

Voici une piste de recherche pour les Conspirationnistes.  Dans notre système, il y a un grand secret. Un secret qui, comme tous les secrets -on se souvient de la lettre volée d’Edgar Poe- est tellement évident, crève tellement les yeux, qu’il rend aveugle: ce secret, c’est que notre monde est submergé de dettes. Et que l’on a trouvé le moyen de les gonfler à l’infini et de faire comme si  on pouvait les repousser à perpétuité. 

Notre monde  est tellement submergé de dettes qu’il a tendance à crouler sous leur poids, qu’il s’épuise à les traîner, qu’il a tendance à déflater comme on dit en langage politiquement-banquier centralement correct. Vous pédalez, le nez dans le guidon, et pourtant vous faites, au mieux, du surplace. Notre monde, dit-on, est sous le risque de la déflation. Il risque la baisse du niveau général des prix, car l’offre est supérieure à la demande de biens et services. Il souffre d’une insuffisance de la demande globale, dixit Bernanke et Draghi. 

Les gens n’achètent pas assez en regard de ce qui pourrait être disponible. On met les usines à l’arrêt et les hommes au rencart, faute de clients solvables. Si les clients ne sont pas solvables, c’est, bien sûr, parce qu’ils n’ont pas assez d’argent, pas assez de revenus ; car des besoins et des désirs, alors là, il y en a, à profusion. Dans notre monde, on manque de pouvoir d’achat, de revenus, et les consommateurs n’ont pas assez de salaires, rémunérations pour satisfaire leurs demandes et faire tourner les entreprises. C’est normal car dans le monde des pays développés, les salaires réels distribués disponibles après prélèvements obligatoires ne progressent plus depuis 20 ans. Les chiffres sont particulièrement nets aux USA car les statistiques là-bas, officielles et privées, abondent. Jamais le partage de la valeur ajoutée n’a été aussi défavorable aux salariés. 

C’est moins net en Europe mais cela ne change rien au raisonnement, puisque l’on nous dit -Draghi nous dit- que nous risquons la déflation pour cause d’insuffisance de la demande. En Europe, nous souffrons d’une demande chroniquement trop faible parce que nous distribuons trop peu de pouvoir d’achat à nos salariés. Nous distribuons trop peu de pouvoir d’achat parce que si nous distribuions plus, nous ne serions plus compétitifs, le chômage augmenterait. Remarquez qu’il augmente déjà et en continu et  que ceci indique que, « normalement », les salaires devraient encore baisser. C’est ce que  disent Hollande et maintenant Macron lorsqu’ils donnent la priorité à la reconquête de la compétitivité. 

Il y a donc un dilemme. La demande globale est trop faible pour faire tourner la machine économique, pour investir et mettre les gens au travail. Pour hausser le niveau de la demande, il faudrait distribuer plus de pouvoir d’achat. Pour distribuer plus de pouvoir d’achat il faudrait monter les salaires. Mais si on augmente les salaires, on ferme les entreprise et on met les gens au chômage, c’est à dire qu’ils perdent leurs revenus. Et ce dilemme est incontournable, c’est une contradiction majeure, une aporie.

 Alors qu’est-ce que l’on fait ? 

On fait plusieurs choses et le dosage des choses varie en fonction des pays, des systèmes et des cultures. 

La première est que l’on fait ce que l’on appelle du keynésianisme. Le keynésianisme, c’est cette forme de socialisme inventée par les Anglo-saxons pour « dépasser les contradictions du capitalisme ». Qu’est-ce que cela veut dire, faire du keynésianisme? Le keynésianisme, c’est en termes laïcs, l’équivalent de la charité chrétienne, on donne aux pauvres pour que le système continue de tourner. Cela veut dire que s’il n’y a pas demande suffisante pour faire tourner les entreprises, et mettre les gens au travail, alors on crée de la demande fictive. De la demande qui ne correspond à aucun revenu gagné, à aucun salaire ou à aucun intérêt de l’épargne. On distribue de l’argent, que l’on a ou que l’on n’a pas, sous forme de subventions, d’allocations, d’indemnités chômage, bref on fait du social. C’est ce que l’on appelle les amortisseurs keynésiens. On distribue de l’argent à ceux qui n’en gagnent pas, soit en le prenant à ceux qui en gagnent encore, soit en « inventant » cet argent, c’est ce que l’on appelle faire des déficits. C’est ce que l’on appelle symétriquement faire des dettes. 

Mais la distribution bute sur deux limites. 

En effet, si on distribue ce que l’on prend aux autres, alors la production est pénalisée, les charges dites sociales deviennent excessives et on devient moins compétitif. La seule différence est que l’on devient moins compétitif indirectement par les charges sociales excessives au lieu de le devenir directement par les salaires trop élevés. C’est typiquement la situation de la France, le poids des charges dites de répartition, keynésiennes, est devenu insupportable. 

En effet, disons-nous, la redistribution bute sur deux limites, la seconde, c’est celle de « l’invention » de l’argent, c’est à dire la fabrication de déficits, c’est à dire l’endettement. Car les facilités de l’argent tombé du ciel, les facilités et les délices de la dette ne sont pas éternelles, il arrive un moment où trop c’est trop. Les dettes deviennent trop élevées, elles dépassent les possibilités de remboursement et c’est ce que l’on appelle le surendettement. On est insolvable. La solvabilité est la limite à l’augmentation des dettes. C’est ce qui est arrivé en 2007/2008, partout dans le monde dit développé. A la faveur de la défaillance du secteur immobilier anglo-saxon et de la normalisation des prix du logement, on s’est aperçu, il s’est révélé que le monde était noyé sous les dettes et qu’il ne pouvait y faire face, c’est à dire payer les intérêts et assurer les échéances de remboursement. La défaillance de l’immobilier anglo-saxon a gagné de proche en proche tous les secteurs et tous les pays, la confiance ou plutôt les illusions ont disparu et comme l’a dit Warren Buffett, on a vu ceux qui se baignaient nus. C’est ce qui s’est passé en 2010, la prise de conscience du fait que certains se baignaient nus a touché l’Europe. On a vu que la Grèce d’abord, puis les autres pays du sud et l’Irlande étaient « à poil » et on a arrêté de leur prêter de l’argent. Ce que l’on appelle la crise de la dette euro. 

Vous remarquerez que l’on s’est bien gardé d’appeler un chat un chat et que l’on s’est efforcé à chaque rebondissement/extension de la crise de faire croire qu’il s’agissait d’événements isolés. Une des composantes du Grand Secret, c’est la dissimulation du fait que la crise est un tout et qu’elle est globale. Une seule fois, Bernanke a admis que la crise des subprimes n’était qu’un symptôme. Une seule fois en 7 ans. Qui, en ce moment, ose dire que les difficultés dans lesquelles se débattent la Chine, le Brésil, la Turquie, etc. sont des manifestations, des modes d’apparaître de la crise, la seule et même crise? Le saucissonnage fait partie des techniques du Secret.

 La solution de la redistribution keynésienne, disions-nous, devient caduque, bloquée, inadéquate. 

Il y a une seconde solution parallèle au keynésianisme classique, mais foncièrement différente. Au lieu de distribuer des revenus non gagnés pour soutenir la demande, alors on se dit que l’on a trouvé la panacée, il suffit de faire en sorte de créer du crédit.  Il faut faire sorte que les gens, les entreprises, les institutions, les gouvernements, même quand ils n’ont plus de sous, aillent à la banque et demandent du crédit. La somme des revenus gagnés est complétée par un pouvoir d’achat en provenance de la dette, le « revenu global » du système est ainsi bonifié et la somme de ce qui est gagné et de ce qui est emprunté sert à acheter, donc à faire tourner la machine économique. Le crédit, cela consiste à piller la demande future. Cela, c’est le système anglo-saxon fondé sur ce que l’on appelle le « deficit spending », on dépense ce que l’on n’a pas, en augmentant ses dettes. Et c’est vrai pour tous ceux qui dépensent, à savoir les ménages, les entreprises, les institutions et les gouvernements. Dans ce système, on  augmente ses possibilités d’acheter plus par des dettes nouvelles. 

Hélas, comme dans le cas keynésien classique décortiqué ci-dessus, il y a une limite et cette limite c’est la confiance, c’est à dire l’illusion que l’on peut s’endetter à l’infini, l’illusion que l’on peut honorer les paiements d’intérêt, les remboursements. Bref, là aussi la limite, c’est le surendettement, la solvabilité. 

C’est à ce point qu’il y a convergence entre les deux types de solutions, la keynésienne classique et la keynésienne dite moderne, financière, toutes deux butent sur la possibilité d’augmenter les dettes à l’infini, la possibilité de toujours compléter le vrai pouvoir d’achat gagné par un pouvoir d’achat tombé du ciel, c’est à dire un pouvoir d’achat à crédit. 

Il y a convergence car la question est la même, comment continuer à créer du pouvoir d’achat direct ou indirect sans augmenter les revenus et alors que l’on a touché les limites de la création de pouvoir d’achat par la dette? Répondons tout de suite à la question de savoir pourquoi on ne peut augmenter les revenus gagnés, distribuer plus de salaires. Et bien, c’est pour des raisons de compétitivité. Si on monte les salaires ou si on monte les charges sociales, alors, on cesse d’être compétitif et on perd des parts de marché, les entreprise ferment et le chômage s’accroît, ce qui réduit la demande ; on est coincé de ce côté dans un système régi par la loi suprême de la concurrence. Donc il faut dépasser les limites que le risque de surendettement impose à la dette. Et ceci est valable pour tout le monde. Quelle que soit l’origine des dettes, quels que soient les agents économiques endettés. Et c’est là où surgit notre fameuse « printing machine » chère à Bernanke. « Nous avons à notre disposition un instrument que nous pouvons utiliser sans effort, qui ne nous coûte rien, une machine à produire de la monnaie électronique ». Cette machine, il suffit de la faire marcher et de donner le produit de cette machine aux banques, aux gouvernements, aux pouvoirs politiques. Nous pouvons acheter ses dettes, leurs dettes, afin qu’ils dépensent sans avoir besoin de prélever et sans qu’ils aient à se soucier de leur solvabilité. Grâce à la fameuse printing machine électronique, un coup de clavier, et nous créons des trillions qui servent à acheter les dettes des gouvernements et à sécuriser/solvabiliser  les banques. Et ainsi le cycle du crédit peut être prolongé. En outre, cela permet de faire chuter les taux d’intérêt, ce qui rend le coût des dettes nouvelles quasi nul et en même temps revalorise les dettes anciennes car leur valeur monte quand les taux baissent. Grâce à notre printing machine, le manège de la dette peut continuer et, ce qui est extraordinaire, n’est-ce pas, au lieu de s’appauvrir, les gens se sentent plus riches!  C’est la quadrature du cercle enfin résolue, le mouvement perpétuel et le free lunch enfin possible, réunis. Nous avons vaincu la rareté. Nous avons échappé à la pesanteur. 

Avant la merveilleuse printing machine de Bernanke, maintenant prêtée à Draghi, le monde aurait dû se soumettre aux lois de la rareté et de la pesanteur. En 2008, le système aurait dû se purger de tout l’excès de dettes improductives, détruire les dettes sans valeur économique, restructurer celles  qui étaient encore sauvables mais fragiles,  bref il aurait du s’assainir. On aurait du « extirper toute la pourriture ». Ce choix a été refusé. Il a été refusé parce que la « printing machine » existait et que les élites se sont dit : « tentons de dépasser les limites, faisons encore un tour, repoussons le problème, nous verrons bien plus tard, si une occasion se présente de faire autre chose, ou si les miracles existent ». 

Et voici ce que cela donné : 

Tout au long des sept dernières années, les dettes mondiales ont continué de galoper, d’enfler. En 2014, toutes les économies ont un ratio de dettes rapportées à  la richesse produite, au GDP, très supérieur à celui de 2007! Une incidente : rapporter les dettes au GDP est une entourloupe, car c’est supposer que l’on peut prélever sur les GDP à l’infini, or plus le pourcentage de prélèvement fiscal dans un pays est élevé et moins il reste de place pour prélever plus. Plus la part de l’Etat augmente et, moins cette part peut encore augmenter. C’est le problème de la France par exemple. 

En 7 ans, la dette globale a progressé de plus de 57 Trillions. Ainsi le ratio de dettes rapportées au GDP est passé de 269% à 286%. Une hausse qui équivaut à 17 points du GDP global! En 2000 la dette globale était de 87 Trillions, en 2007 elle était de 142 trillions, en 2014 elle est de 199 Trillions. 

De 2000 à 2007, la dette globale a progressé au taux composé de 7,3%, de 2007 à 2014, elle a progressé au taux composé de 5,3%. Nous vous rappelons que nous sommes censés être en déflation et que la croissance des économies réelles n’est pas la moitié de ce qu’elle était entre 2000 et 2007. 

La progression des dettes des ménages a ralenti quelque peu en raison des faillites dans l’immobilier, de la dette a été détruite, mais la progression en taux composé a été de 2,8% l’an. 

La progression de la dette des entreprises ne s’est jamais ralentie alors que l’investissement est atone, elles ont augmenté leur endettement au rythme de 5,9% l’an ; il faut bien financer les fusions acquisitions et les rachats -déflationnistes- de titres, n’est-ce pas ? 

La progression des dettes de la finance s’est ralentie à un rythme de 2,9%, ce qui traduit à la fois une certaine prudence, mais aussi le transfert de la charge de création du crédit sur les gouvernements et leurs agences. Nous considérons méthodologiquement que les banques Centrales sont des Banques comme les autres et qu’elles doivent être intégrées au secteur financier. En conséquence, nous affirmons  que le vrai levier, le vrai endettement  du secteur financier doit inclure le bilan des Banques Centrales. Ce qui rend le deleveraging du secteur illusoire. 

La progression des dettes des gouvernements a explosé, le rythme de progression a quasi doublé à 9,3% l’an. En valeur absolue, la dette des gouvernements a monté de 25 Trillions. Ce qui traduit la prise en  charge du fardeau de la création de dettes par la collectivité, par la société civile, bref par les citoyens. C’est sur eux que l’on a transféré à la fois le coût et les risques de la dette!  

La charge de la dette, la charge de créer de la dette, c’est un coût pour la collectivité, c’est le coût de production d’une demande suffisante pour faire tourner le Système dans sa configuration actuelle. Et ce coût monte, monte pour une croissance qui, elle, devient dérisoire. Le rendement des dettes en terme de capacité à faire tourner la machine économique et à produire de la croissance est fortement décroissant. C’est une autre composante du Grand Secret. 

A fin 2014, la dette en valeur absolue est supportée à hauteur de 40 Trillions par les Ménages, 56 Trillions par les Entreprises, 45 Trillions par la Finance, 58 Trillions par les Gouvernements. 

Au cours de la période 2007/2014, il n’ y a pas eu de désendettement, pas de deleveraging, pas de destruction significative, pas de restructuration. Ce qu’il y a eu, c’est un transfert sur… vous. La fortune des ultra-riches riches s’est inflatée.  Non seulement les inégalités se sont accrues, mais les peuples ont un passif qui augmente et dont ils ne se doutent pas. 

Il faudrait une croissance exceptionnelle, accélérée, pour faire face aux dettes alors que le poids des dettes, au contraire, ralentit la croissance jusqu’à l’asphyxier. Il faudrait une hausse des impôts d’ampleur inimaginable pour rendre les gouvernements solvables, mais… la hausse des impôts tuerait le peu de croissance qui subsiste et pousserait les gens dans la rue. 

Restent les solutions exceptionnelles. Et vous comprenez pourquoi, partout dans le monde, sous prétexte de terrorisme,-que d’ailleurs on encourage-, on prend des mesures de contrôle et de répression des peuples afin de se préparer à …  à faire face aux réactions qui, un jour, se produiront face aux inévitables « solutions exceptionnelles ». Ainsi, dans la perspective des futures solutions exceptionnelles, on militarise la police. 

Un mot sur la Chine. C’est le maillon faible, sous cet aspect des dettes. La dette en Chine a été multipliée par 4 en 7 ans, elle atteint 28 Trillions. Elle représente 282% du GDP. Pas étonnant que le moteur de la croissance mondiale se grippe, que le prix des matières premières et du pétrole chutent.  

Sources :

Simon Kennedy Bloomberg, A world overflowing with debt

Ralf Atkins FT, Debt mountains sparks fears of another crisis

Mac Kinsey Global, Dobbs, Lund, Woetzel, Matafchieva, Debt and not much deleveraging

BRUNO BERTEZ Le Dimanche 8 Février 2015 

illustrations et mise en page by THE WOLF

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