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L’intelligence artificielle invalide les stratégies miracle de trading automatique

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En 2006 une start-up démontre que les systèmes de gestion quantitative sont incapables de prédire la Bourse mieux que le hasard. Un rappel qui m’apparait necessaire,  sain et salvateur…

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«Il est impossible de prédire les marchés financiers. Les programmes qui prétendent le faire ne font qu’imiter le passé et ne peuvent en aucun cas surperformer dans le futur à long terme.» C’est la conclusion de Karim Benzineb. Le patron de MetaRead, une start-up de Plan-les-Ouates issue il y a cinq ans et demi du Centre universitaire d’informatique de l’Université de Genève, se spécialise dans l’analyse de gros volumes de données. Lui et ses collègues chercheurs ont mené une expérience pour savoir si un ordinateur peut prédire les cours boursiers sur la base des nouvelles qui circulent au quotidien. Le but était de tester si, en saisissant un très vaste volume de nouvelles économiques et de données boursières dans un ordinateur, ce dernier, ayant appris les corrélations du passé, pouvait prédire l’évolution de la Bourse. «L’hypothèse était que les courtiers lisent les nouvelles, qui les mènent à influer sur le marché, qui à son tour produit des nouvelles, note Karim Benzineb. Une corrélation semblait exister.»

L’équipe fournit alors à l’ordinateur une série de nouvelles couvrant deux ans à raison de 5000 nouvelles par jour, ainsi que les variations de l’indice boursier correspondant. L’étape suivante consistait à tester la capacité de l’ordinateur à prédire, en fonction des nouvelles publiées le même jour, l’évolution des cours. L’ordinateur a donc reçu des données passées dont les chercheurs connaissaient l’impact sur les cours, mais pas l’ordinateur. Ils ont aussi testé si les nouvelles du lendemain avaient été anticipées par les cours de la veille. «Les tout premiers résultats étaient très bons!» sourit Karim Benzineb. Si l’on interroge le système et que l’on tombe juste une fois sur trois (car trois évolutions étaient possibles: la Bourse monte, descend ou reste stable), on ne fait pas mieux que le hasard. Or les chercheurs ont obtenu 54% de taux de succès, soit bien mieux que les 33% du hasard. «Un programme qui battrait systématiquement le hasard permettrait à de gros investisseurs de récolter des milliards en quelques semaines!»

Trêve d’enthousiasme: c’est bien le hasard qui était à l’œuvre. Simplement, les chances de succès sont plus élevées avec 10 ou 12 essais, alors que sur 1 million de tests, le taux de réussite retombe à un tiers, expliquent les mathématiciens. A long terme, le système a donc de moins en moins de chances de surperformer. Conclusion: «Les programmes informatiques sont incapables de prédire l’avenir mieux que le hasard.»

Toutefois, souligne Karim Benzineb, la corrélation existe bel et bien entre les nouvelles et les variations de la Bourse. Mais voilà: cette corrélation n’est valable que pour le passé. Autrement dit, cette saisie massive de données apprend très bien à l’ordinateur une seule chose: reproduire le passé. «L’ordinateur pouvait même établir quel jour de la semaine cette nouvelle avait des chances de tomber avec une assez bonne certitude.»

Problème: «Pour prédire le futur, même à une demi-journée près, le test n’a pas du tout marché.» Pourquoi? Parce que la Bourse s’apparente à un phénomène naturel, tant les facteurs qui l’influencent sont nombreux et imprévisibles. C’est un système qui se définit par le chaos au sens mathématique du terme. «Nos travaux ont donc confirmé ce qu’a dit le livre de Benoît Mandelbrot».

Mathématicien de génie, il est le père des fonctions fractales, ces fonctions mathématiques complexes qui permettent de modéliser des phénomènes naturels qui ont de très nombreuses variables comme la météorologie. Dans son best-seller de 2004, The Misbehavior of Markets: A Fractal View of Risk, Ruin and Reward, il explique que l’on ne peut pas prédire la Bourse: au lieu d’être un système fermé, rationnel avec des comportements typiques, et donc prévisible, la Bourse est un système totalement ouvert, chaotique, et basé sur des millions de décisions individuelles non rationnelles, car les acteurs agissent selon leur perception subjective du risque et non selon la réalité objective de ce risque. On ne peut donc pas prédire, mais seulement modéliser la Bourse. La modélisation fondée sur les fonctions multifractales de Mandelbrot, en particulier, est très efficace pour gérer le risque.

 Les logiciels de trading quantitatif, qui prétendent prédire les mouvements futurs à partir des mouvements passés et réaliser des rendements supérieurs au marché, vendent une utopie. «Si vous aviez tiré à pile ou face, sur le moyen ou long terme vous auriez eu autant de chances qu’eux», soutient Karim Benzineb.

Autre mystification, le «back testing», utilisé par des vendeurs pour démontrer que tel nouveau produit financier aurait largement battu le marché sur les dix dernières années s’il avait existé. «C’est un argument marketing fallacieux, car n’importe quel système qui reçoit des informations passées est capable de faire mieux que le marché sur le passé, explique Karim Benzineb. Or il n’y a strictement aucune garantie pour le futur: ces dix années ne se répéteront plus.» «Tout ce qu’on peut faire avec les programmes informatiques, ce n’est pas gagner de l’argent, mais limiter les risques grâce à une modélisation fractale, en plaçant un plafond et un plancher probables à l’intérieur desquels l’investisseur peut savoir à quoi s’attendre – sans garantie absolue», conclut le chercheur.

 Le risque est, au final, l’unique fonds de commerce véritable de l’industrie financière: «D’autant que le risque de perte est très élevé, surtout à court terme. Des phénomènes naturels extrêmes qui n’avaient qu’une chance de se produire toutes les 500 millions d’années, se sont produits cinq fois en 30 ans.» La Bourse peut vivre des phénomènes similaires.

Source le temps 2006

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