Art de la guerre monétaire et économique

đŸŒĄïž “Si la fiĂšvre est trop forte, c’est la faute du thermomĂštre !”

De Staline/Kondratiev à Trump/Powell : chronique d’une rage contre les chiffres


1) Casser le thermomÚtre, un vieux réflexe de pouvoir

Quand le rĂ©cit politique dĂ©raille, le premier suspect devient l’instrument de mesure. L’inflation grimpe ? Mauvaise mĂ©thodologie. Le chĂŽmage rĂ©siste ? Mauvais calcul. La croissance cale ? Mauvais modĂšle.
Le problĂšme, ce n’est pas la fiĂšvre : c’est ce satanĂ© thermomĂštre. Changeons l’indice, rebaptisons l’agrĂ©gat, “modernisons” la sĂ©rie — et, avec un peu de chance, la rĂ©alitĂ© finira par suivre l’excel.


2) Staline vs. Kondratiev : tuer l’indicateur, puis l’économiste

Nikolai Kondratiev a eu le tort, dans les annĂ©es 1920–30, d’observer que le capitalisme Ă©voluait en longues vagues (hausses et refluements, innovation puis purge), et surtout qu’il ne s’effondrait pas mĂ©caniquement.
Pour Staline, c’était un crime mĂ©taphysique : dire que le systĂšme en face se rĂ©gĂ©nĂšre revenait Ă  blasphĂ©mer le dogme. Verdict : arrestation, silence forcĂ©, exĂ©cution.
Message gravĂ© dans l’airain : si les chiffres contredisent l’idĂ©ologie, on dĂ©truit les chiffres
 et ceux qui les produisent.


3) Trump vs. Powell : quand le récit exige une météo permanente au beau fixe

Fast forward. Un siĂšcle plus tard, une dĂ©mocratie mĂ©diatique remplace la dictature — mais le rĂ©flexe persiste, en version tĂ©lĂ©visĂ©e.
Quand la Réserve fédérale (Powell) remonte les taux parce que la fiÚvre (inflation) est trop forte, le réflexe politique consiste à accuser le thermomÚtre :

  • “La Fed Ă©touffe la croissance !”
  • “Les chiffres exagĂšrent l’inflation !”
  • “Les modĂšles ne tiennent pas compte de l’élan unique de notre Ă©conomie !”

Traduction : les lois de la gravitĂ© monĂ©taire devraient s’incliner devant le volontarisme narratif. À dĂ©faut de sceller la bouche des statisticiens, on sature les Ă©crans, on ratio le gouverneur, on sermonne le BLS, on rĂȘve de KPI “patriotiques”.


4) La tentation du tableau de bord magique

La politique adore trois illusions :

  1. L’agrĂ©gat miracle (un seul chiffre qui dit tout).
  2. La rùgle simple (“toujours baisser les taux”, “toujours relancer”).
  3. Le bouc Ă©missaire (la Fed, le CBO, “les modĂšles”, “les marchĂ©s”).

Sauf que l’économie, c’est un moteur Ă  cliquets : ce que vous gagnez en emploi, vous le payez en prix ; ce que vous rĂ©cupĂ©rez en croissance, vous le solderez en coĂ»ts du capital. Goodhart a prĂ©venu : un indicateur cesse d’ĂȘtre fiable dĂšs qu’il devient un objectif politique. Et Lucas a doublĂ© la mise : les agents s’adaptent aux rĂšgles, les rendant caduques.


5) Le “théùtre des chiffres” : quand tout le monde truque
 Ă  sa maniĂšre

  • Le pouvoir met en avant les sĂ©ries qui l’arrangent (glissement annuel quand le mensuel pique, “core” quand l’headline flambe, “median” quand la moyenne dĂ©raille).
  • L’opposition fait l’inverse (mensuel dramatique, panier “rĂ©el” du citoyen, anecdotes saignantes).
  • Les marchĂ©s n’aiment qu’une chose : la cohĂ©rence. Ils pardonnent l’inflation ou le ralentissement, pas l’illusionnisme.

6) Kondratiev avait raison sur un point cruel

Les économies respirent par cycles. On peut lisser, atténuer, temporiser. On ne peut pas abolir la respiration.
Staline a choisi la balle.
Les populistes modernes choisissent le tweet.
Mais l’un comme l’autre dĂ©testent la contradiction statistique — parce qu’elle casse le rĂ©cit, donc l’emprise.


7) Moralité : gardez le thermomÚtre

Vous pouvez hurler contre les séries, vous ne pouvez pas négocier avec la thermodynamique :

  • Si la demande est en surchauffe, le prix du temps (les taux) grimpe.
  • Si l’offre cale, les prix mordent.
  • Si vous criez au complot des “modĂšles”, le spread vous rĂ©pondra avec un haussement d’épaules et quelques points de base de punition.

Casser le thermomĂštre signe toujours le mĂȘme aveu : on prĂ©fĂšre l’histoire au rĂ©el.
Et le rĂ©el, comme l’inflation, finit toujours par revenir dire bonjour.


Epilogue (aigre-doux)

Staline a fait taire Kondratiev ; les démocraties, elles, lui coupent le micro par vacarme.
Mais dans le vacarme comme dans le silence, les cycles continuent. Et la fiÚvre, elle, ne lit pas les communiqués.

📜 AllĂ©gorie : Le Messager et le ThermomĂštre

À AthĂšnes, on disait que, quand la citĂ© recevait une dĂ©pĂȘche funeste, certains magistrats prĂ©fĂ©raient punir le messager plutĂŽt que d’affronter la nouvelle.
Un jour, arriva un coureur couvert de poussiĂšre :
— La flotte est perdue.
On lui coupa la récompense, parfois davantage.
La mer n’en devint pas plus clĂ©mente.

Des siĂšcles plus tard, le coureur s’appelle statisticien, banquier central, institut de mesure. Il n’apporte plus des rouleaux, mais des indices : inflation, chĂŽmage, productivitĂ©.
— La fiùvre monte.
Alors, le peuple exige : Changez de messager !
Le prince fulmine : Changez de méthode !
Le marché ironise : Changez de thermomÚtre !

On remplace l’homme, le modĂšle, l’unitĂ©. On repeint l’échelle.
La fiĂšvre reste.

Un vieil Athénien, témoin des deux époques, conclurait ainsi :

Et, dans l’écho, on croit entendre Kondratiev compter les vagues et Powell compter les points de base, tandis que l’Agora cherche encore Ă  qui couper la parole — faute de pouvoir faire baisser la fiĂšvre.

📜 Citations – “Tuer le thermomùtre, garder la fiùvre”

  1. « Tuer le messager n’a jamais changĂ© la lettre. » – Proverbe grec
  2. « La politique, c’est l’art d’empĂȘcher les gens de se mĂȘler de ce qui les regarde. » – Paul ValĂ©ry
  3. « Quand le pouvoir est aveugle, il commence par briser le miroir. » – Anonyme
  4. « Les faits sont tĂȘtus. C’est pourquoi on prĂ©fĂšre parfois les enterrer. » – Mark Twain (attribuĂ©)
  5. « Celui qui dit la vĂ©ritĂ© doit avoir un pied Ă  l’étrier. » – Proverbe arabe
  6. « On peut ignorer la rĂ©alitĂ©, mais on ne peut pas ignorer les consĂ©quences de l’ignorance. » – Ayn Rand
  7. « Les chiffres sont comme les lampadaires : on les utilise plus pour se soutenir que pour s’éclairer. » – Andrew Lang
  8. « Le cycle Ă©conomique, comme l’histoire, se rĂ©pĂšte
 jusqu’à ce qu’on licencie celui qui l’explique. » – Anonyme
  9. « En Union soviĂ©tique, on ne prĂ©disait pas l’avenir, on arrĂȘtait ceux qui le faisaient. » – RĂ©fĂ©rence Ă  Kondratiev
  10. « La vĂ©ritĂ© traverse trois Ă©tapes : d’abord on la ridiculise, ensuite on la combat, enfin on l’accepte comme Ă©vidente. » – Arthur Schopenhauer

🎾 Playlist – “Don’t Shoot the Messenger”

  1. The Rolling Stones – You Can’t Always Get What You Want (Quand le marchĂ© et la politique se cognent au rĂ©el)
  2. Pink Floyd – Us and Them (La guerre froide
 Ă©conomique)
  3. Creedence Clearwater Revival – Fortunate Son (Le privilĂšge de ceux qui Ă©chappent aux consĂ©quences)
  4. Neil Young – Rockin’ in the Free World (Critique acide des “rĂ©alitĂ©s” maquillĂ©es)
  5. The Clash – I Fought the Law (La loi gagne toujours
 surtout quand elle fixe les stats)
  6. Bob Dylan – The Times They Are A-Changin’ (MĂȘme si certains prĂ©fĂšrent ne pas le voir)
  7. Bruce Springsteen – Born in the U.S.A. (Patriotisme dĂ©tournĂ© et dĂ©sillusion sociale)
  8. Metallica – Sad But True (Exactement ce que Powell pourrait dire à Trump)
  9. R.E.M. – It’s the End of the World as We Know It (And I Feel Fine) (La folie assumĂ©e face aux crises)
  10. AC/DC – Shot Down in Flames (Le sort des messagers de mauvaises nouvelles)
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