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Repenser le ciblage de l’inflation Par Axel Weber

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Repenser le ciblage de l’inflation Par Axel Weber

Project Syndicate 8/6/2015

ZURICH – Ces deux dernières décennies, le ciblage de l’inflation est devenu le cadre prédominant de la politique monétaire. Il a été adopté sur le fond par les grandes banques centrales (au moins implicitement), y compris par la Réserve fédérale américaine, la Banque Centrale Européenne et la Banque Nationale Suisse. Mais la crise économique mondiale de 2008, dont le monde ne s’est pas encore totalement remis, a jeté un doute sérieux sur cette approche.

La Banque des Règlements Internationaux a longtemps soutenu que le pur ciblage de l’inflation n’est pas compatible avec la stabilité financière. Il ne tient pas compte du cycle financier et produit ainsi une politique monétaire excessivement expansionniste et asymétrique. En outre, un argument important en faveur du ciblage de l’inflation (selon lequel il aurait contribué au déclin de l’inflation depuis le début des années 1990), est au mieux incertain. La déflation réellement a commencé au début des années 1980, bien avant l’invention du ciblage de l’inflation, grâce aux efforts concertés de Paul Volcker, l’ancien Directeur du Conseil d’administration de la Réserve fédérale des États-Unis. Et depuis les années 1990, la mondialisation (en particulier l’intégration de la Chine dans l’économie mondiale), a probablement été la principale raison de la baisse de la pression inflationniste mondiale.

Une indication plus récente, qui indique que le ciblage de l’inflation n’a pas causé la désinflation constatée depuis les années 1990, est la tentative infructueuse par un nombre croissant de banques centrales de relancer leur économie. Si les banques centrales sont incapables d’augmenter l’inflation, il tombe sous le sens qu’elles n’ont pas dû jouer un grand rôle dans sa réduction.

Le fait est que l’objectif initial des banques centrales n’était pas la stabilité des prix à la consommation. Car les indices des prix à la consommation n’existaient même pas lorsque la plupart d’entre elles ont été fondées. Les banques centrales ont été créées pour fournir un financement de l’effort de guerre aux gouvernements. Par la suite, leur mission a été élargie à celle de prêteur du dernier recours. Il aura fallu attendre l’inflation excessive des années 1970 pour que les banques centrales découvrent (ou plutôt redécouvrent), les bienfaits liés à la surveillance de stabilité de la valeur de leur monnaie.

Mais comment mesurer la valeur de l’argent ? Une approche se concentre sur les prix : l’indice des prix paraît être alors l’indicateur le plus pertinent. Le problème est que la relation entre la masse monétaire (qui détermine finalement la valeur de l’argent) et le prix est instable.

Tout d’abord, le temps de latence entre l’évolution de la masse monétaire et les fluctuations des prix est long, variable et imprévisible. Ceci étant posé, le ciblage des prix à la consommation dans les 2 à 3 prochaines années ne garantit pas que la valeur de l’argent reste stable à long terme.

En outre, les différentes méthodes de collecte des prix à la consommation donnent différents résultats, en fonction du traitement des coûts du logement et de l’ajustement hédonique des prix. En bref, la politique monétaire a été façonnée par un petit sous-ensemble de prix imprécis et dont le nombre a en outre tendance à réduire. Ce sous-ensemble accuse des retards longs et variables par rapport aux variations de la masse monétaire.

Malheureusement l’effort des responsables des politiques monétaires consistant à s’assurer que la valeur de l’argent reste stable a acquis une existence autonome. Les manuels de sciences économiques actuels supposent qu’un des objectifs essentiels des banques centrales consiste à stabiliser les prix à la consommation, plutôt que la valeur de l’argent.

En outre, les économistes comprennent maintenant l’inflation comme une augmentation des prix à la consommation ; et non plus comme un déclin de la valeur de l’argent résultant d’une augmentation excessive de la masse monétaire. Pour encore aggraver les choses, les banques centrales nient systématiquement la responsabilité de tous les prix autres que les prix à la consommation, ignorant ainsi que la valeur de l’argent se reflète dans tous les prix, y compris ceux des matières premières, de l’immobilier, des actions, des obligations et peut-être de manière plus importante encore, dans celui des taux de change.

En bref, alors que la stabilisation des prix par l’intermédiaire du ciblage de l’inflation est un objectif louable, la focalisation étroite des banques centrales sur les prix à la consommation (sur un laps de temps relativement court, au moins), est insuffisante pour y parvenir. Cela a été souligné par la flambée des prix du logement dans de nombreux pays à la veille de la crise financière de 2008, par la chute du prix des actifs et des matières premières immédiatement après l’effondrement de Lehman Brothers, par le retour à l’inflation du prix des actifs depuis lors et par les importantes fluctuations monétaires récentes. Tous ces faits sont contradictoires avec une valeur stable de la monnaie.
La focalisation exclusive des banques centrales sur les prix à la consommation peut même être contre-productive. En sapant l’allocation efficace du capital et en favorisant les mauvais investissements, la politique monétaire axée sur l’IPC déforme les structures économiques, bloque la destruction créatrice favorable à la croissance, crée un risque subjectif et sème les graines de l’instabilité future dans la valeur de l’argent.

Au sein d’une économie complexe et en constante évolution, un cadre simpliste de ciblage de l’inflation ne stabilisera pas la valeur de l’argent. Plutôt qu’une formule limpide, seule peut réussir une approche de politique monétaire tout aussi complexe et hautement adaptable : une formule mettant l’accent sur la gestion des risques et sur le recours au jugement prudent des responsables politiques. Une telle approche a des chances d’être moins prévisible, d’éliminer toute forward guidance, de décourager toute prise de risques excessive et de réduire le risque subjectif.

L’histoire nous donne quelques exemples de ce à quoi pourrait ressembler un cadre orienté sur la stabilité. Durant le dernier quart du XXème siècle, de nombreuses banques centrales ont utilisé des cibles intermédiaires, notamment les agrégats monétaires. De telles cibles ont pu être appliquées potentiellement au crédit, aux taux d’intérêt, aux taux de change, aux cours des capitaux et des matières premières, aux primes de risque et/ou aux prix des biens intermédiaires.

La stabilité à court terme des prix à la consommation ne garantit pas la stabilité économique, financière ou monétaire. Il est temps que les banques centrales acceptent ce fait et adoptent une approche de politique monétaire globale et à long terme, même si cela signifie qu’à court terme, l’inflation des prix à la consommation s’écarte de ce que l’on tient à présent pour la « stabilité des prix ». Les fluctuations temporaires d’un IPC restreint et mesuré de manière imprécise sont un prix modique à payer, pour garantir la stabilité à long terme de l’argent.

//www.project-syndicate.org/commentary/rethinking-inflation-targeting-price-stability-by-axel-weber-1-2015-06/french#i5BwevwKgsoTGq1l.99

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