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L’Edito : Les contradictions explosent Par Bruno Bertez

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L’Edito : Les contradictions explosent Par Bruno Bertez

  En ce début de semaine au 11 juillet, les marchés financiers sont en chute. Nous disons bien en chute et non pas en baisse car nous voulons exprimer la rapidité et l’ampleur du mouvement. Nous voulons pointer aussi le sentiment et le climat de peur qui accompagne ce mouvement. Il suffit de quelques jours de plus pour que cette voie débouche sur quelque chose d’encore plus négatif, comme la panique par exemple. Tout est question de seuil, de facteur déclenchant. Dans les mondes d’artifices, les ruptures peuvent intervenir à tout moment et à n’importe quel propos

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Au niveau des valeurs, les dégâts sont déjà là. Mais nous ferons remarquer qu’ils n’ont rien d’exceptionnel ; ce qui frappe, c’est la chute libre des banques et des compagnies d’assurances. En particulier en Europe, et singulièrement en Europe du Sud bien sûr. Et c’est cela qui plombe les indices, impressionne les opérateurs et donne un caractère spectaculaire et émotionnel à la situation.

government ensured bonds spain ireland spread 2011

credit ratings of sovereigns and banks

 Si l’on ajoute les sorties et les attaques sur l’euro, on arrive à un paysage inquiétant, un paysage de crise.

Nous ne développerons pas ici notre analyse de la crise européenne. Juste un coup de projecteur.

source New York Times

Depuis le premier semestre 2010, l’Europe se montre incapable de résoudre ses problèmes. Ses dirigeants vont de bévue en bévue, de discorde en discorde, d’absurdité en absurdité. A l’incompétence, s’ajoute la maladresse et, ce qui aggrave tout, la divergence des intérêts nationaux et politiques.

Papandreou critique sur l’absence d’accord européen

Le Premier ministre grec n’est pas content. Et il l’a fait savoir dans une lettre au ton poli mais ferme envoyée au président de l’Eurogroupe, le Premier ministre luxembourgeois, Jean-Claude Juncker, à l’occasion de la réunion des ministres des Finances (Ecofin) qui s’est tenue à Bruxelles en début de semaine.

Si le ton est fraternel – « cher Jean-Claude » – George Papandréou n’en rappelle pas moins que « quatorze mois après avoir entamé notre programme de réforme, la Grèce a mené une impressionnante consolidation budgétaire et lancé de nombreuses réformes structurelles de grande envergure », mais cela ne s’est pas fait sans mal, et surtout n’a pas été payé en retour par l’adoption d’un deuxième plan d’aide susceptible de pouvoir mettre un terme à la crise de la dette. Un possible conseil européen extraordinaire est censé le faire vendredi.

La population du pays supporte de plus en plus mal cette politique, comme l’ont montré les manifestations parfois violentes des Grecs exaspérés de voir après une année de rigueur que la situation sur le front économique est loin de s’améliorer, comme en témoigne la hausse du chômage qui flirte avec les 16%. Le Premier ministre a dû se résoudre à remanier son gouvernement pour que sa majorité socialiste de plus en plus critique accepte de voter au parlement le nouveau plan d’austérité, condition vitale pour obtenir une nouvelle tranche d’aide financière pour honorer des dettes qui venaient à échéance à mi-juillet.

 Le Premier ministre grec rappelle aussi que ce plan inédit dans les économies modernes par l’ampleur de la réduction des déficits publics, qui se fait avec une économie en récession pour la troisième année consécutive, a été « fermement soutenu » par le président de la Commission, José Manuel Barroso. Avec une point d’ironie, George Papandreou remarque que « si ses réformes majeures avaient été mises en œuvre au cours des années précédentes, nous aurions évité la crise actuelle. » Une époque où José Manuel Barroso était déjà à la tête d’une Commission qui a validé sans broncher les comptes publics falsifiés des gouvernements grecs conservateurs présentés à l’époque. 

Pire, « les marchés et les agences de notation n’ont pas réagi comme nous l’espérions. Ils continuent à avoir des doutes (même nous punissent) sur notre programme de réformes élaboré par la Grèce et les Européens. En agissant ainsi, ils menacent notre reprise économique à tous après trois ans de récession. » 

George Papandreou « est maintenant convaincu que si l’Europe ne prend pas maintenant les décisions justes, collectives et efficaces, quoique fasse la Grèce – nous avons prouvé que nous étions à la hauteur de nos responsabilités -, nous risquons à nouveau, et même au niveau mondial, de subir des cataclysmes sur les marchés en raison de la propagation des doutes qui pourrait anéantir notre union commune. » La façon dont a été testée l’Italie par les marchés en est un signe avant-coureur.

Et aux yeux de George Papandreou, le problème aujourd’hui n’est pas tant la Grèce que la gouvernance de l’Union européenne. « Nous avons besoin d’une direction européenne solide et visionnaire », réclame-t-il. Et demande « un message fort » de la part de la zone euro qui puisse réellement aider la Grèce et éviter que l’ensemble de ces efforts n’aient pas été menés en vain.

source La Tribune

 Il est évident, depuis le début, que les plans successifs qui ont été appliqués ou imposés à l’Irlande, au Portugal, à la Grèce, sont tout à fait irréalistes.

Le problème est que tous les spécialistes le savent et que l’on a l’impression que seuls les politiques et les technocrates européens l’ignorent. Cette situation a débouché sur un conflit entre, d’un côté, les politiques et technocrates et, de l’autre côté, les marchés. Comme dans le bon vieux temps,  les Européens ont considéré qu’ils avaient les moyens de s’opposer aux marchés. S’opposer aux flux de capitaux, s’opposer aux prix qui étaient constatés, s’opposer aux opinions exprimées par les opérateurs du monde entier. Les Européens n’ont pas compris que ces temps étaient finis, finis depuis la dérégulation américaine, laquelle avait précisément pour objectif de donner la toute puissance aux marchés contre les gouvernements et les Administrations. Les marchés sont un gigantesque rouleau compresseur d’égalisation des valeurs, de mise aux normes et on pourrait même dire, de mise au pas. Et cela, les Européens ne l’ont pas compris. Ils en sont encore aux gesticulations, aux rodomontades d’avant les années 70 !

Il y a une contradiction majeure qui n’a pas été perçue par les Européens, en particulier par son monde politique, car il faut reconnaître que les très grands opérateurs bancaires et financiers, eux, l’ont reconnu depuis longtemps ; il y a une contradiction majeure entre, d’un côté, la participation au marché financier mondial par l’intermédiaire des méga-banques et, de l’autre, la volonté de préserver des spécificités nationales ou régionales. Les méga-banques, par leur insertion mondiale et leur interconnexion, obligent à briser toutes les spécificités, à laminer toutes les originalités, elles interdisent le maintien de valeurs, de prix et de pratiques autonomes.

source The Economist

source Wall Street Journal

Nous ne sommes pas pessimistes sur l’issue de la crise européenne en cours. Loin de là. Du moins, nous ne sommes pas pessimistes en termes strictement financiers. Notre pessimisme s’arrête au social, à la culture, à tout ce qui fait notre originalité. Nous voulons dire par là que,  financièrement, l’Europe va s’en sortir, mais qu’en revanche, elle va y perdre sa personnalité. L’enjeu de la crise actuelle ressort de la contradiction majeure exposée ci-dessus. D’un côté les méga-banques, vecteurs de l’uniformisation globale, et, de l’autre, la résistance des spécificités nationales.

 

Dès le début de la crise, nous avons expliqué qu’il n’y avait pas de problèmes majeurs de dette souveraine et qu’en réalité il s’agissait d’une mystification destinée à occulter le fait que le problème était celui des méga-banques.

Après avoir provoqué la première crise financière par leur irresponsabilité dans les subprimes du housing, les méga-banques provoquent la deuxième grande crise financière par la même irresponsabilité dans le subprime souverain.

Elles ont prêté en dehors de toute considération de solvabilité parce qu’elles ont considéré  qu’in fine l’Europe finirait par payer et c’est l’enjeu du combat actuel. Les méga-banques contre les pays, contre les gouvernements, contre les citoyens, pour obtenir que l’Europe donne la garantie qu’elle n’avait jamais formellement donnée auparavant que les dettes des débiteurs insolvables seront honorées.

source Wall Street Journal

L’issue du combat n’est absolument pas douteuse pour une raison très simple qui est que les méga-banques détiennent l’arme atomique. Et les gouvernements le savent. Le « run » qu’il y a actuellement sur le capital, sur les CDS, sur les obligations émises par les banques est une sorte d’avant-coureur du « run » qui pourrait se produire sur les passifs court terme des établissements. Les gouvernements le savent, ils ont vu ce qui s’était passé en Irlande, en Grèce et maintenant en Italie : les banques perdent leurs dépôts. L’Europe cèdera. Elle acceptera, quels que soient les habillages, quels que soient les discours, quels que soient les propagandes, elle acceptera de prendre les mesures nécessaires au sauvetage des banques.

La contradiction majeure entre, d’un côté, un système économique et financier global imposé par les Anglo-saxons et, de l’autre côté, des spécificités nationales et régionales, cette contradiction va être résolue dans la crise. La BCE va céder, les Allemands, les Autrichiens, les Finlandais aussi. Il n’y a qu’une alternative, ce serait l’acceptation de la dissolution ordonnée de l’euro. Merkel et Sarkozy étant arque boutés pour préserver l’euro coûte que coûte, une telle dissolution est peu probable. Du moins en tout cas tant qu’ils sont au pouvoir.

Ayant ainsi rapidement survolé la question de la crise européenne, revenons aux marchés.

Premier rappel, les marchés étaient baissiers depuis la fin avril. C’est à cette époque que quelque chose a changé. Ceci a été précédé par le retournement du marché du 10 ans américain, lequel est toujours un bon précurseur. Le rendement du 10 ans baisse depuis la mi-avril : on était au-dessus des 3,50%, on est sous les 2,90%. Ceci nous paraît être le constat de base, celui sur lequel on peut s’appuyer.

source Bloomberg

Cette phase baissière est justifiée. L’économie américaine déçoit, elle ralentit, la croissance auto-entretenue donne l’impression, une nouvelle fois, d’avorter. Les anticipations inflationnistes refluent en liaison avec le cours des commodities et de l’énergie. Bref, le risk-on cède la place au risk-off. Ceci est amplement confirmé par les dégagements sur le high-yeld, l’élargissement des spreads de risques, la hausse des CDS.

Source: ECRI/PRAGMATIC CAPITALIST

source Bespoke

Cette phase de baisse est également justifiée par la perspective de la fin du Quantitative Easing n°2, même si celui-ci va subsister en version light pour stabiliser le bilan de la Fed.

Economie en ralentissement, emploi détestable, rechute du housing, fin des anticipations inflationnistes, échéance des stimulations, il n’en faut normalement pas plus pour expliquer le retour à une tendance baissière.

Le reste, la question du plafond de la dette américaine, la géopolitique, le bourbier européen nous paraissent des grosses cerises sur le gâteau. Des cerises un peu aigres, plutôt du type Montmorency que du type Cœur de pigeon.

Il faut comprendre que la reprise boursière qui est intervenue à mi-juin est une manipulation, un artifice. La hausse a été faite à la main grâce à une connivence globale généralisée. On a remonté les inventaires de portefeuilles pour la fin du semestre ; d’autre part, on a préparé techniquement l’échéance du Quantitative Easing n°2. La connivence sur la hausse artificielle pour le 30 juin était évidente. Nous l’avons signalée en son temps. La préparation technique de la fin de QE2 était indispensable : il fallait s’écarter, se donner un peu d’air,  s’éloigner de la zone des 1.250 au S&P500. Il fallait se donner une marge de sécurité pour absorber la baisse normale, logique, post-30 juin. Cela a été réussi. On  a fait galoper le S&P500 de plus de 100 points en quelques jours. Le squeeze des vendeurs a été déterminant. Bien entendu, il n’a pas été possible d’aller plus haut et, en particulier, impossible de donner un signal fort de retour à une tendance haussière en franchissant la zone des plus hauts de fin avril. A ce niveau, en effet, la connivence s’est effondrée, chacun pour soi. Le smart money est redevenu vendeur.

source Bespoke

Notre interprétation est et reste la suivante : les marchés sont spontanément baissiers. Le spontané n’étant pas depuis longtemps maintenant le plus probable, il faut tenir compte des actions des responsables de la conduite des affaires. Et nous retombons sur ce que nous avons écrit il y a quelques semaines, après une phase de reconstitution des marges de manœuvre, après une phase de rechute et d’inquiétude, les autorités seront validées à procéder à de nouvelles interventions.

source Bespoke

La rechute est en train de faire son œuvre.

L’arme fiscale, sauf à la marge, à la petite marge, est inutilisable. Peut-être y aura t-il une petite reconduction des mesures en faveur de l’emploi US par exemple. Mais avec les problèmes d’endettement gouvernemental, il n’y a plus grand chose à espérer de ce côté-là.

L’arme monétaire et l’arme financière vont être à nouveau sollicitées. Nous pensons même qu’elles seront largement utilisées. Ce sera de façon agressive, de façon massive. Il n’est pas impossible que l’on s’achemine vers des mesures qui n’auraient plus de limite, plus de seuil, tant en quantité qu’en durée. Il est possible qu’il y ait des mesures très innovantes, du moins en apparence bien sûr car, sur le fond, les mesures aboutissent toujours à la même chose.

Alors que le communiqué ne donnait aucune indication sur l’évolution de lapolitique de la FED, son  président , Ben Bernanke, a expliqué lors d’une conférence de presse qu’il envisageait aussi bien d’intervenir à nouveau que de ne rien changer.

«Nous serions préparés à prendre des mesures supplémentaires, manifestement, si les conditions le justifiaient», a-t-il dit, laissant la porte ouverte à un nouveau cycle de relance monétaire. 

Mais il a souligné que la Fed pouvait aussi maintenir le statu quo: «si l’économie empire et que l’inflation reste relativement faible, alors nous ne commencerions pas à sortir» de la politique monétaire actuelle, «et par conséquent, nous ne changerions pas de langage».

L’une des principales incertitudes est l’évolution de la crise économique de la Grèce. «S’il y avait une incapacité à résoudre cette situation, cela constituerait une menace pour les systèmes financiers européens, le système financier mondial, et pour l’unité politique de l’Europe», a-t-il prévenu

source afp 22/6/11

La reconnaissance récente par la Fed de la déception conjoncturelle jointe à l’aveu il y a quelques jours par Geithner de l’impuissance keynésienne nous font penser que les mesures se rapprochent et qu’elles viendront peut-être même avant le calendrier théorique que nous avions fixé à la fin de l’année. Ces mesures seront audacieuses. Il serait logique qu’elles provoquent un choc. En effet, il faut briser le sentiment négatif qui s’est instauré, il faut tenir compte de l’usure des mesures anciennes, de leur faible crédibilité, de leur insuffisance.

Par ailleurs, la crise européenne, très négative pour la croissance globale, et dangereuse par la contagion financière, la crise européenne va justifier des mesures fortes. Un alibi en quelque sorte.

Les modalités des actions à venir sont difficiles à anticiper. En revanche, les effets sont et seront parfaitement évidents. Pour maintenir le château de cartes et faire un tour de plus sur le manège, il faut

1) que la liquidité soit surabondante

2) que les taux de l’argent soient nuls ou négatifs

3) que l’inflation soit relancée

 4) que le extend and pretend comptable des actifs des institutions bancaires et financières continue.

Tout ceci débouche et ne peut que déboucher sur un afflux de capitaux sur les marchés, sur les actions et sur l’or.

BRUNO BERTEZ Le 12 Juillet 2011 

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L’Edito : Suspendus dans les airs… de la finance Par Bruno Bertez

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